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ArribaAbajo La réserve de la langue

Caroline Bertran-Hours


Comédienne, compagnie «Théâtre Réel» (Toulouse).
Auteur.
Docteur ès Lettres.
Née en 1956 à Toulouse.
Parents: enfants de l’exil.
Grands-parents: républicains
internés dans les camps
de concentration d’Argelès
et Saint Cyprien.

«L’any que ve a casa nostra!13»

Ce toast, invariablement porté par les Catalans dans les premières années de l’exil, a cessé pour mes parents à notre naissance en France. «Nos enfants sont français, nous devons le devenir». Nos parents étrangers, on les reconnaîtra toujours à leur accent, malgré leur application à en effacer les traces, comme des Indiens balayant leurs empreintes, pour disparaître dans le paysage, pour être de ce pays aussi, s’y fondre, avec détermination et espoir.

Pour moi, le français restera longtemps la langue du dehors, de l’école, de la littérature, délices... Dans la langue du dedans, le catalan se retire peu à peu, comme une mer, mais jamais complètement, marée laissant des coquillages et des verres polis, les berceuses bien sûr, et des mots que l’on gardera parce qu’ils SONT la chose qu’ils désignent, bien mieux qu’en français qui n’en donnera jamais que la traduction savante: la truita, la samarreta, être maréjée14 résistent toujours. La langue de la réserve -les indiens encore- réserve de nourriture aussi pour l’entre-soi, notre délectable français/catalan de cuisine.

Autrefois: «Ma langue maternelle n’est pas celle de ma mère. Elle m’en est d’autant plus chère. Elle n’est qu’à moi».

Aujourd’hui: «je sais que ma langue est une conquête -celle de mes parents d’abord- et qu’elle est une patrie. Je le sais doublement: comme ‘théâtreuse’ et fille d’étrangers».

Je suis venue au théâtre par un goût de la langue sans doute aiguisé à la double appartenance, mais aussi par une fidélité plus secrète aux causes de l’exil républicain né avec la démocratie grecque, le théâtre est l’art de la Cité, de la communauté et du débat.

Il dit: «L’homme est vivant ici et maintenant et cela ne va pas de soi. Les exilés -qui pourraient être ailleurs et morts- en témoignent. Leurs enfants parfois le jouent».