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Österreichisches Staatsarchiv -Haus, Hof und Staatsarchiv, Vienne
Les historiens et chroniqueurs turcs de Soliman le Magnifique-Kemalpaşazade, Celalzade, Solakzade, Rüstem pacha, Lûtfi Pacha, Peçevi, le Ghazawat773 -nous donnent un compte-rendu factuel des relations entre l'empire ottoman et ses voisins, un récit des conflits et accessoirement des négociations. Il n'y a pas d'analyse approfondie des rapports de force, comme le font les bayles vénitiens ou un Postel, ni d'ébauche de réflexion politique comparable à celles d'un Machiavel ou d'un Bodin.
L'enseignement
officiel ottoman est tourné vers les langues classiques des
civilisations musulmanes (arabe et persan), la religion et les
aspects juridiques dérivés de la
religion774.
On passe beaucoup de temps à l'analyse des signes astraux,
des rêves et à la computation sur les
lettres775,
et l'on ne s'intéresse guère aux sciences naturelles
et positives, à
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Berkes note avec
justesse que le sentiment de supériorité des Ottomans
vis à vis des kâfir (des «infidèles»), dûs aux
succès militaires, mais aussi à la conviction que la
dernière religion révélée est la
meilleure; d'ailleurs les succès militaires, la «peur des Turcs» font encore croire une
supériorité d'organisation notamment en
matière d'armée de métier analysée par
un Busbecq dans les années 1555-1565779.
Dans deux domaines
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Dans le domaine
maritime, le développement de la cartographie des
côtes notamment par Piri Reis, s'appuie sur des portulans
pris sur les galions espagnols et des cartes
vénitiennes782.
Le grand vizir Lutfi pacha s'est attaché à renforcer
la flotte impériale en étendant les
arsenaux783.
L'ambassadeur français Rincon en 1540 lui offre «un mappemonde fait en sphère, fort beau et
riche, fait exprès à Venise, avec un libre contenant
l'interprétation d'icelluy instrument, ayant
coûté, tant ledit mappemonde que ledit libre 90
écus». Pour Soliman, l'important est de trouver un bon
amiral, des marins aguerris, un équipement su même
niveau que les Occidentaux. Comme amiral, il prendra en 1534
Barberousse dont la connaissance de la Méditerranée
et la finesse sont relevées par l'ambassadeur imperial
Schepper, et Barberousse restera en poste jusqu'à sa mort en
1546, assurant par la bataille de Preveze la domination ottomane
sur la Méditerranée occidentale; de marins, il va
manquer et les razzias sur les côtes européennes
visent à augmenter la chiourme; quant à
l'équipement, il doit faire appel aux Vénitiens. Dans
la lutte contre l'expansion portugaise dans l'Océan Indien
et le contrôle du commerce des épices, les
Vénitiens, dont les intérêts coïncident
avec ceux des Turcs, apportent une assistance technique à la
construction de flottes capables de navigation océane, par
le biais de Zuan Francesco Justinian, envoyé par le
Sénat à Constantinople en 1530. Justinian avait
exercé au Portugal et en Inde où il était
resté neuf ans, «et a fait ici des
cartes de navigation du voyage de Calicut et s'est offert d'y
conduire une flotte pour avoir armé de grosses
galères pour les Turcs et devoir en armer autant dans
l'année en cours784».
Quand il vient se plaindre au bayle
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La plupart des pachas, recrutés par le devşirme, sont originaires des Balkans et parlent l'esclavon (le serbo-croate) ou le grec, quelquefois l'italien: Ibrahim pacha, originaire de Parga en territoire vénitien, Barberousse, né à Mitylène d'un père albanais et qui parlait espagnol, comme «les propres serviteurs plus confidentz dudit Turcq et gens dudit Barberossa786», qui gardent des contacts avec leurs parents restés du côté des puissances chrétiennes tels Marso de Polo, beau-frère de Murat ağa en 1543787, Donato de Salvi, ami d'un frère de la femme de Soliman pacha et d'un secrétaire de Barberousse, Ferhat ağa; un religieux, frère de Soliman pacha, un Fabricio Valares, un Ortiz qui informe de l'arrivée de Morisques de Grenade à Istanbul pendant l'été 1542788, «turc de religion» quelquefois comme Mustafa, Assain (Hasan?) pacha -frère d'Ascanio Belisario enlevé à Lipari et devenu capitaine des janissaires, envoyé à Alger et négociant avec son frère à Modon un échange de prisonniers789. Le vizir (Kara) Ahmed pacha, en 1545, dit à Veltwyck «estre filz de chrestien, et qu'il avoit pitié du dommaige des povres chrestiens790».
Les drogmans ou interprètes du divan, tels Yunus bey, de Corfou ou Modon selon les sources, émanaient aussi du devşirme, mais un Alvise Gritti, polyglotte verni à l'université de Padoue, doute de leur niveau de connaissance des langues et retraduit en turc une lettre de Charles Quint «du tout aultrement que n'avoit faict [Yunus bey] l'interprète, lequel il disoit n'entendre ny le turcq ny l'italien791».
On reproche aux
juifs marranes ou «nouveaux
chrétiens», émigres à Anvers vers 1512,
financiers qui s'étaient assurés du monopole du
commerce des épices portugaises
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Des aventuriers
rechignent à sauter le pas du changement de religion, mais
se mettent au service des Ottomans dans l'espoir de gains. Le cas
le plus intéressant est celui d'Alvise Gritti, fils d'Andrea
Gritti, marchand de grain et diplomate, bayle de Venise qui avait
négocié la paix entre Venise et la Porte en 1503,
tâtant de la prison des Sept Tours, doge de 1523 à
1538, et d'une femme grecque d'Istanbul turque affirment d'autres;
à son retour à Venise, Andrea Gritti avait
ramené l'enfant, et l'avait fait étudier à
Venise et à Padoue. De retour à Istanbul, se faisant
appeler «Beyoglu, c'est-à-dire fils
du seigneur», Alvise Gritti s'est, selon Jove, montré
«entremetteur & heureux
conducteur... expert en toutes choses de gentilesse, pouvoyt tant
par sa bonne grace, qu'il menoyt facilement [Ibrahim]; qui
commandoit manifestement au naturel de Soliman par quelque secrette
constellation; jusques à tel poinct qu'il vouloyt, luy
estant familier par domestique entretien & par hantise fort
privée. Aussi avoyt il esté né & nourri
à Constantinople, & pourtant expert en la langue
turquesque jusques à une admirable faconde. Mais outre tout
cela, ses nobles mœurs, la magnificence de son appareil
domestique, & sa singulière dextérité en
toutes choses, et principalement à cognoistre & estimer
justement la pierrerie, comme il en nourrissoyt des Maistres en sa
maison, le rendoyent merveilleusement favorisé, que Solyman
luymesme fut mené par [Ibrahim], pour cause de
recréation, jusques à des jardins qu'il avoyt
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D'autres
aventuriers, comme Isidore de Codroipo, Troilo Pignatello,
Christophe de Roggendorf, ont moins de succès. Le bossu
frioulan Isidoro de Codroipo, «grand et
notable trahistre, lequel au commenchement s'avoit appellé
ambassadeur de l'Empereur», arrive en janvier 1533 à
Constantinople, indiquant sur une carte de l'Italie les ports et
passages et le chemin à prendre pour l'occuper, demandant
4.000 Janissaires, «pour exercer son art
de traître», mais est finalement rejeté par
Ibrahim pacha et arrêté en Autriche à son
retour mais relâché à cause de ses liens avec
Alvise Gritti796.
Le napolitain Troilo Pignatello, vieillard à la longue barbe
blanche, dont le frère, Andrea, chevalier de Malte, avait
été décapité sur ordre du vice-roi de
Naples, arrivé le 26 novembre 1533 à Istanbul avec
sept serviteurs, en 1533-37, a «offerto cose grande al gran
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Les Turcs n'auront pas d'ambassade permanente dans les pays tiers avant le XVIIIe siècle. Bien qu'ils aient disposé de quelques informateurs dans les pays chrétiens, ils ne mettront pas apparemment en place un réseau d'espions, sachant le turc, le grec et l'esclavon, «per investigare e per essere ben avisato continouamente di tutti i motivi di Solimano», comme les Vénitiens, l'ordre de St Jean l'Hospitalier800 ou «trabajando por servicio de V. M. Cesárea para no padecer algún daño del turco», «para entender sus movimientos» comme ceux déployés par le marquis de la Tripalda, depuis le royaume de Naples ou Diego de Mendoza depuis Venise801.
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Quelques espions sont toutefois mentionnés: ainsi frère Louis de Lesina (Hvar), supposé envoyé par le patriarche de Constantinople ou par Alvise Gritti auprès de Charles Quint en janvier 1531 à Cologne pour l'informer et l'avertir sur la situation en Turquie, en réalité plutôt pour espionner au nom des Turcs, ce dont le soupçonnent l'empereur et Ferdinand: «Le religieulx venu de Constantinople estoit party avant la réception de voz lettres; et ne sçayt quel chemin il aura tenu. Si repasse devers vous ou se pouvoit retrouver, seroit bien de s'enquérir et informer plus avant de luy et en tous advenemens le détenir pour ceste saison, affin que -s'il est tel, comme l'on le deszifre- qui n'eust le moyen de retourner rappourter nouvelles802». En octobre 1534, le frère Ludovico Martinengo se suicide à Vienne après avoir été arrêté pour espionnage en faveur des Turcs803. En juin 1536, un juif nouveau converti, Astrume Elia, est arrêté et torturé à Naples comme espion d'Ibrahim pacha et des Turcs, se libère de ses chaînes dans son cachot en invoquant une intervention de Vierge Marie à laquelle ses gardiens espagnols ne croient pas; il sera retrouvé mort noyé804.
Les Turcs devront
donc compter sur les informations fournies par Raguse et Venise. La
petite république de Raguse, vassale de l'empire ottoman,
moyennant un tribut annuel de 12.500 ducats, joue un rôle
clé de transit et d'information entre les ports de l'empire
ottoman (Istanbul, Alexandrie, Beyrouth) et les ports italiens ou
autrichiens de Fiume et Ancône, concurrençant les
Vénitiens; le Vénitien Razzi écrivait en 1533:
«I Ragusei sono soliti di far conoscere come al Papa e agli
altri principi italiani i movimenti del Turco, così al
Sultano tutto ciò che possono sapere intorno alle mosse
delle potenze italiane805».
En mai 1533, Ibrahim pacha reçoit avis des Ragusains des
préparations de mouvements de troupes impériales pour
venir en aide à Coron806.
Début 1547, Frère Georges Martinuzzi, régent
de Transylvanie, et la cité de Raguse font parvenir
aux
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Venise est le plus
grand centre d'information sur la Méditerranée et
l'Europe et d'espionnage les Vénitiens promettent aux Turcs
de les informer sur les agissements de Charles Quint; tant
qu'Ibrahim se plaint au bayle Zen, les 12 et 20 mai 1533, que les
Vénitiens, malgré leurs protestations d'amitié
envers le sultan, ont donné des informations erronées
sur les mouvements de la flotte de l'empereur dans leurs ports,
peut-être même lui fournissant à Doria des
informations et un appui logistique lui promettent de s'emparer de
Coron et ajoute que «la Signoria è sufficiente a
dar conto fino di pesci dil mar non che di armate che Spagna
prepara in li soi portino809».
Ibrahim lui dit: «Orator, vui sapete che la fede nostra
è grande contra quela vostra illustrissima Signoria et
vossamo che li scriviate che'l desiderio dil Signor è di
voler esser fidelmente avisato de li andamenti di
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Les Turcs se fieront moins aux informations fournies par les envoyés français, polonais ou hongrois. En 1545, Jean de Montluc rendre de Constantinople à Paris par Vienne, prétextant qu'il voulait informer les Turcs des nouvelles fortifications autrichiennes, information qu'il ne semble pas avoir transmise. En ce qui concerne tant les Vénitiens que les Français, la conclusion d'actes comme la paix de Cambrai (pais des Dames de 1529812), la Ligue de Bologne (1529), la Ligue de 1538, la paix de Crépy (1544), donne l'impression aux Turcs que les désirs d'alliance de leurs partenaires ne sont que des velléités purement opportunistes et qu'ils tiennent double langage, restant dans le fond de leur politique des puissances chrétiennes. Vénitiens et Français doivent dépenser des trésors de persuasion diplomatique pour expliquer la nature contrainte, opportuniste et factice de leurs accords avec l'empereur.
Ainsi que nous
l'avons dit, l'information générale sur les pays
occidentaux est limitée; l'abondance des questions aux
visiteurs dénote le niveau limité des connaissances.
La nature des questions des pachas aux visiteurs reflète
leurs centres d'intérêt: en octobre 1530, Ibrahim
accable Nicolas Jurišic, et Joseph von Lamberg,
envoyés de Ferdinand à Istanbul, de questions sur les
lieux de séjours de Charles Quint et de Ferdinand, sur les
habitudes des princes, l'état de leurs affaires,
etc.813.
En 1533, Ibrahim demande à Schepper: «où réside ordinairement
l'empereur Charles? Je respondois qu'il
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Après la défaite de François Premier à Pavie, puis la prise de Rome en 1527, les appels des Français, des Vénitiens, des princes protestants allemands, du prétendant Zapolya, voire même du Pape à contrer l'Empereur, donnent une image dominatrice d'un empereur qui aspire à la domination mondiale, à la monarchie universelle, alors que les réalités sont autres: que les ambassades envoyées par Ferdinand, ou Charles Quint, fausses et fallacieuses, ne servent qu'à chercher à temporiser et gagner du temps, pour leur permettre de lever une armée et de poursuivre leur politique de conquête819.
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Les Turcs vont
voir Charles à travers l'affaire de Hongrie, où il
apparaît comme le protecteur, le maître, le
manipulateur derrière Ferdinand. L'historien turc
Kemalpaşazade expliquant que la conquête de la Hongrie
résulte de la parole donnée par le sultan au «bey de France» pour «l'affranchir de la suprématie du bey
d'Espagne... Pour bien comprendre ce que nous disons, il faut
savoir que le roi du pays des Allemands, contre la tyrannie duquel
réclament tous les infidèles, exerce une
prépondérance incontestable sur tous les chefs ses
voisins. Grâce à sa puissance et à sa force, il
fait peser sur eux un joug honteux. Régnant sur des
provinces célèbres par leur richesse et leur
fertilité, il commande à une armée belliqueuse
dont les moindres soldats sont d'excellents combattants. D'une
haute taille comme les platanes et les pins, ces hommes à
figure farouche ne respirent que la guerre, soit sur terre, soit
sur mer. Ces misérables sont toujours prêts à
fondre sur les musulmans et menacent de souiller de leurs pieds
maudits la demeure du salut du pays de Roum820».
Les envoyés de Ferdinand auprès de Soliman, en 1532,
Nogarole et Lamberg, apprennent que Rincon, l'ambassadeur
français a ainsi exposé la situation: «l'empereur des cristiens havoyt prins
[François Ier] aultre foys a traïson et de nuyt, et
après que l'havoyt tenu en prision, il changy a ses enfans
lesquelles enfans luy ha failly rechapter a grand quantité
de argent et que le dist empereur estoit ung tiran et ne demandoit
aultre chose que de prendre et usurper les biens d'aultruy dont il
en estoyt tant hay qu'il ne havoit homme qui bien le voulsist/
pourtant que le dit roy estoit délibéré de
s'en vangier et povoir qu'il scet que ce invictissime empereur des
Turq ha juste cause de ne laisser point [permettre] que son
frère le roy des Romains, qui cherche tousjours de luy
hoster le roaulme de Ungrie est toujours aydé du dit
empereurs, pourtant luy hat il voulsu faire entendre sa dist
voulonté de luy fere la guerre luy priant et conseillant
qu'il y venist aussy, car c'estoyt le tamps de chatier touts les
maulx que le dit empereur ha fait et que de tout cela que luy
gaigneroit de l'aultre costé qu'il le vouloit congnoistre du
dit Turq et le soucorir là où qu'il pourroit avecq sa
personne et roaulme Le Turq luy respondit qu'il ne refusoit point
la bonne amistié qu'il desiroit havoir avecq luy, mès
quant au soucours qu'il luy promettoit qu'il havoyt bon espoir en
qu'il non havoit point mestre, car sa puissance suffisoit contre
tout le monde et que pourtant estoit il mis en chemin pour veoir
s'il trouvera résistence et là seroit la
voulonté de Dieu821».
Ibrahim pacha dit au bayle vénitien,
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Et en 1534, Soliman explique clairement à Schepper qu'une paix avec l'empereur ne serait faite qu'à condition que «Charles restitue au roi de France toutes les terres qu'il occupe de lui et lui rende tout l'argent qu'il lui a pris. Après no us traiterons de la paix avec lui, mais pas avant, parce qu'il a fait une grande violence au roi de France, mon frère». Par terres occupées, Soliman entend le Milanais. Comme Schepper nie toute occupation, Soliman s'étonne; «Est-ce que Charles n'a pas détenu le roi de France en prison? et qu'il ne l'a relâché qu'après avoir reçu ses fils en otages et une grande somme d'argent?» Et puis il s'est retourné vers les pachas: «Comment se peut-il que tous les ambassadeurs qui sont venus ici ont toujours dit que l'empereur Charles détient beaucoup de terres qui appartiennent au roi des Français?824»
Les Turcs
s'inquiètent de l'alliance entre Charles, les Portugais et
les Iraniens, qui permettrait d'encercler l'empire et surtout de
l'assistance technique militaire qui en résulte, et conduit
aux diverses expéditions contre les Portugais dans
l'Océan Indien825.
On sait que les messagers envoyés par l'ambassadeur Jean de
Balbi venu au nom de Charles Quint auprès du Chah fin 1529
sont interceptés, que le consul vénitien à
Alep,
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Après dix
ans de promesses non tenues, surtout après l'échec de
l'expédition de Barberousse en Provence, la confiance
à l'égard de l'information fournie par les
Français a faibli: «leur ancien
crédit estoit perdu par l'armée de mer que leur en
presta le Turcq, et au moyen des accuses de Barberousse, et les
deffenses faictes par luy, esquelles entre faictes se sont
descouvers maintz beaulx tours, et comme les Turcs disent,
trahisons et laschetez, lesquelles ne cessoient de reproucher aux
Françoys après la paix faicte, de non avoir sceu
employer une si bonne armée et se deffendre»,
écrit Veltwyck en 1545829auquel
le vizir Ahmet pacha confie que, lors des futures
négociations, «à la
première fois, le Turc ne pourroit abandonner ne refuser les
François mais quant nous retournerons, trouvrions
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Mohacs a été la dernière bataille rangée menée par les Turcs en Europe. Au cours des campagnes successives, l'armée de Soliman s'épuise en longues marches interrompues par les pluies torrentielles qui réduisent la durée des sièges (Vienne en 1529, Güns en 1532) avant de retourner quasiment bredouille. La guerrilla menée par les troupes de Ferdinand exacerbe l'irritation des Turcs, qui accusent l'empereur de fuir par couardise la bataille, de refuser de rencontrer virilement Soliman; l'empereur se cache, malade, dévirilisé... Après le siège de Güns, selon Peçevi, Soliman envoie à Charles la lettre suivante: «Depuis bien longtemps, tu n'arrêtes pas de faire prétention de virilité; mais l'on ne peut en trouver ni la réputation ni les signes ni chez toi, ni chez ton frère; les prétentions du pouvoir et de virilité vous sont interdites. Est-ce que tu ne rougis pas devant tes soldats ou même devant ta femme? Peut-être que ta femme a du courage, mais pas toi. Si tu es un homme, viens le montrer sur le champ de bataille; quelle qu'en soit l'issue, viens-y; viens et partageons entre nous l'empire de Vienne. Le plus humble infidèle peut être tranquille; sinon ayant à faire face à un lion sur le champ de bataille, n'estime pas viril de s'emparer de proies par ruse comme un renard. Si cette fois encore tu n'oses pas venir en découdre sur le champ de bataille, va prendre un rouet comme les filles, ne prétend pas ceindre la couronne d'empereur ni même que tu es un homme!831» Il s'agit évidemment de propagande destinée à l'opinion interne turque. Kemalpaşazade se contente de noter que le roi (Charles) «choisit le parti de la prudente, fut assez bien avisé pour ne pas se réunir sur le champ de bataille aux autres chefs infidèles, et se contenta d'envoyer à sa place son frère avec quelques contingents. Pour lui, il resta au milieu de ses terres, caché et se tenant sur la réserve: il se serait bien gardé de prendre part à une guerre dont l'issue ne pouvait qu'être désastreuse; il savait qu'au jour du combat, dans le tumulte de la mêlée, les impies ne pourraient jamais tenir tête aux héros de l'islam832».
Rüstem pacha,
en 1545, fait observer à Veltwyck que les chrétiens
ont l'avantage de faire la guerre près de leurs bases
arrières, alors que les Turcs «s'esmeuvent par les peines et travaulx que
endurent leur camps devant que arriver aux frontières,
estant les limites longtains de Constantinople, parquoy sont
contraintes d'emploier la pluspart de l'esté en aller et
venir, Et quant à l'iver ilz ne peullent demourer sur la
limite a cause des vivres et pastures, sans lesquelz n'est possible
de nourrir grant nombre de chevaulx. [Rüstem pacha] m'a dist
que les guerres des chrestiens ne sont que passe temps puis que se
font à la maison avec toutes commodités, mais que le
Turc fait si grant chemin devant que peust trouver l'ennemy d'ung
coustel et de l'autre, que tousjours quant il est de retour
à Constantinople
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Ibrahim accuse Charles de «tours de larron», et de renard attaques de guerrilla contre Zapolya, attaque contre Coron, prise de Tunis, et Castelnuovo, tentative contre Alger... Les reculs sont minimisés: Coron est qualifiée de castelluccio, Tunis et Alger n'appartiennent pas à l'empereur mais sont domaines propres de Barberousse. Les tactiques de Charles Quint, estime l'auteur du Ghazawât, relèvent de la guerre secrète: «Cependant le roi d'Espagne préparait en secret son armement, et l'on ignorait contre qui il allait le diriger. C'est une loi générale parmi les infidèles que, lorsque l'un de leurs souverains fait une expédition maritime, il ne confie son secret à personne. Celui-là même qui est chargé de la conduite de la flotte ne connaît sa mission que trois jours après son départ, lorsqu'il ouvre le pli qui contient les instructions qu'on lui a remises...834». Et quand Charles-Quint fait proposer secrètement à Barberousse de tourner casaque et négocier sur le Maghreb contre un échange de flottes, le second évoque la suggestion de tractation au divan, et le grand vizir Lûtfi pacha aurait suggéré de le payer de mots835.
Dans deux rapports conservés dans les archives ottomanes, le çavuş Hidayet, venu en mission à Vienne, en 1544, pour discuter de l'application d'articles de trêve, donne une analyse la politique flagorneuse menée par l'empereur vis-à-vis des Ottomans. Il note que le besoin de paix est général et que les fonds manquent du côté des Habsbourgb836.
Le couronnement de
Charles Quint par le Pape à Bologne, le 25 février
1530, suscite railleries et inquiétude en Turquie, en
particulier du chancelier historien Celalzade837.
Aussitôt après Ibrahim ironise auprès de
ambassadeurs Jurisic et Lamberg: «l'empire
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Mais, Ibrahim cherche à faire imiter par Soliman la pompe de Charles Quint -avec la pompe de la circoncision des chehzade en 1530, puis, en 1532, un casque vénitien de plus de 100.000 ducats, en forme de tiare pontificale couvert de plumes de caméléon indien, et les cavalcades de Soliman lors du départ ou des retours de campagnes répondant au couronnement de Bologne, la parade d'entrée à Belgrade aux joyeuses entrées impériales841.
Auprès de Jurisic et Lamberg, Ibrahim ne qualifie Charles que roi ou seigneur d'Espagne [Karlo, Ispanya kralt ou beyi], et n'appelle Ferdinand que «Fernanduş», considéré comme le lieutenant de Charles en Allemagne. Les historiens turcs ne se privent pas d'insultes: «roi stupide» [şapşal kral] pour Peçevi, «le bâtard qui revendique le titre d'empereur», «Karlo, roi d'Espagne, frère du stupide [şaşkin] Ferdinand», «le seigneur de la province d'Autriche, roi imbécile du nom de Ferdinand», «Carlo, roi d'Espagne, ce païen têtu» pour l'historien Solakzade, et plus tard encore chez; Evliya Çelebi: «Ferdinand le divaguant».
Les liens entre les deux frères ne semblent pas bien compris, ni les pouvoirs exacts de l'empereur. En tout cas, il semble que l'on sente bien en 1545 à Istanbul que nulle paix ferme ne peut se faire avec Ferdinand sans qu'elle soit ratifiée par l'empereur842. L'insistance turque à n'appeler Charles Quint que roi des Espagnes et non Empereur -marquant un refus de reconnaissance de l'empereur par le Padichah, selon une tradition toute byzantine843, reflétant la prétention de l'empereur de Constantinople à être l'unique héritier de Rome -«Porque el principal titulo de Emperador dezia que el tenia, como successor de Constantino, y Señor de la Imperial ciudad de Constantinopla844»-, marquant aussi peut-être un conflit d'égal à égal dans la domination du monde, est peut-être une des raisons qui poussent l'empereur d'Occident à ne pas vouloir apparaître en tant que tel dans la négociation de Schepper. C'est dans ce sens que Soliman tient à apparaître comme frère de l'empereur, son égal, quand Ferdinand est considéré comme son fils, du niveau du grand vizir.
Lors de la remise
des lettres de Charles à Ibrahim, rapporte Schepper:
«Après luy ay
déclairé le désir qu'avoit le roy Ferdinande,
affin qu'il luy fust adsistant pour impétrer le royaulme
d'Hongrie, mesmes que l'empereur Charles avoit pour cest effect, et
en faveur de son frère, escrit au grand Empereur des Turcqz.
Tandis que je disoye ce que dessus, nous estions tousjours debout,
il me demanda lesdtes lettres que je luy donnois,
lesquelles veues en ma main, il se leva, disant: cestuy-cy est ung
grand seigneur, et pour ce le debvons nous
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La titulature des
lettres officielles donne lieu à contestation qui
reflète l'importance donnée au protocole, aux termes:
les Turcs ne reconnaissent pas les revendications du roi d'Espagne
aux trônes de Jérusalem et d'Athènes,
hérités du roi de Naples, suscitant les railleries
d'Ibrahim et la colère de Soliman. Dans sa lettre à
Soliman apportée par Schepper en 1533, l'empereur se fait
intituler comme suit: «Charles
Ve de ce nom par la grace de Dieu empereur des Romains
tousiours auguste, roy de la Germanie, Hispaigne, Castille,
Léon, Arragon, des deux Siciles, Hiérusalem, Hungrie,
Dalmatie, Croatie, Granade, Tollède, Valence, Galice,
Maillorque, Sibille846,
Sardigne, Cordua, Corsica, Murcia, Algarby847,
Gibraltar, Canaries, Indes, et terre ferme, mer océane,
Archiducq d'Austhrice, ducq de Brabant, Stirie, Carinte, Carniole,
Limbourg, Gheldre, Athines, Wittemberghes848,
comte de Flandre, Habsbourg, Tirol, Barchelone, Arthois et
Bourgne palatin de Hesnault, Hollande, Zélande,
Ferret849,
Namur, Rossillon, Cerdagne et Zutphaine, lantgrave d'Elsace,
marquis de Bourgne, Oristain, Hotiain850
et du saint -Empire de Rome, prince de Suèbe, Cathalane, et
Biscaye, Seigr de Frize, Marche, Slavonie, Wealines,
Salines, Tripoli et Malines851».
Ibrahim
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Une lettre du 17
janvier 1538 de Marie de Hongrie au grand conseil de Malines
ordonne d'ajouter aux titres de l'Empereur ceux de duc de Gueldre
et comte de
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De son côté, Soliman rajoute des titres dans ses titulatures: «Padichah et Sultan de la mer Méditerranée, de la mer Noire, de Roumélie et d'Anatolie, du pays de Roum, de Caramanie, d'Erzurum, du Diyar Békir, du Kurdistan et du Luristan, des Perses, de Zülkadriye, d'Egypte, Damas, Alep, Jérusalem, et d'autres pays arabes, de Bagdad, Bassorah, Aden, des pays du Yemen, des pays des Tartares et de la steppe Kiptchak, du trône de Buda et des lieux qui lui appartiennent856».
Le tutoiement dans les textes turcs, marque la supériorité de Soliman sur les autres princes857.
En 1534, alors que la perte d'influence d'Ibrahim commence à se faire sentir, Soliman considère qu'il est le seul à pouvoir traiter directement des relations avec Charles avec les envoyés prétendus du seul Ferdinand, notamment l'ambassadeur de Schepper qui se réfère à Alvise Gritti: «L'empereur des Turcs a levé la tête et presque en colère a interjeté: "Qu'est-ce que tu dis de Beyoğlu?" Corneille a répondu que s'il l'avait trouvé, il aurait négocié la trêve avec lui. L'empereur des Turcs a répliqué en élevant la voix: "Beyoğlu? Beyoğlu? Il n'a reçu aucun pouvoir de moi pour négocier de telles affaires, à part celles qui concernent Ferdinand et le royaume de Hongrie, et non pas sur les affaires de Charles pour lesquelles il convient de venir ici à ma Porte! Tu as bien fait de venir ici". Et il avait dit cela sur un ton très indigné. Corneille a répondu qu'il croyait que ledit Beyoğlu avait tous pouvoirs de Sa hauteur pour négocier sur la paix avec l'Empereur Charles et tous les princes chrétiens et qu'il en avait la commission. L'empereur des Turcs a répliqué: "Non, non, ces affaires doivent être traitées à ma Porte858!"».
La paix
favoriserait le partage du monde -d'où la moquerie sur le
partage du monde rêvé apparemment entre le Chah d'Iran
et Charles. Mehmet pacha dit à Veltwyck en 1545: «Vous avez mangé le pain avec nous, et
voulons vous confier quant vous viendrez
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Les différentes ambassades des pays européens cherchant l'appui ottoman contre Charles Quint donnent aux Turcs la perception d'une division de plus en plus profonde entre Chrétiens sur laquelle ils peuvent jouer pour assurer leur domination dans les Balkans. Mais leur politique semble plus réactive que proactive. A l'exception peut-être de la mission de Yunus à Venise en 1538 qui arrive trop tard pour empêcher la Seigneurie de se joindre à la Ligue qui va conduire à la bataille de Preveze, on ne voit guère de missions visant activement à promouvoir leur politique. Les responsables turcs doutent de la capacité des Chrétiens à s'entendre: la paix entre Charles et le pape ne pouvait pas être aussi sincère que le prétendait les ambassadeurs Jurisi? et Lamberg, puisque les troupes impériales avaient pillé Rome et tenu le pape prisonnier, et que le roi de France et le pape avaient imploré le secours du Sultan. Soliman à Ibrahim Pacha sur les divisions entre Charles et François: «Regarde ung peu comme Dieu chastie ce mauldit chiens cristien. Car il les hostet l'entendement et le fais lever l'ung contre l'aultre dont vous en serés l'exemple davant les sieulx de cestuy ycy qui prochasse tel affaire contre son propre beau-frère. Allons dont ardiment car il est temps de le chastié pour ce que Dieu nous envoyat la occasion860».
Ibrahim à
Zen: «nui sapemo che Franza ne Anglia non li darano favor,
et con la illustrissima Signoria siamo amici, et manco lei se
impazerà che se cum forze vorà lei defender, con le
sue et dil Papa, nui sapemo quante le sono che non pole tenir una
armata tre mexi par la povertà sua, mi rincresce certo,
perchè serai causa de una grande ruina861».
Ibrahim pacha dit à Zen au sujet de l'empereur: «Ambassador, ti voio dir una cosa: Spagna la va lusengando
Franza et Anglia con le so false parole, perchè Spagnoli
sono tutti pieni die catività, perché i voria
destruzer Barbarossa nostro bilarbey in quele parte, e sa che
Franza ne è come nostro fratelo, dubita essa Spagna che
Franza non dagi favor a Barbarossa, però voria removerla, et
per questo va in Spagna dicendo saria ben che Franza e Anglia
fusseno ben avisati non favorir Barbarossa862».
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«Cependant, l'empereur Charles estoit ès
Italies, et menassoit de nous mener guerre, et oultre ce d'appaiser
la faction luthérienne, et la constraindre aux
anciènes cérémonies. Il est venu ès
Allemaignes, où touchant les Luthériens, il n'a rien
faict. Toutesfois, il n'appartient (dict-il) à ung Empereur
de commencer quelque chose et point l'achever, ou dire quelque
chose et poinct le faire. Il promeit aussy (dict-il) de faire tenir
ung concil, et néantmoings, il ne l'a point faict, mais nous
aultres ne sommes pas telz. Et proféra plusieurs aultres
propos fascheux, touchant ce que dessus, réitérant
souvent l'impuissance et la promesse non gardée avecq notre
grand regret et crèvecœur... Et après retombant
sur le propos qu'auparavant il avoit souvent entamé,
touchant ce que l'empereur Charles avoit promis d'induire le Pape
à la célébration d'un concil, et qu'il ne
l'avoit sceu accomplir. Je les contraindray bien (dict-il) de faire
un concile, voires présentement sy je le vouloye, et les
chrestiens ne s'excuseroyent sur les gouttes, maulx de testes et
autres choses frivoles, pour ne venir. Le mesme Charles, aussy
lorsqu'il sera en paix avecq nous, sera vrayement Empereur, et nous
ferons bien que le roy de France, Angleterre, le Pape et les
aultres le recognoissent pour Empereur, dont aussy vous pouvez
(dict-il) estre bien certains: nous avons icy lettres et promesses
des plus grands princes de la crestienté, mesmes de
plusieurs de ceulx qui sont prés l'empereur Charles,
lesquelz ont promis au grand Empereur leurs chasteaux, villes,
victuailles, et toutes aultres choses nécessaires, toutes
les fois qu'il vouldroit envoyer illecq son armée: toutz
lesquelles feront, ce que leur commanderons, et signamment les
Luthériens: sy je vouloye (dict-il) je pourrois
présentement mettre d'un costé Luther et d'aultre le
Pape, et les contraindre touts deux à la
célébration du concil; et s'eschauffant davantaige,
dictes (dict-il en me regardant) à l'empereur Charles que je
suis esté et suis cestuy qu'a empesché le progrez du
concil; mais lorsqu'il aura paix avecque nous, il pourra
constraindre les Crestiens, et à ce et à
aultres
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Et Gritti, premier informateur des Turcs, de donner son avis à Schepper: «Il respondoit estre véritable que l'empereur Charles estoit puissant, mais que chascun ne lui portoit obéissance, comme pouvoit apparoir par l'Allemaigne et l'obstination des Luthériens; au contraire que personne n'avoit jamais esté semblable à l'empereur des Turcqs, ny tant obéy comme luy... oultre que cest Empereur estoit très riche, pour ce qu'il sçavoit que dedans quatre mois il pourroit s'il vouloit assembler jusques à dix millions de ducats, sans en ce comprendre le grand trésor qu'il at chez luy; davantaige, que la puissance d'icelluy estoit inestimable... que l'obéissance y est sy grande, que sy maintenant le Turcq envoyoit un sien cuisinier pour occire Imbrahim Bassa, que sans faulte il l'occiroit... que jamais il n'avoit eu en la crestienté tant de discordes et de dissentions; que le Pape, après le partement de l'empereur Charles d'Italie, avoit consenty au divorce du roy d'Angleterre; que le mesme Pape estoit courrouché de ce que l'empereur Charles n'avoit voulu créer son nepveu roy de la Toscane; que les Vénetiens, le ducq de Ferrare et aultres avoyent esté cause que l'Empereur n'avoit accordé ce que dessus au Pape; que le roy de France et le Pape estoyent d'accord; que ledt roy vouloit avoir Genua, etc.».
«Corneille a répondu que [...] il venait
avec un pouvoir de l'empereur Charles pour traiter de quelque
abstinence de guerre que Sa Hauteur souhaite, et ceci n'a d'autre
cause si ce n'est qu'entre-temps Charles puisse induire le
souverain pontife et les autres rois et potentats à
être compris dans la paix en négociation. Alors
l'empereur des Turcs a répliqué: "Ceux que tu viens
de nommer, sont-ils des sujets et des serviteurs de Charles ou
non?" Corneille a répondu que tous n'étaient pas ses
serviteurs, mais bien certains étaient ses sujets, d'autres
cependant sont ses amis. Quant au souverain chrétien, il est
le chef spirituel de la chrétienté, tout comme
l'empereur Charles en est le chef
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Le roi d'Espagne, aussi souverain de Naples et de la Sicile, n'a pas présenté grand intérêt pour la Turquie -sauf l'ambassade protocolaire d'information de Garcia de Loaysa en 1519- jusqu'à ce que la défense de Vienne, le couronnement de Boulogne, les efforts de rassembler les princes allemands pour reprendre la Hongrie et la prise de Coron en 1532, apparaissent comme une menace au pouvoir ottoman dans les Balkans. Selon une hypothèse avancée par Gülru Necipoğlu866, la période jusqu'à la mort d'Ibrahim pacha est une période ouverte, où Istanbul accueille des artistes, des aventuriers de toute l'Europe, de toutes religions. Gritti, un chrétien, joue un rôle clé. Après Preveze, et la paix de Venise, et surtout l'échec d'Alger, la crainte du danger s'estompe, l'empereur ne paraît plus en mesure de menacer les Ottomans. Lors de la négociation de Veltwyck, les discussions portent essentiellement sur la conclusion de l'affaire de Hongrie; il n' y a plus d'intérêt pour négocier directement une paix générale avec l'empereur. Les dirigeants ottomans semblent avoir peine à se dépêtrer dans la complexité des relations politiques en Europe où les couches idéologiques superposées ne reflètent pas la réalité mouvante des relations de pouvoir, au moment où la Renaissance et la Réforme, avec la montée des Etats nations, entraînent un affaiblissement des pouvoirs traditionnels -Eglise et Empire. Cela conduit à un aspect réactif de la politique ottomane: jouer sur la division des chrétiens.