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Crime et science au XIX siècle

Solange Hibbs-Lissorgues


Université de Toulouse - Le Mirail



Au cours du XIXe siècle, les progrès de la science favorisent une nouvelle approche en ce qui concerne les rapports entre le droit et la médecine. C'est surtout le libre arbitre, qui fonde historiquement le sujet de droit, qui est au centre des débats. Comment poser les limites entre le criminel qui mérite un châtiment et le malade qui n'est pas forcément responsable de ses actes et qui doit être soigné? Comment délimiter les frontières entre crime et folie, entre responsabilité et irresponsabilité? Quelle est la part de l'inné et de l'acquis?

Ce débat n'est pas nouveau car une longue tradition médicale lie, depuis Hippocrate et avec les enseignements de Galien, la propension pour certaines vices à la constitution du corps (Bossi 2010: 216). Aristote et ses disciples sont considérés comme les fondateurs de la physiognomie d'après la doctrine qui prétend que l'âme est la forme du corps. Au Moyen Âge un traité de physiognomie qui postule les affinités entre le corps et l'âme et décrit minutieusement les caractéristiques psychologiques de l'homme, le Secretum Secretorum est largement diffusé1. La fin du XVIIIe siècle est marquée par un regain d'intérêt pour la physiognomie qui tente de déceler les caractères d'un individu à travers les traits de son visage. La criminologie au XIXe siècle avec ses développements dans le domaine de la phrénologie, l'anthropométrie et la morphologie s'appuie sur nombre d'hypothèses et de découvertes scientifiques pour proposer une définition du crime, du délit et de la délinquance.




La médicalisation du crime

Ce qui explique l'attention passionnée portée au XIXe siècle aux traits spécifiques du criminel avec l'émergence d'une science de l'homme est l'interrogation permanente qui, au-delà de l'acte lui-même, tente de caractériser l'assassin parmi les êtres humains. Jusqu'à quel point la science peut-elle permettre de définir les caractères particuliers, la singularité génétique, les tares héréditaires du délinquant?2 La pensée anthropologique qui se maintient au cours du XIXe sous la diversité des formulations scientifiques tente d'objectiver le mal en le situant dans l'espace d'un corps et dans un processus fondamentalement organique. Reconnaître les stigmates de ce mal, qu'il s'agisse de la folie ou de toute autre pathologie, permet de circonscrire l'imprévisible, de mieux cerner les frontières entre l'irresponsabilité et la responsabilité de proposer une typologie des peines et sanctions. En tentant de capter les anomalies dans des structures positives, il s'agit non seulement de mieux protéger les intérêts et les droits de l'individu mais aussi ceux de la société. La scrutation de l'anormal, de la déviance pouvant mener à la délinquance prend tout son sens à une époque où l'ordre bourgeois s'appuie sur une morale sociale. Les peurs des débordements et contaminations non seulement dans la sphère physiologique mais également sociale expliquent la scrutation presque obsessive des «maux» et des pathologies. Soucieuse de développer son hégémonie sociale, la bourgeoisie s'appuie sur des valeurs morales dont la famille est un patrimoine symbolique et matériel, élément indispensable dans le système de marché et de production qui se développe au XIXe. A la lisière du public et du privé, elle assure des fonctions multiples: fonctionnement économique et transmission des patrimoines, cellule de socialisation et d'éducation; en tant que responsable de la production de bons citoyens et de la reproduction de valeurs morales et «creuset de la conscience nationale, elle transmet les valeurs symboliques et la mémoire fondatrice. Elle est créatrice de citoyenneté autant que de civilité»3.

Au XIXe siècle la société voit dans la famille un mécanisme de régulation aussi bien sociale que physiologique. Face aux craintes suscitées par l'augmentation de la misère urbaine, associées à la peur d'explosions sociales, et par les grands fléaux comme la syphilis, la tuberculose, l'alcoolisme, la famille est le maillon essentiel «dont la fragilité requiert vigilance» (Perrot 1985: 103). L'anxiété biologique sécrétée favorise à la fois une présence médicale accrue dans la sphère de la vie privée et des attentes précises concernant les outils nosographiques et cliniques générés par les sciences expérimentales et positivistes4.

La prédisposition au crime, à la déviance sous toutes ses formes peut être reconnue grâce à certains traits physiques et c'est la physiognomie qui, dès la fin du XVIIIe siècle tente de circonscrire la nature morale et la nature intellectuelle du criminel. Puis dans un effort pour lier l'intérieur à l'extérieur, pour révéler «ce qui relie la surface visible à ce qu'elle recouvre d'invisible», la phrénologie adopte une approche empirique qui observe, étudie, définit et classe des faits, les compare entre eux afin de «faire parler le corps du criminel»5. C'est d'abord avec la phrénologie que le concept de liberté morale ou de libre arbitre reçoit une assise physiologique et devient un concept médical (Bossi 2010: 221).

La physiognomonie connaît une large diffusion au XVIIIe siècle et dans les premières décennies du XIXe grâce à l'oeuvre de Johan Caspar Lavater (1741-1801). Pour ce théologien qui ne renonce ni aux préjugés moraux, ni aux considérations théologiques, il s'agit d'utiliser des critères physiques pour juger des aptitudes mentales.Mais la physiognomonie est loin de constituer une science rigoureuse et repose plus sur des constatations esthétiques que sur des donnés anthropologiques (Comar 2010: 252). C'est surtout la phrénologie introduite par l'anatomiste Franz Joseph Gall (1758-1828) qui suscite de façon durable un réel intérêt dans les milieux scientifiques et médicaux. Dans son ouvrage Anatomie et physiologie du système nerveux en général et du cerveau (1808), il établit l'existence d'une relation étroite entre la forme de la boîte crânienne et les aptitudes morales et intellectuelles de l'individu. F. Gall dénombre plusieurs localisations cérébrales distinctes et affirme que le cerveau possède autant de divisions fonctionnelles que de facultés psychologiques; par conséquent, chaque faculté peut être évaluée par la forme du crâne.

Gall prétend avoir identifié l'organe de la tendance au meurtre à savoir la «bosse du crime» placée derrière l'oreille postulant de la sorte qu'il existe une classification possible des différentes catégories de meurtriers. Ce faisant la phrénologie remet en cause l'ordre juridique classique fondé sur le libre arbitre et sur la peine proportionnelle à la gravité de l'acte étant donné que le degré de liberté morale dépend de la conformation organique du sujet: «le concept métaphysique de libre arbitre reçoit ainsi une assise physiologique et devient un concept médical» (Bossi 2010: 221).

Le degré de liberté morale de l'homme est donc fortement réduit et doit être mesuré individuellement. Si l'exercice des facultés psychiques dépend de la constitution physique de l'individu, de ses caractéristiques physiologiques, les penchants et les qualités morales, les vices de l'homme sont innés. La phrénologie fait appel à la cranioscopie pour mesurer les différentes bosses et les singularités du cerveau, pour déterminer les anomalies et prévoir les actes criminels et délictueux. Elle induit l'idée du «criminel né» et aussi celle de l'atavisme. Même si la phrénologie est critiquée et remise en question au cours du siècle, elle reste une source d'inspiration et une référence pour l'anthropologie criminelle et plus particulièrement pour l'école lyonnaise d'Alexandre Lacassagne (1843-1924) et le criminologue italien Cesare Lombroso (1835-1909) (Bossi 2010: 219). La découverte des localisations cérébrales par Paul Broca (1824-1880) montre la pertinence de la phrénologie qui a constitué un pas important dans l'identification de différents organes du cerveau et qui permis de se démarquer du fondement purement métaphysique de la liberté humaine. C'est ce refus des abstractions métaphysiques qui suscite le développement de l'aliénisme qui envisage la folie comme une déviance, une pathologie. Etienne Esquirol (1772-1840), très influencé par la philosophie positive d'Auguste Comte et la phrénologie classifie les maladies mentales en plusieurs catégories considérant l'aliéné criminel comme un malade. Le mérite de l'aliénisme est de favoriser d'autres approches en termes de traitement et de responsabilité. Si le fou est un malade, il mérite avant tout la compréhension et la compassion. Pour les aliénistes confiants dans le traitement moral, la peine de mort ne peut résoudre le problème et ils considèrent qu'il faut guérir avant de punir. La reconnaissance de la médecine aliéniste au XIXe siècle débouche sur la création d'asiles psychiatriques et la possibilité, grâce à l'observation des malades, d'aboutir à une meilleure connaissance des formes cliniques de la folie. Par ailleurs folie et crime se situant dans la même boucle, il s'agira au cours des dernières décennies du XIXe siècle et au début du XXe d'ancrer la folie ainsi que d'autres maladies mentales dans une approche organique et héréditaire. L'étiologie scientifique des anomalies débouche très vite sur la théorie de l'hérédité morbide et la transmission des caractères acquis.

C'est Bénédict-Augustin Morel (1809-1873) qui, en s'intéressant à la criminalité et à la délinquance, se préoccupe des causes sociales et physiques de la dégénérescence de certaines classes sociales. Dans son Traité des dégénérescences (1857), ouvrage qui a une résonance toute particulière à la période qui nous occupe et dont la doctrine sera popularisée par la production romanesque d'Emile Zola, il s'agit de recenser tous les troubles physiques, mentaux et moraux qu'elle peut entraîner. Dans son traité, Morel définit les dégénérescences comme «des déviations maladives du type normal de l'humanité héréditairement transmissibles et évoluant progressivement vers la déchéance» (Bossi 2010: 230). L'homme, en s'écartant de sa nature initiale, peut dégénérer. Par ailleurs ce concept de prédisposition héréditaire malheureuse sera fortement influencé par l'essor des théories darwiniennes qui «proposent une relecture évolutionniste de l'hérédité» (Corbin 1985: 522). En s'appuyant sur la tradition de la physiognomonie, Morel dresse un inventaire des stigmates de l'hérédité morbide et esquisse une typologie du dégénéré. Si certaines formes de la dégénérescence sont liées à une lésion fonctionnelle du cerveau, d'autres formes peuvent être dues en partie à des causes sociales et environnementales: un lien durable et obsédant s'instaure à cette époque entre civilisation et dégénérescence. La dégénérescence deviendra synonyme d'hérédité morbide. Morel avait l'ambition de servir le progrès social, sa théorie sera «la toile de fond du pessimisme fin de siècle» (Bossi 2010: 231). Les concepts d'hérédité dégénérative, de famille pathologique reflètent cette anxiété biologique du XIXe: si la société est un organisme, elle est menacée de mort lorsqu'un de ses organes cesse de fonctionner. Au sein de la famille, le malheur biologique peut être une source de conflit et la tare génétique, l'atavisme qui risquent d'être une entrave dans la stratégie matrimoniale de la famille bourgeoise ou socialement dominante, doivent être occultés. Dans La mujer de todo el mundo (1885) d'Alexandre Sawa, le fils de la Comtesse de Zarzal est le fruit dégénéré d'une race qui s'abâtardit: celle de la noblesse corrompue de la fin du XIXe siècle. Luis est impuissant, rachitique et à la limite du crétinisme. Il est, de façon métaphorique, la représentation d'un corps social malade.

La nouvelle école d'anthropologie criminelle positive créée par Lombroso se penche à son tour sur toutes les classes de déviants, fous et criminels en puissance qui peuvent constituer une menace pour le corps social. Encore une fois, la préoccupation essentielle est d'identifier les stigmates qui définissent le criminel-né, la prostituée, le délinquant. L'influence de Darwin sur l'oeuvre de Cesare Lombroso est manifeste car ce dernier stipule que des individus dégénérés représentent des stades incomplets ou primaires du développement de l'individu. Le criminel incarne une forme de régression vers l'animalité. Lombroso, titulaire dès 1876 de la chaire de médecine légale avait été en contact avec l'oeuvre de Darwin dont la théorie de l'évolution est introduite en Italie grâce à une conférence en 1864 à Turin de Filippo de Filippi, professeur de zoologie. Lombroso qui est un intellectuel juif, libre penseur, élu socialiste, médecin et psychiatre s'intéresse au sort des déshérités et à l'influence délétère d'un milieu urbain où sévissent l'entassement des populations, la misère, l'alcoolisme et la promiscuité. Son ouvrage de référence, L'uomo delinquente (1876), est une somme positiviste qui rassemble tous les éléments de sa théorie morphologique permettant de détecter les traits et stigmates du criminel. Le premier chapitre, significativement intitulé «Anomalies morphologiques», dresse un inventaire des anomalies sur lesquelles doit se fonder le diagnostic: anomalies des circonvolutions cérébrales, fossette occipitale typique de certains mammifères et des singes inférieurs, bracéphalie, proéminence mandibulaire, cheveux épais et drus, pommettes saillantes, asymétrie faciale, strabisme entre autres caractéristiques. La définition qu'il donne de la pathologie du criminel permet d'établir certaines différenciations entre les criminels-nés, les criminels-fous et les criminels passionnels ou occasionnels. Même s'il ne renonce jamais à sa définition du type criminel, sa réflexion évolue et il accorde une place plus significative à l'environnement (misère, éducation vicieuse autres facteurs sociaux). La réforme du droit que propose l'école de Lombroso repose sur cette différenciation: pour le criminel-né la prison est inutile et seuls le bagne ou la peine de mort sont envisageables. Pour les autres délinquants et criminels qui agissent sous l'emprise d'une pulsion, le médecin est celui qui peut déterminer les possibilités de réhabilitation de ce type de délinquant et prévoir les récidives (Bossi 2010: 235).

Atavisme, folie, génie et prostitution sont autant de thèmes auxquels Lombroso s'intéresse et qu'il développe également dans un autre ouvrage, La femme criminelle. La prostituée (1893). Ce qui mérite d'être souligné c'est la démarche cognitive de Lombroso dont l'oeuvre est «un réceptacle des idées du XIXe qu'il cherchait à intégrer dans un discours anthropologique» (Bossi 2010: 236).

Ces réflexions sur l'étiologie de la variété criminelle de l'espèce humaine auront un impact durable en Espagne où l'anthropologie criminelle suscite divers débats: la reconfiguration d'un code pénal jugé obsolète et injuste, une meilleure définition des délits et peines dans un contexte social nouveau, la nécessité d'une réforme du système pénitentiaire, la remise en cause du pessimisme anthropologique d'une institution ecclésiastique qui rejette les avancées de la science positiviste.




Anthropologie criminelle et droit en Espagne

L'anthropologie est une science qui suscite curiosité et intérêt en Espagne dès les années 1830. C'est Juan Caro Baroja qui, avec son Historia de la fisiognomía, publiée à Madrid en 1835, reprend l'essentiel des doctrines de Franz Gall et ouvre la voie aux oeuvres de Lombroso6. Il n'est qu'un des premiers médiateurs dans une diffusion qui s'étend rapidement les années suivantes. A ce propos, il convient de citer le parcours et l'oeuvre étonnants d'un enseignant catalan, Mariano Cubí i Soler qui se proclame propagateur de la phrénologie en Espagne et publie en 1853, suite à un long séjour en Amérique du Nord, un ouvrage intitulé La frenolojía i sus glorias. Lecciones de frenolojía7. Dans cet ouvrage qui réunit les conférences prononcées à la Sociedad Filarmónica, Artística y Literaria de Barcelona, l'auteur s'empresse de préciser que la phrénologie ne constitue qu'un moyen et non une fin et qu'il ne s'agit en aucun cas de renoncer aux principes métaphysiques et d'ordre moral de la science chrétienne. Sans aucun doute les précautions réitérées de Mariano Cubí pour concilier ce qu'il appelle les progrès incontournables de la science moderne et positiviste et la foi catholique reflètent le contexte polémique dans lequel cet ouvrage fut publié.

Portada: «Lecciones de frenología»

Un contexte auquel il est fait explicitement allusion à plusieurs reprises et qui éclaire les premières pages d'un livre où figure en bonne et due forme l'approbation officielle des autorités ecclésiastiques. La date postérieure de cette bénédiction institutionnelle s'explique par le fait que l'auteur, fondateur de plusieurs sociétés scientifiques et littéraires, avait publié dès les années 1850 un ouvrage sur la phrénologie, La frenolojía i el siglo beaucoup plus iconoclaste dans lequel il n'avait pas pris les distances requises par l'Eglise concernant le matérialisme et la science positiviste. Ce fait qui pourrait paraître anecdotique est révélateur de la violence des débats qui opposaient les théologiens pour lesquels l'inclination au Mal chez tout être humain est la conséquence du péché originel et les scientifiques, philosophes et médecins pour lesquels fous et délinquants peuvent être des malades et non des pécheurs. Quoi qu'il en soit, les changements qu'impliquent les conquêtes des sciences expérimentales se heurtent à des résistances religieuses, morales et même politiques comme en témoigne la publication de l'ouvrage de Mariano Cubí. Un ouvrage qui tient du catalogue, véritable fourre-tout à prétention encyclopédique, où sont reprises et commentés les doctrines des physionomistes et phrénologiques les plus connus comme Franz Gall et Gaspar Spurzheim (1776-1832)8. Pour l'auteur il ne fait aucun doute que la phrénologie est le système qui permet l'étude des fonctions physiologiques et qu'elle s'inspire des principes inhérents à toute science expérimentale: l'observation, la comparaison, la déduction, la classification. Ce système ne permet pas de remettre en cause la liberté morale de l'homme: tout ce qui touche à l'âme est inné et certaines caractéristiques extérieures peuvent être acquises. S'inspirant de Saint Thomas qu'il cite à plusieurs reprises, Mariano Cubí admet une relative influence du corps sur le libre arbitre et le fait que certaines natures sont plus enclines, par leur constitution, à aimer le Mal. Mais l'homme peut toujours, sous l'emprise de la raison lutter contre cette inclination. Les maladies mentales en tant que maladies du cerveau préservent l'intégrité spirituelle de l'âme:

«Respecto a la frenolojía, tócame decir que no se trata sino de los órganos, vehículos, instrumentos o conductores de que se sirve el alma para manifestarse; que, quedándose el alma en su espiritualidad e inmortalidad, se manifiesta en este mundo según el estado de estos conductores u órganos; que de esta manera nos damos cuenta filosóficamente de la demencia, de la estupidez, de las enfermedades llamadas mentales, de la diferencia de temperamentos y disposiciones; quedando el alma siempre la misma y siempre inmaterial en los mismos individuos: saliendo así airoso y triunfante el espiritualismo»9.


Mariano Cubí contribue également à faire connaître en Espagne Cesare Lombroso, ses disciples Enrico Ferri (1835-1909) et Rafael Garofalo10 ainsi que Gabriel Tarde (1843-1904), représentant de la sociologie à tendance psychologique. Même si Mariano Cubí intègre dans sa réflexion et dans son oeuvre une dimension morale, il a joué le rôle d'un médiateur en ce qui concerne la diffusion de la physiognomie et de la phrénologie. Remarquons au passage qu'il prendra à son compte la différenciation proposée par le juriste Enrico Ferri entre les criminels-nés, les fous et les criminels passionnels ou occasionnels, reflétant de la sorte un certain réformisme social qui sera repris postérieurement par des pénalistes comme Concepción Arenal (1820-1893) et Rafael Salillas (1855-1923). Ce dernier, auteur de La vida penal en España (1888) ainsi que Constancio Bernaldo de Quirós, élève de Francisco Giner et proche d'Adolfo Posada, connaissent l'oeuvre de Cesare Lombroso et d'Enrico Ferri qui sont des références constantes dans leurs propres ouvrages. Un autre cas exemplaire de cette médiation culturelle et linguistique est le pénaliste et sociologue Pedro Dorado Montera également très proche de la ILE et dont la participation à la revue La España Moderna (1889-1914) est l'occasion de faire connaître les doctrines de criminologues européens.

D'autres relais sont également à prendre en compte comme le docteur Varela de Montes, auteur d'un Ensayo de antropología, o sea, historia fisiológica del nombre en sus relaciones con las ciencias sociales y especialmente con la patología y la higiene publié en 1854 et qui associe physiologie et anthropologie11.

Mais l'initiative la plus durable et la plus significative de cet enracinement de l'anthropologie en Espagne est la fondation de la Revista Antropológica, aboutissement en termes de diffusion scientifique de la création de la Sociedad Antropológica Española en 1865. La période de la Restauration sera particulièrement propice au développement des sciences expérimentales et humaines. Sans rentrer dans le détail d'événements déjà connus de l'histoire culturelle et des idées en Espagne pendant cette période, il convient néanmoins d'insister sur la convergence significative d'initiatives diverses particulièrement bénéfiques pour le développement de l'anthropologie ainsi que de ses domaines constitutifs comme la physiologie et la psychologie. En 1876, la création de la Institución Libre de Enseñanza contribue au développement des sciences humaines et sociales et stimule la recherche anthropologique en s'intéressant à l'homme dans toutes les dimensions de la vie quotidienne. Cet intérêt s'accompagne d'un foisonnement de conférences et de débats dans les Ateneos, associations et milieux universitaires; le regard fouille autant l'extériorité que l'intériorité d'un individu dont on sait qu'il est unique et singulier mais dont l'exploration en dit long sur le genre humain. Ces débats favorisent la création d'espaces de réflexion privilégiée comme les revues consacrées aux sciences anthropologiques, Revista Contemporánea (1875-1907), Antropología Moderna (1883), Revista de Antropología Criminal y Ciencias Médico Legales (1888-1899). Luis Simarro (1851-1921), neuro-psychiatre, titulaire à Madrid de la première chaire de psychologie expérimentale et élève de Charcot à Paris est un exemple de cet échange permanent dans les dernières décennies du siècle de certitudes scientifiques et d'exploration systématique. Médecine et psychologie se conjuguent dans cette plongée de l'être et la sociologie s'inspire des sciences naturelles pour poser les bases de ce qui doit constituer une observation méticuleuse et objective des phénomènes sociaux et des lois fondamentales qui les gouvernent. Dérèglements et maux, qu'il s'agisse du corps privé ou du corps social et public, doivent être rigoureusement objectivés et investis dans un processus organique.

L'Espagne n'est pas restée à l'écart de la fièvre scientifique et positiviste qui traverse l'Europe dans la deuxième moitié du XIXe siècle et a également été influencée par la poussée en faveur d'une nouvelle législation pénale et pénitentiaire d'autres pays européens. Les préoccupations qui s'expriment et circulent surtout par le biais de traductions comme celle de l'oeuvre de l'allemand Karl David August Roeder (1806-1879), Fundamento jurídico de la pena correccional (1846) traduite en 1875 par Vicente Romero Girón ou par Concepción Arenal ont pour objet «todo aquel que se aparta de la norma social»12.

Dans un contexte qui favorise une réflexion sur la place de l'individu dans une société conçue comme un organisme à part entière et sur la participation de la société civile dans la vie publique, les réformes sociales entreprises par les libéraux revendiquent le fondement scientifique du droit. La question de la responsabilité et du libre arbitre ne cesse de ressurgir: comment trouver un juste équilibre entre les actes volontaires dictés par la raison et influencés par le milieu et les simples pulsions animales déclenchées par la maladie mentale ou la folie partielle? Où se trouvent les limites entre dérèglement pathologique et altération passagère de la raison, entre une prédisposition physiologique au mal et l'incitation du milieu? Toute la deuxième moitié du XIXe siècle se fait l'écho de ces interrogations. Les titres des ouvrages publiés en Espagne sur la question témoignent de la persistance de ces préoccupations. Citons, à titre d'exemple, un ouvrage de Juan Giné y Partagás (1836-1903), professeur titulaire de la première chaire de pathologie et clinique mentale de Barcelone, médecin-directeur de l'asile de Nueva Belén. Dans El código penal y la frenopatología ósea (1888) l'auteur tente de démontrer que, jusqu'à une époque récente, les lois sont essentiellement régies par des critères de nature morale, idéaliste et métaphysique et que la dichotomie âme-corps a faussé tous les débats sur le libre arbitre. L'alliance préjudiciable de la théologie et de la métaphysique doit donc être remise en cause et il convient d'adapter le contenu et le langage du droit pénal en tenant compte des progrès scientifiques et plus particulièrement de ceux de l'anthropologie. Juan Giné y Partagás met en garde contre les dérives du déterminisme scientifique mais refuse le clivage entre droit et science:

«Los defectos de los que adolece el Código Penal se refieren unos a la forma o sea a la terminología médica que en él se emplea y otros al fondo, es decir, al espíritu de la ley. [...] Las discrepancias que median entre la medicina y el derecho en punto a responsabilidad criminal son radicales pues dependen de la diferencia del criterio entre ambas ciencias: la medicina se rige por el criterio biológico; la jurisprudencia está saturada de criterio metafísico».


(Partagás 1888: 92)                


L'oeuvre de cet aliéniste catalan qui veut cerner la maladie et ses origines reflète bien la rationalité médicale qui prévaut à l'époque: l'équilibre de l'individu et de la famille passe par l'observation et le contrôle précis des débordements physiques et psychologiques, par une économie familiale et intime scrupuleusement réglée. Si le droit doit s'appuyer sur la science et la médecine pour réguler la justice et les rapports sociaux, les liens entre individus dans la famille font également l'objet d'une vigilance particulière13. Dans le climat d'anxiété biologique de l'époque, la «rédemption» biologique passe par les réformes sanitaires et sociales dans la sphère publique et collective et par «l'hygiène des familles» dans la sphère privée comme en témoignent les autres ouvrages de Giné y Partagás: Curso elemental de higiene privada y pública (3 vols., Barcelona, 1874-76), Tratado clínico-iconográfico de dermatología quirúrgica (1880), Tratado clínico-iconográfico de las enfermedades venéreas (1883). Malgré son rôle mesuré, le médecin est, en cette fin du XIXe siècle, le dispensateur des commandements de l'hygiène (Perrot 1985: 252).

Dans La criminalidad ante la ciencia (1883), ouvrage dédié à l'aliéniste Ángel Pulido, José de Letamendi (1828-1897), médecin, membre et président de la Section des Sciences Physiques de l'Ateneo de Madrid, décrit le paysage juridique et scientifique dans lequel s'instaure un rapprochement entre le droit pénal et la médecine. Pour l'auteur il ne fait pas de doute que la science et la médecine constituent des éléments incontournables dans l'établissement de critères dans le domaine du droit:

«La medecina [...] tiene con respecta al Derecho, una doble naturaleza, pues si de una parte, y en tanto que profesión técnica, está subordinada a la magistratura para los efectos de suministrar datos periciales, es de otra parte, y día tras día será más, por constituir la ciencia de la íntegra realidad humana en lo normal y en lo patológico, la compañera, la natural asesora del Derecho, no ya para suministrale datos materiales externos de prueba, sino para infundirle elementos formales internos de criterio».


(Letamendi 1883: 13)                


Le droit et la justice ne peuvent avoir qu'un soubassement métaphysique et l'opposition entre une loi morale et une loi naturelle ne tient pas compte de la complexité de l'être humain et de l'organisation sociale. Si José de Letamendi revendique explicitement la place que méritent la science et la médecine afin de déterminer les fondements «naturels» du mal, il n'exclue à aucun moment l'influence du milieu et s'inscrit déjà dans une approche moderne qui est celle de la prévention. Ses certitudes scientifiques et ses pressentiments en matière de thérapeutique sociale sont à l'origine de ce qu'il appelle la «théorie psychophysique du libre arbitre»: il s'agit de croiser tous les paramètres scientifiques et sociaux susceptibles d'expliquer l'incapacité de tout individu à exercer son libre arbitre et de le prédisposer au crime. Le classement de ces paramètres est significatif de l'influence exercée en Espagne par les oeuvres des criminologues, pénalistes et médecins européens comme Lacassagne, Emile Laurent, Cesar Lombroso et Enrico Ferri pour n'en citer que quelques uns. José de Letamendi, prend ses distances, comme le feront également Constancio Bernaldo de Quirós, Pedro Dorado Montera et Fernando del Río Urruti, traducteur et propagateur des oeuvres d'Emile Laurent et de l'Ecole lyonnaise d'Alexandre Lacassagne (1843-1924) en Espagne, par rapport à une approche systématique et purement déterministe; si les comportements humains peuvent avoir une explication physiologique, si des pathologies et maladies mentales spécifiques expliquent en partie certaines aberrations, la liberté, la raison et la volonté sont des facultés positives et non pas le simple résultat d'un état:

«Y no se diga, por decir algo de gran efecto, que la ciencia se va enriqueciendo de día en día con datos de nuevas localizaciones cerebrales, pues a esto replicaré: en primer lugar, que estas localizaciones no son psicológicas sino fisiológicas (que es lo único que podrían ser siendo objetivas); y en segundo lugar, que con ser fisiológicas, y tratarse del órgano más intrincado de la creación y más rebelde a la observación y al experimento, están hoy pendientes de juicio contradictorio».


(Letamendi 1883: 39)                


L'anthropologie criminelle ne peut donc remettre en question l'unicité du «moi», de l'être humain. Il est important de s'attarder un peu sur ce débat qui concerne la nature et la définition de la délinquance et du crime mais aussi les limites du droit pénal et la nécessité de redéfinition de la justice criminelle. Car si la physiognomie, la phrénologie et la méticuleuse exploration du corps mais aussi de l'esprit grâce à la psychologie expérimentale ont permis de médicaliser le mal, de circonscrire de façon plus objective les causes physiologiques de certaines pathologies, elles ont également induit la tentation du déterminisme. La prise de conscience de la relativité historique et de la temporalité vont permettre, surtout dans les dernières décennies du siècle, l'élaboration encore hésitante du concept de milieu: un milieu humain qui a un pouvoir d'aliénation «où il ne faut voir autre chose que la mémoire de tout ce qui, en lui, médiatise la nature» (Foucault 1972: 471). Cette relativité implique que l'individu avec toutes ses manifestations physiologiques, sociales et comportementales soit dépendant de certaines influences, variations et adaptations. Le concept de dégénérescence dont les contours avaient été définis par Morel permettait d'entrevoir ce que serait cette aliénation: l'individu ne dégénère plus en «suivant la pente d'un abandon moral, mais en obéissant aux lignes de force d'un milieu humain ou aux lois d'une hérédité physique» (Foucault 1972: 470).

C'est le sens de la réflexion qui est proposée par des pénalistes et sociologues comme Constancio Bernaldo de Quirós, Pedro Dorado Montero et Fernando Martinez Ruiz et encore Francisco del Río Urruti qui, tout en s'inspirant des apports de l'anthropologie criminelle de Cesar Lombroso, d'Alexandre Lacassagne et Emile Laurent, tentent de définir une étiologie criminelle qui intègre les dimensions individuelle et sociale. Dans la traduction publiée en 1905 de l'ouvrage d'Emile Laurent, La antropología criminal y las nuevas teorías del crimen, F. del Río Urruti dresse un tableau éclairant de l'évolution du droit pénal et de la criminologie en Espagne. De toute évidence, les notions de justice et de droit se situent dans une étroite interdépendance avec la société et le milieu. La mutabilité des sociétés humaines implique la relativité de la notion de droit et de délit; et c'est à ce stade qu'il est possible de prendre la mesure de la complexité et aussi de la modernité d'une réflexion qui implique la remise en cause du concept de délit naturel qui contrevient par définition à un ordre moral immuable: «A los que creen indudable la existencia de un delito natural (en contraposición al llamado artificial que es creación de la ley), lo que supondría la existencia de un orden de consideraciones morales inimitables, reconocidas como tales en todo tiempo y lugar, se les debe oponer las enseñanzas experimentales aportadas por los antropólogos, la Etnografía y la Etnología» (Urruti 1905: 21). Ce n'est pas seulement au délit et à sa définition qu'il convient de s'intéresser mais au délinquant et à son milieu: «A más del árbol y sus frutos hay que tener presente siempre la tierra en que se asienta, las substancias que lo abonan y la mayor o menor fuerza apropiativa del árbol» (Urruti 1905: 24).

Déterminer la responsabilité du sujet délinquant, quelle que soit la nature ou la gravité du délit, implique la difficile mais nécessaire pondération de plusieurs facteurs: l'état psycho-pathologique du sujet, son «histoire» sociale et familiale qui ne peut être dissociée du milieu ou «macrocosme, pris comme lieu de complicité de tous les mécanismes» (Foucault, 1972: 457).

L'on voit bien à la lecture de ce texte comme de ceux d'un Constancio Bernaldo de Quirós qui tente de concilier l'étiologie du crime et de la délinquance avec une précise classification des stigmates de la dégénérescence et une approche sociologique qui s'oppose par définition à tout déterminisme scientifique, la volonté de se doter d'un dispositif de régulation juridique et sociale qui ne soit pas uniquement fondée sur la répression et le châtiment du délit mais sur la prévention: «Tal vez el derecho penal futuro, conformándose con su naturaleza preventiva, en lugar de represiva como hoy tiene, pedirá como elemento indispensable para el saneamiento y depuración del cuerpo que regula y sobre que actúa, el constante ejercicio de una labor de profilaxis, de preservación» (Urruti 1905: 33).

Au-delà de la complexité des débats c'est aussi toute l'ambiguïté de cette réflexion qui apparaît. Car très vite le concept d'aliénation se distancie de l'analyse historique pour devenir critique sociale et même critique morale: les pathologies et leurs causes ne sont plus seulement analysées par rapport à un individu et son devenir mais comme les éléments indispensables d'une prophylaxie qui doit garantir l'équilibre et l'épanouissement du corps social14.

Recensement des groupes sociaux «à risque», classification des états pathologiques et dégénératifs, identification de «types» dont les comportements peuvent être prédits en fonction de facteurs physiologiques et sociaux favorables sont les ingrédients essentiels de l'enquête sociale et criminelle entreprise par Constancio Bernaldo de Quirós dans un de ses ouvrages les plus connus. La philosophie qui l'inspire est clairement affichée, à savoir faire la part des choses entre ce qui est acquis et ce qui est inné, utiliser à bon escient et avec toutes les précautions qui s'imposent les méthodes et outils que l'anthropologie criminelle, la science et la médecine proposent:

«No se discute ya si el delincuente nace o se hace. Esta fórmula, que pudo servir un día para extremar la oposición de las dos más distintas interpretaciones habidas sobre la naturaleza y origen de la criminalidad, va quedando abandonada con justicia como frase inútil para la ciencia»15.


Dans ce qui ressemble à une vaste enquête sociale sur la délinquance et ses causes en milieu urbain, Bernaldo de Quirós tente d'identifier les tares fondatrices du processus morbide: misère, insalubrité, dissolution de la cellule familiale, carences éducatives, manque d'hygiène et immoralité prédisposent l'individu à la vie dissolue («la mala vida») et peuvent révéler ou accélérer le processus héréditaire. Même si l'auteur ne souscrit pas pleinement à la doctrine de l'atavisme, il situe son analyse dans une perspective évolutionniste: l'hérédité morbide n'est pas inéluctable mais le milieu qui favorise la reproduction de certains comportements, comme par exemple l'alcoolisme ou la violence dans le milieu familial, accroît les prédispositions. Un des cas paradigmatiques est celui de l'inadaptation sociale, de la marginalité qui peuvent mener à la délinquance et au crime: est inadapté(e) celui ou celle qui ne s'intègre dans aucune structure sociale par manque d'éducation et de discipline sociale mais cette marginalité est aussi atavique. Les justifications proposées s'inspirent en partie de la doctrine de Cesar Lombroso pour qui le délinquant peut reproduire à certains moments dans ses actes, les caractères héréditaires mais sans que cela débouche sur un déterminisme dangereux: dans la lignée humaine certaines erreurs ou aberrations peuvent se manifester. Ce ne sont là que des exceptions à une règle qui est celle de l'évolution de l'espèce humaine et de son adaptation aux exigences de son milieu. Pour l'auteur de La mala vida en Madrid, il ne fait pas de doute que si la marginalité et les traits qui la caractérisent, à savoir l'errance, le vagabondage et l'instabilité tant physique que psychologique ne sont pas le produit de l'hérédité, ceux-ci peuvent se manifester de façon erratique, comme une résurgence, atavique:

«La raíz atávica de este fenómeno (la vagancia ambulatoria) no debe buscarse, sin embargo, en la semejanza puramente externa y superficial de ciertas manifestaciones ambulatorias. Esto nos conduciría a los mismos errores que ha traído el paralelo entre salvajes y criminales seguido con el mismo método. [...] El vago no es un ser atávico porque recuerde a los primitivos con desplazamientos frecuentes de lugar, que no se ofrecen en todos los primitivos ni entre todos los vagos, sino porque en unos y otros se da, como nota principal del carácter, la incapacidad para el trabajo regular y continuo, ley de las sociedades civilizadas [...] La selección por el trabajo fue [...] la fuerza gigantesca que transformé el carácter violenta e impetuoso del bárbaro en el carácter tranquilo y reflexivo del hombre civilizado [...]; pero la herencia atávica sustrae continuamente a algunos de este proceso filogenético ulterior, dejándolos con aquella estructura de alma impulsiva e incapaz de atención, inerte a veces y otras movible hasta el extremo».


(Quirós 1901: 18)                


Imágenes de «La mala vida en Madrid»

La mala vida en Madrid. Estudio psico-sociológico con dibujos y fotograbados del natural, Madrid, 1901, pp. 164-165.

Dans son étude de la pathologie industrielle et citadine des multiples «tribus» que Bernaldo de Quirós évoque, le vice n'est jamais constitutif mais acquis et amplifié par le milieu. Ce qui l'amène à évoquer les réformes tant sanitaires que pénitentiaires envisageables dans le cadre d'une véritable politique prophilaxique. L'on ne peut que souligner la modernité d'une réflexion qui, comme celle d'autres pénalistes, magistrats et sociologues de l'époque croit aux vertus de la prévention. Cette préoccupation pour le milieu tient compte des réalités économiques du moment; les pathologies urbaines sont différentes de celles de l'environnement rural, et l'entassement dans les villes, la surpopulation et la précarité sociale sont le résultat aussi de l'exode rural16. La conviction s'exprime de façon récurrente à l'occasion de l'étude déjeunes délinquants qui sont des enfants exposés «à la grande influence du milieu», les prostituées pour lesquelles «debe suceder en los estudios sociológicos como ya sucedió en los naturales, la hipótesis de la acción lenta de causas actuales continuas en medios más o menos localizados» (Quirós 1901: 34 et 238).

Tous ces délinquants, marginaux et criminels avérés ou potentiels sont fondamentalement le produit de la dégénération sociale. Mais ce processus dégénératif imprime sur ceux qui en souffrent des marques parfois indélébiles qui déterminent à leur tour des idiosyncrasies, des types et qui débouchent sur une taxinomie des individus criminogènes comme le reconnaît Bernaldo de Quirós dans le chapitre II de son ouvrage. Il reprend d'ailleurs à son compte les études d'un magistrat connu à l'époque pour son étude sur la criminalité à Barcelone, Manuel Gil Maestre (1844-1912)17. Véritable inventaire des types criminels qui peuplent Madrid, ce catalogue de «géneros, especies y variedades» que constitue l'ouvrage La mala vida en Madrid reflète à la fois crainte et fascination mais aussi l'imprécision des frontières qui séparent le normal du pathologique. Ceci est particulièrement notoire lorsqu'il s'agit de définir et de classer les formes de délinquances des femmes. Ces dernières sont responsables de délits qui s'apparentent plus à des déviances «criminelles» suscitées par leur nature que par les circonstances sociales. L'indétermination présente dans les pages de cet ouvrage montre bien combien la frontière entre éthique et physiologie est ténue dès qu'il s'agit de la sexualité de la femme.

Portada: «La secuestradora»




Femmes et crime, crimes de femmes

Au XIXe la femme criminelle exerce une véritable fascination. Parce qu'elle attente doublement à l'ordre établi par son acte et par son être, elle apparaît comme «un monstre moral». Cette fascination engendre une constellation de personnages féminins -adultères, hystériques, infanticides, prostituées et homicides- qui sont l'envers et la négation de la féminité et auxquelles s'intéressent la médecine, l'anthropologie criminelle, le droit et la littérature. Le crime de la femme est un acte doublement transgressif: «celui de l'interdit du meurtre et celle de l'image de la mère qui donne la vie» (Badinter 2010: 21). Une hantise va troubler tout le siècle, à savoir le mélange de sexe et de mort prenant corps dans la figure monstrueuse d'une femme. Dans la galerie des «criminelles» c'est la femme tentatrice et séductrice, coupable du «délit sexuel» ou du «péché de chair» qui se voit privilégiée. Les débordements de la sexualité, sous toutes ses formes et l'inquiétante affirmation du désir féminin qui s'expriment à travers l'adultère de Ana Ozores dans La Régente, celui de Rosalía de Bringas dans La de Bringas (1884) de Galdós, qui se prostitue sans scrupule pour soutenir l'économie familiale, le vampirisme sexuel de la comtesse de Zarzal dans La mujer de todo el mundo d'Alexandre Sawa ou encore les pulsions insatiables d'une sexualité féminine qui se déploie dans un environnement maléfique dans El monstruo (1915) de Antonio de Hoyos y Vinent sont autant de représentations d'une sexualité féminine génératrice de tous les maux. La sexualité des femmes, fait l'objet d'une attention renforcée comme en témoigne une abondante production romanesque mais aussi une dense littérature médicale. Au péché de chair constamment dénoncé par une institution religieuse qui veille scrupuleusement sur la morale familiale et la virginité des jeunes filles s'ajoute le délit sexuel de la femme «infâme» soumis aux interdits de la pathologie.

En devenant plus visible, la différence entre les sexes est la source de craintes, d'interprétations fantasmatiques et angoissées et «les femmes pourraient bien être porteuses du négatif en société, de la décadence par exemple» (Fraisse 1991: 78).

L'époque en tant que «siècle du grand divorce affectif et biologique entre les sexes» (Majnoni d'Intignano 1996: 40) est propice à cette convergence de règles et d'interdits qui enserrent le désir, les pulsions et la sexualité féminine. Les progrès des sciences qui cherchent à cerner les aspects les plus immédiatement physiologiques de la nature féminine, la diffusion d'une idéologie libérale qui revendique une plus juste reconnaissance des droits de la femme favorisent une réflexion sur les rapports entre les sexes. Mais la sexualisation des corps n'est pas sans conséquences: dans «l'économie biologique du perfectionnement de l'espèce» qui se met en place au XIXe, l'infériorité naturelle de la femme est ancrée dans le sexe (Steinberg 2001: 37). Déjà les médecins-philosophes des Lumières avaient inventé une nature féminine incommensurable à celle de l'homme et définie à partir des nécessités de l'espèce et des lois de la reproduction (ibid.: 35). A la discrimination sociale fondée sur le sang se substitue une discrimination biologique qu'Auguste Comte définit avec la formule «la hiérarchie des sexes» (Fraisse 1991: 69). Cette hiérarchie conforte le modèle moral bourgeois et la famille pensée comme microcosme social où le rôle de la femme est essentiellement celui de la maternité reproductrice. Sphère privée et rôles féminins sont revalorisés par une société soucieuse d'utilité. En Espagne, à partir de la Restauration, le principe de la maternité biologique mais aussi sociale est développé par l'Eglise et par l'Etat, par une bourgeoisie préoccupée par une bonne gestion patrimoniale et familiale. Si la femme assure la descendance et la continuité de la lignée, la famille est celle qui garantit la stabilité sociale.

La passivité institutionnalisée qui fait de la femme un être incomplet est le fondement même de la loi et, plus particulièrement, des Codes civil et pénal.




Pesanteurs juridiques et identité fragmentée

Deux sphères différenciées, avec des caractéristiques et des implications sociopolitiques distintes, vont coexister pendant le XIXe siècle: l'espace de la cité et l'espace de la famille, la sphère publique et la sphère privée. Le libéralisme politique et le discours libéral n'impliquent pas une situation d'égalité civique, sociale et juridique pour la femme. L'idée qui prédomine et imprègne la culture libérale du siècle est celle d'une complémentarité plus qu'une égalité entre les sexes. De fait, malgré les différentes sensibilités politiques qui s'expriment au sein de la famille libérale, le discours des hommes qui l'incarnent affirme la prééminence masculine dans les affaires de la cité. A la femme est attribué l'espace domestique et privé. La valorisation du rôle de mère et d'éducatrice est liée d'une part à une certaine sacralisation du «sexe faible» et d'autre part au concept d'utilité sociale. La femme représente un enjeu important pour la société civile et pour la société religieuse et aussi bien le nouvel état bourgeois que l'institution ecclésiastique confirment la stricte répartition des rôles.

L'affirmation selon laquelle «los hombres hacen la ley y las mujeres forman las costumbres» reflète la dissociation entre lois et coutumes, entre raison et vertu; elle illustre toute l'ambiguité de la situation des femmes dont les incursions dans la sphère publique ne se justifient que par leur rôle d'éducatrice de futurs citoyens et leur fonction de perpétuation de valeurs morales et civilisatrices. L'influence de la femme sur la société n'est pas niée, ni occultée, mais récupérée grâce aux discours religieux et libéral: «Las mujeres estaban al mismo tiempo disociadas de la res publica y asociadas a la nueva sociedad mediante sus tareas sociales en la vida privada» (Romeo Mateo 2006: 67).

Le discours libéral, tout en confinant la femme dans l'espace privé et domestique, reconnaît qu'elle est la compagne de l'homme à défaut d'être son égale. Car, en plus d'être compagnes, elles sont aussi et surtout filles, soeurs, épouses, mères. Il suffit de lire les déclarations et jugements d'hommes politiques, libéraux, d'écrivains progressistes du XIXe siècle pour se rendre compte du tenace enracinement des modèles et représentations auxquels est assujetti le sexe féminin. Pedro Sabater, député libéral modéré et écrivain, époux de la prestigieuse poétesse Gertrudis Gómez de Avellaneda (1814-1873), réduit la vocation de la femme à celle «de una especie de ángel descendido del cielo, destinado por el Creador para acompañar al hombre en su carrera» (Romeo Mateo 2006: 72).

Un écrivain comme Leopoldo Alas Clarín (1852-1901), qui reconnaît que la situation de dépendance morale et matérielle de la femme est déplorable, s'oppose à la position des féministes qui, selon lui, ne tiennent pas compte de la nature de la femme18. Dans un article intitulé «Nietzsche y las mujeres» publié en 1899, il affirme la nécessité de remédier à l'injustice qui est faite aux femmes dans les domaines juridique, social et culturel, mais préconise le respect d'une «nature» féminine dans laquelle prédominent, entre autres, «lo irracional», «las capacidades intuitivas»: «[...] el predominio de lo irracional en la mujer la hace tal vez más apta que el hombre para el conocimiento de lo intelectualmente incomunicable; grave error sería, por lo tanto, aniquilar estas capacidades intuitivas en las mujeres» (Clarín, El Español, 1899).

Le discours moral et le discours juridique s'unissent pour délimiter raisonablement les espaces masculin et féminin. A la situation de fait d'exclusion des femmes de la sphère publique et de la cité, s'ajoute la discrimination juridique des textes. Par son rôle symbolique de régulation, le droit fixe la norme et détermine les rôles sociaux (Arnaud-Duc 2006: 87).

Ce que l'on constate en regardant ces textes juridiques, qu'il s'agisse du Code civil, du Code pénal et du Code du commerce, c'est que, malgré la proclamation de l'autonomie du sujet, autonomie revendiquée et exaltée par le libéralisme individualiste, la femme n'apparaît que comme un «être relatif», que comme figure secondaire définie par rapport à l'homme, seul véritable sujet de droit.

L'incapacité de la femme à être un sujet autonome reconnu par le droit est exprimé dans le Code civil et le Code pénal. Citons à ce sujet les Codes civils de 1872 et de 1889, héritiers de la Novísima Recopilación réalisée en 1805 sous le règne de Carlos IV et qui établissent la totale dépendance de la femme19. Cette «identité fragmentée» est d'abord contenue dans l'article 48 du Code civil de 1872: «le mari doit protection à sa femme et la femme obéissance au mari». Le Code civil reflète explicitement l'ambiguité des acquis du libéralisme: la reconnaissance de la femme en tant que compagne de l'homme ne s'accompagne pas d'une reconnaissance de l'égalité entre époux. Dépourvue du pouvoir de décision, la femme mariée n'existe que dans et par la famille. Il s'agit d'un discours protecteur et autoritaire qui fait de la femme un être irresponsable: elle ne peut agir en justice ni exercer une profession; elle doit demander une autorisation spéciale pour passer un acte juridique, exercer un commerce, disposer de ses biens, en percevoir les revenus. C'est l'époux qui représente sa femme en cas de procès. Le Code civil consacre aussi l'inégalité estimée naturelle parce que dérivant, pour la femme, de son infériorité physique et intellectuelle (Arnaud-Duc 2006: 88).

Le Code civil consacre l'immuabilité de la nature où l'affect est réservé à la femme et l'intellect à l'homme20. En tant que source des sentiments sociaux et de par ses fonctions maternelles, la femme ne représente que le «sexe affectif» (Fraisse 1991: 69). Même si la femme dispose d'une liberté plus grande dans l'espace privé et domestique qui lui est réservé, l'omnipotence de l'homme s'étend sur les enfants puisqu'il a la patria potestas21.

Eternelle «mineure», considérée dans un état «d'enfance radicale», la femme majeure, à l'âge de 23 ans, ne pouvait, comme cela était expliqué dans l'article 321 du Code civil, quitter le domicile familial sans l'autorisation du père ou de la mère, sauf pour se marier ou si l'un des deux parents se remariait. Si la femme mariée cesse d'être un individu responsable, célibataire ou veuve elle l'est bien davantage. Elle pouvait bénéficier de certains droits réservés aux hommes comme «enajenar y gravar sus bienes, arrendar y comprar los ajenos, ser depositaria o depositante, prestamista o prestataria, constituirse en fiadora de otro; en una palabra podía válidamente contratar y podía hacer testamento» (Scanlon 1976: 123).

Car ce n'est que dans et par la famille qu'existe la femme mariée. En effet, un autre point important au XIXe siècle est l'importance accordée à la famille en tant que fondement de l'ordre social. Si le mari tire sa supériorité de l'idée de fragilité du sexe féminin, la suprématie maritale exercée au sein de la famille est censée protéger la femme. Située aux confins indécis du public et du privé, la famille est un enjeu considérable que se disputent le pouvoir religieux et le pouvoir civil. La polémique suscitée en Espagne par les tentatives jamais abouties d'instaurer le divorce en est la preuve. La loi du 11 juin 1871, proclamée après la révolution de 1868, avait reconnu le mariage civil. Au moment de la Restauration en 1875, cette loi est abolie et seul le mariage religieux est reconnu. Le mariage civil n'est désormais accessible qu'aux non catholiques. Ces principes furent confirmés par l'article 42 du Code civil de 1889.

L'encyclique Arcanum de Léon XIII en 1880 est un formidable coup de semonce aux partisans du divorce et ce document officiel est publié à un moment en Europe où le féminisme en tant que mouvement social et politique devient une réalité publique. L'opposition surtout religieuse déclenchée par l'instauration du mariage civil fut tenace et il faut attendre la deuxième République (1931) pour qu'une nouvelle loi soit votée. Parmi les arguments invoqués contre le divorce, il y avait la préservation de la famille, reproductrice de valeurs et institution indispensable à la stabilité sociale et la fragilité constitutive de la nature féminine, dont la sensibilité et la propension à la passion et à l'imagination la rendaient particulièrement vulnérable aux tentations de l'amour extra-conjugal. La femme même malheureuse dans le mariage devait faire preuve de résignation et de patience et, comme le recommandait Pilar Sinués de Marco dans son ouvrage Verdades dulces y amargas: páginas para la mujer (1882), devait s'efforcer de reconquérir son mari avec les armes d'une épouse chrétienne: «Más de una vez la seducción ha alcanzado lo que los arrebatos más furiosos no hubieran podido lograr: más de una vez un noble silencio, una activa y digna conformidad han interesado al seductor, que hastiado al fin de las orgías y del vicio, ha pensado en el hogar solitario y apacible donde una mujer amante y una tierna criatura le llamaban con el corazón» (Sinués de Marco 1882: 123).

Dans un roman au titre évocateur, La misión de la mujer (1908), la même romancière, en opposant le destin de deux femmes, donne en guise de conclusion la parole à celle qui, abandonnée par son mari, a su affronter son malheur et récupérer l'époux indigne: «¿Cuál es, pues, tu misión en la tierra, pobre hermana mía? -La que le toca casi siempre a la mujer: la de sufrir, amar y perdonar» (Sinués de Marco 1886: 243)22.

Cette double morale qui laisse toute liberté à l'homme de mener une vie sexuelle et affective à l'extérieur de la famille et qui exige de la femme de s'astreindre aux devoirs de la reproduction et de la domesticité hors de toute notion de plaisir est dénoncée par des écrivains femmes comme Emilia Pardo Bazán (1851-1931). Dans une perspective qui est totalement éloignée du conformisme moral et religieux d'une Pilar Sinués de Marco, doña Emilia dénonce l'hypocrisie et la discrimination de la société de son époque concernant le mariage et les relations amoureuses. La femme qui transgresse les règles comme le personnage de Asís dans Insolación (1889) est condamnée et marginalisée. Dans ce roman qui suscita une vive polémique au moment de sa publication, Emilia Pardo Bazán prend explicitement position en faveur de l'égalité des sexes dans l'amour et la vie sexuelle. L'émancipation de la femme passe, à ses yeux, par l'autonomie affective et sociale. Dans deux autres romans, Doña Milagros (1894) et Memorias de un solterón (1896), elle esquisse le portrait de la «mujer nueva», celle qui est capable comme le personnage féminin Feíta de contribuer à la régénération et à la modernisation de l'Espagne: «Feíta es el arquetipo de la mujer nueva, de la mujer emancipada. ¿Pero qué se entiende por emancipada? [...] Ello, obviamente, supone tener acceso a la instrucción, tener derecho al trabajo, no verse obligada a recurrir al matrimonio por necesidad, considerarse libre en una sociedad llena de prejuicios y no tener que obedecer más que a la propia conciencia. Ahora bien, esto no significa en la opinión de doña Emilia la negación de la mujer doméstica ni la vulneración de la moral sexual existente. La escritora, a través de Feíta, intenta demostrar que ni las responsabilidades hogareñas, ni el cumplimiento estricto de las normas morales entran en colisión con el nuevo tipo feminino que demandan los tiempos» (Gómez Ferrer 2006: 173).

Quant au Code pénal, cette double morale y est implicitement suggérée. La lecture du Code pénal de 1870 fait apparaître que même si l'on doute des capacités des femmes dans certains domaines, elles doivent répondre en justice des mêmes délits que ceux des hommes. La femme est parfaitement responsable de ses actes devant la loi et les différences de traitement selon le sexe concernent le mode de preuve. Dans le cas précis de l'adultère, la faute du mari n'est prise en compte que si elle constitue un scandale public ou s'il existe une circonstance aggravante.

Le contenu du chapitre VIII du Code pénal est particulièrement explicite. Dans le titre IX intitulé «Delitos contra la honestidad», il est clairement énoncé que toute personne responsable d'un crime ou d'un délit l'est d'un point de vue civil. L'injustice commise à l'égard de la femme est flagrante dans la mesure où sa dépendance l'empêche d'être une personnalité civile. Cet assujettissement à l'autorité masculine est total car en cas d'adultère, le mari est en mesure d'accorder le pardon et de renoncer à porter plainte: «No se impondrá pena por delito de adulterio sino en virtud de querella del marido agraviado. El marido podrá en cualquier tiempo remitir la pena impuesta a su consorte» (Ley del 17 de julio 1876: 119).

L'adultère est considéré comme une faute beaucoup plus grave chez la femme que chez l'homme. La transgression sexuelle féminine est ressentie comme une atteinte à l'honneur du mari et comme un danger pour la filiation légitime. L'infidélité féminine est fortement pénalisée: c'est la femme qui subit la peine maximale en cas d'adultère comme le stipule l'article 448: «el adulterio será castigado con la pena de prisión correccional en sus grados medio y máximo» (Ley del 17 de julio 1876: 121).

L'homme ne se voit infliger qu'une peine «en sus grados mínimo y medio». Ce qui rend encore plus évidentes les incohérences du droit c'est que le devoir conjugal autorise le mari à user de violence pour châtier sa femme surprise en flagrant délit d'adultère: en vertu de l'article 438, il ne sera condamné qu'à l'exil en cas de mort de la femme adultère et de l'amant; mais si «les causare lesiones de otra clase, quedará exento de pena».

Les différences de traitement selon le sexe concernent à la fois l'inégalité des peines encourues et le mode de preuve. Dans le cas du mari, le délit d'adultère n'est punissable que si sa concubine est entretenue dans le domicile conjugal ou à l'extérieur «con escándalo». L'adultère de la femme est un acte instantané et répréhensible quelles que soient les circonstances: «es culpable la mujer que yace con varón que no sea su marido y el que yace con ella» (Ley del 17 de julio 1876: 122).

Cette totale injustice faite aux femmes est ressentie comme un scandale par Concepción Arenal qui dénonce à la fois l'infantilisation de ses contemporaines et la profonde hypocrisie de la loi:

«Las contradicciones de la ley pesan sin lenitivo alguno sobre la mujer desdichada. [...] Las leyes civiles consideran a la mujer como menor si está casada y aun no estándolo, le niegan muchos de los derechos concedidos al hombre. Si la ley civil mira a la mujer como un ser inferior al hombre, moral e intelectualmente considerada, ¿por qué la ley criminal le impone iguales penas cuando delinque? ¿Por qué para el derecho es mirada como inferior al hombre y ante el deber se la tiene por igual a él? [...] Es monstruosa [la contradicción] que resulta entre la ley civil y la ley criminal; la una nos dice: -Eres un ser imperfecto; no puedo concederte derechos. La otra: -Te considera igual al hombre y te impongo los mismos deberes; si faltas a ellos, incurrirás en idéntica pena»23


(Arenal 1895: 11-12)                


Double morale sexuelle et hypocrisie de la loi sont également dénoncées avec virulence par Adolfo Posada, titulaire d'une chaire de droit à l'Université d'Oviedo et membre de l'Instituto de Reformas Sociales. Il se montre très réceptif par rapport à la contribution d'intellectuelles comme Emilia Pardo Bazán, Conception Arenal et Rosario de Acuña aux débats sur l'identité sociale et juridique de la femme, sur l'inégalité de traitement inacceptable des délits féminins dans le droit pénal. Dans son ouvrage Feminismo. Doctrinas y problemas del feminismo, sus progresos. Condición jurídica de la mujer española (1899), il analyse sans complaisance les vices et injustices des lois qui condamnent les femmes à être traitées comme des délinquantes et des êtres «déchus» comme par exemple dans le cas de la prostitution alors qu'elles ne jouissent pas d'une véritable reconnaissance juridique et civique. Il dénonce un dispositif qui prend en compte les différences physiologiques et psychiques des femmes, dispositif qui joue toujours en leur défaveur:

«Las leyes no se contraen a señalar y sacar las consecuencias fisiológicas del sexo, en atención a la diferenciación de las funciones que en la generación desempenan el varón y la mujer, sino que, admitiendo que el sexo cualifica casi totalmente la índole síquica de la persona, determinando una condición humana particular, el desenvolvimiento de las relaciones jurídicas por el derecho positivo lo toma en cuenta, para regular la condición legal de la mujer, en muchos casos de manera distinta al hombre».


(Posada 1899: 229)                


La première iniquité concerne l'institution du mariage car, si elle doit protéger la femme qui souvent s'y réfugie à défaut de trouver une réelle autonomie ailleurs, elle lui impose un statut de «secondarisation», une mutilation de son statut en tant que personne civile. La protection stipulée dans le Code civil et plus précisément dans l'article 57 implique une totale soumission de l'épouse à une autorité qui la dépouille presque de toutes ses prérogatives. Cet état de soumission fondé sur un jugement de valeur implique également un état de culpabilité permanent dans la mesure où toute dérogation à la norme sociale et familiale fait apparaître la femme comme «immorale» et condamnable. Adolfo Posada identifie précisément le problème majeur concernant la situation légale et juridique de la femme: si elle tombe sous le coup de la loi pour certains délits réglementés comme l'adultère, c'est toujours en sa défaveur mais sa culpabilité est particulièrement insidieuse et «infâmante» dans la mesure où certains de ses actes jugés délictueux par la collectivité ne font pas l'objet d'une réglementation censée la protéger. Le scandale de la prostitution réglementée que dénonce Posada en est l'illustration la plus évidente. Le droit positif n'a pas été en mesure d'appliquer un critère d'égalité et la condition de la femme est inférieure à celle de l'homme dans presque tous les cas. L'adultère est pour Posada un autre exemple significatif de la discrimination sexuelle introduite par la loi; une discrimination qu'il ne se contente pas de condamner car il invoque les législations d'autres pays européens plus éthiques. Le Code pénal espagnol reflète l'opportunisme inhérent d'une législation qui accepte de reconnaître la responsabilité féminine quand cela l'arrange. Si les besoins physiologiques de l'homme sont implicitement désignés par la loi qui ne sanctionne que légèrement la satisfaction de ces besoins hors du mariage, que penser de la tolérance à l'égard de la prostitution qui relègue la femme au statut de femme déchue et infâme mais ne condamne cette pratique chez les hommes que dans le cas de proxénétisme avéré? Encore une fois les différences physiologiques sont complaisamment revendiquées afin de stigmatiser ce qui est un délit pour la femme mais aussi une faute collective qui la marginalise socialement et moralement.




Sexualités dangereuses

La singularité du désir féminin est dangeureuse et au cours du siècle, médecins et sexologues en codifiant les perversions, jettent «l'interdit de la pathologie sur des conduites que seule la morale condamnait» (Corbin 1999: 503). L'excès, la démesure et la passion lorsque cette dernière est hors norme, constituent des déviances, entraînent des déséquilibres sexuels et familiaux et tombent dans le domaine de la pathologie. Dans Miau (1888) de Benito Pérez Galdós, l'exacerbation paroxystique de Abelarda, partagée entre la sentimentale résignation de sa relation avec Ponce et son attirance amoureuse inavouable pour son beau-frère Victor Cadalso donne lieu à de violentes crises de convulsions et d'épilepsie24.

La norme physiologique s'inscrit dans un environnement social et moral précis. Ce qui prédomine, c'est le modèle bourgeois d'asexualité féminine entretenu par les médecins soucieux de leur pouvoir intellectuel mais également par une autorité ecclésiastique apeurée par la différence sexuelle comme par la chair et qui propage le modèle idéal féminin caractérisé par d'immenses ressources affectives et civilisatrices25.

Quoi qu'il en soit, la «femme respectable» n'a qu'une sexualité secondaire et asservie, au service d'une économie familiale et sociale rigoureusement codifiée. Les caractères sexuels secondaires de la femme (hypersensibilité, labialité des passions, imagination), constituent un facteur prédisposant à la transgression et à la déviance. Le soubassement positiviste des sciences n'a pas suffit pour expurger totalement la médecine de tout jugement moral. Un cas significatif de cette inéluctable convergence entre savoir scientifique et appréciation morale est celui d'un des premiers sexologues du siècle et spécialiste des pathologies sexuelles, le physiologue et neurologue allemand Richard Von Kraftt-Ebing (1840-1902) dont l'oeuvre la plus connue en Europe, Psychopathia sexualis (1886) fut traduite par Emile Laurent en France et largement diffusée en Espagne26.

Tout en offrant aux lecteurs de l'époque un état précis de certaines pathologies sexuelles comme la nymphomanie, il ne fait pas de doute pour lui que déviances et transgressions sexuelles féminines sont liées à l'assouvissement de désirs sexuels anormaux. Car l'acte sexuel non procréatif est toujours suspect27.

Alors que se développe le culte de la vie domestique dans les classes moyennes, le dénigrement de la sexualité féminine non reproductrice imprègne la littérature scientifique et hygiéniste. Au XIXe siècle, prostitution, avortement, adultère et travestisme sont considérés comme des transgressions sexuelles parce qu'ils impliquent une activité et un choix de la part des femmes (Walkowitz 1991: 390).

Ces déviances sont scrupuleusement recensées et commentées dans les oeuvres des hygiénistes, gynécologues et criminalistes espagnols. Les fantasmes et les représentations qu'elles engendrent dans l'imaginaire collectif se déploient dans la littérature romanesque créant de la sorte une galerie de personnages féminins hors norme et hors normalité. Débats et traités, qu'ils soient scientifiques ou culturels, reflètent la peur de la femme et la perte d'une identité sexuelle stable fondée sur la procréation; «le code de l'amour romantique s'éparpille» et les barrières contre la sexualité féminine se défont (Corbin 1999: 502). Pour certains comme Paliéniste et médecin espagnol Ángel Pulido, le développement de la civilisation va à l'encontre du progrès moral car il favorise l'émancipation des moeurs et la sociabilité mixte dans les villes; il suscite «insaciables deseos que despiertan infinitas ambiciones [...]; surgen del concurso multitud de vicios y goces» (Pulido 1876: 110).

Les formes de la sexualité transgressive sont souvent associées à l'environnement urbain, à la culture de consommation d'une société pré-capitaliste, à la frivolité et au luxe. Dans La de Bringas de Galdos, l'adultère et la prostitution de Rosalía peuvent être perçus comme une métaphore destinée à condamner un système politique fondé sur l'hypocrisie et la corruption mais aussi le parasitisme d'une classe moyenne qui, fascinée par l'argent et le pouvoir des classes supérieures, veut vivre au dessus de ses moyens. La minutieuse comptabilité de Galdós lorsqu'il nous décrit le processus d'endettement qui mène Rosalía à la prostitution fait apparaître les préoccupations de son héroine pour les jouissances matérielles, ses pulsions et ses désirs. La compulsion d'achat déclenchée dès le départ par la convoitise d'un mantelet qu'elle ne peut s'acheter, laisse transparaître une pathologie qui relève à la fois des domaines sociologique et psychologique. La transgression que ce comportement entraîne, une transgression par rapport à l'autorité conjugale et une transgression sexuelle avec l'adultère et la prostitution, trahit la faille identitaire de Rosalía: si elle souffre du manque d'argent, elle souffre surtout du manque d'autonomie. Dans La de Bringas comme dans Tormento (1884), le manque d'autonomie financière et sociale, l'inégalité économique sont propices au développement de la prostitution. La situation paradoxale que nous décrit Galdós est celle d'une société où tout peut faire l'objet de transactions financières, même le sexe alors que le corps féminin est sacralisé et enserré dans l'étau d'une morale hypocrite. Néanmoins le comportement de Rosalía, loin d'obéir à un modèle pré-établi de la nature féminine, illustre toute la complexité d'une femme en proie à des désirs contradictoires et des pressions sociales omniprésentes; loin de n'être que la simple manifestation de fureurs utérines, la déviance de Rosalía renvoie le lecteur à une maladie sociale dont les symptômes visibles sont la peur du désordre qui peut faire basculer l'ordre social et la double morale qui ignore le désir et la sexualité des femmes sauf quand ces derniers deviennent la monnaie d'échange de l'économie sexuelle masculine.

Cette maladie sociale c'est celle que nous décrit l'hygiéniste Ángel Pulido (1852-) dans un ouvrage où s'entrecroisent, comme cela est si courant à l'époque, le regard sociologique, la caution médicale et l'appréciation morale. Le langage employé renvoie à la fois à une vision réformiste et morale et, de façon plus limitée, à une tentative pour cerner les causes médicales et sociales de fléaux et de déviances comme la prostitution et ses séquelles à savoir la maladie, les naissances illégitimes et l'enfance abandonnée28.

Pulido reconnaît que les définitions des déviances comme la prostitution sont insatisfaisantes dans la mesure où elles ne prennent pas en compte la responsabilité de l'environnement social ni celle des législateurs: plus que d'un délit qui pourrait être mesuré et sanctionné, il s'agit d'un «désordre moral», de la «publicidad del pecado» dont l'individu serait seul responsable29. Cette insuffisance dans la définition même explique le brouillage des frontières conceptuelles entre pathologie, et vice, déterminisme et liberté individuelle. L'ouvrage de Ángel Pulido n'échappe pas à ce mélange des genres et reflète toute l'ambiguïté des débats de l'époque; la sexualité est avant tout une construction sociale et culturelle: la sexualité est «un lieu de vive contestation, où se jouaient en privé et en public, des conflits de classe, de race et de sexe» (Walkowitz 1991: 390).

Car si Pulido rejette le déterminisme de la phrénologie et reconnaît le rôle de l'environnement social lorsqu'il s'agit d'identifier les causes de la misère sexuelle des femmes, il n'échappe pas à la pression sociale ni au caractère éminemment moral des fondements de la culture. La prostitution est, à ses yeux, un mal nécessaire: «la consideramos como una llaga depuratoria del organismo social, rebelde a toda cicatrización [...] Querer detener la prostitución es un imposible; querer reducirla por estos medios es perder lastimosamente el tiempo y revelar una ignorancia grave acerca de la historia de la humanidad» (Pulido 1876: 117). Comme de nombreux réformateurs qui considèrent que la prostitution est un problème de salubrité publique, il est partisan de la réglementation ainsi que du contrôle et de l'inspection des prostituées. En justifiant la prostitution comme un mal incontournable et en invoquant les spécificités physiologiques de la nature masculine, il maintient la double morale sexuelle. Arguments prophylaxiques et considérations morales et sociales convergent afin de justifier ce qui n'est, dans le fond, qu'une acceptation résignée d'un fléau gênant pour la morale publique. Les gouvernements doivent donc «si no desterrar en absoluto la prostitución, por lo menos vencerla, hacer que abdique su dominio en la sociedad y oculte confundida sus mermadas huestes donde a nadie ofendan» (Pulido 1876: 122).

Ángel Pulido est obsédé comme les autres hygiénistes et médecins de son époque par la peur de la contamination du corps social par le foyer d'infection que représente la prostitution; la contagion dévastatrice due à des maladies comme la syphilis renforce cette anxiété biologique. Il dresse un tableau apocalyptique du «mal du siècle», la syphilis, «monstre mystérieux qui se love dans la prostitution» et qui menace non seulement l'équilibre physiologique mais aussi l'ordre social: «miasma en el agua cenagosa [...], veneno en la cabeza de la víbora, [...], letal virus sifilítico» (Pulido 1876: 134). La description crue et réaliste des ravages physiques de la maladie renvoie à celle que nous livre des romanciers de l'époque comme Eduardo López Bago et José Zahonero. Ce drame organique qui menace l'intimité des familles et la santé publique est un thème de prédilection pour les écrivains naturalistes et auteurs de la littérature dite médico-sociale et dont les représentants les plus connus sont Alejandro Sawa, José Zahonero et Eduardo Lopéz Bago, Antonio Vinent y Hoyos. La prostituta (1884) de López Bago propose une description crue et détaillée des ravages de la syphilis sur le corps dévasté du Marquis de Villaperdida, vieux libertin qui a investi ses capitaux dans les 40 maisons closes que dirige le proxénète Aristides. L'énumération exhaustive des symptômes et méfaits de la syphilis est digne d'un traité de médecine. Pour ces écrivains la description du monde prostibulaire, de la misère des villes et des ravages de la syphilis constituent à la fois un témoignage et la critique d'une société bourgeoise dont le fonctionnement est largement tributaire d'une double morale sexuelle. Des romanciers comme José Zahonero, dans son roman La carnaza (1885), et Eduardo López Bago, dans La prostituta (1884), n'hésitent pas à dénoncer la politique de réglementation de la prostitution qui n'empêche ni la prostitution clandestine ni la marchandisation du corps féminin que la société contemporaine tolère avec la complicité de certains médecins: «¡Sí, sí, buena está la higiene! Un viaje al Gobierno civil cada ocho días, que hay tiempo para morirse podrida, y luego algunos médicos que lo miran todo por encima, de acuerdo con las amas» (López Bago 1884: 97).

Ils décrivent de façon minutieuse le processus de dégradation physique et morale des femmes de la classe ouvrière et de la petite classe moyenne. Le commerce de la chair devient le symbole d'une société dégénérée moralement et physiquement, une société où certains s'enrichissent en exploitant la misère d'autrui. La femme dégradée, avilie par la prostitution est un produit consommable dont le prix est fixé par la loi du marché. Estrella, prostituée de luxe dans La prostituta (1884), est mise aux enchères lors d'un repas organisé par son protecteur et propriétaire des maisons closes madrilènes; ce commerce coexiste avec celui des prostituées de classe inférieure qui n'ont d'autre alternative que de se vendre au plus offrant: «y el burgués aquí eligiendo, entre rameras, una cualquiera, regateando el precio, hallando mayor placer en razón inversa del coste [...]» (ibid.: 15)30.

Les mêmes descriptions réalistes du mal du siècle sont celles que trouvent les lecteurs dans les oeuvres de Amancio Peratoner et plus particulièrement dans celui qui fut publié en 1874, Los peligros del amor, de la lujuria y del libertinaje en el hombre, en la mujer. Médecin, traducteur de Zola, cet auteur cherche la caution d'illustres confrères médecins, étrangers pour la plupart et dont il s'inspire d'ailleurs plus ou moins librement31.

Il ne fait pas de doute pour Amancio Peratoner que les débordements sexuels de la femme, son appétit vénérien irrésistible constituent une menace non seulement pour l'économie et la société mais aussi pour ce qu'il appelle la race humaine. L'ouvrage foisonne de descriptions minutieuses des manifestations physiologiques et des conséquences mentales des maladies vénériennes et reflète l'anxiété biologique si prégnante au XIXe siècle.

La multiplication des écrits sur les maladies transmises par les femmes reflète l'effort de réflexion sur la politique sociale. Même si cette réflexion ne débouche la plupart du temps que sur des positions réformistes qui défendent l'ordre public, la décence et la santé, elle fait apparaître la complexité d'une sexualité féminine qui se libère peu à peu et les peurs que celle-ci génère. Les critiques explicites concernant les «faux remèdes» contre la prostitution accompagnent le diagnostic social et économique que nous livrent des médecins comme Juan Giné y Partagás (1836-1903), titulaire d'une chaire de chirurgie à l'Université de Barcelone, ou encore le magistrat et gouverneur civil de la province de Barcelone, Manuel Gil Maestre. Dans le prologue qu'il consacre à l'ouvrage de Prudencio Sereñana y Partagás, La prostitución en la ciudad de Barcelona (1882), Juan Giné y Partagás explique que la prostitution est une maladie sociale tolérée dans toutes les nations ce qui n'enlève en rien le caractère infamant de ce commerce32. Si les réformes dans le domaine sont nécessaires, elles ne sont qu'un pis-aller car seule l'émancipation des femmes, grâce au travail et au réel exercice de leurs droits leur permettra d'échapper à l'esclavage de la prostitution. La syphilis est le signe physiologique et symbolique de cette double morale sexuelle qui fait que la femme séduite est toujours coupable et qui permet à l'homme d'échapper à l'opprobe et à la condamnation: «Aun le aplauden. Es un calavera, un tenorio, un conquistador, un hombre de mundo, y, por tales merecimientos, se le adjudica en matrimonio una tierna niña, con pingüe dote y quizás heredera de altos títulos» (Giné 1882: VIII).

L'exploitation du travail des femmes, sous toutes ses formes mais surtout lorsqu'il s'agit de la prostitution, n'est possible que grâce à la complicité de ceux qui en profitent33. Sans aller jusqu'à réclamer la disparition d'un système de réglementation injuste de la prostitution, Prudencio Sereñana y Partagás reprend à son compte la démarche des krausistes pour lesquels l'éducation des femmes est le meilleur garant de leur autonomie et de leur dignité34. L'ouvrage de Partagás propose, en plus des données précises sur les prostituées dans les provinces et villes d'Espagne, un parcours éclairant des textes qui réglementent la prostitution35.

En effet, en Espagne, plusieurs tentatives de réglementation ont lieu à partir des années 1850 et elles se poursuivront jusqu'en 1935 (Vázquez García, Moreno Mengíbar 2006: 225). Le premier texte officiel et durable qui sert de référence aux autres municipalités est celui de Madrid du 30 avril 1859 (Fernández 1995: 164). A partir de ce moment là, l'hygiène publique et les services qui s'y rattachent sont contrôlés par les gouverneurs civils. A titre d'exemple, l'on peut citer les 26 articles du Reglamento de Higiene Especial de Barcelone de 1874 qui sont accompagnés de sept autres rubriques qui détaillent le rôle des médecins et personnels sanitaires, les mesures sanitaires, le rôle du directeur du responsable du service sanitaire d'hygiène spéciale et le règlement des maisons closes sans oublier le fonctionnement juridique et financier de ce service sanitaire. La définition dans l'article 1 du premier chapitre de ce Règlement spécial, rappelle que la prostituée, version sexualisée de la féminité domestique et maternelle, n'est qu'une femme déchue36. Le terme «públicas» montre que c'est bien de la défense de la morale collective qu'il s'agit et non de la défense de la femme, des femmes. Le maintien de l'ordre public exige la ségrégation de prostituées. La prostitution doit être contenue «dans un milieu clos, loin du regard des femmes honnêtes, sous la surveillance panoptique de l'Administration» (Arnaud-Duc 1991: 99). Cette hypocrisie fondamentale d'un système qui n'interdit pas, tolère et réglemente est contenue dans le Code du droit Pénal.

Dans les Codes de 1848 et de 1870, la prostitution est reléguée au plan privé; seuls la corruption de mineurs (article 367) et le proxénétisme (article 267) sont considérés comme un délit à part entière. Ce qui compte, comme le démontre le terme «costumbres públicas» (moeurs publiques), c'est la protection de la morale et des apparences. L'article 365 du Code pénal est particulièrement révélateur de l'ambiguité du terme prostitution: considéré comme un délit dans le cas de ceux qui «facilitent la prostitution ou la corruption de mineurs pour satisfaire les désirs d'autrui», elle est un crime dans le cas des femmes qui l'exercent. Un crime qui est en partie défini dans l'article 365 du même Code pénal lorsque ce dernier, dans ce qu'il caractérise comme «offense à la pudeur», fait référence à ceux ou celles qui attentent contre les «bonnes moeurs». La prostituée n'apparaît pas comme sujet du droit mais comme objet de l'exploitation d'autrui: c'est ce qui transparaît explicitement dans l'article 385 du Code pénal de 1850 qui ne cite, sous la rubrique consacrée à «prostituées», que les infractions commises par ceux qui ne respecteraient pas les règlements de police concernant les femmes publiques. Ce statut de la femme «infâme» est abondamment décrit dans d'autres oeuvres comme celles de Quirós. Tout en s'attachant à faire un véritable recensement de la prostitution dans les grandes villes espagnoles, l'auteur de La mala vida insiste sur les stigmates tant physiques, physiologiques que sociaux qui permettent de distinguer les prostituées ou femmes «de la mala vida», délinquantes en tous genres, de la femme respectable.




Double morale et pureté sociale

Au nom d'une pureté sociale qui refuse toute déviance liée à la sexualité féminine, la double morale s'impose naturellement. Car si la respectabilité et les apparences doivent être sauvées, cela implique la tolérance réglementée du vice comme dans le cas de la prostitution. L'hypocrisie sociale et juridique d'une société, essentiellement masculine où les femmes sont privées de la maîtrise de leur corps mais cotées sur le marché du sexe et de l'amour vénal est violemment mise en cause par des réformistes et intellectuelles femmes comme Rosario de Acuña et Concepción Arenal. Leur réflexion sur la condition des femmes est indissociable de certaines formes de résistance qui, en cette fin de siècle, se manifestent contre le déterminisme biologique et la démonstration purement physiologique de sciences comme l'anthropologie criminelle. Sans ancrage social et même sociologique, les explications scientifiques se réduisent à un dogmatisme positiviste aussi dangereux, à leurs yeux, que les certitudes inévitables de l'institution religieuse. Dans La mujer del porvenir (1869), probablement un de ses ouvrages les plus connus, Concepción Arenal veut démontrer que les thèses phrénologiques d'un F. Gall concernant l'infériorité naturelle de la femme sont absurdes. Elle reprend cette réflexion dans une série d'articles consacrés à Herbert Spencer et publiés dans le Boletín de la Institución Libre de Enseñanza entre 1882-1883. Le délinquant, qu'il s'agisse d'un homme ou d'une femme, ne peut être considéré comme un être à part et irrécupérable. Seule une compréhension nuancée et clairvoyante de la société de l'époque permet de replacer la problématique du délit et de la peine dans une perspective humaniste. Dans le chapitre XV du deuxième tome de El pauperismo (1885), significativement intitulé «Le délit et le crime», l'auteure défend une des thèses qui sera à l'origine de sa réforme du droit pénitentiaire: la régénération sociale, celle de l'individu ne sont possibles que si la perfectibilité humaine est admise. C'est la prévention et non la répression qui permet de combattre la misère, l'ignorance et leurs conséquences inévitables, à savoir la délinquance sous toutes ses formes et, entre autres, la prostitution à laquelle Concepción Arenal consacre un chapitre entier de cet essai. Son analyse de la constitution politique et juridique de l'Etat l'amène à proposer une réforme profonde surtout en matière de droit pénal. Naturellement la condition de la femme, comparable à celle de certains groupes sociaux démunis et fragiles comme les ouvriers, les pauvres et les enfants est au coeur de ces réflexions. Concepción Arenal ne peut que constater la totale inégalité des femmes face au délit: son «infamie» est indélébile et même si sa repentance est sincère, elle ne suscite qu'incrédulité de la part de la société. La femme n'a pas de véritable existence civile et juridique et se voit confinée dans un perpétuel état d'asservissement à une autorité qui est soit celle du père, du mari ou d'une loi inégalitaire: «¿Cómo se rehabilita la mujer delincuente? Su ejemplo es más contagioso, su infamia más indeleble; y si su arrepentimiento sincero es posible y edificante, la sociedad parece mirarla incrédula, o le considera cuando más como un objeto extraño y aun admirable, pero que no tiene aplicación» (Arenal 2002: 9).

Comme beaucoup de réformatrices de son époque, elle condamne la prostitution qui est à ses yeux un délit et une menace pour l'ordre social car elle a des conséquences sur la santé et la morale publiques. Ce jugement de C. Arenal doit être compris et nuancé en tenant compte de sa conception de la responsabilité humaine. Car l'on ne peut juger et condamner que ceux qui sont responsables de leurs actes et, jusqu'à un certain point, libres dans leurs décisions. Or la prostitution est le cas même d'un délit qui ne repose ni sur la justice sociale ni sur des convictions éthiques. Le gouvernement est complice du crime ou délit que représente la prostitution et, pire encore, la prostitution est considérée comme un mal nécessaire qui justifie qu'une classe de femmes déchues soit à la disposition des hommes; elle ne peut donc être réprimée et sanctionnée que dans certaines limites:

«Porque el vicio se eleve a la categoría de institución social, y, como los reyes, quiso ser inviolable, es decir, invulnerable; porque pidió a la sociedad auxilio contra la Naturaleza, leyes de los nombres contra las leyes de Dios, a fin de que los excesos fuesen sanos y la crápula higiénica; porque al Estado le pareció bien la idea, y dijo al vicio: -¿Qué necesitas? Habla, estoy a tus órdenes».


(Arenal 2002)                


C'est la profonde hypocrisie de tout un système qui est en cause: le vrai «délit» est la tolérance. La légalisation de la prostitution qui la convertit en un commerce parfois lucratif est la première hypocrisie: comment condamner un délit toléré et, de surcroît, organisé sous prétexte qu'autoriser le vice masculin permet d'assurer l'hygiène: «El punto de partida de los que legalizan y pretenden reglamentar la prostitución es material, y sus consecuencias son, tienen necesariamente que ser inmorales y brutales, porque el hombre es materia y espíritu, y no puede hacerse nada en provecho de su cuerpo prescindiendo de su alma, y convirtiendo una cuestión que es principalmente moral en fisiológica y patológica» (Arenal 2002: 315).

Cette prostitution «légale» est le résultat d'une complicité de tous les acteurs de la vie civile, à savoir les représentants de l'Etat, les commerces prospères des maisons de tolérance, les magistrats, juges et médecins et les hommes de toutes les catégories sociales qui satisfont de la sorte «leurs appétits brutaux et leurs égoismes aveugles» (Arenal 2002: 315):

«Yerran y se extravían miserablemente los legisladores que se dejan arrastrar por las tendencias materialistas de la época; los que ponen el sello oficial y las armas del estado en las patentes ignominiosas; los que sancionan el envilecimiento asqueroso de la mujer; los que consideran al hombre como una bestia cuyo abrevadero hay que limpiar; los que suponen que se puede sustituir el imperio de sí mismo por la policía, y la dignidad por el speculum».


(Arenal 2002: 316)                


La référence au spéculum met en évidence une autre réalité discriminatoire pour les prostituées inscrites auprès de la police des moeurs et qui doivent se soumettre à des visites médicales souvent humiliantes.

L'indéfinition du délit qui brouille les frontières entre ce qui est social et moral alimente ce qui est une injustice fondamentale: la négation de la personnalité de la femme. Cette dernière, secondarisée, transformée en bien échangeable et monnayable, est reléguée dans la catégorie des êtres déchus au nom d'une morale publique qui veut sauvegarder les apparences.

Il ne suffit pas de réglementer le vice et d'en limiter le spectacle pour sauvegarder la dignité des femmes et celles des hommes: l'existence de maisons closes, qui font partie d'un système d'exploitation souvent très lucratif, a favorisé une nouvelle forme d'esclavage que Concepción Arenal dénonce comme ses contemporaines, Rosario de Acuña et Joséphine Butler. De la même façon qu'elle a développé ailleurs sa théorie sur les inégalités résultant de l'esclavage, elle le fait cette fois-ci en prenant l'exemple de la femme37.

Les valeurs morales fondées sur la famille, la dignité de l'être humain et l'égalité hommes-femmes n'existent pas et la seule morale qui prévaut c'est celle de la respectabilité. La critique de C. Arenal d'un système qui repose sur l'inégalité sociale et juridique de la femme est sans pitié: le fait que la femme soit considérée comme une espèce «d'appendice» de l'homme favorise la prostitution. La dépendance des femmes qui ne peuvent bénéficier d'une réelle autonomie économique, sociale et juridique est le véritable fléau qui gangrène la société; le manque de ressources implique la perte de la dignité car, dépourvues de la liberté qui leur permettrait de sortir d'un statut d'éternelle mineure, les femmes ne peuvent toujours supporter héroiquement l'injustice et la misère et elles succombent sous le poids de circonstances qui les mènent du mépris à l'humiliation, et de l'humiliation à l'ignominie: «[...] la prostitución no puede extinguirse mientras no varíe la condición de la mujer, económicamente, legal, intelectualmente; mientras no tenga verdadera personalidad, y se tenga en más, y sea más respetada» (Arenal 2002: 322).

Au-delà du problème de l'inégalité des femmes quand il s'agit de définir les délits et sanctions les concernant, c'est bien de la dénonciation d'un droit arbitraire et vénal de l'Etat bourgeois du sexenio et de la Restauration dont il s'agit. En effet, aux yeux de l'auteure de El derecho de gracia ante la justicia y el reo, el pueblo y el verdugo, c'est surtout le délit de la société toute entière qu'il faut dénoncer plus que les délits commis par des femmes car ce sont toutes les lois, les coutumes et les institutions sociales qui en privant la femme de véritable «personnalité» et en méprisant ses droits, la privent de toute initiative, réduisent sa liberté et la mettent sous tutelle, suscitant de la sorte un état de vulnérabilité permanent à l'origine de leurs «crimes et fautes» (Arenal 2002: 313-314)38.

Elle reviendra inlassablement sur cette indéfinition du délit et sur l'injustice et l'inadéquation des peines réservées aux femmes dans des articles publiés dans La Voz de la Caridad (1870-1884), revue qui est conçue dès le départ comme un organe de presse sur la bienfaisance et la réforme pénitentiaire. Dans cette revue qui fait une large place à la thématique sociale, Concepción Arenal apporte son soutien aux campagnes de Joséphine Butler contre l'abolition de la traite des blanches et aborde la question sensible de l'infanticide et de l'abandon des enfants. Dans un article intitulé «La madre del niño abandonado», publié le 15 août 1883, elle expose les raisons sociales de certains délits ou «crimes» comme l'abandon pur et simple des enfants à leur naissance, l'infanticide. C'est l'année du Congrès international pour la protection de l'enfance et Concepción Arenal insiste sur le manque total de solidarité juridique et économique de la société vis-à-vis des femmes privées d'instruction, de force intellectuelle, et de revenus «debilita a la madre, contribuye al abandono del niño; [...] ya sabemos que los males profundos de la sociedad no se curan inmediatamente haciendo leyes, pero que estas, cuando son injustas, los aumentan y sancionando la justicia, contribuyen poderosamente a extraviar las conciencias»39.

C'est bien les mêmes indignations et les mêmes arguments que reflètent les écrits d'une autre réformatrice et humaniste comme Rosario de Acuña qui consacre plusieurs articles à la traite des blanches et à ce que la société considère comme les crimes sexuels des femmes. Dans une prose où s'entremêlent un plaidoyer en faveur de l'autonomie juridique et sociale de ses contemporaines, une critique impitoyable des institutions complices de la misère féminine et le souffle engagé d'une femme qui milite contra la fausse science et l'hypocrisie religieuse, Rosario de Acuña analyse avec acuité la vulnérabilité sexuelle des femmes. Elle dresse, comme certains pénalistes de son époque mais sans céder à la facilité des classifications, une véritable géographie sociale de la délinquance sexuelle et plus particulièrement de la prostitution qui n'est que l'aboutissement d'une progressive dégradation. Les prostituées sont avant tout des femmes économiquement opprimées «con escarnio de todo derecho humano, la mujer pública pertenece al fisco, ni más ni menos que la res al matadero»40.

La prostitution est un trait distinctif des villes où s'établit une véritable hiérarchie sociale des prostituées qui reflète la structure de classe. En effet, s'y s'entassent les migrantes de la campagne, les femmes qui travaillent au bas de l'échelle du secteur tertiaire de l'économie, comme les bonnes, les vendeuses et les servantes. La détresse économique et sociale est le scandale, le véritable crime qui pousse ces femmes à la délinquance:

«Pues la ramera carece de todo esto. Su existencia se acoge a los grandes centros; las estadísticas arrojan un desnivel inmenso entre la prostitución de aldeas y campos, y las ciudades. En las grandes capitales se afirma, pues, la ramera; la atmósfera de lo artificial, de la noche, de la aglomeración es su principal elemento: altas o bajas por categoría de precio, todas están muy hondas en el nivel de la salubridad».


(Acuña 2007: 1104)                


Comme Concepción Arenal, Rosario de Acuña stigmatise l'aspect réglementariste d'une législation qui considère la prostitution comme un élément régulateur de la santé publique; c'est en cela que réside la profonde hypocrisie du système. Cette double morale est d'autant plus inacceptable qu'elle repose sur l'inégalité de fait entre hommes et femmes. Le danger de la sexualité féminine est dénoncé mais cette sexualité hors norme est encouragée:

«"Vicio preciso" dicen unos; "necesidad de la naturaleza", dicen otros; "mal que evita mayores males", dicen los de más allá. Vayamos reflexionando sobre estos aullidos [...] "Vicio preciso", ¿es decir que el vicio es una necesidad? Eso contesta la antropología cuando se le pregunta sobre los ladrones y asesinos y, sin embargo, no se le ha ocurrido a esta ciencia ni a la ley dejar que impunemente se robe y se mate: el vicio es, ha sido y sera innecesario [...] ¿Es la necesidad de la naturaleza? Dijérase que es la del vicio, y más verdad se diría. El vicio, lo irregular, lo anómalo, ¿de dónde surge? De lo insano. Y esta condición, ¿de dónde se deriva? Jamás de la naturaleza en puridad de ley; se deriva del falso concepto de moral en que están fundamentadas nuestras legislaciones (o costumbres que todo es igual)».


(Acuña 2007: 1090 et 1094)                


Comme beaucoup de ses contemporains, Rosario de Acuña ressent une véritable anxiété biologique face au risque de contagion que suscitent la promiscuité, le manque d'hygiène. Sa profonde connaissance de la misère physiologique de la campagne et des villes font d'elle une épidémiologiste qui scrute les symptômes de la dégénération. Cette préoccupation s'accompagne toujours d'une réflexion éthique habituelle chez une femme qui considère que le dénuement social entraîne forcément la misère morale et spirituelle. A travers une métaphore du pourrissement elle dénonce autant la déchéance physique des individus que la gangrène d'une société et d'une nation livrées à la corruption et à l'égoïsme: «Y el mal continúa, acorrala, enerva las aspiraciones levantadas, derrumba los ideales de perfección, abraza los sentimientos nobles, hiela todo impulso de actividad conscientemente amorosa; rebaja, perturba y pervierte el sentido moral, haciéndolo convergir, no a la familia, la nación y la raza, sino al individuo, en el que fermenta el ruin egoísmo, moho de la inteligencia y carcoma del sentimiento [...]» (Acuña 2007: 1108).

L'imposture des lois s'appuie sur la fausse science qui veut démontrer l'infériorité physiologique et intellectuelle des femmes; celles-ci sont, par conséquent, réduites à l'état de «chose» et ne bénéficient pas d'un statut de «personne» (Acuña 2007: 1100). Par ailleurs cette même fausse science est celle qui veut faire croire à une nature sexuelle différente des hommes. Ce qui apparaît comme une particularité liée à la nature spécifique des deux sexes n'est en fait qu'une construction sociale: la différence n'implique pas l'inégalité car celle-ci est le produit d'une histoire, de l'histoire et non une caractéristique inhérente à la nature féminine. Toutes les contradictions du droit résident dans le fait qu'il punit et sanctionne les femmes comme si elles étaient responsables de leurs actes alors que ce même droit ne leur reconnaît ni l'autonomie ni un statut civique à part entière. Rosario de Acuña évite, comme Conception Arenal d'ailleurs, le piège de la victimisation des femmes: c'est le degré de responsabilité qui est à l'origine du vrai débat, celui qui traverse le XIXe siècle mais qui se poursuit longtemps après. Car responsabilité individuelle et responsabilité collective sont étroitement liées. La femme infâme et déchue ne l'est que parce qu'elle ne correspond pas au code de la respectabilité féminine.






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