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Christophe Von Schmid (1769-1854): un écrivain à succès pour les enfants et la jeunesse au XIXe siècle

Solange Hibbs-Lissorgues





Parmi les nombreuses initiatives de l'Eglise catholique en matière de lecture(s), celles qui étaient destinées à l'enfance et à la jeunesse firent l'objet d'un soin tout particulier. De 1850 jusqu'au début du XXe siècle, maisons d'édition catholiques, libraires-éditeurs de bons livres se préoccupent de diffuser de saines lectures pour la jeunesse des villes et des campagnes. Beaucoup des œuvres annoncées par les éditeurs espagnols sont des valeurs sûres, «importées» de France ou d'autres pays comme l'Allemagne et l'Italie. C'est dans ce contexte que se met en place une «internationale» de bonnes lectures, de bons romans dont un des supports est précisément cet échange beaucoup plus important qu'on ne le soupçonne entre maisons d'édition catholiques européennes. Cette solidarité en matière de lectures et de relais de diffusion apparaît de façon évidente dans les catalogues des éditeurs catholiques espagnols où la part de la littérature édifiante «importée» est prédominante. Parmi les œuvres adaptées, traduites pour un public espagnol, figurent des noms connus comme ceux du chanoine Christophe Von Schmid, figure de proue de la littérature pour la jeunesse en Allemagne et dont la production est rééditée en Espagne jusqu'en 19501.

En France, dès les années 1840, des maisons d'édition comme Mame à Tours et Mégard à Rouen proposaient les œuvres du chanoine Schmid dans la Bibliothèque de la jeunesse chrétienne et la Bibliothèque spéciale de la jeunesse. Les œuvres de cet auteur allemand qui connaissent une très grande diffusion en France sont reprises en Espagne dès les années 1845-1850 et l'éditeur espagnol Juan Subirana, qui offre à ses lecteurs la Biblioteca de la juventud et la Biblioteca escogida de la juventud, indique que la sélection des œuvres proposées s'inspire très largement des catalogues de confrères connus et dont la réputation en matière de «bonnes lectures» est au-dessus de tout soupçon2.

En ce qui concerne Christophe Von Schmid, son succès est immense dans toute la littérature bien-pensante d'Europe. Ses ouvrages, qu'il s'agisse de récits courts, de contes ou de romans de veine historique, s'adressent à la première enfance, aux classes laborieuses des villes et des campagnes. L'impact commercial de ses œuvres pour l'édition catholique est énorme comme l'attestent les éloges de la Bibliographie Catholique:

Parmi les livres destinés à l'amusement et à l'instruction de l'enfance, il n'en est pas qui soient maintenant plus connus que ceux du chanoine Schmid dont le nom est devenu en ce genre l'un des plus populaires de notre époque. Tout ce qui est [...] du chanoine Schmid est bon3.




Le chanoine Christophe-Von Schmid: un prolifique écrivain pour la jeunesse catholique

Malgré l'abondance des références à son œuvre, en Espagne comme en France, il existe peu d'informations concernant la vie et la personnalité de ce producteur de «best sellers» pour l'enfance et la jeunesse. Christophe Von Schmid, après des études de théologie à l'Université de Dillingen, est ordonné prêtre en 1791. En 1796, il devient inspecteur des écoles à Tannhauser puis est nommé directeur général des écoles ecclésiastiques en 1832. Lors de ses études à Dillingen, il a pour professeur Johann Michael Sailer (1751-1832), théologien et jésuite, archevêque de Cologne en 1815, et qui aura une profonde influence sur sa pensée et sur son œuvre4.

Ce que l'on peut retenir de ce parcours est la vocation résolument pédagogique de Christophe Von Schmid. Ses préoccupations concernant l'éducation morale des enfants sont omniprésentes dans tous ses écrits. Il cherche à édifier mais aussi à plaire et à adapter ses récits à l'intelligence et à la sensibilité de son lectorat. Toutes ses œuvres s'inspirent de la Bible, des traditions populaires allemandes, des récits de chevalerie. Dès 1801, le chanoine Schmid propose un recueil en six tomes d'histoires bibliques destinées aux enfants et, à partir de cette date, il publie une série de 190 contes ainsi que des romans historiques pour la jeunesse dont les plus connus sont: Geneviève de Brabant (1810), La rose de Tannenbourg (1823), Ita, duchesse de Toggenbourg (1849) et Hirland, comtesse de Bretagne (1840).

Cette production édifiante dont le souci majeur est, à l'instar des œuvres de la littérature récréative et catholique de l'époque, de répandre de saines et morales idées dans la jeunesse contemporaine, est intéressante à plus d'un titre. L'énorme succès des œuvres du chanoine Schmid rééditées de façon régulière au moins jusqu'en 1950 et les traductions multiples dans de très nombreuses langues reflètent le caractère intemporel d'une production dont le principal mérite est d'être exemplaire et instructif5.

Cette «morale en action» plus importante pour les éditeurs de l'époque que les qualités littéraires intrinsèques des œuvres est la marque du genre car, comme le déclare André Van Hasselt traducteur en français des contes allemands publiés par la Librairie Hachette en 1868, cette littérature constitue

le cours de morale en action le plus complet qu'il soit possible de faire. Pour chaque vertu qu'il faut inculquer au jeune âge, pour chaque vice et pour chaque défaut dont il importe de corriger l'enfant, -pour chaque sentiment noble et élevé qu'il faut développer en lui, pour chacun des nombreux devoirs que l'on a à remplir envers Dieu, envers soi-même et envers son prochain, ces petits contes renferment une leçon d'autant plus fructueuse que, résultant intéressante et animée, elle frappe plus vivement l'esprit6.



La vertu étant une source d'inspiration universelle, un grand nombre d'écrivains catholiques espagnols prennent pour modèle cette littérature récréative publiée dans d'autres pays. Des les années 1840, le chanoine Schmid est une référence incontournable: ses œuvres sont non seulement traduites mais adaptées de façon plus ou moins libre en fonction des publics et des circonstances historiques du moment. En 1840, la maison d'édition barcelonaise de Bergnes propose dans sa collection Biblioteca infantil une «traduction directe de l'allemand» des contes du chanoine. Dans le prologue, le traducteur insiste sur la dimension didactique et exemplaire de ces récits qui semblent ne pas avoir de frontières et s'exportent très bien: «Nadie ignora ya cuanto importa a las naciones la buena educación de los niños que dentro de pocos años han de venir a formar la sociedad»7.

Les éditions se succèdent de façon presque ininterrompue jusqu'au XXe siècle puisqu'une des dernières traductions trouvées date de 19928. Les contes sont diffusés dès 1856 dans les manuels de lecture et parmi les 190 contes composés par Christophe Von Schmid est opérée une sélection qui varie en fonction de l'âge des lectorats et des circonstances politiques et religieuses. A ce sujet mentionnons la traduction et la publication de la Librería y Casa Editorial Hernando de Madrid qui propose une «adaptation» de Darío Mistral en 1947 à de jeunes lecteurs à qui il faut faire oublier les horreurs de la guerre civile:

De sus cuentos infantiles recogemos algunos para los lectores de la Colección Hernando de Libros para la Juventud, que no dudamos merecerán, a su lectura, los más encendidos elogios. Estos cuentos que hoy presentamos han sido seleccionados y adaptados para las actuales juventudes españolas. Su lectura no puede ser más recomendable en esta época tan poco propicia a los pensamientos serenos, tiernos y delicados. Después de dos guerras horrorosas, de cruentas revoluciones en muchos países del globo, y cuando a los niños se les ofrecen habitualmente lecturas, obras teatrales y películas tan poco adecuadas para su formación cristiana, resulta eminentemente aleccionadora la lectura de los cuentos del Canónigo Schmid9.



Il est parfois curieux de voir comment s'effectue cette «importation» ou traduction-adaptation. Un recueil de contes pour petites filles publié en 1883 par l'auteure connue María del Pilar Sinués del Marco constitue en fait une véritable appropriation des contes du chanoine Schmid. Dans cet ouvrage dédié à sa nièce Carmen Ballester y Sinués, l'auteure reprend certains récits dont elle se contente de changer le titre. Certaines adaptations plus ou moins discrètes comme le changement de nom des personnages ou la suppression de la maxime morale qui sert de conclusion sont destinées à adapter ces contes à un publie féminin. María del Pilar Sinués prend d'ailleurs soin de ne réutiliser que les contes pouvant intéresser un lectorat féminin; c'est ainsi que le/la lecteur(trice) retrouvera certains contes connus comme Le muguet, Les roses, Les cerises, Les bréants ou encore La récompense où des personnages masculins comme Thomas et son père se transforment respectivement en une jeune fille accompagnée de sa mère qui est une paysanne, où Godefroid se transforme en Cesárea et Georges en Georgina. A aucun moment María del Pilar Sinués ne mentionne le chanoine ni ne justifie son adaptation. Sans aucun doute, cet écrivain femme comme tant d'autres à l'époque cherchait-elle à justifier son activité créatrice en passant d'abord par la traduction d'œuvres considérées comme orthodoxes et dont le moule pouvait se prêter à des adaptations relativement aisées10.

Toujours est-il que les contes de Christophe Von Schmid se retrouvent dans la plupart des collections et bibliothèques des XIXe et XXe siècles destinées à l'enfance et à la jeunesse. A titre d'exemple peuvent être mentionnées la Biblioteca para los niños dans laquelle toutes les œuvres publiées sont illustrées de gravures, la Biblioteca moral y amena qui présente une sélection de huit contes soigneusement choisis en fonction de leur portée morale: les récits extraits de différentes sections de l'œuvre originale composée de 150 contes sont regroupés de façon à illustrer un parcours de vie exemplaire. A ces bibliothèques s'ajoutent la Biblioteca rosa, la Biblioteca rica qui propose contes et romans et surtout la Biblioteca moral-recreativa ilustrada beaucoup plus accessible pour le public tant au niveau des prix des ouvrages que du choix proposé11.

Dans cette bibliothèque la sélection des contes n'est pas étrangère au contexte historique du moment. Les histoires proposées qui reprennent les topiques de la littérature chevaleresque et sentimentale rappellent aux lecteurs de ce début du XXe siècle que la catholique Espagne a toujours eu une mission essentielle: celle des guerres saintes contre toutes les hétérodoxies. Les enjeux idéologiques de la traduction du conte du chanoine Schmid apparaissent clairement. Les guerres des croisades qui sont évoquées mettent en scène de valeureux nobles comme le Comte Rauhstein qui en l'occurrence n'est plus allemand mais espagnol et sa femme, la Comtesse María, modèle d'abnégation, de modestie et de chasteté, et dotée d'une beauté désincarnée. L'époque des croisades et guerres saintes est évoquée afin de rappeler les dangers qu'il y aurait à oublier que nation et religion sont indissociablement liées. Par ailleurs, dans les affrontements qui opposent les chrétiens et les ennemis de la religion, le rôle de la providence divine est essentiel. Evidemment, la dimension exemplaire et intemporelle des contes de Christophe Schmid permet des lectures et des adaptations diverses dont ne se privent pas les éditeurs et les traducteurs espagnols.

Mais d'autres caractéristiques de la production littéraire du chanoine allemand peuvent expliquer le succès de ses œuvres. Indépendamment de la dimension exemplaire des contes et romans dont la vocation essentielle est «le développement moral de l'enfance», il existe une véritable préoccupation pédagogique pour adapter cette littérature à des lectorats différents. Stimuler l'intérêt et réveiller la curiosité à travers des exemples ancrés dans la vie quotidienne des jeunes lecteurs, inculquer de nouvelles connaissances par le biais d'énigmes, de jeux, de fables sont autant de méthodes pédagogiques que le chanoine Schmid met en œuvre. Edifier, instruire mais aussi plaire et amuser sont les objectifs reflétés très explicitement dans l'œuvre originale des 190 contes publiés sans modification de la structure d'ensemble en 1840 par l'éditeur. Bergnes de Barcelone et en 1868 par l'éditeur et libraire L. Hachette à Paris.




Une littérature adaptée à différents lectorats

La publication intégrale de ces contes dans les deux cas mentionnés permet d'avoir une vision complète d'une des œuvres les plus connues et diffusées de l'écrivain allemand. Ces deux éditions sont d'autant plus importantes qu'elles rétablissent une présentation souvent très incomplète et même amoindrie dans la plupart des autres traductions et/ou adaptations12.

Dans les prologues des deux éditions complètes, éditeurs et traducteurs ont clairement souligné ce qui rendait cette littérature attrayante et originale: la constante volonté de son auteur pour adapter ces contes à des lecteurs d'âge différent et d'origines sociales diverses.

Afin de se mettre à la portée de ses jeunes lecteurs, le chanoine Schmid a divisé ses contes en quatre parties distinctes comprenant 45 à 50 contes chacune. Ces parties reflètent une vision très complète du monde naturel, et plus précisément des règnes animal et végétal, puis introduisent de façon progressive des situations de la vie quotidienne, à savoir les activités familières aux enfants d'âge différent (l'alimentation, l'école, le divertissement, l'éducation religieuse et la famille). Ces contes reflètent aussi le souci d'évoquer des classes sociales différentes et des métiers variés: pauvres et riches, agriculteurs et bourgeois, maîtres et servants.

Le traducteur ne cesse de mettre en avant la pertinence de «l'ordre suivi dans ce livre si parfaitement en harmonie avec les goûts qui se développent successivement dans les enfants et avec l'intérêt que ceux-ci prennent graduellement aux choses de la nature. D'abord aux fleurs et aux fruits qui séduisent les plus les enfants, les uns par leur saveur, les autres par leur éclat, ensuite aux arbres et aux arbustes, aux céréales puis aux plantes légumineuses»13.

Evidemment l'intention didactique de cette littérature transparaît jusque dans les titres de certains contes: la petite vaniteuse, la petite orgueilleuse, l'écouteur aux portes, le riche charitable et le pauvre reconnaissant, le jardinier généreux, le bon père, le bon fils, le savant idolâtre... Par ailleurs la fréquente polarisation sur le bien et le mal s'exprime au niveau du contenu par la présence de deux personnages (frères ou sœurs, amis, voisins ou servants) et la mise en scène de caractères opposés. La vertu des «bons» est récompensée et les fautes sont châtiées. Ce parcours à travers vices et vertus constitue un apprentissage au cours duquel la providence divine est omniprésente. Mais par rapport à la littérature moralisante de cette époque, destinée essentiellement à édifier et peu soucieuse de plaire ou d'intéresser, les contes du chanoine allemand tentent de toucher le cœur et l'esprit des jeunes lecteurs.

Ces contes se présentent sous forme de petites fables terminées par une maxime moralisante structurée comme un petit poème composé de deux alexandrins ou d'un quatrain avec une rime alternée a b a b ou a a b b, n'évoquent pas des événements surnaturels et sont ancrés dans le concret. Presque tous les événements racontés ont une explication rationnelle qui fait appel au bon sens des lecteurs. C'est le cas du conte intitulé les carpes qui raconte l'histoire d'un intendant malhonnête appelé Omar. Son maître décide de dérober de belles carpes du vivier du château. Il les joint aux autres poissons qu'il propose à ses clients. Mais chaque fois qu'il tente de les vendre, l'acheteur découvre qu'il s'agit d'une carpe volée. Omar est dénoncé et emprisonné sans comprendre comment son forfait a pu être découvert. L'explication est simple même si la conclusion de l'auteur du conte est exemplaire:

Todo el secreto consistía en que el intendente del castillo, antes de poner las carpas jóvenes en el vivero, les cortaba siempre una pequeña parte de la extremidad de la cola, y sólo lo sabían algunas personas de confianza. Los que ignoraban esta particularidad apenas podían darse cuenta. Después de haberse estado exprimiendo el cerebro durante mucho tiempo para explicarse lo que él creía una cosa sobrenatural, Omar exclamó:

-Sea lo que sea, lo cierto es que el ladrón es siempre descubierto14.



Le symbolisme très présent dans cet ouvrage où les fleurs choisies par exemple sont évocatrices de vertus indispensables (modestie, pureté, humilité), où les animaux représentent les qualités et les vices d'un monde très humain, ainsi que les allégories de la mort qui imprègnent le conte de la barque n'occultent jamais l'ancrage de ces récits dans la réalité familière pour les lecteurs. C'est ainsi que la majorité des contes proposés dans les deux premières parties représentent une exploration et une découverte des phénomènes naturels: la culture des fruits et des céréales, la croissance des plantes et des arbres. Les enfants sont incités à découvrir les phénomènes variés de la nature, à identifier les animaux. La troisième partie a pour objet les principaux phénomènes météorologiques; qu'il s'agisse du soleil, de la lune, de la neige ou encore de la grêle, les manifestations de la nature sont décrites et expliquées de façon compréhensible pour de jeunes lecteurs. Il s'agit donc d'un véritable parcours naturel et d'un cours de sciences naturelles agrémenté d'exemples et incitant au respect de l'environnement et du vivant. Dans un conte intitulé Les mouches et les araignées, Christoph Von Schmid explique que «la création tout entière, ce grand ménage de Dieu [...] est si sagement disposé que toutes les créatures, même les plus petites, ont leur utilité bien que nous ne puissions pas toujours le prouver de manière positive»15.

La dimension pédagogique de ces récits est rehaussée par la symétrie existant entre les différentes parties. Dans chaque partie, certains contes rappellent d'autres contes qui illustrent une même morale. Une certaine liberté est accordée aux lecteurs qui peuvent préférer les histoires d'animaux à celles qui mettent en scène des personnages précis, presque tous en relation avec des traditions folkloriques nationales. Par ailleurs, il est intéressant de constater dans chacune des parties une progression du concret à l'abstrait, du réel au symbolique. Le conte de clôture de chaque partie est une espèce d'épilogue à une histoire plus large racontée en plusieurs «épisodes» que constituent les divers contes. Ainsi si la troisième partie commence avec l'évocation précise d'éléments comme le soleil, la lune, les étoiles et l'arc-en-ciel, les derniers contes intitules «Le trésor de la forêt», «Le cadeau de fête» et «Le pays fortuné» évoquent de façon symbolique les trésors d'une nature bienveillante à l'égard de ceux qui sont croyants et vertueux. Quant à la quatrième partie, les titres des contes ne sauraient être plus explicites: le bon père, les bons frères, la pieuse grand-mère, l'heureux berger, la ménagère soigneuse indiquent la voie à suivre et opposent la vertu de ces personnages aux vices d'autres qui comme le rusé villageois, l'écouteur aux portes, les servantes paresseuses, le maraudeur, le brigand, le charlatan, sont abandonnés par la providence divine.

Mais les derniers contes et plus spécialement le pécheur converti et le pays des gens raisonnables rappellent que la liberté de choisir le bien existe et que les épreuves diverses qui jalonnent une vie constituent une sorte d'initiation obligée. Dans «Le père mourant», récit de clôture du recueil, la sagesse et l'exemplarité sont concentrées dans une espèce de testament moral légué par le père.

Si un soin tout particulier est apporté par le chanoine pour sensibiliser les enfants et la jeunesse à la découverte du monde et leur faire comprendre certaines des lois naturelles à l'œuvre, une part de mystère demeure: celle que la raison de l'homme aussi développée soit-elle ne pourra jamais comprendre. Car, et c'est là une des conclusions de ce long parcours, l'intelligence de l'homme est limitée et l'arrogance de ceux qui veulent tout expliquer en dehors de la religion est condamnable comme l'illustre le conte «Le savant idolâtre». En effet, le créateur de toutes choses est Dieu, nous rappelle le chanoine Schmid qui, en bon disciple de Johann Sailer, s'oppose catégoriquement à toute théorie évolutionniste ou positiviste:

Si l'homme peut s'émerveiller devant le spectacle de la nature et en comprendre certains aspects, tout ne peut être appréhendé par l'intelligence de l'homme [...]. Puisque sur la terre même il y a une quantité de choses que nous ne comprenons pas, nous ne devons pas être surpris qu'au-delà de notre sphère il y en ait aussi qui échappent à notre entendement. Ainsi dans notre sainte religion il y en a plusieurs dont l'esprit humain ne peut rendre raison; seulement la faute en est à notre intelligence incomplète et bornée16.



Bien sûr la providence divine présente dans ces contes reste l'élément essentiel de la trame narrative. Rien de ce qui n'arrive n'est gratuit et ce qui n'obéit pas à la logique de la nature obéit à celle de Dieu. Chaque conte et chaque partie correspondent à une construction homogène où un même fil conducteur guide jeunes et moins jeunes dans la lecture de l'œuvre. Des correspondances entre contes et parties différentes assurent la cohérence narrative de l'ensemble qui apparaît comme un parcours initiatique: de la vie à la mort le premier conte étant symboliquement «Le jardin», à l'image du paradis d'origine et le dernier conte «Le père mourant», la fin d'une existence dont la sagesse et l'expérience est l'héritage légué aux lecteurs.

C'est encore d'un parcours initiatique qu'il s'agit dans certains romans comme un de ceux qui fut le plus souvent réédité: El joven ermitaño ou Le robinson chrétien. Ce roman, publié en Allemange en 1810 et dont les nombreuses traductions et adaptations se succèdent de 1876 à 1970, reflète l'exemplarité didactique de toutes les autres œuvres du chanoine et représente de façon symbolique l'ascèse à laquelle tout véritable chrétien doit être soumis à un moment donné de son existence. Comme dans d'autres romans à succès du chanoine et de veine historique, entre autres Ita, duchesse de Toggenbourg, l'exil, le désert, la solitude et la mise à l'épreuve sont des thèmes fondamentaux17. L'exil, qui peut être dû à des circonstances historiques (révolutions, guerres) ou à des catastrophes naturelles (tempêtes et naufrages) plonge les personnages dans une solitude qui favorise la méditation et l'ascèse.

Dans Le jeune ermite, onze chapitres structurent le récit qui est, comme les contes et les autres romans, un parcours de vie qui mène à la sagesse et à la vertu. La providence divine omniprésente est l'explication proposée pour comprendre les événements qui ne sont jamais fortuits. Parmi les épisodes significatifs qui constituent les étapes d'un itinéraire à la fois existentiel et spirituel, il y a: l'île verte; la tempête; l'île des rochers, une excursion dans l'île; le dénuement, la grotte; pensées dans la solitude; épreuves; un grand malheur; présence amicale; la libération.

Théodore, principal personnage, aîné d'une famille modeste de six enfants est têtu et irascible. Malgré les conseils et l'affection de ses parents, travailleurs, vertueux, qui peinent à élever leurs enfants, Théodore désobéit et n'écoute que ses désirs. Au cours d'une excursion en bateau sur une île voisine, une tempête éclate, emportant Théodore sur une île inconnue et déserte où il vit de façon précaire pendant trois ans. Christophe Von Schmid précise, comme toujours, que ce genre de malheur est voulu par la providence car c'est une mise à l'épreuve de l'être humain: «sucede a veces que Dios nos retira su ayuda cuando estaba muy cerca de nosotros; pero esto es para probar nuestra paciencia y nuestra fe; cuanto hace es para nuestro bien»18.

Loin du monde, Théodore est inité aux valeurs essentielles et apprend à connaître la nature. Dans le roman est proposée une véritable leçon d'histoire naturelle au cours de laquelle le jeune garçon découvre l'univers dans ses aspects les plus variés: la flore et les cycles de reproduction des plantes (graines, semence, pollinisation...), le passage des saisons et les phénomènes météorologiques. Chaque révélation de la nature est aussi une découverte de soi et la progression dans la connaissance doit permettre d'atteindre une plus grande humilité:

Teodoro hacía cada día su oración por la mañana y por la noche, con más recogimiento del que tuviera en otro tiempo al hacerla con su familia. Rezaba también antes y después de cada comida. Como en medio de la soledad nada podía distraerlo; como sólo se ofrecía a sus ojos un número pequeño de cosas, podía considerar con mayor atención cada una de ellos, y aprendía mucho mejor a conocer a Dios por sus obras19.



L'espace géographique inconnu dans lequel le personnage se retrouve dans la solitude absolue est une île, ce qui accentue encore plus l'isolement. Le naufrage sur l'île ainsi que les différentes étapes permettant la survie sont très symboliques. Il s'agit là d'une figure du voyage que tout homme doit accomplir pour accéder à la vérité. Dans ce cas, il s'agit de la foi et de la religion chrétienne. Avant d'accéder à cette vérité, Théodore devra se prêter à de multiples rites: franchissement de montagnes, descente dans une grotte souterraine, bain purificateur dans la mer et dans les sources. Un voyage initiatique qui précède la réintégration de Théodore dans le monde. Cette île n'est pas sans rappeler la terre utopique des récits du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle. Océanique ou continentale, cette utopie occupe un territoire clos, séparé de toute autre terre, entourée par l'immensité de l'eau ou du désert. L'île est un microcosme qui assure «la protection de l'identité singulière et de la perfection utopiques contre la contamination par l'extérieur imparfait et corrupteur»20.

Dans cet espace hostile parfois mais protégé, dans cet environnement désert où seul l'exil est possible, s'ébauche un itinéraire spirituel comme celui évoqué dans le quatrième évangile du Nouveau Testament. Dans l'épilogue du roman, le chanoine résume ce parcours initiatique qui mène à la connaissance de soi et de Dieu:

Dios ha cuidado de ti de muchos modos, hijo mío [...]. Acuérdate que te he dicho muchas veces que tenías necesidad de una educación particular para coger frutos de prudencia y reflexión. Dios te los ha dado en esta isla, que ha sido para ti una verdadera escuela en medio de la desgracia. Separándote de los hombres, te ha enseñado a amarlos más; privándote de los beneficios de la vida social, te ha enseñado a conocerlo mejor a él que con su divina asistencia podía salvarte de la muerte en esta soledad. De este modo, te has hecho más prudente, más piadoso, más social, más sumiso a la divina Providencia, que es el lazo supremo de la sociedad21.



Ce petit Robinson est un personnage exemplaire et sa destinée exceptionnelle inspire, aux XIXe et XXe siècles, de nombreuses adaptations en espagnol. Présentes dans les bibliothèques de romans et de contes destinés aux enfants et à la jeunesse, les œuvres du chanoine Schmid figurent sans aucun doute parmi celles qui connurent un succès durable et considérable. Son auteur avait réussi à intégrer légendes et croyances chrétiennes, traditions nationales et imagerie populaire sans jamais renoncer à plaire et à divertir tout en édifiant. Beaucoup de ses œuvres peu explorées dans ce travail méritent un détour et plus particulièrement des romans historiques comme Geneviève de Brabant qui figure parmi les best-sellers du XIXe siècle.

L'art du récit de Christophe Von Schmid, le souci d'intégrer dans son œuvre la connaissance de la nature, les découvertes de la science, ainsi que ses préoccupations pédagogiques face à des lecteurs d'origine et de sensibilité différentes expliquent que l'ensemble de sa production ait servi de modèle à de nombreux écrivains catholiques et qu'elle se soit si facilement «exportée».








Bibliographie

  • Dictionary of Catholic Biography, New York, Doubleday and Company, 1961.
  • Enciclopedia Cattolica, Florence, Casa Editrice G. G., 1953.
  • Hibbs, Solange, «Femmes et écritures en Espagne au XIXe siècle: la double écriture de la pédagogie morale et du roman», in Femmes et écriture dans la péninsule ibérique, Paris, L'Harmattan, 2004, t. I, pp. 43-57.
  • Hugues, Micheline, L'Utopie, Paris, Editions Nathan, 1999.
  • Schmid, Cristóbal Von, Ita, Condesa de Toggenbourg, Valence, Imprenta de Agustín Blat, 1849.
  • Schmid, Cristóbal Von, Obras, Barcelone, Imprenta de D. A. Bergnes, 1840.
  • Schmid, Cristophe Von, 790 Contes pour les enfants, Paris, Librairie Hachette, 1868.
  • Schmid, Cristóbal Von, Cuentos infantiles, Adaptación de Darío Mistral, Madrid, Librería y Casa Editorial Hernando, S. A., 1947.
  • Schmid, Cristóbal Von, El joven ermitaño, Madrid, Saturnino Calleja, 1876.
  • Schmid, Cristóbal Von, Genoveva de Brabante, ed. corregida y revisada por el Padre Font, Madrid, Apostolado de la Prensa, 1960.
  • Sinués, María Pilar, Cuentos de niñas, Barcelone, Juan y Antonio Bastinos, 1883.


 
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