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Enfances et lectures

Solange Hibbs-Lissorgues





Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la famille et l'enfant acquièrent une importance toute particulière dans le champ de la communication sociale. Si la famille apparaît comme la transmettrice essentielle de valeurs symboliques et dispense la première socialisation, l'enfant est l'objet «d'un investissement de tous ordres: affectif mais aussi économique, éducatif et existentiel» (Perrot, 1999, p. 134).

Néanmoins la notion d'enfant est floue, et il faut attendre le début du XXe siècle pour que, avec les efforts de la médecine, de la psychologie et du droit; se précisent les préoccupations et les savoirs concernant l'enfance et la jeunesse. Des distinctions plus fines apparaissent alors en fonction de l'âge, de l'appartenance sociale et du sexe.

Une abondante littérature sur les enfants et les jeunes (ouvrages pédagogiques, brochures et manuels divers, édités entre autres par les maisons d'édition catholiques, sans oublier la presse spécialisée destinée aux familles bourgeoises et ouvrières) et pour les enfants (recueils de contes, romans, revues et presse, manuels de savoir-vivre, catéchismes adaptés au jeune âge) illustre l'intérêt croissant des éditeurs et libraires pour ce public. Un public dont il faut cultiver les aptitudes particulières, comme le souligne un des éditeurs connus de Barcelone, Jaime Subirana, car «si la curiosité et la réceptivité sont les facultés les plus précoces chez les enfants, pourquoi ne pas exploiter ce penchant que la Providence favorise dès le plus jeune âge?»

Malgré tous les efforts qui sont faits en fonction des âges et des bourses pour la jeunesse des villes et des campagnes, ces publics de jeunes lecteurs sont difficiles à identifier et à capter. L'analyse des supports de diffusion de la littérature qui leur est destinée ainsi que le recensement des tirages des œuvres et collections figurant dans les catalogues des éditeurs-libraires peuvent fournir de précieuses indications concernant le type de «produit» proposé. Il est beaucoup plus problématique de quantifier la ou les pratiques de lecture. En effet, les quelques données chiffrées disponibles concernant le taux d'alphabétisés pour différents groupes d'âge allant de 7 à 16 ans ou plus, ne permettent pas de savoir exactement quels sont les publics touchés par cette littérature, ni de quelle manière elle les pénètre. Si l'on tient compte des documents et témoignages de l'époque, plusieurs constats s'imposent: efficacité très limitée de l'école pour ce qui est de l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, très faible indice d'alphabétisation et grandes disparités régionales. Pour une population totale de dix-huit millions, il y a moins de deux millions d'enfants scolarisés en 1880 dans les écoles publiques et privées et trois millions seulement de personnes ont accès aux livres1.

Des écrivains et pédagogues, comme Carlos Frontaura et Manuel Ossorio y Bernard, directeurs de revues pour l'enfance et la jeunesse, ne cessent d'insister sur l'éducation scolaire déficiente, les conditions matérielles insuffisantes des établissements, la précarité de la situation des enseignants. Les publications qu'ils proposent dès les années 1870 se veulent à la fois un prolongement de l'apprentissage et de l'approfondissement de la lecture et un support de diffusion privilégié de la littérature récréative. Bien évidemment, ce projet pédagogique et cette offre ne touchent qu'un public réduit, celui des classes aisées pour lesquelles l'accès aux livres est plus immédiat et où les médiateurs de la lecture que sont les parents et autres membres de la famille peuvent assumer plus facilement leur rôle.

Dans sa revue Los Niños (1870), Carlos Frontaura admet que le lectorat concerné est celui des enfants de la bourgeoisie et des classes moyennes qui fréquentent les établissements scolaires bénéficiant d'un important soutien économique et social des familles (Los Niños, 1er septembre 1883, n.º 5, p. 65). Il dresse également un assez sombre tableau des conditions dans lesquelles exercent les enseignants. Les émoluments des instituteurs sont dérisoires, voire inexistants. Par ailleurs, dans les zones rurales et les petites communes, leur situation est dramatique: «Dans certains endroits, les instituteurs vivent un véritable calvaire car ils subissent toutes sortes d'humiliations et de privations [...] Encore aujourd'hui, certains d'entre eux ne sont même pas payés pour le travail accompli» (ibid., p. 67). L'état d'abandon dans lequel se trouve l'éducation des enfants en Espagne est donc dû en grande partie à la situation plus que précaire des maîtres et des écoles.

Quant aux enfants des classes sociales les moins aisées, la situation est catastrophique. En effet, à l'insuffisance des moyens s'ajoute la vulnérabilité sociale et familiale. Le travail des enfants, nécessaire pour le maintien de l'économie de la famille, empêche d'accéder à l'éducation et l'absence de la mère, ouvrière ou travailleuse, prive les jeunes d'une des médiations essentielles pour l'apprentissage de la lecture.

La Familia Cristiana (1876), revue hebdomadaire publiée a Barcelone, souligne dans récits et feuilletons cette dégradation de la vie familiale dont les répercussions sont tragiques pour les enfants. Dans un des récits destines aux familles ouvrières, intitulé Los malos consejos, l'écrivain María de Bell Lloch raconte le drame d'un couple de travailleurs, Alex et Agneta. L'absence au foyer familial de la mère, obligée d'aller à l'usine, l'empêche d'apprendre à lire à ses quatre enfants (La familia Cristiana, 1876).

Promulguée pendant la Première République, la loi du 24 juillet 1873 sur la restriction de la durée du travail (5 heures maximum pour les garçons de moins de 13 ans et les filles de moins de 14, 8 heures pour les garçons de 14 à 15 et les filles de 14 à 17 ans), ne fut pas respectée. Il faut attendre la fin du siècle pour que s'améliore un peu la situation, surtout après l'encyclique Rerum Novarum (1891) de Léon XIII. Dans les «colonias industriales» sont instaurées des écoles gratuites pour les enfants des travailleurs. L'éducation commence dès l'âge de 4 ans et la Revista Católica de las Cuestiones Sociales reconnaît en 1895 que: «La durée du travail des enfants ne devrait pas être supérieure à 7 heures par jour afin qu'ils puissent disposer du temps nécessaire pour aller à l'école et suivre les cours de religion et d'instruction primaire appropriés à leur âge et condition» (Revista Católica..., avril 1895, p. 59)2.

Malgré ce tableau relativement sombre, les enjeux particuliers que représentent la formation et l'éducation vont favoriser différentes initiatives de démocratisation de la lecture: organisation de bibliothèques publiques, récompenses décernées aux manuels scolaires les plus accessibles et populaires, place chaque fois plus significative du livre dans la distribution des prix scolaires, offre gratuite de suppléments de revues sous forme de recueils de contes, de collections de romans ou de pièces de théâtre, et popularisation de la littérature pour l'enfance et la jeunesse3.


Éditeurs et libraires: un vecteur privilégié pour la diffusion de la littérature et de la presse pour enfants

Dans les années 1860, les principaux éditeurs et libraires de Madrid et Barcelone mais aussi de la province vont s'efforcer de diversifier l'offre et de cibler les jeunes lecteurs. Dans cet effort de captation de nouveaux publics, les initiatives de l'Eglise et des catholiques sont nombreuses. Laïcs catholiques et institutions religieuses ont tissé, dans les dernières décennies du siècle, un vaste réseau de bibliothèques, de bibliothèques paroissiales, de dépôts de bons livres et d'apostolats de bonnes lectures en étroite collaboration avec les maisons d'édition «orthodoxes». L'Église s'est évidemment particulièrement intéressée à l'éducation et à la formation de la jeunesse. D'abord à travers l'édition scolaire: ouvrages publiés par des congrégations spécialisées (les salésiens) ou par des associations parareligieuses comme les Escuelas Dominicales, sans parler de la presse qui, comme nous le verrons plus loin, est un des supports de diffusion de la littérature récréative les plus utilisés à la fin du siècle.

En matière de littérature récréative, les institutions et les maisons d'édition religieuses vont largement s'inspirer des initiatives des catholiques français. Au XIXe siècle, une véritable «internationale des bons livres» se met en place avec l'échange substantiel entre maisons d'édition et libraires «orthodoxes» de différents pays. Cette connivence en matière de lectures apparaît de façon évidente dans les catalogues des éditeurs espagnols où la part des romans bien-pensants importés est significative. Les fonds où puisent éditeurs et libraires espagnols sont ceux de maisons réputées en France comme Mame, à Tours, et Mégard, à Rouen, qui proposent, dès 1830, la Bibliothèque de la jeunesse chrétienne et la Bibliothèque spéciale de la jeunesse, sans oublier d'autres éditeurs qui semblent avoir couvert la quasi-totalité de la production, comme Gaume, Casterman et Plon, à Paris et dont les ouvrages alimentent la Bibliothèque des familles chrétiennes et des maisons d'éducation. Mentionnons aussi les initiatives de l'abbé Rousier, fondateur de la Bibliothèque religieuse, morale et littéraire de l'enfance et de la jeunesse. Cette collection destinée à propager, à prix modique, de bonnes lectures pour la jeunesse des villes et des campagnes, propose des titres et des auteurs présents dans les catalogues espagnols: ce sont, entre autres, Le magasin des enfants, de Madame de Beaumont et les histoires édifiantes, de Madame Voillez. Beaucoup des romans qui essaiment en France connaissent un certain succès en Espagne. En 1853, l'éditeur Pons et Cª propose quelques romans traduits du français: il s'agit de valeurs sûres, comme Madame de Staël, Madame de Genlis et Madame Cottin, déjà présentes, dès 1816, dans le catalogue de l'éditeur Cabrerizo. De 1859 à 1865, la Imprenta de las Escuelas Pías offre un pourcentage relativement élevé de romans traduits, pourcentage qui reflète explicitement la dépendance culturelle par rapport à la France4.

Tous ces romans traduits et parfois «adaptés» sont des classiques du genre et les nombreuses rééditions dont ils firent l'objet aussi bien en France qu'en Espagne nous renseignent sur le type de lectures proposées au public catholique du XIXe siècle. Certains noms sont incontournables et correspondent à des écrivains qui bénéficièrent d'un succès certain en France et à l'étranger: Mathilde Bourdon, de son vrai nom Froment, dont les romans furent réédités dix-huit fois de 1851 à 1883, Madame Farrenc dont les œuvres insipides, comme Ernestine ou les charmes de la vertu, connaissent treize rééditions de 1844 à 1875, sans oublier le chanoine Christoph Schmid, figure de proue du roman édifiant pour la jeunesse en Allemagne et dont la production fut traduite, adaptée et diffusée en Espagne jusqu'en 19505.

En direction de la jeunesse, éditeurs et libraires espagnols en général proposent des «collections d'œuvres morales, saines, útiles». Ces éditeurs font preuve dans le domaine de la littérature récréative d'une prudence toute commerciale et précisent, pour la plupart, que les œuvres diffusées ont été approuvées par l'autorité ecclésiastique. Certaines maisons d'édition solidement implantées dans le tissu social conservateur, et même ultraconservateur et bourgeois de Madrid et de Barcelone, proches des institutions religieuses, font néanmoins preuve d'un réel effort de popularisation, de diversification de leur production. Il suffit pour s'en convaincre de constater l'insistance affichée par certaines maisons d'édition pour mettre les collections et bibliothèques destinées a la jeunesse à la portée de toutes les bourses. Ainsi l'établissement madrilène de Antonio Pérez Dubrull, Calle del Pez, n.º 6, qui distribue à partir de 1870 une bibliothèque de romans moraux destinés à la jeunesse, La Familia Cristiana, propose des romans accessibles à tous à 2 réaux le volume tout en affichant des prix supérieurs pour les éditions de luxe. L'éditeur Jaime Subirana de Barcelone annonce, pour sa part, une Biblioteca económica de la infancia et une Biblioteca escogida de la juventud «à la portée des classes les moins aisées» et souligne l'effort particulier réalisé par son établissement, étant donné que ces bibliothèques sont «en ce qui concerne l'aspect économique les moins onéreuses parmi celles qui sont distribuées en Espagne» (Catálogo de las obras de fondo, 1876, p. 6-9). Dans la Biblioteca escogida de la juventud, chaque tome de 280 à 300 pages est vendu 7 réaux broché et 9 réaux relié en percaline anglaise avec des reliefs et des dorures pour des lecteurs plus aisés. La madrilène maison d'édition Saturnino Calleja, fondée en 1876, a mis en place une Biblioteca de Cuentos para niños qui affiche 149 tomes à la fin du siècle6. A cette liste il convient d'intégrer l'établissement catholique de Miguel Casals, Librería y Tipografía católica, qui lance la Biblioteca del Hogar en 1890. Cette collection de romans chrétiens est destinée aux familles chrétiennes, à la jeunesse, et peut servir pour les distributions de prix dans les collèges. Quant à l'éditeur madrilène Tejado, il annonce sous le titre évocateur de El Amigo de la Familia une collection de romans pieux destinés à «distraire honnêtement et utilement les familles chrétiennes».

Un des cas les plus représentatifs de l'activité éditoriale pour les enfants et la jeunesse est celui de la maison Bastinos. Solidement enracinée dans le tissu industriel et commercial de la métropole, la maison Bastinos était devenue, à la fin du XIXe siècle, un des éditeurs et distributeurs les plus importants dans le domaine de l'édition scolaire. Cette spécialisation n'avait pas empêché Juan et Antonio Bastinos de publier plusieurs collections de romans édifiants dont les plus connues étaient la Biblioteca de la Mujer, la Biblioteca Aurora, la Biblioteca Iberoamericana, la Biblioteca Elvira, la Biblioteca de la Adolescencia et la Biblioteca Rosa, où l'on trouve des noms représentatifs du roman édifiant: Enrique Ceballos Quintana, la Baronesa de Wilson, Pilar Pascual de Sanjuan, Teodoro Baró, Carlos Frontaura et Manuel Ossorio, entre autres.

Le précurseur de la maison Bastinos était Ignacio Estivill y Cabot qui, dès 1780, avait ouvert une maison d'édition et une librairie. Célèbre pour son atelier de reliure et ses gravures religieuses, l'établissement Estivill avait aussi été un centre important d'édition et de diffusion de littérature pieuse.

Juan Bastinos Coll, qui entre dans la maison Estivill comme apprenti libraire et épouse Esperanza Estivill, contribue à doter la maison des activités et de l'envergure qu'elle conservera jusqu'à la fin du siècle. Juan Bastinos est bien introduit dans le monde de l'édition et de la presse. Il sait tirer les leçons de l'expérience acquise en tant que lithographe dans le Diario de Barcelona de Antonio Brusi et veut diversifier les activités de l'établissement dont il prend la tête en 1852. En effet, c'est à cette date que s'ouvre la Maison Bastinos, installée dans la rue de la Boquería à Barcelone. L'établissement Bastinos cherche à promouvoir les bonnes lectures accessibles à tous, sans négliger celles qui sont destinées à une clientèle choisie. Cette préoccupation que l'on retrouve dans de nombreuses maisons d'édition catholiques de l'époque se concrétise dans la diffusion de bibliothèques populaires comme la Biblioteca del Obrero en 1874. Par ailleurs Juan, puis son fils Antonio, sont à la fois les promoteurs et les fournisseurs des bibliothèques populaires paroissiales qui se créent un peu partout en Espagne à partir des années 1860. La maison Bastinos est donc bien intégrée dans ce réseau de libraires et éditeurs catholiques qui fonctionnent comme de véritables succursales de l'Église7.

En 1859, Antonio Bastinos succède à son père et prend la direction de la librairie jusqu'en 1899. La maison reste fidèle à sa vocation première, l'édition de livres scolaires, et diffuse un certain nombre de revues à finalité pédagogique comme la revue enfantine Los Niños, dirigée par l'écrivain Carlos Frontaura, et El Monitor de Primera Enseñanza dont Antonio Bastinos est le directeur8. C'est dans ces revues que font leurs premières armes des écrivains connus de l'époque, comme Pilar Pascual de Sanjuan et María Pilar del Sinués. Outre des revues, Bastinos publie des bibliothèques d'ouvrages pédagogiques comme la Biblioteca Económica del Maestro qui regroupait 38 tomes à la fin du siècle et plus de 32 almanachs de 1863 à 1912.

C'est donc une activité intense qui couvre tous les domaines importants de l'édition et qui a pour cible des publics chaque fois plus diversifiés. Le prestige de la maison Bastinos et la situation dont elle jouissait dans le domaine de l'édition scolaire reposaient sur une tradition familiale bien établie et sur des relations privilégiées avec les milieux politiques et religieux. Ami de conservateurs catholiques comme Manuel Durán y Bas, Manuel Planas y Casals, Antonio Bastinos avait été un des promoteurs du «Círculo Conservador» créé au début de la Restauration alphonsine. Il était un des proches de Juan Mañé y Flaquer et du Diario de Barcelona. Par ailleurs ses fonctions d'adjoint au maire de Barcelone, de 1891 à 1893 et de 1899 a 1903, lui avaient permis d'être un des distributeurs prépondérants de manuels, encyclopédies et ouvrages édifiants auprès d'institutions spécialisées comme les centres d'enseignement primaires, les universités et autres centres de formation particulièrement soucieux de l'orthodoxie des œuvres utilisées.

À la fin du XIXe siècle, l'établissement de Juan et Antonio Bastinos était un exemple de réussite au sein du monde de l'édition. Entreprise à part entière dotée d'un atelier d'imprimerie et de gravure, qui avait su diversifier sa production et dont les tirages étaient passés de 200 exemplaires pour certains ouvrages à plusieurs milliers au début du XXe siècle, la maison Bastinos avait perpétué la dynastie d'Ignacio Estivill y Cabot. Elle avait su s'enraciner dans la vie culturelle et politique de Barcelone grâce à un réseau dense de relations avec la presse la plus représentative, comme le Diario de Barcelona et d'autres imprimeurs-éditeurs catholiques9.

Il existe, de la part de ces maisons d'édition, une véritable préoccupation pour la fabrication matérielle du livre, celui-ci étant à la fois un véhicule des idées et un objet attirant susceptible de séduire grâce à la qualité de la reliure. C'est cette conception du livre-objet et livre en tant que représentation culturelle que l'éditeur Bastinos cherche à promouvoir durablement. En 1894, Bastinos présente un projet de création d'une Commission gouvernementale destinée à encourager la création de prix littéraire et à acquérir un grand nombre d'ouvrages susceptibles d'être offerts comme prix et récompenses dans toutes les instances éducatives (Bastinos, 1894, p. 5-6). L'état d'austérité, pour ne pas dire de dénuement de beaucoup d'établissements éducatifs publics mais aussi privés, expliquent que ces éditeurs-libraires aient également été les promoteurs d'une presse spécialisée, et accessible, destinée aux jeunes et aux plus jeunes10.




La presse pour l'enfance et la jeunesse: un compromis difficile entre pédagogie, formation morale et divertissement

Les efforts entrepris pour capter une clientèle jeune vont se poursuivre pendant toute la deuxième moitié du XIXe siècle et le début du XXe siècle avec la diffusion d'une presse qui se veut spécialisée et, en particulier, des revues publiées par les écrivains et journalistes Carlos Frontaura et Manuel Ossorio y Bernard11.

Bien que les revues destinées aux enfants puissent apparaître comme le parent pauvre de la presse périodique, dès la seconde moitié du XIXe siècle, leur développement se confirme (Cazottes, 1982, p. 122). La première publication pour enfants semble dater de la fin du XVIIIe siècle (Gazeta de los Niños, 1798). Parmi les revues qui sont diffusées dans les années 1840, il y a le Museo de los Niños, colección de historias curiosas e instructivas (1842-1843), le Museo de los Niños (1847-1850), le Museo de la Infancia (1851), le Museo de la Juventud (1854), revues qui s'inspirent toutes de la tradition des magazines d'éducation et de récréation publiés en France. En tout, une vingtaine de revues destinées aux enfants et à la jeunesse sont diffusées jusqu'à la fin du siècle, surtout à Barcelone et à Madrid. Malgré leur existence souvent éphémère et leur propos essentiellement didactique, elles témoignent d'une prise de conscience d'une pédagogie de la lecture pour des lectorats particuliers. C'est surtout le cas de publications promues par des maisons d'édition soucieuses de diversifier leur clientèle grâce à la presse et de profiter des talents d'écrivains et de journalistes connus. Les exemples les plus significatifs, à cet égard, sont ceux des revues des dernières décennies du siècle dirigées par Carlos Frontaura, Manuel Ossorio y Bernard et José Novi y Pereda.

Dans l'ensemble, ces publications ont une orientation essentiellement pédagogique et morale et les notions de plaisir et de divertissement sont dosées avec prudence. Quoi qu'il en soit, il s'agit de modifier et d'améliorer les habitudes de lecture en proposant aux jeunes une diversification des genres et en associant les médiateurs de la lecture que sont la famille et les instituteurs. Les revues publiées par Carlos Frontaura reflètent une très nette évolution dans la volonté de plaire et d'intéresser.

Dès le premier numéro de la revue Los Niños (1870-1883) intitulée Revista quincenal de educación y recreo, Frontaura donne la parole aux enfants (Diálogos de niños) de classes sociales différentes, et cette chronique reproduit le langage spontané et naturel de l'enfance. Cette publication, qui s'inspire du Magazine d'Education et Récréation publié à Paris, est destinée aux enfants de 10 à 14 ans et favorise ainsi l'identification des lecteurs aux personnages qui prennent la parole. Ces huit jeunes «collaborateurs» n'échappent pas au propos, fondamentalement pédagogique, du directeur qui est de «faire connaître grâce aux dialogues de nos huit jeunes amis leurs qualités et leurs défauts. Cela sera fort utile, ajoute-t-il, pour les lecteurs qui seront ainsi amenés à imiter les qualités essentielles et à condamner les défauts». Malgré ses bonnes intentions sociales, Los Niños est surtout destinée aux enfants de la bourgeoisie et des classes moyennes aisées. Il suffit pour s'en convaincre de consulter la série d'articles consacrés à l'éloge de certains métiers: sont conseillées aux jeunes lecteurs les carrières d'avocat, de militaire, de capitaine dans la marine marchande, d'écrivain.

Les valeurs véhiculées par cette publication sont celles d'une bourgeoisie conservatrice, cultivée et tournée vers l'Europe. Il s'agit d'une classe pour laquelle l'accès à l'éducation et au savoir sont des éléments consubstantiels au développement économique et social. Si l'éclairage donné aux événements évoqués dans les chroniques et récits historiques est très nationaliste («La batalla de las Navas de Tolosa», «La batalla de Lepante»...), histoire nationale et ouverture sur le monde par le biais des récits de voyage ne sont pas incompatibles.

Il est intéressant de constater une certaine cohérence idéologique de cette revue qui, comme les collections et bibliothèques distribuées par les éditeurs-libraires «orthodoxes», véhiculent des valeurs spécifiques à ce qu'il convient d'appeler le national-catholicisme. Ce dernier, même dilué, est présent dans la description des événements marquants de l'histoire espagnole. L'évocation des «heures douloureuses» vécues par l'Espagne occupée par les troupes napoléoniennes et de sa revanche lors des batailles de Bailen et de Saragosse constituent «la belle épopée de la guerre d'Indépendance» (1er mai 1883, n.º 9, p. 138). Le récit de Teodoro Baró, auteur pour enfants, de la mémorable victoire de Covadonga avec Don Pelayo en 718, est un autre épisode de cette épopée chrétienne au cours de laquelle l'Espagne a affirmé son identité nationale et catholique. Quant à Charles V et a Jean d'Autriche, ce sont «les preux soldats de la chrétienté».

C'est le réflexe identitaire de la part d'une bourgeoisie économiquement forte qui défend sa supériorité sociale et culturelle ainsi que son attachement à certaines valeurs morales et civiques. Une bourgeoisie dont il n'est pas toujours facile de préciser les contours. Ce qui est certain, c'est qu'il s'agit en général de la grande bourgeoisie d'affaires liée aux entreprises les plus importantes du moment, en Espagne comme en Europe, dont l'ascension sociale se confirme pendant la Restauration et jusqu'à la fin du siècle. Par ailleurs, il faut nuancer le cas de la bourgeoisie catalane, et surtout celui d'une moyenne bourgeoisie qui connaît une période de prospérité particulière de 1876 à 1886 (Tuñón de Lara, 1974, p. 181). Plus distante et critique par rapport au pouvoir central, elle cherche à donner une image d'ouverture au monde moderne, au progrès et sa vision de la religion n'est pas incompatible avec la défense de valeurs civiques.

Le contenu culturel proposé n'est évidemment pas accessible aux classes populaires. Comme le prouve Carlos Frontaura, qui incite ses jeunes lecteurs à faire preuve de miséricorde et d'intérêt pour les plus démunis. Il propose une «chronique artistique et culturelle» rédigée par Miquel y Badía. Les récits de voyages pittoresques illustrés par des vignettes modernistes et l'évocation des joyaux architecturaux des villes européennes rappellent que le goût de l'exotisme et la connaissance d'autres cultures sont des thèmes majeurs des illustrations bourgeoises de cette époque.

La rubrique consacrée à la divulgation des notions les plus essentielles d'histoire naturelle, des sciences et de la technique avec des illustrations très soignées et esthétiques, reflète le souci didactique et le culte du progrès très présents dans les illustrations pour enfants et adolescents du XIXe siècle: La Ilustración de los Niños (1849), La Ilustración Infantil (1866), La Ilustración de la Infancia (1877) et une autre Ilustración de los Niños (1878) (Cazottes, 1996, p. 327).

L'exemplarité n'est jamais absente de Los Niños qui cherche à capter les familles bien-pensantes et à rassurer les parents. Dans les leçons d'histoire naturelle, l'accent est souvent mis sur l'origine divine des manifestations de la nature, et le discrédit absolu est jeté sur les théories naturalistes et évolutionnistes (Los Niños, 15 mai 1883, n.º 10, p. 159).

La morale chrétienne est distillée en général de façon discrète, sous forme de récits et narrations, petits sermons rédigés par les écrivains les plus en vue, comme Antonio Trueba, Teodoro Baró, Pilar Pascal de San Juan. Tous les genres sont représentés, mais le conte occupe une place privilégiée. Une partie de ces contes, importés de l'étranger, sont ceux des frères Grimm, d'Andersen et du chanoine Christoph Schmid. Mais le jeune public retrouve les recueils autochtones les plus vendus par Antonio Bastinos, Subirana ou Saturnino Calleja Fernández dont la maison d'édition, située Calle de Valencia, est fondée en 1876. Sans aucun doute, les revues pour l'enfance et la jeunesse et destinées à de jeunes lecteurs de familles bourgeoises bien-pensantes et autres classes aisées devaient bénéficier d'un label d'orthodoxie indispensable au succès commercial. Les prix affichés, 12 réaux pour un trimestre, constituaient un premier critère de sélection.

Bien que cette revue, comme celles que lance plus tardivement Carlos Frontaura, soit le vecteur d'une idéologie très conservatrice, elle illustre dans ses intentions pédagogiques une incontestable modernité et ouvre la voie à l'évolution postérieure de la presse spécialisée pour la jeunesse.

En effet, pour Frontaura, l'apprentissage et la formation ne peuvent se faire sans plaisir. Dans Los Niños, l'enfant n'est pas considéré comme un petit adulte, et il y a une réelle préoccupation concernant les aspects physiologiques et intellectuels de l'évolution. L'équilibre psychologique est tributaire d'un corps sain. Des notions d'hygiène dessinent les contours encore flous de la physiologie des enfants et reflètent l'intérêt grandissant pour la médecine.

Par ailleurs, pour tout ce qui est développement de l'esprit, il convient de favoriser l'éveil, de susciter la curiosité naturelle de ces jeunes lecteurs. Frontaura insiste sur le bien-fondé d'une méthode socratique favorable au raisonnement et à une certaine autonomie intellectuelle. Bien que l'éducation de l'esprit aille de pair avec celle du cœur et de l'âme, Frontaura affirme sa confiance dans la nature humaine et propose aux familles et éducateurs des apprentissages graduels qui vont du plus simple au plus complexe sans négliger aucun domaine de connaissances12. La section «développement intellectuel» propose charades, problèmes de mathématique et exercices divers permettant, du moins en principe, un auto-apprentissage.

Le succès de Los Niños, dont Frontaura fait état, l'incite à diffuser d'autres publications plus en accord avec l'âge des lecteurs concernés. C'est le cas de La Primera Edad (1873) destinée aux jeunes enfants de 7 ans et moins. Encore une fois, le propos généreux, mais peu réaliste, de toucher des lectorats de couches sociales différentes ne se reflète pas dans le contenu de la revue. Les fillettes sont les principales destinataires de cette publication qui offre travaux de découpages et modèles pour fabriquer des vêtements de poupée. Les tenues vestimentaires proposées, qu'il s'agisse de celles utilisées pour faire du patin à glace ou des promenades en plein air, ne sont pas appropriées à la réalité des classes ouvrières13.

Ce qui présente un intérêt particulier est l'évolution du contenu plus adapté au public visé: il convient de donner le goût de la lecture grâce à des récits très brefs alternant avec de nombreux jeux. Une place privilégiée est également accordée à la pratique de l'écriture. L'intention moralisante amortit néanmoins l'originalité d'une publication dont les références littéraires sont invariablement les mêmes: l'écrivain femme et pédagogue Robustiana Armiño de Cuesta et la baronne de Wilson, modèle de vertu dans le monde littéraire chrétien.

Dans les deux autres revues, publiées postérieurement par Frontaura et diffusées toujours par l'établissement Bastinos, un réel effort est accompli pour capter l'intérêt grâce aux gravures, illustrations d'artistes, connus comme Ruidavets, Alcázar et Ortego, et à la diversification des genres. La présentation visuelle, grâce aux progrès de la photogravure, est plus séduisante. Dans La Edad Dichosa, qui paraît tous les 10 jours à partir de l'année 1890, revue intitulée «ilustrada de instrucción y recreo para niños y niñas» entre 7 et 10 ans, il y a plus de 350 dessins et illustrations. Un espace moindre est accordé aux connaissances techniques et contes, poésies (destinées à développer la mémoire) et petites pièces de théâtre alternent avec des exercices intellectuels variés. Il s'agit dans ce cas de susciter une relation interactive, pourrions-nous dire, avec le public. En effet, ce sont les jeunes lecteurs qui sont sollicités pour proposer concours et jeux, une récompense étant accordée aux auteurs de charades les plus ingénieux. Pour inciter les lecteurs à participer au concours et par conséquent à acheter la revue, La Edad Dichosa publie systématiquement le portrait ou la photogravure de l'heureux gagnant.

Malgré ces efforts pour séduire et plaire (deleitar), la revue est imprégnée de didactisme: les illustrations et gravures ne sont la plupart du temps que des prolongements du texte destiné à inculquer valeurs chrétiennes et civiques aux enfants des classes aisées et bourgeoises. À titre d'exemple, citons la gravure intitulée «L'enfant pauvre» dont la finalité est soulignée par ces propos: «Chers lecteurs, enfants dont les parents sont aisés et vous offrent non seulement ce qui est nécessaire mais aussi superflu, n'oubliez pas qu'il y a de nombreux enfants dans la misère car leurs parents ne sont pas aussi privilégiés que les vôtres» (La Edad..., janvier l888, p. 49).

La même volonté transparaît dans la chronique «Enfants exemplaires» (Niños históricos). Ces brefs récits illustrant les différentes époques de l'histoire espagnole mettent en scène les faits et comportements héroïques d'enfants exceptionnels comme Martín Alhaja qui participa à la bataille de Las Navas de Tolosa. Propos moralisateurs mais aussi très élitistes, destinés aux jeunes et aux familles d'une classe privilégiée, consciente de son rôle social hégémonique.

Les préoccupations pédagogiques de Carlos Frontaura sont également très présentes dans la dernière revue qu'il commence à publier en janvier 1899, La Infancia, intitulée «periódico para niños», publiée quatre fois par mois au prix de 25 centimes par mois, et qui s'adresse à un public d'enfants de 10 à 14 ans. Cette revue reflète le souci permanent de son directeur et de l'établissement Bastinos de se mettre à la portée du public visé. Il n'est pas question de diffuser encore une revue comme tant d'autres, mais une publication rédigée par les enfants: «Nos rédacteurs seront les enfants et nous ne vérifierons leurs articles que pour y apporter les légères corrections indispensables à ce genre de contribution» (La Infancia, 23 janvier 1899). Cette approche résolument moderne d'un point de vue pédagogique tente d'atténuer la présence et la vision contraignantes du monde adulte dans une revue pour de jeunes lecteurs. Force est de constater que les revues dont s'occupe Carlos Frontaura ne cessent d'évoluer et de s'adapter à l'environnement et aux demandes de ce lectorat particulier.

La volonté de se «spécialiser», de diversifier l'offre est également très présente dans trois autres publications qui connurent un certain succès à la fin du XIXe: La Niñez (1879-1882), El Mundo de los Niños (1887) de Manuel Ossorio y Bernard, ainsi que La Ilustración de los Niños, que dirige José Novi y Pereda à partir de 1878.

La Niñez, qui paraît les 5, 15 et 25 de chaque mois, au prix de 12 réaux par mois, est assez ambitieuse. Cette publication de 16 pages, «avec des gravures d'artistes réputés» apporte un soin tout particulier à l'iconographie. Elle compte, en outre, sur des collaborations littéraires de qualité: María del Pilar Sinués, Joaquina García Balsameda, Emilia Pardo Bazán, Eugenio Hartzenbush et Antonio de Trueba.

La gravure de la première page laisse pressentir l'austérité de cette revue probablement destinée à un public de 7 à 12 ans: de jeunes enfants sont plongés dans la lecture de la revue. Il s'agit de deleitar, de plaire et de séduire mais surtout «d'instruire». La déclaration d'intention du premier numéro ne laisse aucun doute à ce sujet: «Publier une revue qui soit le meilleur compagnon de nos jeunes lecteurs, qui les instruise tout en les divertissant, qui de façon désintéressée leur indique le chemin du bien, forme leur intelligence et contribue à préserver la pureté et la noblesse des sentiments et de l'âme» (La Niñez, janvier 1879, p. 2).

Il s'agit d'une revue qui s'adresse aussi aux parents, médiateurs indispensables, et aux maîtres. Comme Frontaura, M. Ossorio y Bernard déplore les insuffisances de l'éducation en Espagne et souligne la désastreuse situation des enseignants. Persuade du rôle indispensable de la presse en matière de socialisation et de diffusion culturelle, il reconnaît que les imprimés et ouvrages pour la jeunesse sont générablement trop arides et qu'il faut trouver de nouveaux moyens pour développer «la curiosité instinctive des enfants». Ces moyens sont avant tout les revues spécialisées pour l'enfance et la jeunesse qui doivent éviter «la dimension excessivement didactique et se fonder sur des méthodes innovantes». Dans de nombreuses sections intitulées de façon significative: «Pensées morales», «Pensées et maximes», la religion est très présente. Mais, par ailleurs, des concessions sont faites à la modernité grâce à un espace substantiel réservé au théâtre: un théâtre destiné à être lu mais aussi représenté par les enfants dans leurs établissements respectifs. Il s'agit de comédies courtes en un acte. Les pièces dont les auteurs sont connus (Ossorio y Bernard, Castillo y Soriano, Manuel Sala Julien) sont regroupées dans la collection Teatro de salón. Repertorio para niños y jóvenes et sont offertes aux abonnés fidèles. Les tarifs et remises exceptionnelles proposés rappellent les difficultés financières de cette presse, difficultés que le directeur de la revue reconnaît lui-même dans un bilan publié à la fin de l'année 1879. Les «grands sacrifices financiers» mentionnés par Ossorio y Bernard sont dus au manque de réceptivité des familles et jeunes lecteurs en ce qui concerne ces publications. Ces propos reflètent en effet l'essor beaucoup plus limité en Espagne de ce type de presse spécialisée par rapport à d'autres pays comme la France, où la part destinée aux contes, récits et narration est plus conséquente.

Ce n'est donc pas un hasard si dans El Mundo de los Niños (1887), publiée les 10, 20 et 30 de chaque mois au prix de 4,50 pésètes par semestre, Manuel Ossorio privilégie les contes et histoires et les prolonge d'un numéro à l'autre, comme s'il s'agissait d'un feuilleton. Les collaborateurs littéraires sont de qualité mais moins nombreux que dans La Ilustración de los Niños (1878-1883), dirigée par José Novi y Pereda. Cette revue bimensuelle dont le prix est de 8 réaux par mois, très luxueuse et destinée de toute évidence aux jeunes enfants (entre 8 et 12 ans) des classes aisées, semble avoir connu un grand succès14. La Ilustración de los Niños n'échappe pas à la finalité essentielle -celle de l'instruction et de la moralisation- et propose des articles sérieux sur l'enseignement, l'émancipation des femmes à qui une large place est réservée en tant que collaboratrices. Parmi les plus connues et les plus prolifiques, citons Angela Grassi, Faustina Saez de Melgar, Joaquina Balsameda. Plus commerciale que les autres publications précédemment citées, elle consacre une page entière à de la publicité: ouvrages pédagogiques, romans, recueils de contes, pièces de théâtre sont proposés et cette section constitue un véritable guide de lecture des familles.

Toutes ces revues, qui connurent une période de publication relativement limitée, sont essentiellement instructives et didactiques et, malgré des efforts constants pour «plaire» et intéresser (recours aux nouvelles techniques de la photogravure, vignettes épurées et stylisées évocatrices de la bande dessinée, plus grande variété de jeux, participation des jeunes lecteurs par le biais de chroniques spéciales et de concours), elles durent affronter de sérieuses difficultés financières15. Comme beaucoup de journaux et revues destinés aux adultes, ces publications reflétaient la personnalité et les valeurs idéologiques de leurs propriétaires et rédacteurs. Elles ne bénéficiaient pas d'une véritable stratégie de diffusion commerciale et ne touchaient qu'un public limité. Elles constituent néanmoins un élément essentiel dans le domaine de la communication sociale et de l'histoire culturelle du XIXe siècle: identification des médiateurs de la lecture et/ou des types de lectures proposées aux enfants et aux jeunes, représentation de différents lectorats potentiels, prise de conscience d'une pédagogie de la lecture, préoccupations nouvelles concernant la physiologie et la psychologie de l'enfance.

La diffusion de ces revues s'accompagne d'un réel effort pour populariser la amena literatura: les romans et recueils de contes comme ceux de María del Pilar Sinués, parus dans plusieurs bibliothèques, ont atteint au moins cinq rééditions à la fin du siècle et les talents littéraires du jésuite Luis Coloma, auteur de récits et contes pour enfants, furent très vite mis à contribution afin de susciter l'intérêt de publics variés. Qu'il s'agisse de récits brefs, de contes, de feuilletons, de poésies ou de théâtre, nombreux furent les écrivains qui finirent par se spécialiser dans la littérature récréative pour l'enfance et qui contribuèrent à l'essor de cette presse spécialisée.








Bibliographie

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  • Bravo-Villasante, Carmen, Historia de la literatura infantil española, Madrid, Revista de Occidente, 1959.
  • Botrel, Jean-François, Libros, prensa y lectura en la España del siglo XIX, Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez, 1993.
  • Cazottes, Gisèle, La presse périodique madrilène entre 1871 et 1885, Montpellier, Université Paul Valéry, 1982.
  • Cazottes, Gisèle, «Las Ilustraciones en la prensa infantil madrileña del siglo XIX», in La prensa ilustrada en España. Las Ilustraciones, 1850-1920, Montpellier, Iris, 1996, p. 328-339.
  • García Padrino, Jaime, Libros y literatura para niños en la España contemporánea, Madrid, Fundación Germán Sánchez Ruipérez, 1992.
  • Mollier, Jean-Yves, La lecture et ses publics à l'époque contemporaine. Essais d'histoire culturelle, Paris, PUF, 2001.
  • Perrot, Michelle, «Figures et rôles», in Histoire de la vie privée. De la révolution à la grande guerre, Paris, Editions du Seuil, 1999, p. 109-173.
  • Tuñón de Lara, Manuel, Estudios sobre el siglo XIX español, Madrid, Siglo Veintiuno de España Editores, S. A., 1974.


 
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