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ArribaAbajoVolontaires

J'avais 17 ans. On est parti, quatre copains, le 4 août 1936, de Pamiers, pour La Tour-de-Carol, Puigcerdá, Barcelone. Arrivés le 6 août, on nous a conduits à la caserne de Pedralbes. Après que l'on nous ait donné un mousqueton tout neuf et deux paquets de cinquante cartouches, on est partis de Barcelone, le 13 août, et après diverses escarmouches, nous sommes arrivés à 3 km d'Huesca où on a subi notre premier bombardement.

J'ai fait les fronts de Huesca, Teruel, Valence et Andalousie. Fait prisonnier à Valence, je me suis évadé en mai 1939 et rejoint Barcelone et l'ai pu atteindre la France, en octobre 1939.

Antoine GARCÍA, à Quint-Fonsegrives.

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Casa de Campo, sur le front de Madrid, on attend l'assaut.
-Photo archives «La Dépêche»




ArribaAbajoLe départ de grand-père

Je suis née dix-neuf ans après le coup d'Etat qui déclencha la guerre civile en Espagne. Pendant les années de mon enfance, j'ai cru que mon grand-père était vivant et qu'il reviendrait. Arrivé en France, en 1926, recruté dans ses Asturies natales par les compagnies charbonnières françaises, il a travaillé dans diverses mines avant de se fixer à Decazeville. Il a rejoint les Brigades internationales aux premières heures de l'été 1936. Porté disparu à Teruel, fin 1937, sa famille n'en a été avertie qu'en 1939.

Il y a une dizaine d'années, j'ai demandé à mon père de rassembler ses souvenirs. Il avait 6 ans quand son père est parti. Et mêlant mémoire et imaginaire, j'ai écrit ce texte...

«Il replia soigneusement le papier en quatre, lissant machinalement les plis. Il s'était arrêté à l'extrémité du carreau de la mine et semblait fixer un point, loin au-dessus du terril. Les appels de Muñoz le firent sursauter.

»Il voulut avancer à sa rencontre mais ses pas étaient hésitants. Ses jambes rivées dans le poussier de charbon refusaient d'aller. Il s'ébroua. Muñoz volubile et gesticulant le rejoignit.

-Tu viendras, n'est-ce pas? Moi j'y serai à la première heure. Si je peux, je serai le premier. Et toi?

»Lui? Il ne répondit pas. Il porta ses yeux vers le haut de la ville, le quartier espagnol rougeoyait dans le soleil couchant.

-C'est un signe, dit-il à haute voix.

»Il se mit en route en silence, puis dans un calme sourire:

-Si tu es le premier à t'inscrire, permets que je sois le deuxième.

»Le long des rues en pente, les enfants couraient, dévalaient les escaliers à la rencontre des hommes mais, aujourd'hui, nul ne songeait à venir se frotter à eux, pour se noircir et jouer à la mine. N'osant s'adresser à leurs pères, les plus audacieux interpellaient les grands frères:

-Tu pars? Quand?

-Avec qui? Et qui encore?

»Puis se tournaient vers le haut:

-Le julien! Le Monolo! Le Ruiz! L'Esteban!

»Et les femmes sortaient des cours, se montraient au balcon.

-Le Sánchez!

-Lequel?

-Le Bartoloméo! Le Mateo, le jeune!

»Et les femmes rentraient chez elles, défaisaient leurs chignons.

-L'Escalera, le père!

-Le Chino! L'Antonio! L'Eusebia cria la première, sa fille ferma les volets.

-Le José de l'Amelia!

»Et les femmes se précipitaient dans la rue, prenaient les petits dans leurs bras. Papa, papa aussi y va! Julien partit comme une flèche, au passage il entraîna sa soeur avec lui. La petite se mit à pleurer.

»Il butait sur les pavés de la ruelle. Sa mère attendait sur le pas de la porte, les mains nouées sur son tablier relevé.

»Julien reprit son souffle. Elle laissa retomber ses bras. Les cosses de haricots roulèrent.

-Cet homme me fera mourir! Qu'est-ce qu'il a besoin d'y aller. Et nous? Il y pense? Qu'est-ce qu'on va devenir?

»Le lendemain, le seul à être vraiment triste était Angel. Sa mère était veuve depuis l'automne et, s'il avait six soeurs, il n'avait aucun frère!

Et quand il s'était présenté à la salle du cinéma qui servait de bureau de recrutement, on l'avait refusé. Douze ans, c'était trop jeune.

»Pour se racheter, en homme d'honneur il se joignit aux femmes. Elles avaient monté une sorte d'atelier où elles confectionnaient des banderoles et un immense drapeau rouge aux lettres d'or.

»Le samedi soir, elles l'accrochèrent à l'entrée du quartier au-dessus du lavoir. Entre l'école et la coopérative, on pouvait lire autour de la faucille et du marteau: «Brigadas internationales».

»On dansait. Les Italiens étaient venus les rejoindre. Ils avaient amené un accordéon. Julien, saoul de bruit, de poussière et de chaleur, chancelait entre les jambes des adultes. Son père le saisit sous les bras et le jucha sur ses épaules. Il l'entraîna dans la danse. Quand il eut tournoyé, viré, sauté, son père d'une main le fit glisser à terre. Julien s'appuya contre un mur. Mal au coeur, envie de rire, envie de pleurer. Plus tard, il pensa avoir dormi, il entendit le rire de son père et celui de sa mère qui lui faisait écho. Il les vit valser, le frôlant presque et disparaître parmi les amis et les voisins.

»Puis son père sortit un papier de sa poche, le déplia et sans le lire le replia, lissant machinalement les plis puis le froissant et le jetant dans la rigole du lavoir lui tendit la main:

-Allons, il est temps, rentrons!

»Le lendemain matin, Julien, fatigué de la fête, se réveilla trop tard pour voir son père partir.»

Annick FERNÁNDEZ PLENACOSTE, à Aubin.



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ArribaAbajoLe passage de l'Ebro

Au mois de juillet 1938, nous primes position à proximité de l'Ebro. Je me débarrassais de tout ce qui pouvait me gêner: vêtements, effets de toilette. Je laissais tout chez un paysan.

Enfin à l'aube, la 11e division à Lister passa à l'attaque. La 101 brigade de Campesino à effectif réduit de moitié faisait la couverture.

Nous attendions notre tour dans les tranchées.

Enfin, nous traversâmes l'Ebro jusqu'à atteindre la route de Mora. A Gandesa, notre compagnie fit cent cinquante prisonniers dans la journée du 24 juillet. Dans l'après-midi, l'aviation commença à nous mitrailler. Le soir venu, je me soignais les pieds avec des bandes. Je ne m'étais pas encore endormi, vers 11 heures, qu'on sonna le rassemblement. Ce fut au pas de course que nous atteignîmes le village de Pinell, morts de fatigue. Le maire nous ravitailla d'un vin généreux. Dans la nuit du 27 juillet 1938, nous empruntâmes aux alentours de Pinell le tunnel du chemin de fer qui débouche à la Sierra de Pandols et toute la division de Campesino fut rassemblée derrière cette protection naturelle.

Mais, quand l'état-major décida de conquérir le terrain bosselé devant nous le jour était bien levé.

La colonne s'ébranla. Mon capitaine occupa la partie gauche en bas de ces collines et avec un courage extraordinaire il put se frayer un passage. Nous le suivîmes car les obus pleuvaient de tous côtés. Tous les officiers des deux autres sections furent blessés sons pouvoir se rendre maîtres du versant d'où, déjà, l'ennemi nous tiraillait. Nous perdîmes, ce jour-là, un tiers de nos deux sections. Je pris pour la première fois le commandement. Je fis élever des barricades. Je priais un garçon très ancien, un de ces «toreros» dans l'unité, et de confiance, de s'avancer prudemment afin devoir si la troupe qui nous tirait dessus état bien celle des rebelles. «Je te protège mais surtout ne te laisse pas prendre.» Dès qu'il fut près de la position ennemie, quatre soldats se lancèrent après lui. Notre troupe qui n'avait pas eu encore de contacts avec l'ennemi fut prise de panique et, à l'éclatement des grenades, les soldats s'enfuirent. Je restais seul au milieu et ce fut sous la menace d'une grenade à main que je fis remonter tout mon monde dans la position.

Maintenant tout était clair pour moi, j'en profitais pour organiser notre défense car la contre-attaque ne se ferait pas attendre. Mon «torero» l'avait échappé belle. Il reçut une balle dans une cuisse. Je regrette d'avoir oublié son nom.

Victoriano MARTÍN-CONDE, à Tarbes.

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L'armée républicaine dans les rues de Teruel. -Photo archives «La Dépêche»




ArribaAbajoLes enfants de la nuit

Je venais de fêter mes 17 ans. Nous venions tous de Reus et nous appartenions aux Jeunesses socialistes.

Avec trois camarades, nous sommes partis pour Barcelone, à la caserne où se trouvait un commissaire de brigade que nous connaissions. Nous lui avons demandé de nous incorporer dans un corps dangereux.

Il nous a envoyés à Vallorex, près de Barcelone, où il y avait un corps de guerilleros dénommés «niños de la noche» (enfants de la nuit).

Là, nous avons appris à nous servir des explosifs.

Le 26 novembre 1936, on nous a envoyés à Cañanas. Il a commencé à neiger. Notre travail consistait à passer dans la zone fasciste. Chaque groupe était constitué de huit personnes. On nous avait conseillé de garder la dernière balle au cas où l'un d'entre nous tomberait dans les mains des fascistes.

Au mois de janvier 1938, j'ai passé les lignes fascistes pour la dernière fois. Nous allions faire sauter un pont et le guide qui était avec nous pensait qu'il n'était pas surveillé. Il y avait la Garde civile; une fusillade a éclaté.

Au lieu de nous diriger vers nos lignes, c'est le contraire que nous avons fait; nous sommes restés trois jours cachés dans la zone fasciste aux portes d'un village. Puis, nous avons pu rejoindre la zone républicaine.

Et le 1er septembre 1939, j'ai été arrêté vers Valsequillo. Je ne me suis pas rendu. J'ai fêté mes 20 ans dans un camp; j'étais prisonnier de guerre. C'était à Larache. On nous faisait semer du blé. De deux cents que nous étions, seuls vingt n'ont pas attrapé le paludisme. Puis, on nous a emmenés a Algésiras, nous construisions des routes.

Pour avoir tenté de m'évader, on m'a attaché durant vingt-quatre heures avec du fil de fer barbelé. Quand j'ai pu m'échapper pour de bon, je suis parti vers la Sierra; j'ai marché pendant trois mois.

Repris, j'ai passé un an dans les geôles de Ubrique et de Grazolema; et plus tard, l'ai fini dans la célèbre et triste compagnie punitive de la Sierra Carbonera.

Là-bas, nous n'étions plus des hommes mais des cadavres. J'avais près de 26 ans, lorsque je suis retourné à Reus, huit ans et demi après mon départ.

Jusep AIGUADA-MARCA, à Montauban.




ArribaAbajoLes passeurs

La Commission internationale de contrôle de la Non-Intervention dans notre ville fit arrêter quatre Luchonnais qui ravitaillaient les hauts villages du Val-d'Aran, en même temps qu'ils faisaient passer des volontaires pour servir dans les Brigades internationales. Il s'agissait de Pierre Guerre, commerçant; Jean Soubadie, douanier; René Bordes, instituteur, et Augustin Balthazar,   —31→   recruté à Huesca, en 1922, pour la construction de l'usine à gaz.

On les transféra à la prison de Saint-Gaudens. Il y eut des interventions et ils furent libérés à l'exception d'Augustin Balthazar qui fut interné dans un camp des Pyrénées-Orientales.

En 1938, je passais le conseil de révision. Lorsqu'on vint nous recommander d'être très discrets dans nos réjouissances. C'était le 2 avril, la 43e division de l'armée républicaine espagnole franchissait la frontière au port de la Picade, en même temps que des nombreux civils. Les guides luchonnais, Coulat «dit Fiscal», François Ladrix, Jean Binos allèrent tendre des cordes le long des sentiers fortement enneigés en bordure des précipices. Une jeune femme y perdit la vie en chutant au Pas de la Montjoye.

Enfin, au mois de septembre de la même année, les franquistes occupèrent le Val-d'Aran, ce fut une occasion pour les chefs de la droite locale de se manifester en allant au col du Portillon saluer les troupes de Franco.

Henri POTTIER, à Luchon.




ArribaAbajoUn camion

Volontaire dans la «colonne Marato» en 1936, sur le front de Grenade en Andalousie, à Guadix, non loin de la Sierra Nevada, je fus mobilisé à Lérida au «Cuartel del Seminario».

J'étais chauffeur du bataillon du train de la 144e brigade mixte, 44e division du 12e corps d'armée républicaine.

Avec un copain, nous conduisions un camion russe de marque Katiuska. Toutes les nuits, au front de l'Ebre, nous allions, tous phares éteints, vers la première ligne du front, la tête hors de la portière, pour éviter les trous d'obus. Nous laissions les vivres et les munitions et, au retour, nous ramenions des blessés.

José HERNÁNDEZ, à Montoubon.




ArribaAbajoVingt ans sous un faux nom

Je me suis retrouvé, en juillet 1936, berger dans un village de la région de León. J'étais très près du front. Je me souviens qu'on était beaucoup d'Asturiens. Nous étions des amis, républicains, et nous sortions le soir en chantant des chansons révolutionnaires. L'une d'entre elles disait ceci: «Nous sommes des communistes, des révolutionnaires, nous luttons pour la liberté, nous voulons que cessent les injustices et que disparaissent les inégalités. Aïe, aïe, aïe tyran bourgeois, aïe, aïe, aïe, quel mal tu fais, aïe, aïe, aïe que vive notre union...».

Nous nous rendions souvent au comité de guerre.

Je me souviens aussi qu'un après-midi où nous gardions les vaches, Gerónimo et moi, près du front, des avions ont largué des bombes et les vaches sont devenues folles et se sont échappées. Quant à nous, nous étions terrorisés, cachés derrière un rocher. Finalement, nous avons pu, aidés par des «rouges», rejoindre le village. Grâce à Dieu, aucune vache ne fut touchée.

Après la victoire de Franco je suis resté en Espagne et j'ai fait de la résistance au régime. Sous une fausse identité: Manuel Fernández Hevia. Et c'est sous ce nom que je suis passé en France en 1943. J'ai vécu avec ce nom durant près de vingt ans. Je ne suis revenu en Espagne qu'un an après la mort du dictateur.

Dolphin CASTANON, à Coudebronde.

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Un soldat nationaliste s'est coiffé d'un vieux casque
allemand trouvé dans les ruines d'Irún.
-Photo archives «La Dépêche»




ArribaAbajoMon père et Tito

En 1936, j'avais 18 ans. A Palafruguell (Costa Brava), mon père s'occupait d'une librairie. A part les manuels scolaires, on n'y trouvait que des livres anarchistes.

Au moment de la guerre, j'ai voulu me rendre utile. J'étais alors aux jeunesses libertaires, à SIA (Solidarité internationale anti-fasciste) et au syndicat CNT.

Je suis pacifiste. Alors, même si nous faisions un peu de service militaire, j'ai préféré conduire des ambulances.

A Palafruguell, sont arrivés de nombreux enfants qui venaient de Gelsa del Ebro (Saragosse), à cause des bombardements. Chez nous, nous avons adopté la plus jeune, Pilar, une petite fille âgée de 3 ans.

Mon frère étant au front, nous avions une grande chambre de libre dans laquelle se sont succédé les réfugiés, en 1937 et en 1938.

Un volontaire des Brigades internationales m'a particulièrement marquée. Il nous avait dit qu'il était Yougoslave et qu'il se prénommait Vladimir. Il dialoguait souvent avec mon père qui répétait qu'il était contre toutes les sortes de dictatures, qu'elles soient rouges ou noires.

Vladimir était grand et assez costaud. Il prenait mon père -petit et mince- dans ses bras et le soulevait en lui disant: «Quand la guerre sera finie, je t'amènerai dans mon pays et tu verras que le communisme n'est pas si méchant que tu crois». Il disait aussi que Vladimir, c'était son nom de guerre.

Je ne suis revenue à Palafrugell que vingt-cinq ans plus tard. Beaucoup de gens m'ont dit, alors, que Vladimir s'appelait, en fait, Tito. J'ai tardé y croire. Aujourd'hui, je regrette de ne lui avoir jamais écrit.

Rose LAVINA-GUILLEMAU, à Toulouse.



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ArribaAbajoLe numéro 15

Le 19 juillet 1936, il était 18 heures quand débouchèrent, de la rue principale, sur la place l'Alfajarín, vingt ou trente phalangistes armés. Je me souviens, encore que beaucoup de ceux-là avaient été mes amis d'enfance.

Les travailleurs syndiqués à la CNT et à l'UGT, ainsi que ceux qui n'étaient pas du tout syndiqués, ont tenté de réagir. Mais avec quoi? Seuls quelques-uns disposaient de vieux fusils de chasse. Les autres se sont armés de faucilles, de fourches en fer, de bâtons, de couteaux; et même on a pu voir quelques vieux Browning... Mon père, un de mes frères et moi, nous nous sommes enfuis de Alfajarín. C'est pour cela que, à ma mère comme à bien d'autres femmes, ils ont tondu la tête et leur ont ensuite fait balayer la route pour les rabaisser et «les apprivoiser». Et, un matin, deux gardes civils se sont présentés chez nous pour amener ma mère. Elle fut conduite en prison.

Ma mère eut le numéro 15.

Il s'en est suivi un appel. Lorsque son tour est arrivé, ma mère est allée intégrer le groupe de ceux qui devaient être fusillés. Mais au moment où a été annoncé le numéro 17, le sergent de la Garde civile a dit que celui-là ne devait pas être fusillé. Alors, le chef local de la Phalange a répliqué que si celui-là n'était pas fusillé personne ne le serait ce jour-là.

Cet espèce de sursis fut mis à profit par ma famille. Quelqu'un a dit à ma soeur de 14 ans qu'il faudrait aller voir une fille que ma mère avait allaitée pendant longtemps et qui avait grande influence dans les milieux phalangistes. Ma soeur s'est présentée à la fille en question. Celle-ci est allée parler à un chef, lequel a ordonné de laisser repartir ma mère.

Gabriel-José ALONSO VALERO, à Toulouse.

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L'entrée des républicains dans un village aragonais.
-Photo archives «La Dépêche»




ArribaAbajoLe brasero des écoliers

Les premiers froids arrivaient de bonne heure, cette année de 1936. Dans cette région du Haut Aragón, les nuits se couvraient d'un épais manteau de brouillard et le jour se levait, recouvert d'un givre épais.

Tout le monde grelottait. Les enfants avaient froid à l'école et nous n'avions pas de quoi nous chauffer.

Les autorités du village furent saisies pour que le nécessaire fût fait en vue d'installer un chauffage d'appoint.

Dans l'attente, nous trépignions et nous claquions des dents. Nous restions emmitouflés dans nos pardessus et nos grosses vestes. Les pieds, même bien chaussés, claquetaient sur le ciment. On commençait à parler de suspendre les classes les jours de grand froid, au grand mécontentement des élèves qui avaient opté pour «résister».

Un matin, presque tous se présentèrent avec des boîtes en fer blanc, rondes ou carrées, fermées, avec une anse faite d'un fil de fer... Des braises incandescentes dedans. Assis derrière les pupitres, leurs boîtes par terre, les pieds calés dessus, ils lâchèrent des soupirs de bien-être et de satisfaction... Il en fut de même l'après-midi et les trois ou quatre jours suivants avant l'arrivée du matériel de chauffage. Un énorme poêle un peu vieillot et des gros tuyaux.

On riait! On riait encore! Même dans ces moments là que la guerre faisait verser tant de larmes.

José PUIG-THOMAS à Capdenac.




ArribaAbajoDes avions

En 1938, je voyais passer devant ma porte, à Auvillor, sur le CD 12, les semi-remorques en provenance de Bordeaux et en direction de l'Espagne, chargés de grandes caisses en bois contenant des avions de chasse soviétiques envoyés par l'URSS aux républicains espagnols.

En 1939, militaire à la base de Francazal, j'ai vu atterrir une quinzaine d'avions de chasse républicains qui avaient fui au dernier moment. Quelques mois plus tard, des mécaniciens et des pilotes, dont je pense, sans en être sûr, qu'ils étaient franquistes, sont venus remettre ces avions en état de vol et les ont certainement ramenés en Espagne.

Maurice BERRIER, à Auvillor.




ArribaAbajoDans le génie

Je suis madrilène et c'est à Madrid même que j'ai vécu le début de la guerre. J'ai participé aux travaux de fortification de la capitale et, à l'automne 1936, à la célèbre bataille de Madrid. Par la suite, j'ai pris ma part sur tous les fronts de la «zone centre» (Brunete, Guadalajara, etc.)

En 1938, j'ai quitté le centre pour la Catalogne... Tous ces périples guerriers, en tant que capitaine du génie, moi qui avais terminé mon service militaire comme simple «troufion»! Explication: lorsque la guerre a commencé, j'étais jeune architecte municipal à Charmantin de la Rosa (petite ville au nord de la capitale) et de par mon métier je fus promu dans le génie.

M. MARCOS, à Lescure-d'Albigeois.



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ArribaAbajoBarcelone sous les bombes

J'avais 20 ans. J'habitais Valence. Sorti en mars 1937 de l'école d'artillerie, je suis nommé lieutenant dans la DCA.

En tant qu'ancien défenseur de Barcelone, je voudrais faire l'historique des bombardements que la ville a subis.

Le premier a eu lieu le 16 janvier 1937, il a été exécuté par le sous-marin italien «Torricelli». Il émergea face au port et lança quarante-trois coups de canon sur les bateaux ancrés au port et sur les dépôts de carburant de la Compagnie pétrolière espagnole «Campsa». Un mois plus tard, le 15 février, c'est le croiseur italien «Eugenio de Savoya» avec ses canons de 152 mm, qui envoie sur Barcelone soixante-douze projectiles, atteignant une caserne, les usines «Elizalde» et différents lieux de la ville, faisant seize morts et plusieurs blessés.

Le 16 mars 1938, les avions italiens, en provenance des Baléares, bombardent massivement la ville. Entre 22 heures et 15 heures, le lendemain, nous avons compté, depuis la position de notre botterie, dix-sept raids qui ont fait 1.300 tués et 2.000 blessés, et des quartiers entièrement détruits.

Ma batterie était placée sur le sommet de Montjuïc. J'ai vu l'épouvantable spectacle d'un bombardement ininterrompu. Mettant à feu, à sang et à flammes toute la ville (les réservoirs d'essence du port fumaient et flambaient). Le vent ramenait la fumée sur nous.

Ma batterie, malgré toutes ces attaques, a été épargnée; par contre, en attaquant la batterie placée au centre du jardin de la Citadelle, le parc zoologique a été complètement détruit: les cages des fauves, chameaux, éléphants, girafes, singes, perroquets, aquarium. Il était le plus important d'Espagne.

François FOLCH à Saint-Orens.

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La gare de Cerbère bombardée au mois de mai 1938.
-Photo archives «La Dépêche»




ArribaAbajoErrant dans Madrid

C'est à Fuencarral, quartier nord de la capitale, que nous habitions. Papa et maman décidèrent de nous confier, nous les enfants, à la garde de notre oncle Monolo.

Car eux avaient décidé d'aller se battre contre les fascistes. J'avais 8 ans. Je les vis partir. Déjà habillés en tenue de miliciens (le mono), leur fusil en bandoulière, une couverture roulée sur les épaules. Quelques jours après, mon oncle et ma tante nous chassaient moi et mes frères.

Pourquoi? Ce fut la peur des représailles; sympathisants fascistes, ils craignaient les foudres des conjurés nationalistes pour le motif d'hébergés des enfants dont leurs parents étaient considérés comme des «rouges».

Pendant plusieurs jours, nous fûmes hébergés par des voisins.

José Manuel -un de mes frères- et moi nous décidions de nous aventurer vers le centre de la capitale, avec l'espoir de pouvoir subsister et, pourquoi pas, de retrouver nos parents.

Nous avons pris la direction de Tetuan vers les Cuatro Caminos, quartier que nous connaissions bien.

Notre progression devenait dangereuse et nous y découvrions des lieux de cataclysme; la capitale était livrée au pillage des magasins saccagés, aux incendies des bâtiments et des églises, aux tirs de mortiers et des armes automatiques, aux explosions et aux tueries, dans un chaos de tramways, camions, automobiles renversées et souvent en feu, les rues et les grandes avenues hérissées de barricades.

Je ne lâchais pas la main de mon frère. Dans certaines rues ou places que nous traversions, des miliciens mitraillaient sans discontinuer. Compatissants, ils nous accompagnaient pour traverser les rues.

Nous avions rencontré des foules de gens désemparés, paniqués, emportant avec eux leurs misérables ballots, marchaient sans but précis.

D'autres aidaient les miliciens à construire des barricades.

Torturés par la soif et la faim, nous parvenions au collège-église de Los Salesianos, près des Cuatro Caminos. Celui-ci vidé des religieux était devenu une caserne républicaine. Dans l'église et les bâtiments, espaces et jardins, grouillaient des centaines de miliciens. Ils venaient après des rudes combats se reposer, ils étaient hagards, dépenaillés, écrasés par la fatigue.

Depuis de longs mois, la ration quotidienne en alimentation s'amenuisait. Devant les magasins, les files étaient longues, si longues qu'il fallait attendre des heures pour garnir un misérable panier!

Nous retrouvâmes dans cette caserne un peu de réconfort. Munis d'une boîte de conserves, au moment du «rata» distribué aux miliciens, nous nous empressions de leur mendier une cuillerée de soupe.

Nous étions des milliers d'enfants errant.

Très rapidement, les autorités républicaines se préoccupèrent de nous apporter secours et assistance, en nous hébergeant dans une partie de Madrid moins exposée.

Nous apprîmes que nos parents avaient été incorporés au 5e régiment et que celui-ci se bottait en première ligne dans le secteur de Villaverde près de Carabanchel.

Il devenait urgent d'évacuer tous ces enfants errants.

Nous étions des centaines à attendre, cette nuit sombre et froide, sur les quais de la «estación» de Atocha.

C'était une gare triste et sombre. Nous nous dirigeons vers l'un des wagons et prenons place dans un compartiment. C'était la première fois que je prenais un train. Nous nous penchions par les fenêtres des wagons, agitant nos mains et levant nos poings fermés dans un geste d'adieu.

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Un sifflement retentit. Sur le quai, la foule bouleversée levait les poings. Quand, soudain, nous vîmes, dans la foule, une silhouette!

Faisant un effort, l'homme était parvenu jusqu'à hauteur de la fenêtre de notre compartiment, alors je palis et poussais un cri avec des sanglots étouffés, je venais de reconnaître mon père!

Il nous tendait sa main, son visage amaigri et défiguré était marqué par l'émotion. Mon frère et moi nous nous efforcions de saisir cette main qui tremblait pendant qu'il courait à côté de ce train en marche.

Il courait, maigre, efflanqué, dans sa tenue de milicien, sale, dépenaillé, voûté sous son lourd paquetage et son fusil.

Je me tenais penché à la fenêtre, serrant la main de papa. Le train venait de prendre de la vitesse.

Joachim MARTÍNEZ-GARCÍA, à Bruguières.

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Les recrues de l'armée de Franco doivent prêtrer serment devant drapeau nationaliste.
-Photo archives «La Dépêche»




ArribaAbajoLe capitaine a tenu parole

Ceci s'est passé en Aragón dans la région de Belchite. Le capitaine Zacarías, à la tête de la compagnie, a lancé une offensive contre les rebelles.

Les rebelles se replièrent et s'abritèrent dans une très grande maison. Le capitaine Zacarías leur lança l'ultimatum suivant: «Attention, attention! Officiers de l'armée de Franco, attention! Celui qui s'adresse à vous est un officier de l'armée de la République. Toute résistance est inutile. Je vous donne ma parole d'honneur que si vous vous rendez sans nous causer une seule perte, vos vies seront toutes épargnées. Par contre, si vous faites ne serait-ce qu'un seul blessé, vous serez tous passés par les armes. Réfléchissez bien, je vous donne dix minutes».

Les rebelles fascistes se rendirent, le capitaine Zacarías tint parole, aucun ne fut fusillé.

Ce valeureux et loyal officier de la République espagnole était mon père.

Marc VILLANOVA, à Toulouse.




ArribaAbajo«Je n'avais pas lacé mes sandales...»

Nous sommes tous nés à Barcelone.

En juillet 1937, les bombardements étaient très fréquents. Ce jour là, les sirènes donnent l'alerte. Mon père prend mes deux frères et sort en courant vers le «refugio» en compagnie de Juanita (une jeune fille). Ma mère et moi suivons derrière. J'avais mal attaché les lacets de mes sandales et je ne faisais que tomber.

«Lace vite tes espadrilles, cria ma mère. Je continue à marcher, tu me rattraperas». Elle n'avait pas fini sa phrase qu'une forte explosion l'envoya en l'air. Elle ne se releva pas. Je me suis vite approché d'elle et la vis toute pâle. Avec un sourire aux lèvres, elle me demanda ce qui m'arrivait. J'avais une partie de la figure pleine de sang. Elle voulut passer sa main sur mon visage mais, ses mains restaient fixées sur son ventre, comme paralysées. Avec ma main gauche, j'ai essuyé ma face. Pourquoi ne bougeait-elle pas ses mains? Pourquoi sa robe était-elle pleine de sang?

Mon père arriva en courant. Ma mère ne cessait pas de tenir son ventre avec ses deux mains. En lui levant une des deux mains, mon père découvrit l'horreur de sa blessure. Son ventre était déchiqueté. Ma mère me regarda, toujours avec ce sourire divin. J'ai su par la suite que ses souffrances furent atroces et que ses derniers mots furent: «Els nens, els nens...» (les enfants, les enfants).

Ángel FERNÁNDEZ LARTIGAU, à Toulouse.




ArribaAbajoA la boulangerie

En 1936, j'avais 11 ans. Mes parents tenaient une boulangerie dans un village de la province de Zaragoza.

Papa était affilié au syndicat CNT et ma soeur aînée appartenait aux jeunesses libertaires; maman s'occupait du magasin et de la maison.

Le village tomba aux mains des fascistes. Au troisième jour, papa fut convoqué à la Guardia civil. Là, le lieutenant l'insulta, le menaça du sort réservé aux gens de gauche: leur couper la tête. Puis il lui demanda de se représenter le lendemain. La nuit même, avec ma soeur aînée, mon père quitta le village.

A la maison, il ne restait plus que ma mère, ma petite soeur et moi. La boulangerie restait ouverte, mais il ne se passait pas un jour sans une perquisition.

Trois jours plus tard, une trentaine de gardes et de phalangistes se présentèrent pour arrêter mon père. Comme il n'était pas là, ils nous amenèrent toutes les trois à la Guardia civil.

Dans la soirée, les gardes comptaient les balles nécessaires pour fusiller les prisonniers. Finalement, ma petite soeur et moi reçûmes un grand coup de pied et l'ordre de rentrer à la maison. Au petit matin, trente-trois hommes et deux femmes furent fusillés dans un ravin et les six autres femmes -parmi, elles, maman- furent libérées.

Mais, les machines furent saisies, puis les meubles, le linge et même l'argent du compte. Ma mère était souvent convoquée par la Guardia civil. En juin 1937, elle fut réellement arrêtée et incarcérée à Zaragoza. Un jour de la semaine, nous allions, ma soeur et moi, lui porter du linge propre et de quoi manger et, un autre jour, nous allions récupérer le linge sale. Cela dura huit mois.

Raymonde GÓMEZ, à Toulouse.



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ArribaAbajoMon père, ce combattant

Il est né en 1913 et est arrivé en France en 1918. Il s'engagea, en 1936, dans les troupes républicaines, à la 136e Brigade formée à Gerone. Il prit part au combat de Guadalajara où les batailles au corps à corps, à la baïonnette contre Marocains étaient quotidiennes. Un jour de 1937, alors qu'il défilait à Barcelone, trois de ses camarades tombèrent sous des balles tirées d'immeubles voisins. Le responsable fut découvert. C'était un curé, déguisé en femme, qui faisait semblant d'étendre le linge.

Prisonnier en 1939, il s'évada et eut la chance d'être hébergé par un cousin qui, comble du paradoxe, était officier dans l'armée franquiste. De là, il prépara sa traversée des Pyrénées. Il fut pris par la police française qui le raccompagna à la frontière. Têtu, il repassa en France et fut jeté en prison pendant quelques semaines.

Roger RODRÍGUEZ, à Salechon.




ArribaAbajoFrancisco...

En 1938, l'Union des syndicats CGT de Toulouse recueillit des enfants espagnols. Ils furent hébergés au château de la Glacière, à Cugnaux, où ils poursuivirent leurs études. Mon père qui, alors, était secrétaire du Syndicat CGT des brasseries et boissons gazeuses de Toulouse, parraina un de ces enfants, Francisco. Il venait toutes les fins de semaine à la maison. Nous partagions les jeux et le lit. Nous sommes vite devenus de très bons camarades. Mais tout a une fin.

En 1939, Francisco et les autres enfants repartirent en Espagne. Avant le départ, mes parents lui ont dit: «Maintenant que tu t'en vas, tu vas nous oublier.» «Jamais!», répondit-il. Et ce fut vrai. Il y eut quelques lettres entre nous pendant la guerre.

Depuis la fin du régime franquiste, Francisco fait parvenir à ma mère un colis de bons vins d'Espagne et de touron.

En 1993, Francisco et Carmen, son épouse, qui habitent Madrid, sont venus nous rendre visite.

Yves AYNIE, à Toulouse.




ArribaAbajoA Minorque

Je suis né à Mahon, capitale de Minorque, dans l'archipel des Baléares, en 1909.

Le mois d'août 1933, avec quelques camarades, nous avons constitué la jeunesse socialiste de Mahon qui est devenue jeunesses socialistes unifiées, le 1er août 1936. Mahon a été loyale à la République pendant toute la guerre. Lorsque le gouvernement militaire a décidé l'état de guerre, les syndicats ont déclaré la grève générale. Les sous-officiers, aidés par une grande partie de la population, ont désobéi à leurs supérieurs. Avec la troupe, ils sont restes fidèles à la République.

Nous, les Minorquins, avons passé la guerre sans tranchées. Bombardés de temps en temps par l'aviation italo-allemande, nous étions bien protégés par quatre batteries anti-aériennes. D'ailleurs, les aviateurs italiens surnommaient Minorque «la isola della morte».

Nous avons été assiégés par la marine franquiste, supérieure en puissance de feu. Grâce à notre gouverneur militaire, le colonel Don José Brandares de la Cuesta, nous avons pu survivre. Il a rationné la population et permis le ravitaillement de l'île grâce à quatre voiliers experts en contrebande.

La fin de l'année 1938 a été fatale à l'armée républicaine. La trahison d'un capitaine de carrière qui avait juré fidélité à la République a permis le débarquement des troupes franquistes...

Gespor MELSION-PONS, à Carcassonne.

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Les musiciens du 5me Régiment quêtent pour le «Réveillon du milicien»,
dans les rues de Madrid. -Photo archives «La Dépêche»




ArribaAbajoDepuis le Pays Basque

En 1936, j'habitais Tolosa (Guipúzcoa). J'avais 15 ans. Le Pays Basque fut le premier à subir les horreurs de cette révolte franquiste. Les Requetés et Phalangistes furent les premiers à démontrer leur esprit tortionnaire en assassinant tous ceux qui leur faisaient face. Tolosa fut prise après une lutte terrible qui dura plusieurs jours. Ma famille et moi-même fûmes évacués, le 26 ou le 27 juillet, à San Sebastián. Cette ville qui fut perdue après des combats acharnés, par exemple, autour de l'hôtel María Cristina où les «dinamiteros asturianos» s'accrochaient aux murs pour lancer les cartouches de dynamites aux fenêtres que les factieux occupaient.

Félix ÁLVAREZ, à Saint-Estève.




ArribaAbajoLa solidarité des «ch'timi»

En juillet 1936, j'avais 5 ans et habitais avec mes parents, le Pas-de-Calais.

Mon père, instituteur, était secrétaire général de la Fédération socialiste du Pas-de-Calais.

Mon père lança dans l'organe fédéral, «la Voix populaire», un vibrant appel à la population ouvrière régionale pour que soit intensifiée l'aide aux malheureuses populations civiles espagnoles.

Il savait d'avance qu'il serait entendu, connaissant la générosité des «ch'timi». Tout le monde participe selon ses moyens au don collectif. Les caisses de secours miniers fournissent une appréciable partie des produits.

En janvier, deux secrétaires départementaux accompagnent six camions de provisions alimentaires et de produits pharmaceutiques.

Ils sollicitèrent l'honneur d'être conduits sur le front. Rentrés à Barcelone, ils prirent en charge les familles des chefs militaires et du gouvernement ainsi qu'une partie des archives à la Généralité de Catalogne.

Peu après mon père invita la Cobla Catalunya en pays minier.

Fernand PANTIGNY, à Montauban-de-Luchon.2



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ArribaAbajoIl avait tué son frère...

Quand la guerre débuta, j'avais 17 ans. Mes trois frères aînés passèrent de León aux Asturies où se trouvaient les républicains. Un jour, la Guardia civil est arrivée et nous a emmenés, mon père et moi, au couvent de San Marco, nous prenant pour des républicains. Nous sommes restés un an.

Quelquefois, on nous laissait sortir. Dans la journée, nous faisions nos besoins dans un bidon a côté de la porte. Mon père, pour sortir, paya une amende et moi, rien, car j'étais mineur. Ils m'envoyèrent à Teruel dans un régiment d'infanterie. Un jour, un compagnon me dit: «Julián, j'ai tué quelqu'un.» Nous avançons et nous trouvons le mort. Il s'agissait de son frère.

Puis j'ai été blessé. J'ai terminé ma convalescence à Saint-Jacques-de-Compostelle, à l'hôpital de San Coyetarco.

Un boulanger avec une charrette et un cheval distribuait le pain de rationnement. Et un jour, un homme s'accrocha à la charrette en disant: «Donne-moi du pain, donne-moi du pain...». Et il tomba par terre et il mourut.

Julián LLAMAS, à Toulouse.

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L'instant du courrier pour les soldats républicains. A Madrid, comme on dit, la vie a repris son cours normal.
-Photo archives «La Dépêche» -Photo archives «La Dépêche»




ArribaAbajoA L'ÉCOLE...

J'allais sur mes 14 ans. J'habitais alors à Barcelone ou mon père exerçait comme enseignant dans le groupe scolaire «Francesc Macià» (nom du premier président de la Generalitat de Catalogne).

Dés le 17 juillet, les organisations de gauche se mobilisèrent pour combattre une prévisible insurrection qui démarra à Barcelone, deux jours plus tard et qui prit fin le 20 juillet après des combats acharnés.

Pendant tout un temps, j'ai poursuivi mes études dans le lycée «Balmes» où exerçaient des professeurs renommés. Je me souviens, par exemple, de mon «prof» de littérature, Guillermo Díaz-Plaja, décédé récemment, et qui fut membre de la Real Academia Española.

Quant a mon père, il fut nommé inspecteur d'académie et, ultérieurement, directeur de l'école Freinet de Barcelone.

D'autre part, il tenait une rubrique pédagogique dans le journal «la Rambla».

Il apporta, par ailleurs, une collaboration efficace aux forces gouvernementales qui occupèrent, en août 1936, l'île d'Ibiza.

Et quand cette île dut être évacuée notre maison devint le foyer d'accueil de nombreux amis et anciens disciples de mon père qui avaient dû fuir de cette île où il y eut quatre cents fusillés lors de la répression franquiste.

En mars 1938, l'aviation procéda au bombardement pendant trois jours. Au cours de ces bombardements, nous nous réfugions dans la station de métro Calabria, située prés de notre appartement. Lors de l'un de ces raids, une bombe tomba juste à l'entrée du métro et quand nous y sommes parvenus, l'escalier de descente était jonché de morts.

D'autre part, notre maison fut également touchée et, de ce fait, nous avons été obligés de déménager dans les annexes de l'école Freinet de Sarriá. Je tiens à souligner la solidarité qui s'est manifestée à notre égard par l'école Freinet, de Vence, dans les Alpes Maritimes.

Joachim GADEA, à Decazeville.

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Une carte des Brigades internationales...
-Photo, collection particulière



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ArribaAbajo«Je tutoyais la terre entière»

De par le monde, je traînais alors, sur mes pores d'enfant, une traversé révolutionnaire espagnole qui lança dons les rues, les monts, les champs et les usines, un peuple en lutte et à l'oeuvre, des syndicats aux partis de gauche et des partis de gauche au gouvernement républicain. Durant trois ans, l'exaltation sociale contre le soulèvement militaire franquiste assuré de sa victoire s'avéra insuffisante.

De juillet jusqu'en octobre, la rue nous appartint, à nous, les gosses.

Et on chantait «l'Internationale», «les Barricades», sur l'air de la «Varsovienne», «Les Fils du peuple», «La Jeune Garde»... et sur les marches du front, «Ay, Carmela». Et je les chantais aussi à tue-tête dans la rue et dans la résonnante cage de notre escalier que je dévalais, certaines nuits, sous les bombardements.

Et je disais à tout venant: «Salut». Sans autre forme de politesse; un salut simple comme bonjour, mais émouvant de considération et de camaraderie; et je tutoyais la terre entière.

Et je levais, partout où j'en éprouvais l'exultation et la candeur, mon petit poing d'enfant, pour affirmer une juste cause, contribuer avec ma petite main à la lutte finale et saluer, dans les avenues de Barcelone, le départ pour le front des milices révolutionnaires à la démarche fièrement mal cadencée et à l'attitude dignement débraillée et pétulante, sanglée de leurs salopettes. «No pasarán». Moi aussi, je portais, fiérot, réjoui et heureux, ma salopette bleue, mon «mono» (en castillan), ma «granola» (en catalan). Et arborais autour du cou le foulard rouge le noir de l'anarchie.

Ramón SAFÓN, a Simorre.

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Les troupes gouvernementales, dans la sierra, au nord de Madrid.
-Photo archives «La Dépêche»




ArribaAbajoJ'ai déserté l'armée franquiste

Au début de la guerre, je m'étais porté volontaire dans l'armée franquiste. Mais j'appris que mon frére avait été mis en prison à Pompelune et que ma soeur, professeur, avoit été alors renvoyée.

J'ai alors pris peur et les franquistes m'ont arrêté pour idées de gauche. Comme j'étais militaire, ils durent me traduire devant un conseil de guerre. Au cours de celui-ci, un curé s'était déclaré en ma faveur et je fus donc relâché. Cependant, j'étais obligé de réintégrer l'armée franquiste sur le front du Nord.

C'est à ce moment que je décidai de déserter. A la faveur de la nuit, je m'enfuyais avec un instituteur. Nous avons marché pendant 4 ou 5 kilomètres jusqu'à un village que tenaient les républicains. Et je me souviens de leur accueil touchant.

Néanmoins, ceux-ci devaient s'assurer que nous n'étions pas des espions. Ils nous ont amenés à l'état major de Santander pour qu'on nous interroge. Quand ils n'ont plus eu de craintes, je fus intégré dans l'armée républicaine, à la tête d'une compagnie.

Florencio SANZ, à Villeneuve-sur-Lot.

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Le départ de Brigades internationales, à Barcelone, en octobre 1938. L'exil, aussi, pour le bétail.
-Photo archives «La Dépêche» -Photo archives «La Dépêche»





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ArribaAbajoHuit témoins


ArribaAbajoDaniel Sardeing, à Toulouse

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LE NAGEUR TOULOUSAIN AVAIT REJOINT LA CAPITALE CATALANE POUR PARTICIPER AUX OLYMPIADES DU TRAVAIL. IL S'EST RETROUVÉ PRIS AU PIÈGE DES COMBATS DE RUES. C'EST UN DIMANCHE QUE TOUT A COMMENCÉ...


«J'ai vu les barricades dans Barcelone»                


Il dit qu'ils formaient une belle équipe, les Toulousains. En water-polo. D'ailleurs, l'année avant, en 1935, ils étaient arrivés en finale du championnat de France, à Lille. Ils étaient affiliés à la toute neuve FSGT (Fédération sportive et gymnique du travail), avec des gars du Toulouse Cheminot-Marengo, d'autres de l'Emulation nautique, d'autres encore du Rowing...

Et maintenant, pour ce juillet-là, ça faisait bien deux mois qu'ils s'entraînaient. «On allait à Garonne», se souvient Daniel Sardeing.

Ils avaient aussi réfléchi à une tenue qui soit un peu -mais pas tout à fait- un uniforme: une chemise blanche, avec l'écusson cousu dessus et un pantalon, à peu près de la même couleur, bleu si possible.

«De toute façon, dit Daniel Sardeing, nous n'allions pas à ces Olympiades du sport travailliste à Barcelone dans l'état d'esprit de remporter des médailles. On voyait plutôt ça comme un camouflet aux Jeux olympiques qui se tenaient à Berlin.

Le 18 juillet, au matin, ils se retrouvent à la gare Motabiau. Il n'y a pas que des nageurs; il y a des footballeurs, des basketteurs, des coureurs... «Nos copains les boulistes -à la lyonnaise- avaient rouspété de ne pas être de la compétition. Alors, on les avait admis en exhibition.» D'autres aussi, les rejoignent, descendus de Paris, de Limoges...

«On nous a dit que nous passerions par la Tour-de-Carol... pour des raisons de sécurité. Nous n'avons pas trop prêté attention à ça. «Le train brinquebale sur le plateau Cerdon puis sur la Serra de Cadi. Vers 19 heures, ils arrivent à Barcelone.

«Il y avait le comité d'accueil... Très joyeux.» Sur une liste, Daniel Sardeing signe en face de son nom. On lui remet une carte: «Tarja d'identitat atletes.» Un anneau olympique y forme aussi le O de «Olympiada Popular». La carte de Daniel Sardeing a le nº 1589.

On les conduit à l'hôtel, l'hôtel Olympic, place d'Espagne, aux pieds de la colline de Montjuïc. «Un hôtel tout neuf qui n'était même pas terminé... Mais un bel hôtel, de cinq ou six étages.» Daniel Sardeing est au deuxième; une chambre qu'il partage avec Joseph Sanz, un copain du quartier de la Croix-de-Pierre.

«On s'installe puis on se dit qu'on va faire un petit tour.» A l'hôtel, on leur conseille, s'ils vont se promener, de rester en groupe. «Mais nous n'avons pas fait trop attention à ça.»

Il fait doux en ce début de soirée, à Barcelone, ce samedi. Les Toulousains descendent les Ramblas, les remontent, s'arrêtent devant les marchands de fleurs, les marchands d'oiseaux. Ils s'assoient boire une orangeade. A leur écusson, les Catalans les reconnaissent et les saluent.

Des banderoles barrent les rues: «Bienvenue aux athlètes.» Les drapeaux de tous les pays représentés sont hissés.

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Sur la place de Catalogne, on danse des sardanes. «On a chahuté en essayant de danser.»

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Dans la capitale catalane, on distribue les armes prises dans les casernes

Ils retournent à l'hôtel; on les amène manger près du stade de Montjuïc. Dans ce stade, demain, ils défileront pour l'ouverture de l'Olympiade. «On nous sert un repas très... simple. De grosses lentilles, ça, je m'en souviens. Les organisateurs s'excusent: Nous avons eu des problèmes de ravitaillement. Les pauvres, ils étaient déjà excusés!»

Au petit matin, Sanz et Sardeing sont réveillés. «Une pétarade! Quelque chose!» Sanz dit: «Ça y est! Ce tintouin ils annoncent la fête!» Sardeing se met à la fenêtre: «On tirait dans tous les sens... Des barricades... Des types qui s'abritaient derrière les arbres.» Sardeing referme la fenêtre, pas assez vite: «Mon beau-frère m'avait prêté un appareil photos. Je l'avais suspendu à une patère, Une balle ne l'a pas manqué: pulvérisé, l'appareil!»

Et dans l'hôtel, un bruit d'escaliers dévalés, de courses dans les couloirs. «On nous criait de ne pas sortir, surtout... Moi, j'avais 26 ans; je ne m'en faisais pas trop.»

Ils resteront ainsi enfermés deux ou trois jours, peut-être. «Mais surtout, on n'avait pas grand-chose à manger», ajoute Daniel Sardeing. «Puis, j'ai l'impression que ça se calme. Je dis: «Moi, je descends». L'entraîneur d'athlétisme, Firmin Gelote, me dit: je viens avec toi. Nous sortons, la carte d'athlète exhibée à bout de bras et l'autre poing levé.»

Ils vont vers le Paseo de Gracia. C'est une barricade. «Nous, on cherchait à manger. On le fait comprendre à un milicien. Il nous indique une pâtisserie, pas loin. «Là, ils font un plein de tartes. A côté, il y a un marchand de vin.» Un de ces vins: 14º; à défoncer la Catalogne toute entière!» Ils repartent, serrant leurs bouteilles. Daniel Sardeing a même acheté une gourde qu'il a fait, aussi, remplir de vin.

Ils repassent devant la barricade. Leur milicien montre la gourde avec son fusil: «Bota... bota.». «Non, il ne voulait pas boire. Il voulait seulement savoir combien j'avais payé la gourde: 5 pesetas. Il me fait signe de l'accompagner.» Ils retournent chez le marchand de vin. Et le milicien lui fait comprendre que 5 pesetas, c'est trop cher pour une gourde. Le marchand rend 2 pesetas à Sardeing...

A l'hôtel, c'est toujours l'attente. Ils apprennent qu'un Français tient un restaurant à l'autre bout de la place d'Espagne. «Un soir, on y va.» Ils avancent, toujours la carte d'athlète brandie et le poing levé. «On dîne, on ressort. On n'avait pas fait 50 m que ça se met à tirer. Avec nous, il y avait un coureur, Henri Jeansou; je crois que, cette fois-là, il a battu ses records avec le sprint qu'il a piqué jusqu'à l'hôtel.»

Parfois, on se retrouve dans la cour de l'hôtel pour des parties de boules. «Un après-midi, un Coucou a piqué vers nous et nous a mitraillé. La débandade!»

Et lorsque les Toulousains demandent ce qui arrive, on leur répond: «Les fascistes attaquent la République.» Sans plus.

Cinq jours se sont bien passés que «quelqu'un» de l'ambassade de France vient leur dire: «Départ demain matin. Rassemblement à 6 heures avec les valises.»

Ils ont traversé Barcelone. Ils ont croisé des voitures aux toits recouverts de matelas. Ils ont croisé des camions chargés d'hommes armés; sur les portières, en blanc, on avait peint: CNT, FAI. Sur la place de Catalogne, ils ont vu des cadavres de chevaux, des carcasses d'automobiles brûlées...

«Et les Alsaciens qui étaient avec nous se sont mis en rangs par quatre et on chanté L'Internationale. Nous, nous sommes du Midi... Pour nous faire marcher au pas, c'est un peu plus difficile!» Ce qui n'empêchait pas les gens de nous applaudir», précise Daniel Sardeing.

Deux navires de la Compagnie Paquet les attendent au port. Ils rallieront Marseille. «Un officier est venu nous saluer: ¡Viva le Frente Popular!». Lorsque le bateau s'est éloigné du quai de Barcelone, Daniel Sardeing a, encore une fois, levé le poing.

Louis DESTUM.



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ArribaAbajoRaymond Alexandre à Montberon

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IL SE TROUVAIT LÀ-BAS, À 17 ANS. SON PÈRE S'EST ENGAGÉ. LUI AUSSI. IL A ÉTÉ DE LA DERNIÈRE GRANDE BATAILLE DE LA RÉPUBLIQUE. IL N'EST RENTRÉ EN FRANCE QUE CINQ ANS APRÈS.


«J'ai été un soldat du passage de l'Ebre»                


La famille Alexandre est arrivée par Puigcerdà, le 18 octobre 1935. Il y avait le père et sa seconde épouse, le fils, Raymond, qui avait 15 ans, et une des filles, Marie-Thérèse, de deux années plus jeune.

Le père avait dit: «Ma soeur, depuis longtemps, demande de connaître les enfants. Il y a mon frère aîné, Joachim, que je n'ai pas revu depuis des années. Il y a bien d'autres affaires à régler... On va rester quelques mois là-bas; et on reviendra à Toulouse.»

Ils se sont installés à Tarragone, Carrer del Bou, près de la mairie.

Raymond Alexandre se fait des copains: le fils du maire et le fils du coiffeur: «Je crois aussi qu'ils aiment bien ma petite soeur...» Les gamins sont sur la plage, vont en barque, se font des ventrées de paella...

«A part ça, il y avait comme une agitation... Quelques bagarres... Mais ça ne sentait pas le tragique. Des meetings... J'y allais avec mon père».

Mais un jour, dans les rues, c'est plus qu'une rumeur... «Tout le monde était dehors. Des camions filaient dans la poussière.»

Le père dit: «je m'engage. C'est une affaire de quelques jours. Et on repartira en France.»

En attendant, l'épouse du père a trouvé un travail. Pour Raymond, lui, une tante a déniché un emploi de commis d'épicerie.

Mais la guerre est sur Tarragone. «Ils venaient bombarder depuis les Baléares. Je me souviens, une nuit: trois bombes sont tombées. Comment ça s'est passé? Je ne sais. Je me suis retrouvé sous mon lit.»

Et, en décembre 1936, un bébé naît chez les Alexandre: «Lorsque mon père l'a appris, il était sur le front de Teruel.»

Et, en septembre 1937, ses deux copains -le fils du maire et le fils du coiffeur- disent à Raymond: «La République recrute; on y va.» L'un voulait être garde d'assaut, l'autre carabinier. Raymond va voir le maire de Tarragone. Je m'engage aussi.» Maintenant, il ajoute: «J'y suis allé pour suivre les copains et, aussi, parce que je voulais combattre.»

La caserne est à Reus, à 15 km de là. Formation militaire: marcher au pas ne compte guère. «Par exemple, on nous apprenait à démonter et à remonter une mitrailleuse les yeux fermés.» Déjà, ici, Raymond, on l'appelle «le Français».

Trois mois pour faire un soldat.

Raymond Alexandre est affecté à la 42e Division. C'est à Mesquinenza, au confluent du Segre et de l'Ebre. «Un coin assez tumultueux. Les franquistes étaient en face. Parfois, on se canardait. Parfois aussi on se parlait» Tu diras à ta frangine que je l'embrasse», c'était le genre de truc qu'on s'envoyait».

Ainsi passent les jours sur un front qui ne bouge pas. «Là, j'ai appris à faire de l'huile d'olive. Il y de très bonnes olives, dans le coin. Je les concassais sur une pierre. Je mettais la pâtée dans une boîte de conserve avec de l'eau. Je laissais reposer. Je filtrais. Je recommençais jusqu'à ce que ce soit pur. J'en ai bien fait plusieurs litres.»

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L'artillerie républicaine prend position sur les bord de l'Ebre

Une nuit de juillet 1938, c'est le départ. «Nous roulons en camion, par une route de montagne, dans la poussière. A un virage, le camion se renverse. Je m'en suis tiré parce que je suis petit et, ainsi, j'ai été protégé par les montants.» Ils attendront deux jours qu'on les sorte de là. «On repart sur un camion russe à la plate-forme en bois. A un moment, je vois une roue qui passe devant le camion: s'en était une qui s'était détachée...»

Ainsi, ils longent l'Ebre. «Nous arrivons dans un petit creux, on nous distribue des rations d'eau de vie.» C'est le petit matin, vers les 6 heures.

Dans la nuit, d'autres avaient tendu des cordes d'une rive du fleuve à l'autre. «Nous avons traversé en nous accrochant à ces cordes.» De l'autre côté, ils croisent des blessés que l'on transporte, une noria de brancardiers. «Nous avons mis la baïonnette au canon, dit Raymond Alexandre. Je croyais vivre ce que j'avais vu dans les films d'Einsenstein: les marins d'Odessa... Avancer comme ça en chantant 'L'internationale'. J'ai pleuré.»

Ils vont par bonds, de trou en monticule... «A côté de moi, un jeune a reçu une balle en plein front. Je lui ai pris son fusil, qui était coud et qui m'allait mieux, pour ma taille.»

Ils ont bien fait 10 km en une journée. Mais il faut bientôt se replier. «Nous étions encerclés. Nous avons dû passer en force, en pleine nuit.» Unité perdue, unité retrouvée. «Nous étions au bord de l'Ebre et pourtant, nous mourions de soif. Mes lèvres étaient gonflées, collées...» Pour fuir, ils se jettent dans le fleuve. «Beaucoup ont été emportés par le courant. Moi je me suis laissé porter; j'ai échoué de l'autre côté.»

A peine récupéré, il traverse, à nouveau, l'Ebre, à Flix, flanqué, ce coup-ci, d'un fusil mitrailleur d'origine tchèque. «Toi qui es petit, tu passeras à travers les balles», disait-on à Raymond Alexandre. Il y a les piquées des avions italiens, les bombardements des avions allemands. Et, chaque jour, les trous, les tranchées, le va-et-vient des brancards «et ces millions de mouches qui nous empêchaient de manger». Les attaques des Maures à repousser. «Un jour -le 18 septembre 1938- j'étais à l'abri avec un copain. Soudain, le vacarme et de la fumée partout. Je distingue des types avec de grands chapeaux: des Majorquins. Ils nous prennent.» La colonne des prisonniers qui se traîne vers l'arrière. De ce côté-là, aussi, le même va-et-vient des brancards. Et les blessés qui excitaient les autres: «Tuez-les, ces putains de rouges!»

Un homme tend une cigarette à Raymond Alexandre et l'interroge: «Qui es-tu?» «Soldat... mais Français», répond-il. Et l'homme: «Pourquoi tu n'es pas avec Franco; tu es courageux?»

Le voilà en prison à Saragosse où il peut récupérer une couverture. Puis, près de Madrid, à des corvées. «J'avais noué amitié avec un gars de l'armée nationaliste. Contre du tabac, il a pu faire passer une lettre de moi au consul de France à Barcelone». Après Madrid, c'est Burgos; après Burgos, c'est à nouveau Madrid. «Je passe devant une commission d'officiers gominés. Comme personne ne me connaissait, on n'avait pas pu dire de mal de moi.» Le consul lui écrit. Après Madrid, c'est Belchite, en Aragón. «Là, il n'y avait que des étrangers. Mais pas que des anciens des Brigades internationales... Il y avait un déserteur français, un bagnard évadé...» Pour vivre un peu, les détenus cousent des tapis qu'ils font sortir avec l'aide de leurs gardiens. «Le consul de France à Valence est venu me voir. Il m'a apporté des sandales, des cigarettes, un rasoir, du chocolat.» Après Belchite, c'est Miranda-de-L'Ebre. Son souvenir: «Nous avons pu fêter le 14 juillet 1942.» Il sait que son père, sorti du camp de Gurs, fait des démarches pour lui. Il y a la visite d'un attaché militaire anglais. L'annonce d'une libération; mais qui tarde. En face, ils insistent: «Ils voulaient qu'on s'engage dans leur Légion étrangère, le Tercio.»

Enfin, un jour de la fin août 1942, les gardes civils arrivent. Direction, la frontière. «Ils voulaient nous passer les menottes. Nous avons protesté: nous n'étions pas des criminels. Par contre, dès qu'on a mis le pied en France, les gardes mobiles, eux, nous les ont passées.»

Raymond Alexandre sera incarcéré quelques jours à la prison de Pou. Puis il sera transféré à la prison militaire Furgale à Toulouse. En France, on l'avait cherché pour la guerre et on ne l'avait pas trouvé. On l'avait porté déserteur.

Louis DESTREM.



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ArribaAbajoLéopold Galy, à Toulouse

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     UN VOL EN GRAND SECRET VERS LE PAYS BASQUE... SON AVION ABATTU PAR LES «HEINKEL» ALLEMANDS PRÈS DE BILBAO... LE PILOTE DE CHASSE COMMENÇAIT BIEN SA SECONDE CARRIÈRE DANS L'AVIATION CIVILE!


     «Je les ai vus bombarder Guernica»                


Sur son carnet de vol, à la date du 26 avril 1937, il est indiqué que le trajet Biarritz-Bilbao, a duré quarante minutes. En marge, il est noté: «Destruction de Guernica». Un mois plus tard, on a écrit: «Descendu par cinq avions rebelles, de type Heinkel.» Léopold Galy ne survolera plus le Pays basque.

Ccedil;a avait commencé quelques mois auparavant: «J'avais donc, alors, 29 ans. Toujours pilote à la 1re Escadrille de chasse. Mais on savait que j'avais l'intention de quitter l'armée. Un jour, on me prie de passer au cabinet de Pierre Cot, ministre de l'Air à l'époque.» L'homme du cabinet parle à Léopold Galy de mission importante et secrète, de vol incognito vers Bilbao; lui tend une lettre à remettre au président de la République basque. Un conseil encore: «Vous piloterez en civil!» Et comme un ordre. «Vous partirez demain matin».

L'avion est sur le terrain de Guyancourt, près de Versailles, un avion anglais, un «Moth». «Mais un avion sans immatriculation. Les extrémités de ses ailes, seulement, étaient peintes aux couleurs espagnoles.» Une halte à Mont-de-Marsan et Léopold Galy survole déjà l'Espagne. «Il faisait très beau sur Bilbao.» Il sait qu'il doit atterrir sur un terrain de golf où on aura tendu un grand drap blanc.

Sitôt posé, sitôt à la présidence de la République basque. «La première des choses que je remarque dans le bureau du président Aguirre, dit Léopold Galy, c'est un immense crucifix. L'homme, lui-même, m'apparut simple et aimable. Je me sentis tout de suite à l'aise face à lui.» Et le président dit au pilote: «Nous allons vous confier une partie du trésor de la Banque de Bilbao. Nous ne voulons pas qu'il tombe aux mains de l'ennemi. Vous porterez ces voleurs à la succursale de la banque à Paris.» Le président parle aussi de l'encerclement de son pays, des difficultés pour en sortir, du manque d'avions pour cela...

Le surlendemain, Léopold Galy décolle. Dans l'avion, on a hissé quatre lourdes valises.

C'est une escale à Monfaudran, sous une pluie battante. «Vous ne pouvez par repartir: la météo est pire au-dessus de Paris. Vous continuerez en train; nous vous avons réservé un wagon-lit pour ce soir», lui dit-on.

Les valises, on les laisse dons un bistrot de la rue Gambetta à Toulouse. On va dîner à côté.

«Trésor ou pas trésor, dit Léopold Galy, ça ne me faisait pas plus d'impression que si j'avais trimballé une valise de charcuterie du pays pour un copain.»

Son train arrive en gare d'Orsay, le lendemain, vers 7 heures. Un taxi jusqu'au siège de la banque. «Dans le quartier de l'Opéra, je crois.»

Et voici Léopold Galy sur le trottoir, avec ses quatre valises, devant la banque fermée. «J'avise une concierge, pas loin, qui nettoyait son pas de porte. J'ai là des papiers pour la banque. Pourrais-je vous confier ces bagages jusqu'à l'ouverture? Elle: Bien sûr, monsieur. Nous rongeons les valises dans sa loge».

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Comme après chaque bombardement,
on va près des ruines chercher signe de vie d'un proche,
retrouver un souvenir de sa pauvre vie quotidienne

Plus tard, dans la banque, il va de guichet en guichet, demande un responsable, en trouve un. «J'arrive de Bilbao; je vous emmène des valeurs...», dit-il. «Où sont les valises?, sursaute l'homme. «Chez la concierge d'à côté», répond-il.

Le temps de tout mettre en lieu sûr, d'en faire l'inventaire, et on remercie, avec beaucoup de chaleur, l'aviateur.

Quelques jours plus tard, l'ambassade d'Espagne lui écrit: «Vous nous avez rendu un éminent service: pourriez-vous venir nous voir?»

On lui reparle de ce Pays basque cerné, étouffé. Des avions... pour le faire un peu respirer. On parle d'ouvrir une ligne commerciale régulière Biarritz-Bilbao. Elle sera créée, elle s'appellera Air Pyrénées. Galy ira en Angleterre acheter des avions chez Air Speed, à Portsmouth.

Le premier vol. «Je me souviens, dit Galy, des membres de la commission de Non-intervention qui, sur le terrain de Biarritz, pour vérifier qu'ils ne cachaient pas d'armes, coupaient gravement en quatre les pains que j'embarquais pour les Espagnols affamés». A Biarritz, montent aussi des journalistes.

De Bilbao, Galy ramène des femmes, des enfants. «Dans un avion de huit places, il y avait parfois quatorze ou seize personnes... Le temps pressait. J'arrivais à faire cinq à six navettes par jour. La fatigue ne comptait pas.»

Parfois, quelqu'un s'approchait de lui, discret, suggérant, dans la poche du veston, un chèque: des objets précieux à emporter...» J'ai toujours refusé».

Il y a cet après-midi du mois d'avril. Il vole vers la France.

«J'observe une activité anormale de l'aviation franquiste vers l'intérieur des terres.» Le lendemain, il saura: «Ils ont bombardé Guernica».

Et au Bar Basque, à Biarritz, un peu plus tard, voilà un rendez-vous: «Je viens de la part du général Moscardo qui commande la région militaire de San Sebastián. Il vous demande d'arrêter la ligne». Goly: «De quoi se mêle un général espagnol! J'exploite une ligne régulière française!» L'autre: «Nous faisons le blocus de Bilbao et vous forcez le blocus avec votre appareil! L'autre menace, propose de l'argent. Galy, encore: «Je vous demande de ficher le camp.» L'autre fait quelques pas, se retourne et dit: «Vous serez descendu!»

Quatre jours après... Il vole très bas. Il longe la côte. «J'aperçois des reflets d'argent sur l'eau. Je pense que ce sont des poissons. C'étaient des balles». Cinq chasseurs piquent sur lui. Le mitraillent. Son moteur gauche est touché. Il n'a qu'une idée: atteindre la falaise qui domine, tout près. Un éclat de métal l'a atteint: il soigne au visage. Accroché à son manche, il s'essuie d'un revers de main. Une passagère s'en rend compte et vient à côté de lui. Comme on dit, il «se vomit» dans un champ. Ça s'est joué à quelques mètres...» L'avion est coupé en deux. Lui, il reste coincé, là, les jambes prises. Simplement, il peut tourner la fête: la passagère gît, une balle en plein front. «Je passe là des heures en me demandant dans quel camp j'étais tombé. Des miliciens arrivent: j'étais du bon côté.»

Quelques jours à l'hôpital où l'on recoud son visage déchiré sans la moindre anesthésie... «Je crois, pense-t-il aujourd'hui, que les franquistes m'en voulaient surtout d'avoir fait parvenir en France des photos de Guernica détruite. Ainsi, le monde entier avait pu savoir ce qui s'était passé.»

Léopold Galy quittera le Pays basque sur un bateau français qui participait à un échange de prisonniers. Il y rencontrera un pilote allemand. Mais entre l'Ariégeois de Massat et l'homme de la Légion Condor, le dialogue est difficile. «Alors, il a sorti un bloc de papier à dessin et un crayon. Il a dessiné mon portrait. Il me l'a offert à l'arrivée.» Léopold Galy a conservé ce dessin.

Louis DESTREM



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ArribaAbajoGuy Coutant de Saisseval, à Paris

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     «REQUETÉ FRANÇAIS» OU «CHOUAN ESPAGNOL»... GUY COUTANT DE SAISSEVAL S'EST ENGAGÉ DANS LES RANGS CARLISTES. PAR TRADITION... POUR DIRE QUE TOUS LES FRANÇAIS N'ÉTAIENT PAS DU MÊME CÔTÉ.


     «J'ai porté le béret rouge des carlistes»                


Il avait 25 ans. Il était étudiant et lisait «L'Action française».

Parfois, aujourd'hui, sur son genou, il étend et lisse le béret rouge qu'il a gardé de là-bas. Un béret dont, par endroit, le feutre est réduit à sa trame. De son centre part un gland doré. Devant, il ya l'écusson: l'aigle bicéphale de l'Espagne et la Croix de Bourgogne («Par référence à Charles Quint»). Et ceci d'écrit: «Dios, Patria y Rey».

Anciennes photos que tend, maintenant, Guy Coutant de Saisseval. Le voici parlant à un militaire: «Le général Moscardo, celui qui commandait à l'Alcazar de Tolède». Et lui, Coutant de Saisseval, coiffé du béret. «La boina roja... Béret rouge, tu es soldat de la foi, c'est ce qu'on disait des Requetés.»

Guy Coutant de Saisseval est devenu Requeté en août 1938.

Lui, originaire de la région de Bressuire, Courlay, Cerizay, dans les Deux-Sèvres. «La Vendée militaire», dit-il. Il explique: «Après l'échec du soulèvement légitimiste de la duchesse de Berry, en 1832, de nombreux Vendéens sont allés se battre dans les guerres carlistes à leur côté. Nous avons gardé des liens. Nous avons les mêmes valeurs: Dieu et le Roi. Une monarchie populaire, garante des particularités et des droits provinciaux.»

Ainsi, les carlistes, à la trilogie de l'écusson, ajoutaient-ils souvent les «fueros».

L'été 1938, sa faculté s'étant mise en vacances, Guy Coutant de Saisseval prend le train pour Hendaye. Pour lui, le «Frente Popular», de l'autre côté, c'est avant tout «un régime d'exactions». Les récits, les images lui reviennent: «Les églises souillées, les hosties répandues, les cadavres de religieuses exposés...».

Et aujourd'hui, il ajoute: «j'ai toujours été avec les nationalistes. Mais je trouvais les communistes plus sincères que beaucoup d'entre nous. Ils ne disaient pas: «Armons nous et partez». Ils poussaient leur logique jusqu'au fusil. J'ai estimé qu'il fallait faire quelque chose. Montrer que tous les Français n'étaient pas dans l'autre camp.» Ils seront vingt, trente peut être, à faire le même voyage. «Mais aussi des Portugais, des Russes blancs, des Irlandais... Il y avait un Anglais qui me parlait toujours de Jeanne d'Arc.» Pas de bureau de recrutement, rien. Chacun vient par ses propres moyens et s'engage. «Tout cela n'avait rien d'administratif. Les seules références étaient le dévouement et la fidélité.»

Il est à Irún, puis à San Sebastián. Il dit que, pour passer en Espagne, alors, il y avait «des combines». On se présentait comme journaliste. Ou bien par la montagne... Une fille portait comme en promenade avec un gars; elle revenait avec un autre: «Ni vu ni connu».

A Saragosse, le 1er août 1938, on lui remet sa carte du Parti carliste: «Notez bien ceci: nous n'étions pas de la Phalange, les Phalangistes étaient fascistes, pas nous».

Depuis un an, depuis mars 1937, il a pu lire «La Ordenanza del Requeté»,   —43→   qu'il a reçue de Burgos: «Devant Dieu, il n'y a pas de héros anonymes... Patrie, mère du nouveau monde, auberge de la sainteté... Ton Roi est le premier soldat de la tradition...» Plus tard, aussi, il lira le «Devocionario del Requeté»: «La mort est toujours bonne si elle nous ouvre le ciel».

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La fanfare des requetés défile dans San Sebastián

Il retrouve alors tous les autres, d'Aragón et de Navarre... Les Requetés donc, cette troupe de choc du mouvement carliste, militarisée depuis le début du soulèvement nationaliste.

«Parfois, tout un village partait: le curé, le maire et les chefs traditionalistes. Souvent, le fils, le père et le grand-père se battaient ensemble.»

Et à tous, la «boina roja». Ce béret que le Requeté ne quittera jamais. «Sauf, peut-être, pour aller au claque», concède Guy Coutant de Saisseval. Il se souvient de ces Requetés, déployés, montant à l'assaut: «On aurait dit un champ de coquelicots». On leur fait remarquer qu'il n'y a pas mieux pour servir de cible à ceux d'en face et on leur conseille de porter le casque. «Certains ont mis le casque mais... avec le béret par dessus.» Enfin... de percées en assauts, les Requetés avancent: «Lorsqu'un Village était pris, il y avait l'entrée solennelle. D'abord, la Croix, puis le drapeau carliste -blanc avec la Croix de Bourgogne- ensuite le drapeau nationaliste, rouge et or.»

Guy Coutant de Saisseval est à Lérida. Les nationalistes tiennent la citadelle, la haute ville; les Républicains sont en bas, de l'autre côté du Sègre, le fleuve. Derrière des sacs de sable, au périscope de tranchée, il observe. Accrochages: il fait le coup de feu. Il pense à son ami; Florent de la Guillonnière, un Vendéen comme lui... Aujourd'hui, Coutant de Saisseval feuillette le journal de guerre de Florent. Ce journal qu'il n'a jamais fait publier: «Après une nuit glaciale, la fusillade recommence...» Entré ici en octobre 1936, Florent de la Guillonnière sera tué devant Bilbao en avril 1937. «Il a voulu combattre dans les mêmes rangs où son ancêtre s'était fait tuer.» Coutant de Saisseval retourne à Saragosse. Il est invité à la radio. «Un jeune Requeté français, retour du front, va vous faire part de ses impressions», s'enflamme le présentateur.

«Qu'ai-je dit? J'ai dû vilipender les rouges. Il était de tradition, dans cette radio, lorsqu'un étranger parlait, de diffuser, ensuite, l'hymne de son pays. Pour moi, je les vois gênés: On veut bien passer la 'Marseillaise', mais, en face, ils la chantent! Passez donc la Royale» ai-je conclu. A cette radio, aussi, paraît-il, un jour, fut invité un général italien. «En quelle tenue dois-je être», aurait-il demandé. «Il y avait, comme ça, des galéjades, dans cette guerre» dit Coutant de Saisseval.

Cette guerre qu'il vit «émouvante», mais aussi «romanesque». Où comme a dit quelqu'un: «Il s'agissait de mourir joyeusement pour que la Croix règne». La discipline, elle -en tout cas chez les volontaires étrangers- n'était pas trop oppressante. On ne se trouvait pas bien ici, on allait là-bas. Coutant de Saisseval a gardé une lettre de ceux-là. «Trouvant le secteur trop calme, nous avons préféré aller combattre sur le front de Madrid.» Lui, à Saragosse, un soir, il est dans les rues. Son écusson bien en vue. Un capitaine l'aborde: «Vous êtes un Français, moi aussi. J'étais dans la Légion. On m'a mis à la retraite; alors, j'ai rempilé chez Franco.» Le capitaine invite Coutant de Saisseval dans le plus grand hôtel de la ville. Lui explique que, blessé, il est soigné à Saragosse, mais qu'il ne se plaît pas dans ce coin et qu'il va aller voir du côté de San Sebastián.

Puis Coutant de Saisseval retournera en France. Une autre guerre le requerra. «Au régiment, il y avait un gars qui avait fait les Brigades internationales; nous étions bien copains» Et il range tous les souvenirs de ce qui fut, pour lui, un beau geste. Le béret rouge retrouve sa place dans la vitrine, près d'autres croix et d'autres Sacrés Coeurs.

Lui, il murmure un peu: «Peut-être que les carlistes se sont fait rouler...».

Louis DESTREM.



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ArribaAbajoMarius Fabre, à Toulouse

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     LE MÉCANO D'AIR-FRANCE A VÉCU À BARCELONE ENTRE LA PEUR DES BOMBARDEMENTS, LES COMBINES POUR CONTOURNER LA PÉNURIE ET... L'ESPOIR. EN TOUT CAS, LE FILM.


     «J'ai donne un coup de main a Malraux».                


Toucher double salaire -3.000 francs par mois- à Barcelone, ça pouvait faire réfléchir. Marius Fabre n'a pas trop réfléchi. L'Espagne ne lui est pas inconnue; mécano à l'Aéropostale, puis à Air-France, il a fait Alicante, Málaga, Barcelone déjà, Madrid. La prime, ce coup-ci, n'est pas que de dépaysement. Marius Fabre arrive à Barcelone au printemps 1938. Son épouse, institutrice, le rejoindra aux grandes vacances.

Le terrain d'Air-France est à Prat-de-Llobregat, au sud de la ville, au bord de la mer, lieudif Canudas. Escale pour les courriers vers Casablanca et Buenos-Aires.

Dans les grands bâtiments d'une ancienne ferme -La Granja- on pourra se loger.

Marius Fabre retrouve Gaston Vedel, un ancien pilote, chef d'escale, maintenant. «Gaston était franc-maçon. Il était très lié aux républicains».

Alors, parfois, un avion se posait sur le terrain d'Air-France, venu de France.

«On le faisait se garer à part. Il ne fallait pas chercher à savoir ou à comprendre. Il fallait que tout cela reste anonyme». Le commissaire de police espagnol qui est à demeure sur le terrain garde, lui aussi, bien sûr, le secret. La Catalogne achète des avions. Avions que, parfois, ensuite, on équipera d'une mitrailleuse. La Catalogne a ses démarcheurs en France. «C'était la mode, chez nous, précise Marius Fabre, des avionnettes. Des petits appareils de 3 places, Beaucoup de particuliers en possédaient». Il se souvient, ainsi, de ce qu'a fulminé le Comte de Pérignon, un jour. «A Toulouse, il avait un petit club de pilotage. Il était fauché comme les blés. On lui propose le marché». Et le Comte s'exclame: «Plutôt crever que de vendre aux républicains!».

Passer les Pyrénées au risque d'être abattu, convoyer l'avion jusqu'à Barcelone; la mission est bien payée: 20.000 francs.

«Un jour, un type atterrit. Il enlève son serre-tête. Je le reconnais: Delage! Il était d'extrême-droite, Croix de Feu. Je m'étonne...». «Tu sais, j'ai des problèmes financiers», répond Delage. Et Marius Fabre en connaît encore d'autres qui passaient, ainsi, des avions. «Et des personnes de tous bords».

D'autres gens venaient, aussi, sur le terrain d'Air-France. «André Malraux passait fréquemment. Il était souvent accompagné de la fille d'un diplomate belge. Il tournait son film, qui deviendra «L'Espoir-Sierra de Teruel», ici, à Barcelone. Aux studios de Montjuïc, sur le terrain de Canudas, aussi. Parfois, la nuit, il y avait des coupures d'électricité. Alors, moi, à plusieurs reprises, je lui ai descendu un groupe électrogène. Là, il pouvait brancher un gros projecteur».

Et, le dimanche, tout ce monde se retrouve au bord de la mer pour piqueniquer. Chaque dame aura préparé un plat; le vin est à rafraîchir. André Malraux ne manque pas un de ces rendez-vous. «Ma femme le trouvait bizarre... Elle ne l'aimait pas beaucoup. Lorsqu'il avait besoin de vous, il était chaleureux; ensuite, il avait l'air de tout juste   —47→   vous connaître». Marius Fabre ajoute maintenant: «Et puis, il avait toujours des discussions intellectuelles. Moi, je me sentais un peu perdu».

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Les secours, après un bombardement sur Barcelone

La semaine, la bonne espagnole, Philomène, fait la popote pour tout le monde, sur place. Des colis, des vivres -largement- arrivaient de France.

On allait en ville, aussi, faire des achats... «La peseta ne valait rien. Ce qui marchait, c'était le troc». Marius Fabre va souvent au grand magasin de la place de Catalogne, Jorba. «Moi qui ne fumais pas, j'exhibais une cigarette. Alors le chef de rayon, désignant le paquet: '¡Señor, que suerte!' D'un coup d'oeil, on se comprenait. Dans un coin discret, on faisait l'échange. Je n'ai jamais eu autant de paires de chaussettes qu'à cette époque-là! Je ne sais plus combien j'en ai distribuées à mon retour».

Un autre jour, il échangera de la nourriture contre un équipement complet de salle de bain.

Du tabac, de quoi manger, Marius Fabre ira, également, en porter Carrer Santa Anna, chez un ami peintre, Sénobre. Dans cette rue, près des Ramblas, André Malraux, aussi, est venu tourner.

En ville, Marius Fabre verra les queues, pour tout: le pain, le tissu, les chaussures... «Beaucoup de bistrots fermés... Tout était d'une tristesse!...».

Et ceux que l'on côtoie et qui, à voix basse, racontent leur histoire. Il y avait Cabos, un négociant en fruits et légumes. «Une nuit, les anarchistes frappent chez lui. 'On a à te parler'. Lui, il a compris: désigné comme fasciste, c'est une balle dans la tête. Cabos dit aux autres: 'Avant de partir, je vais vous expliquer qui m'a dénoncé'. Une histoire de dettes, en vérité. Les outres le croient, le laissent. Mais le mouchard, quelques jours après, ils l'ont repéré sur les Ramblas; ils ne l'ont pas loupé».

Marius Fabre retournera souvent chez Jorba. Un jour, avec son épouse. «Elle avait acheté un très beau vase en verre peint. Nous sortons. C'est un bombardement sur la place de Catalogne. Un tramway est en feu. La bousculade... les gens qui courent, affolés... Et ma femme qui serrait son vase». Ce vase, il est là encore, dans un coin, chez Marius Fabre, dans son appartement de la rue de Metz...

Des bombes, une autre nuit, il en tombera sur le terrain d'Air-France. «Pourtant, il était convenu que c'était une sorte de territoire étranger; nous devions être épargnés par la guerre...». Mais à l'escale, ici, les radios sont espagnols. Le soir, parfois, je passais près de leur bureau... Et j'entendais bien parler... En vérité, en douce, ils devaient communiquer avec l'aviation républicaine. Les franquistes -ou les Allemands- avaient dû s'en apercevoir; et nous voilà punis». L'alerte... Dans le demi-réveil, madame Fabre cherche on ne sait quoi: un vêtement, des pantoufles... «Ce retard nous a sauvés. Une bombe est tombée à quelques dizaines de mètres de l'entrée de notre bâtiment». On se plaque au sol. Puis, c'est l'accalmie. On s'appelle, les uns les autres. Tout le monde est là; rien de grave. Sauf pour madame Fabre qui est blessée aux reins -on la rapatriera. Mais où est Philomène? Où est la bonne? «Elle, elle avait grimpé dans un arbre».

Le terrain de Conudas sera, à nouveau, bombardé. «Ça ne servait pas à grand-chose d'aller chercher asile dans un grand hôtel du centre-ville comme nous l'avaient offert les autorités catalanes. Moi, à la Granja, je m'étais aménagé un refuge et j'attendais que ça passe».

Janvier 1939, vers le 25. «Demain, ils sont là», confirme la rumeur. Sur le terrain de Canudos, on enfourne tout dans de petits avions et on décolle.

Marius Fabre en a ramené, aussi, cela: un tableau. Un pêcheur catalan -chemise et pantalon bleus- seul près de sa barque. Un tableau offert par Sénobre, pour un peu de beurre donné.

Louis DESTREM.



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ArribaAbajoVincenzo Tonelli, à Toulouse

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AVEC LA XIIE BRIGADE, IL A ÉTÉ DE TOUTES LES GRANDES BATAILLES DE LA RÉPUBLIQUE. SA FIERTÉ, SURTOUT: AVOIR MIS EN DÉROUTE LES TROUPES DE MUSSOLINI À GUADALAJARA.


     «J'ai été de la Brigade Garibaldi»                


Sa carte des Brigades Internationales -Nº 7050- les résume tous...

Date de naissance: 13.7.1916.

Lieu de naissance: Castenuovo.

Nationalité: italienne.

Profession: maçon.

Domicile: France.

Parti politique: antifasciste.

Maçon, parce qu'à Toulouse on n'embauchait pas de manoeuvre et qu'il a demandé d'essayer.

Un peu auparavant, le patron d'un restaurant italien -dans la rue Bonrepas d'alors- lui avait dit: «Tu me paieras quand tu travailleras».

Dans le bâtiment, il se fait un copain, Armelino Zulioni. «On était tout le temps ensemble. On fréquentait un peu les jeunesses communistes». Il y a des réunions, au «Bar des Chemins de Fer» -ou bout des allées Jean Jaurès- et à la Bourse du Travail. Ils entendent dire que l'Espagne a besoin de combattants. Des démocrates italiens viennent leur expliquer. Vincenzo? Armelino? Lequel parlera le premier?

En tout cas, Vincenzo va voir son patron: «J'y vais». Et le patron: «Il en faudrait beaucoup des jeunes comme toi». Ils boivent l'apéritif.

C'est un autobus qui les amène à Perpignan. Ils sont peut-être trente. Il y a aussi Armelino. «A Perpignan, on nous fait dormir dans un garage. D'autres groupes se joignent à nous. Le lendemain, nous nous retrouvons au pied des Pyrénées. C'est la marche, de nuit. Arrivent à Figueras. Sont conduits jusqu'à Albacete. On est en octobre 1936...

Ils entrent dans une caserne. Une caserne qui avait été celle de la Guardia Civil. «On devinait les traces de combats récents». Des dortoirs, des lits superposés en bois. «Et moi, l'antimilitariste, je me retrouve là à apprendre à faire la guerre». Il apprend tout: le maniement des armes, les corvées... Pour manger, ils vont aux arènes. «Comme j'étais parmi les plus jeunes, on m'a mis de garde à l'état major». Il voit passer Luigi Longo, André Marty... «Celui-là il se moquait un peu de nous, du genre: Vous verrez, vous rentrerez bientôt à Paris».

En novembre, c'est vers Madrid qu'ils roulent. Vers une forteresse qui domine la ville, Cerro de los Ángeles. Premier accrochage. «C'est là que j'ai laissé mon camarade. Armelino est mort sans avoir tiré un coup de fusil». Là, ils sont encore le Bataillon Garibaldi, celui qui aura le numéro 3 dans la Brigade. Ils sont quelque 500. «Nous avions encore des tenues disparates». Seulement, pour tous, le foulard rouge noué, Vincenzo est à la mitrailleuse, une Maxim, une russe.

Ils restent autour de Madrid: Casa de Campo, le Pont des Français... «Il pleuvait... Il pleuvait... je me suis dit que si je sortais de là, je ne mourrai jamais».

A la Cité Universitaire, c'est face aux Maures qu'ils sont. «Il n'y avait pas de front. Nous avancions, et les Maures se planquaient dans les arbres. Et puis, nous les avions dans le dos. Eux, à un étage d'un bâtiment et nous, à un autre étage: ça se passait au corps à corps».

Il parle de ce soir-là où ils ont voulu souffler un peu dans une maison à moitié détruite. «Quelqu'un entend parler   —49→   arabe. Il y avait déjà des Maures. Nous avons passé la nuit à les déloger».

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Un groupe du bataillon Garibaldi à Casa de Campo.
Vicenzo Tonelli est en haut à droite.
La photo a été prise par le leader socialiste italien Pietro Nenni

Pour le repos, c'est ici Puerta del Sol, à deux pas de la ligne de feu. Les belles Madrilènes passent en calèche. Et, lorsqu'ils défilent, les fleurs qu'on leur jette, les baisers qu'on leur envoie. Chez eux, il y a Toni qui joue de l'accordéon.

Ils sont, maintenant, la XIIe Brigade, la Brigade Garibaldi. Ils sont environ 3.000. «On nous avait adjoint des Espagnols. Il y avait de tout monde, ici: des communistes, des socialistes, des républicains... je me souviens d'un anarchiste qui, après les événements du 1er mai 1937, à Barcelone, a rejoint le POUM. Il y avait des gars de tous âges. L'ambiance était bonne, même gaie. Pas de différences entre nous: l'ennemi était commun».

Et ce sont les Italiens qui menacent Madrid: 40.000 «chemises noires» commandées par le général Ruatta. «L'état-major républicain hésitait à nous engager là-dedans: des Italiens face à des Italiens! Nous, nous avons dit: 'C'est notre fierté de combattre les fascistes. Nous sauvons, ainsi, l'honneur de l'Italie'. Nous sommes partis colmater les brèches».

C'est une vaste et plate friche, ici, de cailloux et d'argile. C'est Guadalajara. Les ennemis se cherchent. Les «Chemises noires» ont des automitrailleuses; les «foulards rouges» ont leurs fusils et, Vincenzo, sa mitrailleuse. Il pleut, il neige parfois, aussi. La boue colle. «Du rocher: impossible de creuser des trous. Rien pour se protéger. Sauf, les pierres».

Et Vincenzo ajoute: «Mais de savoir que nous affrontions les troupes de Mussolini, ça nous survoltait. Nous nous sommes mis en ligne et nous les avons attendus». Une première fois, ils repoussent les autres. Et ce sera ainsi durant 5 jours. «Chaque matin, ils bombardaient. Puis ils avançaient. On les repoussait». Il y a des désertions dans le camp des «chemises noires». Vincenzo Tonelli se souvient d'un pilote. «Ils l'ont repris plus tard. Ils lui ont coupé le cou. Ils ont mis sa tête dans un sac. Et ils l'ont jetée, depuis un avion, sur nos lignes».

Parfois, une patrouille des Garibaldiens ne revient pas. «On les trouvait tués à coup de couteaux, le foulard rouge enfoncé dans la bouche».

Et, du côté de la Brigade, on a installé des haut-parleurs qui diffusent, en italien, vers les autres: «Qu'est ce que venez faire, ici, à combattre le peuple espagnol?!» Vincenzo croit: «Ça a eu un grand effet psychologique. Un prisonnier m'a avoué que, lorsqu'il avait entendu cette voix italienne, les bras lui en étaient tombés».

Au septième jour, Vincenzo devine comme un grondement derrière lui. Des chars, des chars russes... «Alors, nous nous sommes levés et nous sommes passés à l'attaque. Chez eux, ça été la débandade. Si on avait eu les moyens, on pouvait les pousser jusqu'à la mer...». La Brigade récupère tout des troupes de Mussolini: des camions, des ormes, des toiles de tente, des cigarettes, du savon... Et des prisonniers. «Quatre ou cinq jours après, on en trouvait encore qui se cachaient dans les fourrages». Mais Vincenzo Tonelli, surtout, veut dire ceci: «Eux, lorsqu'ils étaient blessés, nous les soignions comme les nôtres».

Après Madrid, Vincenzo ira en Aragón, puis en Estramadure, puis sur l'Ebre. Souvent, il retourne à Flix, là où il a passé le fleuve. Où est le monument aux volontaires italiens. Il met son foulard rouge. Il se souvient que vers Gandesa, sur la Serra de Pondols, les amandes étaient bonnes.

Il n'a ramené d'Espagne qu'un duro -5 pesetas- en argent. Le jour où il s'est marié, il en a fait ses alliances.

Louis DESTREM.