Gracián interprété par Schopenhauer
Alfred Morel-Fatio
La traduction par Schopenhauer du célèbre petit livre de Balthasar Gracián, intitulé en espagnol Oráculo manual y arte de prudencia, passe généralement pour un ouvrage achevé, modèle d'adresse et d'exactitude minutieuse. Ce jugement, à vrai dire, nous le devons surtout à des critiques beaucoup plus en état d'apprécier la valeur du style allemand du grand philosophe que la connaissance qu'il avait acquise de la langue espagnole en général et du genre d'écriture de Gracián en particulier1. Avant de la prononcer pourtant, il n'eût pas été superflu d'instituer une comparaison suivie de la version de Schopenhauer avec le texte original; or, jusqu'ici, à ma connaissance du moins, je ne vois qu'un traducteur anglais de l'Oráculo, M. Joseph Jacobs, qui s'y soit astreint2. Mais, ou bien les études espagnoles de M. Jacobs ne l'avaient pas suffisamment préparé à ce travail, ou bien il a été trop séduit par son admiration pour le talent de Schopenhauer: le fait est que le plus souvent il se borne a calquer l'Allemand, ne s'apercevant pas quand celui-ci a bronché, ou qu'il s'est, pour une raison quelconque, écarté de ce qu'avait écrit l'Espagnol. Toute personne de goût estimerait à coup sûr assez puéril d'éplucher l'essai de Schopenhauer pour la médiocre satisfaction de prendre en faute un penseur éminent; mais si, au contraire, cet examen se fait en vue d'une intelligence plus complète de l'oeuvre originale, fort difficile, on le sait, à bien entendre, nul ne le tiendra, je pense, pour inutile ou déplacé. Et, en outre, n'est-ce pas un spectacle curieux et digne de réflexion que celui du profond et génial écrivain allemand aux prises avec un jésuite espagnol du XVII.e siècle, qui fut à la fois le casuiste de la morale mondaine de son temps et un styliste raffiné, l'inventeur d'un nouveau langage à prétentions psychologiques et le théoricien du conceptisme? Quelque différentes au reste et opposées même que soient ces deux natures par leur milieu, leur éducation et leur culture d'esprit, elles ont, qui ne le voit?, deux traits communs: le pessimisme chrétien ou philosophique d'une part et, de l'autre, le souci du style, qui se traduit chez Gracián par une recherche verbale trop constante et systématique, tandis qu'il n'apparaît chez Schopenhauer que comme un hommage rendu à la clarté et à l'élégante précision de la pensée.
Pour une autre raison encore, qui nous touche plus particulièrement nous Français, la tentative accomplie par Schopenhauer de suivre dans tous ses méandres la pensée si concentrée de Gracián, d'en extraire tout le suc et même d'en reproduire, sauf quelques jeux de mots intraduisibles, la forme et la couleur, cette tentative sollicite notre attention, vu qu'elle nous remémore que nous avons été jadis les plus zélés interprètes du moraliste espagnol et, à certains égards, les initiateurs de l'étude de ses oeuvres. Sans parler de la traduction du Héros, qui date de 1645 et qui ne compte guère, n'étant qu'une fort piètre version littérale exécutée sans goût ni vraie intelligence du texte3, nous possédons dans L'Homme de cour d'Amelot de la Houssaie4 une francisation de l'Oráculo manual qui, malgré tous ses défauts, reste le travail le plus considérable qui ait été voué à cet écrit de Gracián. Schopenhauer a traité Amelot avec un dédain tout à fait injuste et cette appréciation erronée a été trop facilement accueillie par deux érudits de notre temps, MM. K. Borinski5 et A. Farinelli6. Certes, la traduction d'Amelot appartient trop au genre de la «belle infidèle», fort en vogue à la fin du XVIIe siècle; Amelot a pris avec son auteur des libertés que nous estimons aujourd'hui fâcheuses et condamnables; il s'est peu soucié de tout rendre et quand une phrase l'embarrasse, il la supprime ou la remplace par quelque chose de son cru; enfin, il a commis des contresens. D'autre part, Amelot témoigne de beaucoup d'intelligence, il possède, comme d'autres Français de l'époque, une connaissance assez étendue et solide de la langue espagnole, il a d'heureuses trouvailles d'expression et, tout en abusant de Tacite, qu'il possédait bien, il se sert non sans à propos de rapprochements avec divers écrivains anciens ou modernes qui permettent de mieux pénétrer la pensée de Gracián. Ajoutons aussi qu'il cite et traduit maints passages d'autres ouvrages de celui-ci, du Héroe, du Discreto et du Criticón, très propres à éclairer bien des maximes de L'Oráculo, lequel, selon l'expression de Lastanosa, nous résume d'un trait tout l'esprit de l'auteur. Mais, à propos de la traduction d'Amelot, une question se pose à laquelle il importe de répondre tout de suite. Cette traduction française de l'Oráculo parue en 1684 a été précédée par une traduction italienne publiée à Venise en 16797. Quel rapport existe-t-il entre ces deux versions de l'oeuvre espagnole, et Amelot ne dépendrait-il pas du traducteur italien pour la plupart de ses réussites? J'ai pu, grâce à l'obligeance de mon ami A. Farinelli, examiner l'Oracolo de 1679 et n'ai point tardé à me convaincre qu'Amelot lui doit peu de chose. Ma confrontation s'est étendue à tous les passages où j'ai cru devoir donner raison à Amelot contre Schopenhauer et, dans tous ces passages, sauf peut-être deux ou trois, le traducteur français se montre tout à fait indépendant de l'italien, qui ne manque pas d'ailleurs de quelque mérite, quoiqu'il copie en général trop servilement le tour de la phrase espagnole et demeure en conséquence aussi obscur que l'original. Amelot garde donc, vis-à-vis de son prédécesseur, la propriété de sa traduction, bonne ou mauvaise: ce point me semble acquis.
Adepte de la nouvelle méthode de traduire qui consiste à serrer d'aussi près que possible le texte original et s'applique à n'en rien laisser perdre, Schopenhauer, soutenu par son génie autant que par le Fleiss allemand, a, il faut en convenir, étonnamment réussi, et son Hand-Orakel restera comme une des plus remarquables interprétations d'un auteur d'origine latine par une plume germanique: l'Allemagne peut se vanter d'avoir des trois cents pensées du jésuite de Calatayud l'image la plus fidèle, transposée dans une langue d'une rare qualité. Néanmoins Schopenhauer n'a pas toujours mis dans le blanc; ses erreurs tiennent en grande partie au fait qu'il apprit l'espagnol un peu vite, uniquement avec le dessein de s'assimiler quelques auteurs comme Cervantes, Calderón, Gracián, et qu'il ne connaissait pas assez les choses d'Espagne, ses moeurs et ses institutions, familières à nos Français du XVIIe siècle et à Amelot en particulier, qui, en certains cas, peut ainsi en remontrer au philosophe allemand. D'autres fautes de Schopenhauer sont, comme on va le voir, imputables à l'édition de l'Oráculo qu'il a suivie.
Dans la très intéressante notice rédigée en 18328 à l'adresse de l'éditeur qu'il espérait trouver grâce à l'entremise de son ami Keil, Schopenhauer, après avoir lestement jeté par-dessus bord la version d'Amelot9, traite des traductions allemandes toutes dérivées d'Amelot, sauf celle du D.r Müller (Leipzig, 1717), assez exacte, dit-il, mais diffuse, encombrée de commentaires qui ont pour objet de remédier à la concision excessive de l'original, et, de plus, écrite dans le jargon saupoudré de mots latins et français qui avait cours en Allemagne au commencement du XVIII.e siècle. C'est là aussi que Schopenhauer parle des éditions de l'Oráculo non sans inexactitudes. Il dit ainsi que la première édition date de 1653, alors qu'elle remonte à l'année 1647; il ajoute que les meilleures réimpressions de l'ouvrage se trouvent dans les Obras de Lorenzo Gracián, Anvers, 1725 et 174010, alors que ces éditions belges ne font qu'ajouter des fautes à celles d'Espagne et ne valent vraiment que par une exécution typographique un peu plus nette; enfin il annonce s'être servi, pour traduire, de l'édition d'Amsterdam 1659, qui, outre l'Oráculo, contient aussi le Héroe et le Fernando11. Cette dernière édition n'a jamais été confrontée que je sache avec celle de Madrid 165312, dont un exemplaire existe au British Museum, ni avec la véritable édition princeps de 1647, que nous ne connaissons plus que par des lettres de Gracián13. Si l'on considère que le Héroe, qui se trouve dans le volume de 1659, suit assez exactement le texte de la deuxième édition corrigée de Madrid 1639 et ne contient que peu de leçons nouvelles et mauvaises, on peut estimer que l'Oráculo du même volume reproduit assez exactement aussi Madrid 165314, mais ce n'est là qu'une conjecture qu'il appartiendra aux futurs éditeurs et traducteurs de l'Oráculo de vérifier15. Ici, je m'en tiens au texte d'Amsterdam, le plus ancien dont je dispose et sur lequel Schopenhauer a traduit; aussi m'abstiendrai-je de discuter la traduction de certains passages où je crois démêler une altération de la leçon primitive, mais sans pouvoir proposer de correction plausible. Je signalerai en revanche quelques leçons évidemment erronées de la réimpression hollandaise et où la correction à faire saute aux yeux: nous verrons que Schopenhauer ne s'est pas avisé de ces fautes et que sa traduction les a conservées. Quant aux fautes typographiques, -surtout des mots mal coupés-, très fréquentes dans le volume d'Amsterdam comme dans tous les livres espagnols dus aux imprimeurs des Pays-Bas, Schopenhauer, à très peu d'exceptions près, s'en est rendu compte et les a mentalement corrigées: je n'en dirai pas autant des mauvaises ponctuations qui si souvent troublent le sens des maximes et qui, à diverses reprises, ont induit le traducteur allemand en erreur, quoique dans certains cas aussi il ait su réagir contre ce que lui indiquait la lettre de son texte.
Avant de procéder à l'examen du Hand-Orakel allemand, je dois dire que l'affirmation si catégorique de Schopenhauer qu'il a traduit uniquement d'après le texte espagnol, sans recourir à aucune autre version16, me paraît assez sujette à caution. Il y a, en effet, çà et là d'étranges analogies entre Amelot et lui qui ne semblent pas dues au hasard. Aussi serais-je porté à croire que dans certains passages il a au contraire consulté soit l'Amelot français, soit ses dérivés allemands, ou qu'il a dû au moins se servir de notes qu'il avait prises antérieurement en les lisant.
Il m'arrivera, au
cours de ce travail, de citer une traduction française de
l'Oráculo postérieure à celle
d'Amelot et qui se donne comme fort supérieure à la
première «non pas pour le stile
précisément et pour l'expression, mais pour le fonds
même, et pour la pensée de Gracien»
.
J'entends parler de celle du P. Joseph de Courbeville17,
qui, en fait, n'est ni plus exacte ni mieux écrite que
L'Homme de cour d'Amelot. Sans doute, ce jésuite,
venant en second, a évité quelques fautes commises
par son devancier, mais presque toujours il se borne à le
suivre, paraphrasant beaucoup et s'écartant
énormément de ce qu'a écrit
Gracián.
Tous les traducteurs de l'Oráculo ont numéroté les maximes, au lieu que les éditions espagnoles les donnent sans numéros18, ce qui est fort incommode: il faut donc prendre le parti d'inscrire ces numéros manquants sur l'exemplaire du texte original dont on se sert, ce que j'ai fait sur mon exemplaire de l'édition d'Amsterdam19.
3. Llevar sus cosas con suspensión. «Tenir les autres en suspens».
«amaga misterio en todo, y con su misma arcanidad provoca la veneración». - «Bei Allem lasse man etwas Geheimnissvolles durchblicken und errege, durch seine Verschlossenheit selbst, Ehrfurcht». Mais amaga et provoca ne sont pas des subjonctifs. A., mieux: «Cela fait croire, qu'il'y a du mistére en tout, et le secret excite la vénération». Il convient d'observer, une fois pour toutes, que G., par recherche de concision, omet souvent d'indiquer le sujet du verbe, quand ce sujet est le héros, l'homme avisé ou accompli.
«Aun en el darse a entender se ha de huir la llaneza»: - «Sogar wo man sich herauslässt, vermeide man plan zu sein». Je crois que plan ne rend pas suffisamment l'idée de candeur, de franchise un peu niaise qu'exprimé llaneza. Les autres traducteurs n'ont pas non plus senti la nuance.
4. El saber y el valor alternan grandeza.
«Wissenschaft und Tapferkeit bauen die Grösse auf» ne traduit pas alternar. I.: «concorrono vicendevolmente alla grandezza», ou A.: «font réciproquement les grands hommes», ou C.: «Ces deux qualités contribuent mutuellement à faire le grand homme», sont plus exacts.
5. Hazer depender. «Rendre les autres dépendants de soi».
«Acabada la dependencia acaba la correspondencia, y con ella la estimación. Sea lición, y de prima en experiencia, entretenerla, no satisfazerla». - «Es sei also eine Hauptlehre aus der Erfahrung, dass man die Hoffnung zu erhalten, nie aber ganz zu befriedigen hat». G. ne parle pas ici de l'«espérance», dont il est question plus haut, mais de la «dépendance». I., bien: «Sia dunque lezione, e primaria nella scuola della esperienza, l'andar trattenendo la dipendenza, e non del tutto sodisfarla». A., bien aussi: «C'est donc une leçon de l'expérience, qu'il faut faire en sorte, qu'on soit toujours nécessaire».
15. Tener genios auxiliares. «Se servir de l'esprit des autres».
«Felicidad de poderosos; acompañarse
de valientes de
entendimiento, que le saquen de todo ignorante
aprieto». - «Es ist ein
Glück der Mächtigen, dass sie Männer
von ausgezeichneter Einsicht sich
beigesellen können». G. a employé
ici valientes
en pensant au sens de bravi à la solde d'un homme
puissant. Dans le Criticón (I, 4), Critilo se présente
entouré de «malos y falsos amigos, lisongeros,
valientes, terceros y
entremetidos, viles sabandijas de las
haziendas».
Le même roman (I, 13)
nous décrit un homme de qualité accompagné de
ses «enanos, entremetidos,
truhanes, valientes y
lisongeros, que parecía el arca de las
sabandijas»
. Clients ou
satellites intellectuels répondrait à peu
près à la pensée de G. Aucun des traducteurs
n'a saisi cette nuance, sauf peut-être J., qui traduit:
«champions of
intellect».
19. No entrar con sobrada expectación. «Ne pas débuter en donnant de trop grandes espérances».
«Casase la imaginación con el deseo, y concibe siempre mucho mas de lo que las cosas son». - «Die Einbildungskraft verbindet sich mit dem Wunsche und stellt sich daher stets viel mehr vor, als die Dinge sind». Pourquoi n'avoir pas gardé la métaphore comme aux numéros 175 et 216? A., bien: «Comme l'Imagination a le désir pour époux, elle conçoit toujours beaucoup au delà de ce que les choses sont en effet».
21. Arte para ser dichoso. «L'art d'être heureux».
«Contentanse algunos con ponerse de buen aire a las puertas de la fortuna, y esperan à que ella obre». A., C., S. et J. traduisent comme s'il y avait abra; I., comme s'il y avait abra et obre: «aspettano, che ella apra e operi».
23. No tener algun desdoro. El sino de la perfeccion.
«Ohne Makel seyn: die unerlässliche
Bedingung der Vollkommenheit». Ici le
contresens est formel. S. fait dire à l'auteur: «N'avoir point de tache, telle est la condition
indispensable de la perfection»
, alors qu'il a dit:
«Évitez les taches; il n'y a pas
de perfection, où l'on ne trouve quelque chose à
reprendre»
, ou, comme dit A.: «A toute perfection il y un si, ou un
mais».
I., de même: «Questo è il si
nò della perfezione»
. Dans la
description du «Pont des mais» (Criticón, II, 11), G.
dit qu'il n'y a homme qui ne bronche sur un «mais»:
«No avia hombre, que no
tropeçasse en su Pero, y para cada uno avia un
Sinò».
Plus loin, dans le même roman
(III, 9), il est répondu à Andrenio: «No hallarás si
sin no, ni cosa sin un si no»
.
26. Hallarle su torcedor a cada uno.
«Es el arte de mover
voluntades, mas consiste en destreza, que en resolucion un saber
por donde se le ha de entrar a cada uno»
.
Telle est la ponctuation de l'original. S. traduit comme s'il y
avait un point après «resolucion» et fait de
«un saber», etc., une autre phrase, mais à cette
phrase il est obligé d'ajouter deux mots pour lui donner un
sens: «Die Daumschraube
eines Jeden finden. Dies ist die Kunst, den Willen Andrer in
Bewegung zu setzen. Es gehört mehr Geschick als Festigkeit
dazu. Man mass wissen, wo
einem Jeden beizukommen sei».
A. coupe
beaucoup mieux et traduit exactement: «Trouver le faible de chacun. C'est l'art de
manier les volontez, et de faire venir les hommes à son
but20.
Il y va plus d'adresse, que de résolution, à savoir
par où il faut entrer dans l'esprit de
chacun»
.
33. Saber abstraer. «Savoir se réserver pour soi».
«Con esta cuerda
templança se conserva mejor el agrado con todos, y la
estimación, porque no se roza la preciosissima
decencia»
. -«Mit dieser klugen
Mässigung wird man sich am besten die Gunst und
Werthschätzung Aller erhalten, weil alsdann der so kostbare
Anstand nicht allmälig bei Seite gesetzt
wird»
. S. n'a pas compris le sens de rozar et allmälig n'est pas dans
le texte. G. veut dire que grâce à cette prudente
modération, il n'est porté aucune atteinte à
la décence, que la décence n'est même pas
frôlée. A. traduit mal: «l'on ne sauroit se conserver l'estime et la
bienveillance des gens, sans ce tempérament, d'où
dépend la bienséance»
; mais C. est bon:
«en gardant un juste milieu, on se
conserve mieux l'affection et l'estime de tout le monde; et les
règles de la plus délicate bienséance ne sont
jamais violées»
. I., bien aussi: «perche non si offende la
preziosissima decenza»
.
47. Huir los empeños.
«Ehrensachen
meiden»
, dit S., mais empeños a un sens bien
plus général que celui d'«affaires
d'honneur».
«Ay hombres
ocasionados»
. -«Es giebt Leute, die...
leicht Gelegenheit nehmen und geben»
.
L'hombre
ocasionado est un mauvais coucheur qui cherche
prétexte à dispute, un ombrageux, un querelleur.
«Es
hispanismo»
, dit le Dictionnaire
de
autoridades. I. seul rend à peu près le sens
en mettant «rompicollo»
.
«Y yà que aya un
necio ocasionado, escusa que con el no sean
dos»
. - «und wenn auch etwa ein allezeit bereitwilliger Narr da
ist, so bittet er zu entschuldigen, dass er nicht Lust hat, der
andre zu seyn»
. Outre que ocasionado est encore mal
rendu, S. ne suit pas du tout la pensée de l'original.
Escusa que con el no
sean dos signifie que l'homme avisé évite de
fournir au premier mauvais coucheur un compagnon; «il se garde bien de faire le
deuxième»
, comme dit A. La traduction est bonne
aussi dans I.: «e se bene si
truova con vno sciocco rompicollo, si contiene, e fà che con
esso lui non siano due»
.
48. Hombre con fondos. «Homme de fonds».
«Ay sugetos de sola
fachada... tienen la entrada de palacio, y de choza la habitacion:
no ay en estos donde parar, o todo para, porque acabada la primera salutacion,
acabò la conversacion»
. - «An solchen ist gar
nichts, wobei man lange weilen könnte, obwohl sie langweilig
genug sind»
. Il n'y a rien de tel dans le
texte. G. dit: «avec de tels gens, on ne
sait sur quoi s'arrêter (c'est-à-dire on ne trouve
rien à dire), ou l'on demeure court, car après
l'échange des premières civilités la
conversation cesse»
. Les autres traducteurs ne sont pas
très heureux, mais, sauf J. qui copie S., au moins n'ont-ils
pas commis de contresens.
50. Nunca perderse el respeto a si mismo, ni se rose (lire roze) consigo a solas.
«Nie setze man die
Achtung gegen sich selbst aus den Augen, und mache sich nicht mit
sich selbst gemein»
. La traduction est
bonne; S. a bien corrigé la faute d'impression et vu que
rozar signifie
ici «se toucher de près, se fréquenter».
Je cite ce passage à cause de A., qui a cru
reconnaître dans rose le subjonctif d'un verbe
signifiant «rougir». De là cette bizarre
traduction: «Ne se perdre jamais le
respect à soi-même. Il faut être tel, que l'on
n'ait pas de quoi rougir devant soi-même»
.
Le piquant est que C., qui se tient pour si supérieur
à A., lui emboîte le pas: «Il faut être en son particulier dans un
état, où l'on n'ait pas lieu de rougir
à ses propres yeux»
. I.: «Ne meno quando
è solo, si stroffini al muro», où rozar est pris à
tort au sens propre de «se heurter à».
54. Tener brios a lo cuerdo. «De la vigueur, mais avec prudence».
Voilà un
cas où il semble bien que S. s'est souvenu de A. En effet,
l'expression: «Haare auf den
Zähnen haben»
, qui ne traduit pas
exactement le titre de la maxime espagnole, est donnée dans
les dictionnaires comme le correspondant du français de A.:
«Avoir du sang aux ongles». Si S. n'avait pas
été influencé par A., il aurait cherché
à rendre á lo cuerdo comme a fait I.: «Hauer brio
saggiamente»
.
56. Tener buenos repentes.
N'est pas «Geistesgegenwart haben», car la «présence d'esprit» diffère de «la vivacité d'esprit» ou du «don d'improviser».
59. Hombre de buen dexo. «L'homme qui sait faire une bonne fin».
«Desaire común es
de afortunados, tener muy
favorables los principios, y muy trágicos los
fines»
. - «Es ist das
gewöhnliche Loos der Unglückskinder, einen gar fröhlichen Anfang, aber ein
sehr tragisches Ende zu erleben»
. S. s'est
sans doute imaginé que dans afortunados l'a avait une valeur privative
comme en grec, et cependant au n.º 31 il a correctement rendu le
même mot par «die
Glücklichen»
. Le curieux est que I.
aussi traduit: «Disgrazia
commune degli sfortunati»
.
63. Excelencia de primero, y si con eminencia doblada. «Avantage de la primauté, qui est double si l'éminence s'y ajoute».
«Gran ventaja jugar de
mano, que gana en igualdad»
. - «Grossen Vortheil hat der
Banquier, der mit den Karten in der Hand
spielt»
. Où S. a-t-il pris cela? G.
dit simplement que celui qui «a la main,
qui joue le premier»
, a l'avantage, puisque, à
cartes égales, il gagne. C'est ce qu'ont bien vu I. et
A.
74. No ser intratable. «Ne pas se montrer intraitable».
«Es la inaccessibilidad
vicio de desconocidos de si, que mudan los humores con los honores:
no es medio a proposito para la estimacion començar
enfadando»
. - «Die
Unzugänglichkeit ist ein Fehler, der aus dem Verkennen seiner
selbst entspringt: da verändert man mit dem Stande den
Karakter; wiewohl es kein
passender Weg zur allgemeinen Hochachtung ist, dass man damit
anfängt, Allen ärgerlich zu
seyn»
. Le wiewohl détruit absolument le sens du
passage, qui a été parfaitement rendu par A.:
«Le dificile abord est le vice des gens
dont les honneurs ont changé les moeurs. Ce n'est pas le
moien de se mettre en crédit, que de commencer par rebuter
autrui»
.
Farto comme équivalent
de harto; mais
Farto est une
simple faute d'impression de l'édition de 1659 pour
falto21.
Sans cesse G. oppose dans ses écrits falto à falso (cf., par exemple, Oráculo, n.º 181: «es tenido el
engaño por falto, y
el engañador por falso»
; n.º
273: «conozca al que
siempre rie por falto, y al
que nunca por falso»
. Le sens de la phrase
est: «La réflexion doit contrôler ce qui est
défectueux et ce qui est faux». Il est remarquable
qu'aucun des traducteurs n'ait compris ce passage. I. semble
l'auteur du faux sens qui a passé dans A. et C.: «Sia la riflessione
quella, che faccia paragone dell'oro vero dal falso, e riuegga i
pesi, e le mesure»
, - «Sers-toi de ta réflexion à
discerner les piéces fausses, ou legéres, d'avec les
bonnes»
. (A.) - «ensuite la
réflexion différencie le vrai du faux»
.
(C.)
83. Permitirse algun venial desliz. «Commettre exprès quelque faute légère».
«Tiene su ostracismo la
invidia, tanto mas civil, quanto mas
criminal»
. - «Der Neid übt einen
niederträchtigen, frevelhaften Ostracismus
aus»
. Sauf que le tanto... quanto n'est pas rendu, c'est
à peu près cela. S. a au moins vu que civil a ici les deux sens de
«civil» par opposition
à «criminel» et de «bas, vil,
misérable» fréquent en ancien castillan. A. bat
complètement la campagne: «L'Envie
a son Ostracisme, et cet Ostracisme est d'autant plus à
la mode, qu'il est injuste»
. C, pour ne pas copier
A., le modifie arbitrairement: «L'envie
a son ostracisme d'autant plus commun, qu'il est plus
inique»
. I., qui n'a pas dû comprendre non plus, se
livre à un long délayage: «La inuidia hà il
suo Ostracismo, che si come la Republica d'Atène
sbandeggiaua à tempo, chi troppo spiccaua trà gli
altri, non per castigare la maluagità, ma per moderare la
Eccellenza: cosi l'inuidia si serue d'una simigliante
legge»
.
85. No ser malilla.
«Nicht die Manille
seyn»
, et en note: «Ausdruck aus dem
L'Hombre-Spiel»
, mais cette façon de
traduire ne nous apprend rien. M. Jacobs dit ceci dans une note de
sa traduction: «Schop. suggests that this is the Manillio of
Hombre, the second best trump (cf. Pope, Rape of Lock, III, 51).
But there is a game mentioned by
Littré s. v., which is obviously the
one referred to by Gracian. In this the nine of diamonds, called
Manille, can be made any value the player wishes. Manille thus
means a combination of a Jack of all Trades and a universal
drudge»
. En effet, la malilla est non seulement le
deuxième matador au jeu de l'hombre, mais «le neuf de deniers au jeu de tarauts et de
carreaux aux cartes, qui sert à tout ce que l'on veut pour
faire son jeu»
(Oudin). C'est à ce dernier sens
que s'est arrêté I.: «Non essere il Noue del
Tarocco, che serue in ogni punto del giuoco... Questa
propietà del Noue de Tarrochi s'attacca ad ogni sorte di
talenti»
. Mais peu nous importe le sens
propre de malilla dans le jeu de l'hombre ou dans tout
autre, car le mot est évidemment pris ici au sens
figuré d'«homme bon à tout faire», que je
trouve indiqué dans le Vocabolario italiano, e spagnolo de Lorenzo
Franciosini: «Servir de malilla, o como malilla.
Vale servire, e far ogni cosa, cioè il
cameriero, lo spazzatore, il compratore, e simili altri offizi, che
in Roma hanno cominciato à dargli tutti ad
uno»
. En somme, un maître Jacques,
comme l'indique M. Jacobs. Les Autoridades donnent un autre sens qui me
paraît fort problématique: «Sugeto de mala intencion
que con chismes y cuentos hace mal à los
otros»
. En tout cas, le contexte de la
maxime prouve que G. a pris le mot au sens de Franciosini. A.
traduit fort bien: «Ne se point
prodiguer»
.
88. Sea el trato por mayor. «Pas de petitesse».
«Toda nimiedad es enfadosa». - «Alles Uebermass
ist
widerlich»
. C'est aussi ce que comprennent
I. et A.: «Tutto il
troppo infastidice»
. -
«Le trop est toujours
ennuieux»
. Les trois traducteurs ont été
influencés par le latin, mais il va de soi qu'il s'agit ici
de la «minutie exagérée». C. seul l'a
compris: «Toute minutie est
insipide»
. Les Autoridades déclarent que nimiedad prend abusivement ce
sens: «En el estilo
familiar se usa por poquedad o cortedad: y se debe corregir, pues
significa esta voz totalmente lo
contrario»
. Pourquoi cette restriction? Il
peut y avoir excès dans le petit et l'insignifiant comme
dans le grand.
100. Varón desengañado.
«Ein
vorurtheilsfreier Mann»
. Non. G. parle
de l'homme «désabusé», comme dit A., et
non de l'homme «libre de préjugés».
104. Tener tomado el pulso a los empleos. «Tâter le pouls aux emplois».
«Los [empleos] mas
autorizados son los que tienen menos, ò mas distante la
dependencia: y aquel es el peor, que al fin haze sudar en la
residencia humana, y mas en la
divina»
. - «Die schlimmsten aber
sind die, wegen derer man in dieser und noch mehr in jener Welt
schwitzen muss»
. Le mot essentiel
residencia,
«la reddition de compte qu'un magistrat
ou un fonctionnaire doit après sa gestion»
, a
été escamoté, parce que S. ignorait ce
détail des habitudes administratives et judiciaires de
l'Espagne. Au contraire, les traducteurs du XVIIe siècle le
connaissaient, ils savaient ce que c'était qu'une
residencia,
qu'un juez de
residencia, que residenciar á uno. Le mot, d'ailleurs,
n'appartient pas exclusivement au langage judiciaire; G.
lui-même, parlant de Ferdinand le Catholique, qui
s'examinait, s'éprouvait, soumettait ses intentions à
une enquête approfondie, dit: «Solia con ardid tomarse
a si mismo residencia»
(El Politico Fernando, 236), et
Quevedo a appelé le jugement dernier la universal residencia et le
Temps, el juez de
residencia. I. traduit assez exactement notre passage:
«Trà tutti
gl'impieghi quello è peggiore, che nel finire fà
sudare la fronte, à chi l'esercitò, dinanzi al
sindicato humano, e più al
divino»
. A. aussi: «celui-là est le pire, qui, lorsqu'on en
sort, oblige de rendre compte à des juges rigoureux, surtout
quand c'est à Dieu»
. G., mieux: «mais le pire de tous est celui qui aboutit
à rendre comptable au tribunal des hommes, et encore plus au
tribunal de Dieu»
.
105. No cansar. «Éviter d'être lassant».
«Y es verdad comun, que
hombre largo raras vezes entendido, no tanto en lo material de la
disposicion, quanto en lo formal del
discurso»
. - «Auch ist es eine
bekannte Wahrheit, dass weitläuftige Leute selten von vielem
Verstande sind; welches sich nicht sowohl im Materiellen der
Anordnung, als im Formellen des Denkens
zeigt»
. S. ne s'est pas aperçu que
G. fait ici allusion à un proverbe (verdad comun) lequel a
été cité par A. sous le n.º 27:
Homo longus raro
sapiens. Là on renvoie à la traduction qu'en a
donnée le Criticón (I, 7): «el grande de cuerpo no
es muy hombre»
. Dans deux autres passages
du même roman, G. a répété la même
idée, à laquelle il paraît tenir assez:
«los largos raras vezes
fueron sabios»
(II, 6); - «nunca veràs que
los muy alçados, sean realçados: y aunque crecieron
tanto, no llegaron à ser personas. Lo cierto es, que no son
letras, ni ay que saber en ellos, segun aquel refran: hombre largo,
pocas vezes sabio»
(III, 4). Mais dans le
passage de l'Oráculo qui nous occupe, G. s'est
certainement inspiré d'un des Ragguagli de Boccalini (cent. I, n.º
74), où Apollon explique le vrai sens, d'après lui,
du dicton Homo longus
raro sapiens. Aux lettres de grande stature qui lui
demandent de déclarer faux l'adage qui les concerne, le dieu
réplique que cela ne lui est pas possible, concédant
toutefois qu'il faut entendre longus, non de la taille, mais de la lenteur et de
la lourdeur de l'esprit: «che l'uomo lungo non, come malamente era
interpretato dal volgo, s'intendeua per una straordinaria grandezza
di corpo, ma per la qualità della risolutione, e della
deliberatione: perche la souerchia tardanza, e lunghezza in spedir
le faccende era chiarissimo inditio d'inettia, di balordaggine, e
di animo ottuso, & addormentato»
. Aucun
des anciens traducteurs n'a bien rendu le passage, car aucun n'est
parti du proverbe, pas même A., qui cependant le connaissait.
La traduction exacte serait: «Comme dit
le proverbe, homme long -je ne dis pas tant par sa taille que par
ses discours- est rarement intelligent»
.
120.
Vivirá lo platico.
«S'accommoder au temps qui
court»
.
«El gusto de las
cabeças haze voto en cada
orden de cosas»
. - «In jeder Gattung hat der
Geschmack der Mehrzahl eine
geltende Stimme»
. Non pas le goût du
«plus grand nombre»
, mais le
goût de l'«élite». Comme dit A.: «des bonnes têtes»
, ou comme C.:
«des bons esprits»
.
122.
Señorio en el dezir y en el
hazer. «L'autorité
dans les paroles et dans les actions»
.
«Es gran vitoria, coger
los corazones; no nace de una necia intrepidez, ni del
enfadoso entretenimiento,
si en una decente autoridad»
, etc.
Voilà un de ces passages où l'on constate que S. -pas
plus d'ailleurs que ses confrères- n'a aperçu une
altération du texte qui remonte à 1653. Au lieu
d'entretenimiento, il faut certainement lire
entremetimiento, comme plus loin au n.º 145
et comme dans deux passages du Discreto (p. 62 et 70 de
l'édition de la Biblioteca de filosofía). On s'explique
aisément la substitution d'un de ces mots à l'autre:
entremetimiento étant plus rare que
entretenimiento, c'est celui-ci que les imprimeurs
ont mis à la place du premier. Dans le Héroe aussi (XV, 16),
là où les éditions de 1639 et de 1659 donnent
correctement entremetimiento, Rivadeneyra et l'édition
de la Biblioteca de
filosofía ont entretenimiento22.
Gr. a voulu dire que, pour gagner les coeurs, il ne faut ni une
sotte hardiesse ni de lassantes manoeuvres ou intrigues, mais
l'autorité qui résulte de la grandeur du
caractère et que soutiennent des mérites. Il est
plaisant de voir les efforts et les expédients des
traducteurs qui veulent à tout prix trouver un sens à
entretenimiento: «Non nasce da una sciocca
intrepidezza, ne dal tedioso passatempo d'alcuni
dicitori»
. (I.) - «Cela
ne vient pas d'une folle bravoure ni d'un parler
impérieux»
. (A.) - «Cette supériorité ne vient pas
d'une vaine audace, ni d'un ton de voix
impérieux»
. (C.) - «Es entsteht nicht aus
einer dummen Dreistigkeit, noch aus einem übellaunigen
Wesen bei der Unterhaltung»
. (S.) - «it does not arise from
any foolish presumption or pompous talk»
.
(J.)
125.
No ser libro verde. «N'être point un registre
d'infamie»
.
Il y a ici un
souvenir historique qui mérite d'être signalé.
Le Livre vert d'Aragon, dont la première
rédaction par un secrétaire de l'Inquisition de
Saragosse remonte à la fin du XVe siècle,
fournissait les généalogies des principaux nouveaux
chrétiens ou conversos; cela équivalait en somme
à un catalogue de réprouvés, destiné
à garantir les purs contre des alliances compromettantes.
Après ce livre, en partie publié par D.
Rodrigo Amador de los Ríos dans la Revista de España, t. CVI
(1885), on en fit d'autres, aussi nommés
libros verdes
ou del
becerro, qui circulaient beaucoup et qui devinrent de vrais
instruments de calomnie et de chantage, car leurs auteurs ne
cherchaient le plus souvent qu'à satisfaire des rancunes
personnelles ou à exploiter des passions et des craintes
(Lea, The Inquisition
of Spain, t. II, 298 et 307). Nous voyons par la
correspondance d'un agent des députés d'Aragon
à Madrid, au commencement du XVIIe siècle, que
ces députés agirent énergiquement pour faire
saisir par l'Inquisition le Livre vert «à cause du grand dommage qu'en
éprouvaient beaucoup de personnes de ce royaume»
(Lettres de D. Gerónimo Dalmao y Casanate aux
députés du royaume d'Aragon, 3 septembre 1616.
Revista de archivos,
bibliotecas y museos du 20 septembre 1878. Année
VIII). Ces réclamations et sans doute d'autres analogues
portèrent leurs fruits, car les ordonnances de
réformes promulguées par Philippe IV en 1623
prescrivirent la destruction de semblables factums dépourvus
de toute autorité et capables de semer le trouble dans la
nation (Novísima Recopilación, liv. XI, tit. XXVII, loi
XXII). On conçoit donc que G. ait été
amené à parler du Libro verde, terreur de beaucoup de ses
compatriotes; il s'en est encore souvenu dans le Criticón (II, 9):
«el infame [para] en libro
verde»; «huya
el atento de ser registro de infamias, que es ser un
aborrecido padrón»
; -
«denn das heisst ein
verabscheuter Patron seyn»
. Patron fait contresens, il
aurait au moins fallu dire au féminin Patrone: ce mot signifie en
allemand «modèle» et rend l'un des sens de
padrón.
Seulement ici padrón veut dire «pierre
commémorative, marque d'infamie». Je ne vois pas ce
que I. entend par «vn
abborrito Matricola»
A., mal: «c'est là s'ériger en
modèle très
désagréable»
.
126.
No es necio el que haze la necedad, sino el
que hecha no la sabe encubrir. «Le plus sot n'est pas celui qui commet la
sottise, mais celui qui, l'ayant commise, ne sait pas la
cacher»
.
«Todos los hombres
yerran, pero con esta diferencia, que los sagazes desmienten las
hechas, y los necios mienten las por hazer»
. -
«Alle Menschen begehn
Fehltritte, jedoch mit dem Unterschiede, dass die Klugen die
begangenen verhehlen, die Dummen aber die, welche sie erst begehn
wollen, schon zum voraus lügen»
.
Malgré le sonsonete et les exemples assez nombreux chez G.
où mentir s'emploie avec un régime direct (par
ex. Criticón, I, II: «Persuadase la otra linda que no es tan angel
como la mienten; II, 7:
hasta los vicios se cubren con su buena capa [de la virtud]
y mienten sus
aparencias»), il semble bien qu'on doive lire
mientan. En
effet, c'est mentar mentar, «annoncer, déclarer»,
et non mentir, «faire passer pour», que
réclame ici le sens. Les anciens traducteurs l'ont vu:
«e gli sciocchi palesano
ancora quelli [falli] c'hanno da fare»
.
(I.) - «les fous montrent
celles [les fautes] qu'ils vont faire»
. (A.) - «les fous disent les fautes mêmes
qu'ils ont dessein de faire»
. (C)
«Sea excepcion de la amistad el no confiarla los
defectos»
, etc. - «Sogar in der
Freundschaft sei es eine Ausnahme, dass man seine Fehler dem Freunde
anvertraut»
. G. ne dit pas qu'il faut
exceptionnellement confier ses fautes à son ami, mais que
dans l'amitié même il doit y avoir une exception, une
réserve, laquelle précisément consiste
à ne pas avouer ses fautes à l'ami; «Si permetta questa
eccezione anco nell'Amicizia, di non confidarle quei
difetti»
; (I.) - «Quelque grande que soit l'amitié, ne lui
fais jamais confidence de tes défauts»
; (A.) -
«Dans le commerce de l'amitié,
que l'on excepte la confidence de ses défauts»
.
(C)
141. No escucharse. «Ne pas s'écouter parler».
«Achaque de
señores es hablar con el bordon del digo algo, y aquel, è, que aporrea
a los que escuchan»
. - «Es ist eine
Schwäche grosser Herren, mit dem Grundbass von "Ich sage
Etwas" zu reden, zur Marter der
Zuhörer»
. S. traduit par Grundbass, mais
bordón
est pris ici, comme dans le Discreto, éd. de 1900, p. 138, au sens de petit mot de remplissage,
-bordoncillo
inútil, chez Quevedo-, que les gens de qualité
introduisent à tout propos dans la conversation: «el bordón del
"digo algo?" y aquel "è", que aporrea a los que
escuchan»
; c'est de cette façon
qu'il faut transcrire. S. a traduit digo algo, mais sans voir que la formule est
interrogative, et cependant tous les dictionnaires signalent ce
modisme23,
que G. lui-même emploie dans le Criticón, III, 7: «Que bien glossavan estos
mismos à todo lo que dezian, y las mas vezes era un
disparate! "Digo algo?" arqueando las cejas»
.
«No os parece que dixe
bien?»
Quant à l'interjection
è, S. l'a omise. Les vieux traducteurs sont encore
plus mauvais. I. semble inintelligible: «Vizio de' Signori
è parlar col bordone del dico così, ed è
quello che bastona coloro, i quali
ascoltano»
. - A. paraphrase sans
comprendre: «C'est un défaut des
Grands de parler d'un ton impérieux, et c'est ce qui assomme
ceux qui les écoutent»
. - C., de même:
«ce défaut est plus familier aux
Grands, qui d'un ton haut racontent toujours des choses non
communes, selon eux, et qui assomment par là ceux qui les
écoutent»
.
144.
Entrar con la agena, para salir con la
suya. «Invoquer
l'intérêt d'autrui pour soigner le sien
propre»
24.
«Tambien con personas,
cuya primera palabra suele ser el no, conviene desmentir el tiro,
porque no se advierta la dificultad del conceder, mucho mas quando
se presiente la version»
. Encore un cas
où S. n'a pas aperçu l'altération du texte; il
a traduit version, faute évidente pour aversion: «noch viel mehr aber wo
ihnen gar die Umgestaltung schon ahnden
könnte»
. A. a parfaitement bien rendu
toute la phrase: «Et lorsqu'on a affaire
à ces gens, dont le premier mot est toujours, Non, il ne
leur faut pas montrer, où l'on vise, de peur qu'ils ne
voient les raisons de ne pas accorder: et principalement, quand on
pressent qu'ils y ont de la
répugnance»
.
145. No descubrir el dedo malo. «Ne pas découvrir le point faible».
«No servirà el
picarse uno, sino de picar el gusto al
entretenimiento»
. Même substitution fautive
que plus haut (n.º 122) de entretenimiento à entremetimiento, et cependant
il ressort clairement du contexte que G. a voulu dire qu'en se
fâchant on excite d'autant plus l'intrus, le
touche-à-tout, l'entremetido à appuyer sur le point faible.
Tous les traducteurs ont prétendu trouver un sens à
cette bévue de l'édition de 1653: «Non seruirà il
piccarsene, se non di piccare il gusto, à chi se ne
piglia spasso»
. (I.) - «Garde-toi aussi de t'en plaindre, d'autant que
la malice attaque toujours par l'endroit le plus faible; le
ressentiment ne sert qu'à la divertir»
.
(A.) - «Vous aurez beau vous offenser,
vous ne ferez qu'augmenter la joye de ceux qui se
divertissent sur votre compte»
. (C.) - «Sich zu erzürnen
würde zu nichts dienen, als den Spaass der Unterhaltung
zu
erhöhen»
. (S.)
147.
No ser inaccessible. «Ne pas se montrer inaccessible»
.
«El mas esento
ha de dar lugar al amigable
aviso»
- «Sogar der
Ueberlegenste soll
freundschaftlichem Rathe Raum geben»
.
Esento ne
signifie pas «le plus supérieur», mais «le
plus libre, le plus indépendant». Il n'y a que C. qui
se rapproche du sens exact: «Le plus
capable de se passer d'avis»
.
149.
Saber declinar a otro los males.
«Savoir détourner son propre mal
sur autrui»
.
«Aya pues un testa
de yerros, terrero de
infelicidades, a costa de su misma
ambición»
. - S. a bien compris:
«daher habe man, wenn auch auf Kosten seines Stolzes, so
einen Sündenbock, so einen Ausbader unglücklicher
Unternehmungen»
. Ce qui surprend ici est
l'écriture testa de yerros, où, par un calembour bien
usé mais dont G. se contente, yerros est à la fois substantif
verbal de errar et pluriel de hierro. L'expression usuelle est testa de ferro, que G.
emploie dans le Criticón, II, 12: «Que pretenden estos
Sabios, reparò Critilo, con favorecer à este tonto,
procurando con tantas veras entronizarle?... no veys que si este
sube una vez al mando, que ellos le han de mandar à el?
Es testa de ferro, en quien
afianzan ellos el tenerlo todo à su
mano»
. D'après les Autoridades, qui de
testa de
ferro25
renvoient à cabeza de hierro, nous aurions là un
emprunt au toscan: «Entre los hombres de negócios y
comerciantes se llama el sugéto en cuyo nombre se trata,
conviene y ajusta el negociado, y el que suena como principal en la
escritúra y assiento; aunque en la realidád no lo
sea, ni tenga parte alguna en él. Parece haverse tomado del
Toscano Testa de ferro, que vale lo mismo.
Llámase también Capa rota»
.
J'ignore si l'italien connaît un testa di ferro, équivalent
d'«homme de paille», mais j'en doute, vu que les
dictionnaires indiquent dans ce sens l'expression testa di gèsso et qu'au
n.º 183 de notre texte les mots cabezas de hierro, qui désignent
là des gens entêtés, obstinés, ont pour
correspondant dans I. teste di ferro. Au surplus, dans le passage
ci-dessus, testa de
yerros signifie moins «homme de paille» que
«bouc émissaire26».
Les vieux traducteurs n'ont pas compris: «dunque ci sia vna
fronte di ferro, bersaglio delle
imprese»
. (I.) - «Il doit y avoir une tête forte,
qui serve de but à tous les corps (sic pour coups)»
. (A.) -
«Il faut donc un homme qui pour prix de
son ambition soit comme un mur d'airain, où tous
les coups viennent frapper»
.
168.
No dar en monstruo de la
necedad. «Ne pas devenir
un type monstrueux de sottise»
.
Figurero, dans l'énumération des divers genres de sottise, ne signifie ni «patelin» (A.), ni «astrologue» (I.), ni «Gesichterschneider» (S.), c'est-à-dire «grimacier», mais s'entend de qui se singularise. La traduction serait: «original, excentrique».
172.
No empeñarse con quien no tiene que
perder. «Ne pas se
compromettre avec qui n'a rien à perdre»
.
«Y el a
(lire yela)
un desaire mucho lucido
sudor»
. S. n'a pas vu la faute et il a
traduit au petit bonheur: « indem ein einziger schmählicher Unfall so
vielen heissen Schweiss vergeblich machen
würde»
. A., bien: «Il ne faut qu'un
petit vent pour geler une abondante sueur», ce qui peut lui
avoir été suggéré par I.: «Vno sbaglio, come vn
vento freddo, fà gelare gran copia d'honorato
sudore»
.
180.
Nunca regirse por lo que el enemigo avia de
hazer. «Ne jamais se
régler sur ce que doit faire l'ennemi»
.
«El necio nunca
harà lo que el cuerdo juzga... si es discreto
tampoco»
. Il faut comprendre: «si es [el enemigo]
discreto»
, et non pas comme S.: «si es [el necio]
discreto».
De même une ligne plus bas
desmentir doit
être traduit, comme presque toujours chez Gracián, par
«dissimuler, déguiser». (Sur ce sens, voir
Cuervo, Diccionario, s. v. desmentir, f.)
194.
Concebir de si, y de sus cosas cuerdamente, y
mas al començar a vivir. «Ne pas se former une trop haute idée de
soi et de ses affaires, quand on ne fait que commencer à
vivre»
.
«Es destreza assestar
algo mas alto para ajustar el tiro, pero no tanto que sea desatino
al començar los empleos, es precisa esta reformacion de
concepto, que suele desatinar la presuncion sin la
experiencia»
. Telle est, dans
l'édition de 1659, la ponctuation de cette phrase. S. l'a
suivie: «Zwar ist es
geschickt, etwas zu hoch zu zielen, damit der Schuss richtig
treffe; jedoch nicht so sehr, dass man den Antritt seiner Laufbahn
darüber ganz verfehle. Diese Berichtigung der Begriffe ist
schlechterdings nothwendig»
, etc. A. de
même, qui me paraît ici avoir inspiré S.:
«C'est adresse, de viser un peu plus
haut pour mieux adresser son coup; mais il ne faut pas tirer si
haut, que l'on vienne à faillir dès le premier coup.
Cette réformation de son imagination est
nécessaire»
, etc. Or, la ponctuation admise par A.
et S. ne vaut rien; il faut incontestablement couper la phrase par
un point après desatino. I. seul a bien coupé: «Destrezza si stima il
pigliar la mira alquanto più alta, per aggiustar il tiro,
però non tanto che sia dopoi vno sbagliare del tutto dal
bianco. Nel principiare gl'impieghi questa riforma del concetto
è onninamente necessaria»
, etc.
198.
Saberse trasplantar. «Savoir se transplanter»
.
«Ay naciones que para
valer, se han de remudar, y mas en puestos
grandes»
. Ni I. ni S. n'ont saisi la valeur
de que, qui équivaut à un pronom relatif
construit avec une préposition (cf. A. Haase, Syntaxe
française du XVIIe
siècle, § 36, et Cuervo, Apuntaciones criticas, § 448). Il
faut donc comprendre: «Ay
naciones en las quales»
, etc. Ou, comme
traduit A. très exactement: «Il y
a des gens, qui, pour valoir leur prix, sont obligez de changer de
païs, sur-tout s'ils veulent occuper de grands
postes»
, au lieu que le contresens est patent chez I.:
«Nazioni ci sono, le
quali per farsi valere, hanno da mutar
clima»
, ou chez S.: «Es giebt Nationen, die
um zu gelten, versetzt werden müssen»
.
En résumé, ce ne sont pas les nations, mais les
individus de certaines nations qui, pour réussir, doivent
être transplantés. Par extraordinaire, J. n'a pas ici
copié littéralement S.: «There are nations with
whom one must cross their borders to make one's value
felt»
, etc.
201.
Son tontos todos los que lo parecen, y la
mitad de los que no lo parecen. «Sont fous tous ceux qui le paraissent et la
moitié de ceux qui ne le paraissent pas»
.
«Alçose con el mundo la necedad» -
«Die Narrheit ist mit der
Welt davon gelaufen»
ne répond pas
à l'idée d'alzarse con. A., bien: «La folie s'est emparée du
monde».
214.
No hazer de una necedad dos.
«D'une sottise n'en pas faire
deux»
.
«Es pension
de las imperfecciones, dar a censo
otras muchas»
. Le mot pensión a ici
l'acception de «charge ou servitude qui
pèse sur quelqu'un ou quelque chose»
, de là
aussi «inconvénient». - «Es ist dar
Erbtheil der Unvollkommenheiten,
dass jede noch viele andre auf Zinsen
giebt»
. Erbtheil est un contresens
suggéré sans doute par A.: «C'est le revenu des imperfections,
d'en mettre beaucoup d'autres à rente»
.
241.
Las burlas sufrirlas; pero no
usarlas. «Supporter les
plaisanteries, mais n'en pas faire»
.
«A lo mejor se han de
dexar, y lo mas seguro es no levantarlas»
.
- «Le meilleur est de la laisser passer
[la raillerie], sans la relever»
. (A.) - «Das Beste ist also sich
der Neckerei nicht anzunehmen, und das Sicherste, sie nicht einmal
zu bemerken»
. S. dépend, à ce
qu'il semble, de A., et tous deux ont mal traduit. Le sens est:
«Il faut cesser les plaisanteries au
meilleur moment, c'est-à-dire quand elles n'ont pas encore
causé d'offenses, et le plus sûr est encore de n'en
point risquer»
.
242.
Seguir los alcances. «Conduire jusqu'au bout son
entreprise»
.
«Estos [los Belgas]
acaban las cosas, aquellos [los Españoles] acaban con
ellas»
. La mauvaise traduction de A. a
passé chez S.: «Ceux-ci voient la
fin des affaires, et les affaires voient la fin de
ceux-là»
. - «Diese werden mit den
Dingen fertig; mit Jenen die Dinge»
. En
fait ce que G. a voulu dire est ceci: «Les premiers finissent les affaires; les
seconds finissent en même temps que les affaires,
c'est-à-dire qu'ils les laissent se terminer toutes seules
au petit bonheur»
27.
244.
Saber obligar. «Savoir obliger»
.
«De tal suerte
traçan las cosas, que parezca que los otros les hazen
servicio quando les dan»
. - «Ils ajustent les choses de telle sorte, que
vous diriez que les autres s'acquittent de leur devoir, quand ils
leur donnent»
. (A.) C'est bien cela, sauf qu'il vaudrait
mieux mettre: «s'acquittent d'un devoir,
alors qu'ils leur font un pur don»
. S. n'a pas compris:
«Manche... lenken die
Sachen so geschickt, dass es aussieht als leisteten sie dem
Andern einen Dienst, indem sie
sich von ihm beschenken lassen»
. C. a
été cette fois bien inspiré: «ils tournent les choses de façon que
l'on diroit que les autres en les obligeant ne font que leur
devoir»
.
254.
Nunca despreciar el mal por
poco. «Ne pas
mépriser le mal parce qu'il est petit»
.
«Todos huyen del
desdichado, y se arriman al venturoso, hasta las palomas con toda
su sencillez acuden al omenage mas blanco»
. -
«Sogar die Tauben, bei
aller ihrer Arglosigkeit, laufen nach dem weissesten
Geräth»
. Geräth ne traduit pas omenage, qui est le
«donjon», comme l'a bien vu À. Dans le
Criticón (III, 6), G. a fait une autre
allusion à cette habitude de la colombe: «Otra atencion suya, que
nunca buela, si no à las casas blancas, y nuevas, y à
las torres mas luzidas»
.
«Todo le viene a faltar a
un desdichado, el mismo a si mismo, el discurso, y el
conorte»
. - «Einen Unglücklichen
lässt Alles im Stich, er sich selbst, die Gedanken, der
Leitstern»
. Cette traduction imprévue de
conorte par
Leitstern
s'explique par le souvenir de A.: «Tout
vient à manquer à un malheureux, il se manque
à lui-même, en perdant la
tramontane».
«Tramontane» qui
d'ailleurs procède de I.: «Tutto viene à
mancare allo sfortunato, egli medesimo manca à se stesso,
mancandogli il discorso, mancandogli la
tramontana»
.
255.
Saber hazer el bien, poco, y muchas
vezes. «Faire peu de bien
à la fois, mais souvent»
.
«Nunca ha de exceder el
empeño a la possibilidad»
. -
«Nie muss man dem Andern
so grosse Verbindlichkeiten auflegen, dass es unmöglich
wäre, ihnen nachzukommen»
. Où
S. a-t-il été chercher ce sens qui ne répond
en rien au texte? G. dit simplement: «Il
ne faut jamais s'engager au delà de ses moyens»
,
ou, comme s'exprime fort bien A.: «L'engagement ne doit jamais surpasser le
pouvoir»
. C. et J., également mauvais: «Il ne faut faire du bien à qui que soit,
jusqu'à le mettre hors d'état d'en recevoir
davantage»
. - «One
should never give beyond the possibility of
return»
.
279.
No dezir al contradezir.
«Ne pas répondre au
contradicteur»
.
«No ay cuidado mas
logrado, que en espias»
. - «Keine Sorgfalt ist
besser angewandt, als die gegen Spione»
.
Contresens qu'ont évité I. et A. «Non ci è studio
più bene spesso, che nelle spie»
. -
«Il n'y a point de peine mieux
emploiée, que celle d'épier»
.
280.
Hombre de ley. «L'homme de bon aloi»
.
«Ay pocas
correspondencias buenas, al mejor servicio, el peor galardon; a uso
ya de todo el mundo»
. Aucun des traducteurs
ne s'est rendu compte que G. sous-entend ici un proverbe de son
pays: «A
uso»
ou «á fuer de Aragon,
á buen servicio mal galardon»
.
L'exacte traduction serait donc: «Il n'y
a pas que chez nous (en Aragon) qu'au meilleur service
répond la pire récompense: cela se voit maintenant
partout»
.
281.
Gracia de los entendidos.
«L'approbation des
habiles»
.
«Mas se estima el tibio
si de un varon singular, que todo un aplauso comun: porque
regüeldos de aristas no alientan»
. Ces
derniers mots, qu'a omis S., sans doute parce qu'il n'a pas
réussi à les interpréter décemment, ont
fourni la matière à une longue dissertation du P. de
Courbeville, qui se lit dans sa préface, où il
attaque avec assez de chaleur la traduction d'Amelot. Laissons-le
parler, car, malgré sa longueur, il ne laisse pas
d'être instructif: «Voici entre
mille (je ne dis rien de trop) voici entre mille, un exemple de la
différence extréme des deux traductions de Gracien.
Cet Auteur dit, Maxime CCLXXXI: «L'approbation toute simple
d'un homme extraordinaire a plus de poids que l'applaudissement
général des gens du commun: tous ces petits suffrages
sont comme de trop legers alimens qui ne soutiennent point:
Porque regojos de
aristas no alimentan»
. M. Amelot traduit ainsi
cette dernière, phrase: Quand on a une arrête dans le
gozier, le reniflement ne fait pas respirer. I. Comment cela se
peut-il joindre et faire un sens avec sa phrase
précédente: «Un tiede oui
d'un grand homme est plus à estimer que l'applaudissement de
tout un peuple: car quand on a une arrête, etc. Porque regojos, etc. II.
Aristas
signifie proprement des épics de bled, et souvent aussi des
arrêtes; Regojos signifie toutes sortes de miettes.
Alimentar
signifie souvent, nourrir, et dans ces mots, il n'y a ni gozier, ni
reniflement. Rendons le texte à la lettre: Porque, car, regojos, de petites miettes,
de aristas,
d'épics de bled, non alimentan, ne nourrissent point, ne
soutiennent point. Or pour accommoder ce même texte à
notre manière, j'ai repris de la phrase
précédente quelque chose du sens propre qui
conduisît au sens figuré de la phrase suivante; et
j'ai dit: Tous ces petits suffrages (de gens du commun)
sont comme de trop legers alimens qui ne soutiennent point. Je
soupçonne au reste, qu'au lieu de regojos, M. Am. aura lu, regüeldos, qui
signifie les rapports des viandes qu'on a dans l'estomac. Et dans
cette supposition même, il ne se trouve pas un seul mot
espagnol, qui puisse occasionner cet aphorisme singulier du
traducteur: Quand on a une arrête dans le gozier, le
reniflement ne fait pas respirer».
Après
avoir lu ces lignes, on se demande si C. a vraiment eu sous les
yeux un texte offrant la leçon qu'il a suivie: «porque regojos
de aristas no
alimentan»
. J'en doute un peu, et cependant il
semble d'autre part improbable qu'il sût assez d'espagnol
pour se permettre de corriger ainsi une phrase de notre auteur.
¿Doit-on admettre chez quelque éditeur des oeuvres
groupées de Gracián, au XVIIe ou au commencement
du XVIIIe
siècle, un scrupule à conserver le mot assez grossier
de regüeldos28,
auquel il aurait substitué regojos, en même temps que, pour plus
de clarté, -ce qui d'ailleurs n'était nullement
nécessaire- il aurait mis alimentan pour alientan? De toutes façons, deux
points semblent acquis: 1.º que G. a bien écrit:
porque regueldos no
alientan29;
et 2.º que A. a complètement dénaturé la
pensée de l'auteur.
Il serait assurément bien facile de multiplier les observations qui viennent d'être présentées, de signaler et de discuter encore beaucoup de passages où Schopenhauer, malgré toute son intelligence et tout son talent, n'a pas complètement réussi à saisir la pensée de Gracián et à en rendre avec l'exactitude voulue la forme à dessein quintessenciée ou obscure; mais peut-être trouvera-t-on que j'ai déjà abusé de la patience du lecteur et que la démonstration qui vient d'être faite suffit, surtout en ce qui concerne la valeur de la traduction de Schopenhauer comparée à celle d'Amelot dont la réhabilitation s'imposait, puisque l'opinion formulée à son égard par le philosophe allemand avait été sans autre vérification trop facilement acceptée un peu partout.
Avant de finir toutefois, et après avoir payé à Schopenhauer le tribut d'admiration qui lui revient à si juste titre, je voudrais indiquer par où, à mon avis, sa traduction pèche le plus et ce qu'aurait à faire, pour remédier à ses défauts les plus saillants, l'hispanisant qui entreprendrait de traduire à nouveau l'Oracle portatif. L'inconvénient le plus grave de la version de Schopenhauer -inconvénient qui pourra paraître à d'autres un mérite- c'est qu'elle nous donne l'impression d'un essai d'artiste plutôt que d'un travail méthodique de philosophe. Schopenhauer, en effet, tout en suivant de très près son modèle, s'est bien plus attaché à écrire avec vivacité et élégance, à varier habilement l'expression de la pensée espagnole qu'à se conformer aux principes d'écriture de son auteur, lequel emploie intentionnellement certains mots qui gardent chez lui des acceptions spéciales, comme par exemple atento, caudal, cuerdo, culto, despejo, discreto, eminencia, empeño, figura, galante, genio et divers autres. Ces mots-là il conviendrait, pour rester dans le ton, de les traduire avec une extrême exactitude et toujours de même, quitte à porter quelquefois préjudice à l'agrément du style. Entreprise ardue et qui nécessiterait une étude préalable du vocabulaire de Gracián dans toutes ses oeuvres, car il faut bien se rappeler que l'Oracle portatif répète souvent, et à peu près dans les mêmes termes, ce qui déjà avait été dit ailleurs. Serait-on payé de cette peine et obtiendrait-on toujours le résultat espéré? J'en donne d'autant moins l'assurance que je crois apercevoir bien du flottement et de l'imprécision dans ce style soi-disant systématique; mais on peut toujours essayer.