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Abajo

La signature de Christophe Colomb

Eugène M. O. Dognée





  —303→  

La signature de Christophe Colomb, dont on conserve de nombreux spécimens1, pose une énigme aux historiens de l'immortel   —304→   découvreur du nouveau monde. Le respect, dont les penseurs de presque tout l'univers2 entourent la grande figure du navigateur auquel la civilisation est redevable de l'une de ses plus importantes conquêtes, accroît, chaque jour, la portée du moindre détail relatif à sa personnalité et à son œuvre grandiose. Bon nombre de chercheurs se sont déjà efforcés d'expliquer les caractères nombreux, et encore mystérieux, que l'illustre marin apposait au bas de chacun de ses écrits. Malheureusement, tant de travaux sont restés insuffisants: nous ne possédons aucune interprétation complète de valeur concluante. Les investigations qui ont trait à l'histoire, sont cependant devenues, de nos jours, plus curieuses que par le passé. Avec les faits on prétend dévoiler les héros. Non seulement la science exige la solution de toute question soulevée par les documents, mais les recherches embrassent une plus vaste étendue du domaine historique. En même temps que la traduction intégrale des signes tracés par Colomb, l'esprit moderne réclame des éclaircissements sur les lieux où il trouva les éléments de son étrange signature, la date à laquelle il l'adopta, les idées dirigeantes dont l'empire inspira ce type inusité de calligraphie.

La question de date première, de nature à élucider le problème et à nous révéler l'état d'âme de celui qui choisissait une forme si originale pour signer ses écrits, demeure irrésolue. Les recherches que l'on active et que l'on dirige savamment dans tous les pays où passa Colomb, promettent, dans un avenir prochain, des renseignements inconnus sur le mode dont signait l'illustre Génois, durant la période obscure de sa glorieuse existence. L'Italie a annoncé, à l'Europe savante, la publication de la Raccolta Colombiana,   —305→   pour le quatrième anniversaire de la découverte du nouveau monde. Pour mener à bonne fin cette louable entreprise, elle compulse les archives officielles et particulières. Dans le royaume d'Italie, les actes des notaires, déjà fructueusement inventoriés à Gènes, «où naquit et vécut Colomb» ainsi qu'il l'affirme dans son testament, sont minutieusement explorés à Savone3 et ailleurs. A Pavie, où les historiens disent que le futur amiral de l'Océan s'assit sur les bancs universitaires, quelqu'écrit, souscrit durant ses années de jeunesse studieuse, peut se révéler; soit dans les Registres jusqu'à présent muets sur l'étudiant, soit par la découverte d'un de ces «Album Amicorum» déjà usités au XVe siècle, où, sur chaque page, un camarade apposait, en gage de bon souvenir et témoignage d'affection, ses armoiries, un dessin enluminé, une devise, quelque combinaison symbolique devenue souvent inintelligible, une simple signature enjolivée par les écarts de plume les plus fantaisistes selon la mode du temps. En Portugal, les fureteurs n'ont pas encore secoué toute la poussière des vieilles fardes de paperasses parlant de la grande époque des découvertes géographiques. A Lisbonne, que Colomb habita et où il contracta son mariage, il a dû laisser de nombreux écrits; comme il y acheva, affirme-t-on, les cartes marines et les copies soignées de manuscrits qui furent, durant une partie de sa vie, sa principale ressource. Aux îles alors connues de l'Océan, où il résida, à Porto Santo, reste l'espérance d'une heureuse trouvaille. En Espagne enfin, où l'on n'a jamais cessé d'explorer opiniâtrement, et avec fruit, tant de trésors diplomatiques éclairant la grande épopée du XVe siècle, l'époque du séjour de Colomb au monastère de la Rabida et chez ses protecteurs, garde sans doute des traces des missives officielles par lesquelles le marin offrait ses services, des débris de la correspondance amicale dont chaque feuillet équivaudrait à un joyau précieux.

En attendant que tout doute soit dissipé quant à la date de l'apparition de la signature qui se dresse devant nous comme   —306→   une équation à nombreuses inconnues, et que l'on puisse fixer la chronologie complète des documents similaires, nous n'avons sous les yeux que des répétitions, peu variées, toutes postérieures á la réussite des audacieux projets du grand navigateur. L'étude réfléchie de ces autographes semble permettre de proposer une explication acceptable de la signature colombienne. Les utiles renseignements qu'ont consacrés à la question les doctes annotateurs des pièces les plus marquantes des célèbres archives de Séville, les deux fac-simile et la note raisonnée que nous avons pu consulter dans la superbe édition des Cartas de Indias4, la fidèle reproduction de lettres de Colomb, pieusement conservées à Gènes, qu'a publiée M. Harrisse5, nous ont puissamment aidé à achever ce travail, provoqué par le don amical du savant ouvrage de M. Fabié sur la vie et les écrits du P. de Las Casas6.

Les personnes les moins versées en examens paléographiques, reconnaîtront sans peine, rien qu'à première vue du second document publié dans les Cartas de Indias, que la même main a tracé le corps de l'écrit et l'ensemble combiné qui sert de signature. L'écriture du grand navigateur, si haut prisée par Ferdinand Colon, fils et biographe de l'amiral, nous disant qu'elle pouvait suffire à lui assurer l'existence, sera popularisée par la publication italienne de la Raccolta Colombiana. Elle nous est déjà assez connue pour que l'on soit certain de retrouver, bien tracés de sa propre main, tous les signes nombreux formant la signature de l'immortel navigateur, telle qu'il la conserva jusqu'au jour de son décès.

Christophe Colomb, devenu en Espagne don Cristoval Colon, signait généralement au moyen d'un ensemble calligraphique disposé sur quatre lignes. La première no se compose que d'une seule majuscule S, précédée et suivie d'un point (.) ainsi que s'achêvent les sigles de l'épigraphie monumentale ou numismatique.   —307→   La seconde ligne, que domine, au centre, le premier sigle, fait se succéder les trois lettres S, A, S, toutes aussi en majuscules, et suivies, chacune, d'un point abbréviatif. A la troisième ligne paraissent, symétriquement au dessous de la seconde ligne, trois nouvelles lettres X M Y, encore en majuscules, mais sans ponctuation. Enfin, la dernière ligne, précédée parfois de deus points superposés (:), jetés en dehors de l'ensemble, porte XroFERENS. Un point termine la signature. La première lettre de la ligne inférieure X est une majuscule; les deus suivantes, dont la première n'est intelligible que par l'alphabet grec (r) sont des minuscules, FERENS est entièrement écrit en majuscules. Un prolongement cursif du haut de la seconde branche del' X a été reconnue comme trait d'abbréviation par Washington Irving, moins inexact que ses devanciers, quant à la ponctuation et l'emploi des majuscules. Les annotateurs des Cartas de Indias qui ont étudié minutieusement les quinze lettres de Colomb copiées, un peu rapidement peut-être, par l'érudit Navarrète, dans l'archive du duc de Veragua, héritier du nom, des titres, des papiers de l'amiral de l'Océan, ajoutent que si, dans les missives officielles, adressées aus Rois Catholiques, Colomb se bornait à prolonger horizontalement le haut du second bras del' X précédant ro, dans ses lettres familières il séparait et allongeait ce trait abbréviatif au dessus des deux minuscules; montrant ainsi, selon la forme adoptée à son époque, que celles-ci étaient incomplètes, même avec la majuscule initiale. Cette jonction des trois premières lettres prouve qu'elles doivent être prises toutes dans le même alphabet. Nous avons donc un X grec et un omicron (o) et non des lettres de pareille forme appartenant à une autre langue.

Après le point final, un peu en dehors à gauche, un trait diagonal, analogue à un paraphe rudimentaire, clôt tout l'ensemble écrit. Enfin, mentionnons, pour être complet au sujet des détails extrinsèques, que, sur les pièces olographes, les annotateurs des Cartas de Indias ont relevé une rubrique. Nous la voyons sur le côté droit de la seconde lettre qu'ils ont fait photographier, en avant de la signature; précisément à l'endroit correspondant au locus sigilli bien connu des déchiffreurs d'anciens textes: chartes, brefs, patentes, missives. Il nous a paru, en étudiant l'écriture   —308→   de Colomb, y reconnaître un (S) cursif, tracé élégamment dans le goût des paraphes usités au XVe siècle, surtout par les scribes officiels.

Élaguant les traits extérieurs, notés en passant dans le cours de notre description sommaire, mais tenant compte de la ponctuation, utile au déchiffrement, la signature se présente sous l'aspect suivant:

· S .
S. A. S.
X M Y
: X roFERENS.



Après ce relevé descriptif de L'hiéroglyphe à interpréter, afin de donner à notre étude une marche méthodique, en procédant du connu à l'inconnu, nous diviserons le groupe qui sous occupe d'après les facilités qu'il offre à la traduction. Nous déterminerons d'abord la ligne inférieure X ro FERENS, puis nous occuperons de la troisième où reparait la même initiale qu'à la ligne du bas. Nous remonterons ensuite aux deux lignes supérieures que la triple répétition de la même lettre (S) semble indiquer comme un ensemble, marqué de points omis à la troisième ligne. Enfin nous terminerons notre examen par des observations sur la disposition générale de la signature.


§ 1.

: X roFERENS.



Relevant des variantes exceptionnelles sur des pièces d'une authenticité incontestable, les annotateurs des Cartas de Indias démontrent que la quatrième ligne de l'ensemble calligraphique que nous cherchons à lire est indépendante des trois autres. Les deux points jetés en avant, signe grammatical destiné toujours à appeler l'attention, indiquaient déjà une partie spéciale, importante. En outre, sur des missives officielles où Colomb agit en vertu des pouvoirs que lui out conférés les Rois Catholiques, après la reproduction identique des sept lettres formant les trois   —309→   lignes supérieures, on lit, sur un document: VIREY (vice-roi); sur un autre: El almirante (l'amiral). Ces deux variantes prouvent que le groupe de lettres grecques et latines, correspond à lui seul, à Colomb lui-même, élevé par patente royale aux fonctions d'amiral de l'Océan, et à la dignité de Vice-Roi des pays qu'il donnait à l'Espagne. La ligne inférieure de la signature désigne sa personnalité. Il l'a encore prouvé en signant, probablement déjà malade, une lettre amicale du 25 février 1505, où, supprimant tous les sigles, il se borne à tracer:

. X ro Ferens.



Le mot forgé de lettres grecques et latines, indique donc celui dont aucune initiale ne correspond au nom de famille; soit sous sa forme italienne originaire: Colombo, soit tel que l'illustra l'amiral lorsqu'il fut naturalisé espagnol: Colon. On reconnait sans peine dans le barbarisme gréco-latin une transcription cherchée du prénom du grand navigateur: Christophe; en italien, Cristoforo; en espagnol, Cristoval; en latin, Christophorus. Spotorno suggère7 qu'il reçut ce nom de baptème d'un parent appelé Christophe Colomb qu'un acte notarié prouve avoir existé à Gènes en 1440. Suivant les usages des savants de son époque, l'amiral, dérogeant à la grammaire latine at aux lexiques, a recomposé son nom en le scindant en deux parties distinctes, et en modifiant le membre final, d'après l'étymologie qui rappelait la légende de son patron. Les lettres grecques Xro, avec le signe d'abbréviation (-) correspondent à Xristo partie du nom sacré Xristo/j, tout-à-fait comme le monogramme révéré Monograma, que l'éminent M. de Rossi a relevé sur des épitaphes chrétiennes remontant, peut-être, à l'an 261 de notre ère, certainement de l'an 2918, puis se reproduisant à profusion. Tous les archéologues savent que, postérieurement, ce monogramme que, dit-on, Constantin vit dans un songe prophétique, fut, après la victoire remportée sur Maxence, tracé   —310→   sur les étendards, les boucliers, des soldats de l'empereur se déclarant chrétien. Aux études nombreuses et circonstanciées sur le Labarum, les antiquaires ont ajouté une multitude de dissertations relatives au motif iconographique qui devint sujet favori de l'ornementation d'objets qu'il caractérisait quant aux croyances de leurs propriétaires. La longue note, insérée à la suite du recueil douteux d'inscriptions que publia Gudius, relate les anciennes études qui se continuent encore de nos jours9. Nous rappellerons aussi l'édition donnée par Beger des recherches de Bartoli et de Bellori sur les lampes funéraires; où une série de planches montrent des lampes en bronze et en terre-cuite portant le monogramme traditionnel du Christ10. Semblables images furent partout innombrables. «On s'entourait du nom du Christ comme d'un rempart» écrit M. Le Blant11, parlant d'ustensiles domestiques: cuillères, mesures, poids; lampes, anneaux, vases à boire, cure-dents, ornés du X et du P entrecroisés. Colomb reprend une forme plus explicite que le monogramme du Labarum, et même que l'abbréviation première X P, par l'addition de l'omicron (o). Cette transcription porte à supposser que c'est en Espagne qu'une inscription de ce genre frappa les yeux et se grava dans la mémoire du grand navigateur. M. de Rossi a, en effet, constaté dans l'antique Ibérie, une préference pour la leçon XPO, sur le monogramme Monograma plus fréquent en Italie où l'accompagnent l'alpha (a) et l'ôméga (w) symboliques.

Le groupe des trois lettres grecques, avec le signe abbréviatif remplaçant isto, nous révèle que l'ancien étudiant de Pavie, auquel tous ses biographes accordent une connaissance assez approfondie du latin pour lire courament les ouvrages qu'il consulta afin de préciser et d'étager ses vues hardies sur la navigation, recopier, sur les marges de l'un de ses livres favoris, la lettre écrite en langue savante du temps par Toscanelli, s'initia aussi aux arcanes   —311→   de l'idiôme hellénique. De même que le grec a laissé quelques mots dans la liturgie catholique: amen, kyrie eleïson, etc.; il fut mis à contribution par le docte marin afin de faciliter la réunion d'idées qu'il condensa dans sa signature.

Au nom grec du Sauveur, dont il imposa l'appellation vulgaire à la première terre qu'il découvrit le soir du 11 octobre 1492, Colomb ajoute le participe FERENS traduction latine du sens fourni par le second membre de son prénom. PHORUS le faisait remonter à Fe/rw. Ces fantaisies scolastiques dévoilent un mobile. Sans admettre, comme M. Roselly de Lorgues, que le prénom, alors fort répandu en Ligurie, que reçut Colomb, établisse une mission providentielle en faveur de celui qui porta la foi au Christ dans un hémisphère jusqu'alors inconnu12, jugeant sagement comme le dit M. Colmeiro, que les études historiques ne peuvent s'élever au dessus des chosses terrestres13, mais repoussant plus énergiquement la légende proposée par M. Goodrich, prétendant qu'un pirate grec usurpa le nom de Christophe pour se concilier l'appui d'Isabelle-la-Catholique et des prélats qui la conseillaient14, nous devons, pour éclaircir notre sujet, admettre que Colomb, par son barbarisme voulu, affirmait une corrélation entre son nom de baptême et le principal mobile de sa grande entreprisse: l'esprit de prosélytisme dont il parle, plusieurs fois, dans ses écrits. La légende de St Christophe qu'une gravure sur bois avait popularisée dès 142315, lui était familière et chère: il se plaisait à se prévaloir de la coïncidence qui la faisait sienne. Ses amis le suivirent dans cette voie. Lorsque, sur l'ordre de la Reine, et du vivant de l'amiral (1500) le cartographe Jean de la Cosa dessina sa superbe carte du nouveau monde, l'ancien pilote de Colomb, ainsi qu'il signait ses portulans, mit au haut de la   —312→   feuille l'image consacrée de St Christophe. On a même prétendu que les traits de Colomb avaient été rappelés par le géographe qui l'avait accompagné dans l'une de ses glorieuses traversées de l'Atlantique.

Nous serions enclin à supposer qu'en décomposant toujours son prénom en deux parties distinctes, afin de placer, en quelque sorte, en vedette, les caractères grecs indiquant le nom du Christ, Colomb se rappelait tant d'images de l'iconographie et de l'épigraphie chrétiennes, propres à exprimer son nom de famille. Ce nom, en italien comme en espagnol, signifie l'oiseau que le symbolisme chrétien, né de traditions helléniques16, place volontiers auprès de la figuration du nom du Christ. La colombe de l'arche, identifiée mystiquement avec le St Esprit apparaisant au baptême de Jésus, devint, dans la symbolique chrétienne, la compagne de la croix ou du monogramme Monograma sur beaucoup d'inscriptions17, surtout en Espagne18 et grand nombre d'objets. Si cette hypothèse était fondée, le nom Colomb, voltigeant autour de la signature, se poserait mystérieusement près de X ro FERENS.

Nous n'hésitons nullement à faire appel à l'épigraphie monumentale des premiers chrétiens pour expliquer le choix des signes tracés par Colomb: à son époque on s'occupait activement, en Italie du moins, de relever et de déchiffrer toutes les pierres gravées, généralement sépulcrales19. Le tribun Rienzi (Cola di Rienzo), nous enseigne M. de Rossi, avait commencé ces études de 1344 à 1347 mêlant antiquité et moyen-âge. Elles avaient été reprises, vers 1391, par le chartreux Reginald Teutonius, dont parle, dit encore M. de Rossi, un anonyme espagnol qui écrivit entre 1566 et 1567. Au XVe siècle, en pleine Renaissance des études, parut Petrus Sabinus, dont un recueil d'inscriptions fut possédé par le roi de France Charles VIII. En étudiant à Pavie, en   —313→   perfectionnant ses connaissances lorsqu'il eut cessé sa première carrière maritime, Colomb, dont tout affirme l'esprit sagace et curieux, a pu s'initier à ces trouvailles, y intéreser sa pensée pieuse, puis s'en rappeler lorsqu'il combina sa curieuse signature, bien empreinte du désir d'étaler son savoir.




§ 2.

X M Y .



La ligne qui surmonte immédiatement le nom du grand navigateur, nous propose un thême plus ardu que la lecture de Christophe changé en Xristo FERENS. Bien qu'aucun point ne sépare les trois lettres X M Y, nous ne pouvons les réunir; car elles ne forment, en leur séquence, aucun mot d'une langue ancienne ou moderne. Tracées en majuscules, bien que celle du milieu semble amoindrie, forte est de les traiter comme des sigles ou initiales. Rien n'indique si elles sont grecques ou latines: la paléographie espagnole du XVe siècle gardant la forme de l'ipsilon Y pour le I, et X comme M étant lettres communes aux deux langues classiques que nous avons vu employer par Colomb.

L'analogie parfaite de la première avec le X grec au dessus duquel nous la lisons, éveille de suite l'idée du mot Xristo/j, Christ. Tous les commentateurs s'accordent sur ce point. La question de langue n'est point par là tranchée. Colomb a écrit XroFERENS, et au XVe siècle la lecture Xristus n'et pas insolite, surtout en Espagne.

L'M, qui succède au mot Christ, a été de même reconnu pour l'initiale du nom de Mario la mère du Christ: MARIA ou MAPIA car rien ne décide encore quel alphabet l'on doit choisir. Cette interprétation même, géneralement admise, n'a point la justification de celle de la première lettre, fournie par la ligne du bas.

Un texte, décisif selon nous pour la question qui nous occupe, va lever les difficultés et résoudre les doutes. Signalé déjà par Spotorno, qui n'a pu s'en servir20, il a été publié de nouveau,   —314→   dans un autre but, par le savant M. Fabié, dans une dissertation comprise dans sa belle étude sur la vie et les ouvrages du P. de Las Casas21. Afin de réfuter l'opinion émise par M. Harrisse, qui avait nié l'authenticité de la vie de Christophe Colomb, écrite par son fils Ferdinand, M. Fabié met en regard, des extraits de la publication en italien, imprimée à Venise en 1571 par Ulloa, et des fragments de l'œuvre originale qu'il a reconnus dans l'Histoire générale de Las Casas, restée manuscrite jusqu'à une date fort récente. Les versions transcrites dans l'Histoire générale des Indes, d'après l'original perdu du livre de Ferdinand Colon, sont la traduction, presque textuelle, du texte édité par Ulloa. On ne peut plus douter que la Vie de l'amiral ne soit l'œuvre de son fils. Les lacunes et les erreurs de détails qu'a signalées M. Harrisse égaré par ces imperfections, s'expliquent par l'incorrection du traducteur italien et la façon dont le manuscrit original arriva en sa possession.

Le passage important pour la question que nous étudions, ne prête à aucune critique puisque Las Casas l'avait transcrit presque textuellement, et qu'en outre il confirme, par une assertion personelle, ce que rapportait Ferdinand Colon.

Nous lisons dans la version d'Ulloa, que, selon son biographe le plus autorisé, Christophe Colomb ne prenait jamais la plume sans écrire ces paroles: «Jesus cum Maria, sit nobis in via». (Jésus, avec Marie, précédez-moi.) Le texte est précis: «Et si alcuna cosa haveva da scrivere, non provava la penna senza primer scrivere queste parole, JESUS CUM MARIA sit nobis in via».

La portée de ce document pour le déchiffrement qui nous occupe, nous a porté à vérifier s'il se réfère bien à la signature de Colomb. Ferdinand Colon, insistant sur les principes religieux de son père, ainsi que le prouvent les phrases précédentes, dit que chaque fois que l'amiral dévait écrire, il ne prenait la plume sans tracer d'abord la courte invocation qu'il donne en latin.

La seule objection que l'on pourrait opposer à la corrélation de ce renseignement avec notre signature énigmatique, naîtrait de ce que le biographe parle du commencement des écrits et non de   —315→   leur terminaison. Le P. de Las Casas, en recopiant la petite prière et en confirmant l'usage pieux rapporté par Ferdinand Colon, dit, à son tour: «sur chaque lettre ou autre chose qu'il écrivait, el méttait en tête: JESUS CUM MARIA sit nobis in via. En cualquiera carta ó otra cosa que escribía, ponía en la cabeza JESVS CVM MARIA sit nobis in via; y destos escritos suyos y de su propria mano, tengo yo en mi poder al presente hartos».

Les autographes de Colomb qui nous sont parvenus no montrent, en tête de l'écrit, que la croix, cursivement tracée que figuraient tant d'hommes pieux du temps et que reproduisent encore les ecclésiastiques de nous jours. L'assertion très formelle des deux hommes qui connurent si intimement Colomb ne peut donc s'appliquer qu'à la signature. Un détail, que précise Ferdinand Colon, est probant. Après avoir relaté l'invocation qu'inscrivait l'amiral sur chaque écrit de sa main, son fils ajoute: «d'une telle écriture que par elle seule il aurait pu gagner sa vie» «e de tal carattere di lettera, che con solo questo si poteva guadagnare il pane». Pareille observation n'est conciliable qu'avec l'aspect des lettres soignées de la signature: majuscules largement tracées d'une main posée; au bas des missives que l'ardent Colomb écrivait rapidement, à en juger par leur caractère cursif.

Spotorno qui a inséré dans sa première dissertation sur la signature de Colomb une mention écourtée du passage du livre d'Ulloa que nous croyons si intéréssant pour notre interprétation, admet que cette mention d'une coutume pieuse, suivie par l'amiral, se refère à la signature. Il suppose seulement que le texte rapporte un premier usage, «que le navigateur changea lorsqu'il eut obtenu la dignité que lui conférèrent les Rois Catholiques». En lisant tout le passage cité, nous ne voyons rien qui justifie pareille conjecture. Ferdinand Colon ne parle nulle part d'une seconde signature. Le P. de Las Casas, transcrivant en présence des autographes qu'il dit posséder, se tait de même. Or 1'ouvrage de Ferdinand Colon comme celui de Las Casas ne furent écrits que lorsqu'on savait tout sur les coutumes de l'amiral; le livre d'Ulloa ne parut que fort postérieurement à la mort de Colomb, décédé à Valladolid le 21 mai 1506.

L'erreur de Spotorno est née de la difficulté qu'il rencontrait à   —316→   concilier son texte avec les sigles de la signature dont le Codice diplomatico donne deux reproductions lithographiées. Nous pensons pouvoir démontrer que la mention de Ferdinand Colon et de Las Casas est exacte, quoique fort légèrement modifiée sans altérer le sens.

Nous basant sur le texte reproduit par M. Fabié, nous concluons que les sigles de la troisième ligne représentent des mots en la langue savante du temps, déjà indiquée par le FERENS qui termine le prénom de Colomb. La lecture du X par Xristus s'impose. Celle de l'M par MARIA résulte de la citation utilisée.

La troisième lettre de la même ligne Y a donné lieu à deux interprétations différentes. Spotorno a d'abord vu dans ce sigle l'initiale du nom de Joseph le père nourricier du Christ, l'époux de Marie. YOSEPHUS selon la paléographie espagnole. La ligne que nous examinons se lirait: XRISTUS MARIA YOSEPHVS Christ, Marie, Joseph, invocation devenue et restée populaire dans tous les pays catholiques. La plupart des commentateurs ont admis cette traduction; et comme les plus compétents, nous devons citer les annotateurs des Cartas de Indias.

Ces derniers auteurs nous disent cependant, qu'après avoir donné cette version, Jean Baptiste Spotorno la modifia dans le numéro d'août 1827 de la Revista del Norte de América. Il proposa de lire au lieu de YOSEPHUS, YESUS. La même correction se remarque dans une note de M. Charton, sur la question que nous traitons: après avoir domné la lectura: CHRISTUS MARIA YOSEPHUS, l'auteur hasarde: ou YESUS22.

Les éditeurs des Cartas de Indias repoussent la correction apportée par Spotorno à sa première traduction. Jésus, après Christus, leur semble un pléonasme tout-à-fait inadmissible. Ils maintiennent, en conséquence, la lecture de X M Y par: Christus, Maria, Josephus, comme dans l'invocation devenue presque proverbiale23.

La recherche scolastique dont Colomb a fait preuve dans la création de sa signature, nous laisse fort indifférent aux dictons   —317→   populaires les plus répandus. Le souci de la symétrie, poussé jusqu'à l'extrême sur certaines inscriptions chrétiennes et les documents paléographiques de l'époque de Colomb24, nous ferait accepter le pléonasme évident, signalé par les annotateurs des Cartas de Indias dans la transcription XRISTUS, MARIA, YESUS.

L'expression liturgique consacrée, Jésus-Christ on Jésuschrist, offre semblable répétition de vocables dont un seul suffit à désigner le sauveur. Si Colomb n'avait tenu, ainsi qui nous l'avons expliqué, à préférer le nom Xristus pour commencer sa ligne de sigles, une simple redondance du nom de Jésus, lui aurait fourni la groupe symétrique Y. M. Y. correspondant parfaitement à S. A. S. de la ligne immédiatement supérieure.

En présence du nom Jésus-Christ qu'il tenait à inscrire, il a interverti l'ordre normal des deux vocables, qu'il décomposait comme son propre prénom, afin de rapprocher et de superposer X à son X ro.

D'autre part, bien que Las Casas, copiant et amplifiant le texte de Ferdinand Colon, parle de la dévotion spéciale de Christophe Colomb envers Notre-Dame et St François: «era devotissimo de Nuestra Señora y del serafico Padre San Francisco», nulle mention n'est faite d'un pareil tribut d'hommage rendu au père nourricier de Jésus.

Parmi les nombreux noms que l'amiral donna aux îles et terres qu'il découvrit, nous no souvenons point, entre tant d'appellations dictées, par les croyances catholiques, du nom de St Joseph; qu'il aurait cependant, selon presque tous les commentateurs, fait figurer dans sa signature à la suite de ceux du Christ et de Marie.

Enfin, et c'est à nos yeux l'argument le plus concluant, le texte précis du fils de Colomb, écrivant la vie de son père, no mentionne que Jésus et Marie. Si l'amiral eût complété l'invocation par le nom de St Joseph, Ferdinand Colon aurait rappelé cette adjonction. Las Casas, reproduisant cet intéressant passage, et ajoutant en avoir vérifié l'exactitude, de ses propres yeux, par l'inspection   —318→   des autographes qu'il dit posséder, ne fait non plus la moindre allusion au nom de St Joseph.

Nous traduisons donc Y par YESUS25. L'absence de ponctuation nous semble indiquer qu'une liaison intime unit les sigles du groupe, X M Y. Si ces initiales eussent représenté des noms à séparer complétement, nul doute que Colomb n'eût reproduit ici les points qui abondent dans sa signature. Pareille suppresion inusitée partout ailleurs, décèle une intention évidente. Nous en concluons qu'il faut joindre X et Y que sépare l'initiale du nom Maria. Colomb les combine en Jesuschristus sous la forme Christus Jesus. De même qu'il décompose son nom en Christo-Ferens XroFERENS (si mal lu par l'éditeur du Codice diplomatico Colombo-americano, devant une lithographie correcte, qu'il transcrit en espagnol et traduit en italien, en figurant les deux fois la signature XrOERENS), il divisa ausi Jesuschristus. Du double vocable, scindé en deux mots, il intervertit l'ordre traditionnel afin de faire coïncider la place de XRISTUS avec celle de la répétition grec que Xro, qu'il en faisait dans son prénom. Semblables complications cherchées, faciles et presque naturelles à un dessinateur aussi habile que l'illustre cartographe qui découvrit le nouveau monde, sont parfaitement du goût de l'époque.

La lecture complète de notre ligne XRISTUS MARIA YESUS, en rapprochant les vocables indiquant le Sauveur, et tenant compte de rôle accessoire que semblent indiquer la place respective des sigles, comme la forme donné à l'M écrit d'une façon moins largo, presqu'en minuscule, équivaudrait au commencement de l'espèce d'oraison jaculatoire citée par Ferdinand Colon: Jesus (christus) (cum) Maria.




§ 3.

.S.

S. A. S.



L'incertitude que nous avons signalée à propos de l'Y, devient plus intense lorsque nous remontons au dernier groupe qu'il   —319→   nous reste à élucider. Ce sont les sigles que Spotorno déclare «inintelligibles»26. Il n'a même essayé que d'en expliquer deux, le second sous forme très dubitative. Le problème, quoique laissant quelques détails sur lesquels on peut varier d'opinion, ne nous parait pas insoluble.

Notons d'abord que la symétrie d'aspect, si chère aux artistes et aux calligraphes du XVe siècle, a réglé la répétition des trois S, que no sépare qu'un A central, au dessous du premier S, qu'encadre une double ponctuation. Cette disposition, en croix, de trois lettres identiques, nous parait cherchée et intentionnelle. Nous reviendrons sur ce sujet.

Dégageant du groupe l'S supérieure, qui domine doute la signature, les annotateurs des Cartas de Indias proposent de le lire: SALVE. Cette formule de salutation abonde dans les documents de l'antiquité classique. Le souhait de bienvenue, impliquant un vœu de bonne santé, parait à diverses époques. Nous le lisons, figuré en mosaïque, sur le seuil de la maison des Vestales à Pompeï27. Nous le retrouvons au bas de lettres nombreuses d'écrivains latins de dates variées. Dans son grand recueil d'inscriptions, M. Mommsen rapporte même la formule: SALVE SALVOS SEIS, qui nous expliquerait les trois S, a propos d'une inscription sépulcrale relevée en Espagne28. L'usage de la formule de salutation latine pour clôre les lettres épistolaires s'est prolongé longtemps après l'avènement du christianisme. Il serait aisé d'en citer beaucoup d'exemples chez de fervents chrétiens. Jusqu'à nos jours, ce mot est resté usuel; surtout dans les pays où le latin a gardé plus longtemps la faveur des clases lettrées.

Nous ne croyons pas, néanmoins, que l'orthodoxie sévère de Colomb, dont nous avons rappelé la foi intense, lui ait laissé choisir une formule dont il connaissait, sans doute, l'origine payenne. La préocupation pieuse, dont la combinaison de sa signature porte tant de traces, répudie semblable alliage. D'autre part, l'expression salve cadre mal avec la recherche scolastique à laquelle visait Colomb. Ce mot devait lui paraître vulgaire, malgré son   —320→   origine classique. Un passage du livre de bord de son premier voyage de découverte, publié par Navarrète, à la date de son premier attérissement aux îles inconnues, nous raconta que Salve, crié ou chanté, constituait l'expression favorite des matelots, en vue de terre, après une longue traversée29.

L'assertion de Ferdinand Colon, dons nous cherchons à nous écarter le moins possible, nous induit à rattacher le mot caché sous le sigle qui somme la signature, aux trois lettres suivantes, afin de retrouver un ensemble composant oraison adressée au Christ et à sa mère. Par le même motif, nous écartons l'interprétation du premier S par le mot SERVITORE dont Vespucci faisait préceder sa signature dans la célèbre lettre qu'il adressa 14 septembre 1504, au gonfalonnier de Florence30.

M. de Humboldt avait émis l'opinion qu'il fallait joindre tous les sigles des deux premières lignes pour les associer aux noms saints qui leur succèdent, en guise de prière, ou de l'une de ces courtes oraisons que le rituel catholique qualifie de jaculatoires. Voici ce que dit cet auteur estimable et consciencieux, dont M. Roselly de Lorgues incrimine les tendances en lui reprochant acrement sa confession protestante: «Dans le Moyen-Age les Espagnols, pour se distinguer des Maures et des Juifs, si nombreux dans la Péninsule avant le siège de Grenade, faissaient précéder leur nom, par dévotion, de quelques initiales d'un passage biblique, ou du nom des saints auxquels ils se recommandaient particulièrement». Semblable coutume demeurée familière quant à la Bible, après la Réforme, aux puritains d'Angleterre, dont les colonies activèrent si puissamment le développement d'une partie notable du monde rélévé par Colomb, a dicté à Victor Hugo la raillerie qu'il prête à l'un des personnages de sa tragédie de Cromwell, où un cavalier dit de ses adversaires:


      «... ils ont l'habitude risible,
D'entortiller leur nom d'un verset de la Bible».31



  —321→  

L'idée de chercher une pensée religieuse au lieu de la salutation payenne avait aussi amené Spotorno à interpréter l'S initial par SALVAME. Cette formule, au lieu de commencer seulement une invocation, rendrait surabondantes les trois sigles de la seconde ligne. On pourrait se demander aussi si Colomb eût adressé ce vœu au Sauveur, puis à sa mère.

M. Charton, dans la note que nous avons déjà citée, voit dans l'S du haut, l'initiale du mot SANCTA qu'il rattache à MARIA, au travers des autres sigles: ce qui semble au moins difficile d'admettre. Cet auteur no donne au reste, sa transcription que d'une façon dubitative. Il continue en avouant la difficulté d'expliquer les initiales du groupe, sans essayer de l'aborder. «Le S supérieur, dit-il, peut être le commencement de Sancta (Maria); les lettres S. A. S., qui sont au dessous, semblent plus difficiles à expliquer: salve ou sanctus, Sancta, peut-être ave».

Dans la plus récente édition de son Histoire de Christophe Colomb32, M. Roselly de Lorgues, cherchant une formule pieuse pour l'ensemble des quatres sigles, propose de lire: SERVUS / SUPPLEX ALTISSIMI SALVATORIS. La traduction est ingénieuse mais détache absolument ces mots de noms sacrés qui les suivent. En outre, ni la liturgie familière à Colomb, ni surtout le latin employé au XVe siècle, celui de l'auteur du poème, la Christiade, le Crémonais Vida, contemporain de l'amiral, ne portent à faire préférer cette lecture qui fait litière de l'affirmation expresse de Ferdinand Colon.

Sans se détacher complétement du groupe, le premier sigle doit désigner un mot se reliant à la troisième ligne où nous avons lu les noms révérés par Colomb du Sauveur et de sa mère. Ce rapport, indispensable, nous défend de lire l'S du haut par un pronom personnel ou possessif: se, sibi, suus, etc; se rattachant à la personne du signataire. Les sentiments de pieuse révérence qui l'animaient excluent l'idée, de voir, en tête, un vocable secondaire. Les règles du symbolisme, surtout au XVe siècle, obéissaient aux lois qu'a précisées la science héraldique. Or, selon les hérauts d'armes, donc le P. Ménestria codifia, en vers   —322→   français et en prose, les minutieuses prescriptions, les places respectives des emblèmes sont strictement déterminées. En chef (haut), ou brochant sur le tout, paraissent invariablement les pièces (objets) les plus honorables. C'est en haut des autres partitions de leur écusson complexe, que les ducs de Veragua devaient faire figurer la tour de Castille et le lion de Léon; armes royales octroyées, le 20 mai 1493, au découvreur du nouveau monde et à ses descendants.

Par application de ce principe, l'S supérieur doit synthétiser l'invocation que le signataire adresse aux saintes personnes dont il sollicite l'appui. Le premier mot, dont Colomb encadre l'initiale d'une double pouctuation afin d'en souligner, en quelque sorte, l'importance, exprimera la formule de la requête. C'est aussi ce que nous prescrit le texte de la vie de l'amiral écrite par son fils. Bien qu'il soit impossible de traduire tous les sigles par la formule exacte que donne Ferdinand Colon et que répète Las Casas, nous la respectons scrupuleusement en tant qu'elle se prête à l'interprétation. Le premier sigle S. se lira donc SIT.

Force nous est, en poursuivant d'abandonner les mots nobis in via que ne peuvent céler les lettres S. A. S.; et, pour no pas nous écarter trop du sens, de chercher ailleurs quelque formule liturgique dont a pu s'inspirer Colomb, qui, nous dit son fils, récitait journellement les prières prescrites aux ecclésiastiques.

Le sit semper vobiscum que termine le pax Domini nous enduisait à lire le second S. par SEMPER; reconnaissant cependant qu'ici l'interprétation manque de preuve, et pourrait céder á une hypothèse plus justifiée. Notre texte disant nobis selon la construction latine qui pour exprimer le possessif préfère le verbe esse avec un pronom possessif du datif, sunt mihi dulcia poma, chante le berger des Bucoliques, énumérant ses frugales provisions, nous rejetons SEMPER à la fin de notre lecture et admettons ici SIBI afin de correspondre de plus pros au nobis du texte de Ferdinand Colon.

L'inexactitude, qui laisse ici place a des variantes également acceptables, rend aussi malaisée la lecture de l'A, traduit en AVE par M. Charton, en ALTISSIMI par M. Roselly de Lorgues, tandis que Spotorno y voyait l'initiale d'ANIMAM. Une formule de   —323→   Nicolaï, dans son docte Traité des Sigles33 donne SIT MEUM AUXILIUM CHRISTUS, caché sous S. M. A. C., très annalogue à une inscription du Portugal rélevée par M. Hübner: SIC CHRISTUM DOMINUM PROTECTOREM HABEAS34. Sans guide certain, nous avons cherché à préciser, afin de nous éclairer, la provenance du S. M. A. C. qui nous donnait le vocable AUXILIUM, coïncidant avec l'inscription AUXILIANTE DO (DOMINO) ET INTERCEDENTE MARIA rélevé par M. de Rossi35, comme avec le fer auxilium de la prose de St Thomas d'Aquin. O salutaris hostia aurait pu correspondre aux idées de Colomb. Nicolaï indique comme source le recueil si inexact, d'inscriptions publié par Reinesius. Malheureusement nous n'avons pu vérifier sa citation ni dans le Syntagma de Reinesius36 ni dans les recueils de Mommsen et d'Orelli; non plus que nous n'avons retrouvé sa formule dans le bel ouvrage que M. Hübner a dédié à MM. Aurélien Guerra et Edouard Saavedra.

Nous nous sommes d'autant plus facilement résigné à écarter AUXILIUM que la notion de secours n'est point visée dans la formule donnée par le fils de Colomb. Pour nous conformer à ce texte nous avons interprété l'A par le mot ANTECEDENS. Nous ne pouvons proposer la lecture ANTE qui semble suffire et qu'appuye un vers de Virgile cité dans toutes les prosodies:

«Ante Jovem nulli subigebant arva coloni»



par suite du désir de serrer de plus près le texte de Ferdinand Colon. Son expression in via impose CEDENS à joindre a ANTE.

Le dernier sigle du groupe se lit facilement par S(EMPER) dont nous avons indiqué déjà, l'origine liturgique bien qu'intervertie dans la suite des vocables employés.

L'ensemble des sigles nous fait lire: SIT / SIBI ANTECEDENS   —324→   SEMPER / XRISTUS MARIA YESUS / Xr(IST)oFERENS (COLUMBUS?) Que Jésuschrist, avec Marie, marche toujours devant Christophe Colomb! C'est exactement le sens, presqu'en termes identiques, de la version donnée par Ferdinand Colon et Las Casas, peut-être une réminiscence du serpent d'airain présageant la croix.

On doit se demander quel mobile a amené la légère variante, ne touchant que la forme de trois expressions secondaires, apportée par Ferdinand Colon, à relater la teneur de la signature dont il savait le sens et connaisait les termes ponctuels. Nous ne pouvons y voir que la trace d'un scrupule du fin lettré dont parle Navarrète37, plus puriste que l'illustre marin auquel Ferdinand dût le jour. Dans le passage que nous avons tant de fois cité, l'auteur se proposant, ainsi qui'il le dit, de prouver la ferveur de son père, qui, chaque fois qu'il écrivait, traçait d'abord une prière suppliant le sauveur et sa mère de le guider dans sa marche, mentionne en premier lieu les noms sacrés, puis passe à la formule de l'oraison. Craignant peut-être que ses lecteurs no confondissent la préposition ante devant avec l'adverbe homonyme auparavant qui donnerait à la phrase une portée differente, le docte écrivain varia, très légèrement, les mots secondaires. «Sibi» devint «nobis», comme dans la répétition des litanies; «antecedens» qui devait régir un accusatif «se» au lieu de «sibi», fit place à «in via»: le lieu substitué à l'action, «semper» devenait surabondant dans cet ordre d'idées. La modification était si insignifiante que Las Casas, même en présence de la signature en sigles, ne la remarqua point: car il admit la lecture qu'il recopia et appuya de son témoignage basé sur l'inspection des écrits de Christophe Colomb.




§ 4.

Plan général de la signature


Les nombreux commentateurs qui se sont occupés du déchiffrement de la signature de Colomb ont mentionné, incidemment,   —325→   des particularités qui les frappaient à propos du nombre des sigles employés et de leurs divers groupements. Nulle parte nous n'avons vu signaler la composition de tout l'ensemble. Il nous parait, pourtant, qu'entre le sens caché sous les sigles, la transformation du prénom du signataire, le groupement spécial de certaines lettres, comme le dessin indiqué, existe une évidente correlation; qui mérite de ne point passer inapperçue car elle précise et répète plusieurs fois la pensée pieuse qu'inspirait l'auteur de cette composition calligraphique. Les allusions que nous avons à dévoiler sont assez nombreuses. Elles nous paraissent claires, voulues, cherchées. Toutes sont parfaitement conformes aux goûts de l'époque et aux pratiques religieuses que nous savons avoir été familières à Colomb, hôte des monastères, ami de moines, affilié au Tiers-Ordre de St-François. Si quelquefois ces combinaisons paraissent compliquées, elles s'expliquent par l'esprit du temps, le milieu dans lequel vivait le grand navigateur, sa tendance à s'absorber en méditations, ses connaissances scolastiques. Sans aller jusqu'à énumérer, comme M. Roselly de Lorgues des titres à la béatification de l'Église romaine, procès d'une autre compétence ainsi que l'ont fait observer de doctes espagnols, nous bornant, dans notre admiration pour le révélateur du nouveau monde, à exalter sa gloire humanitaire, si éloquemment proclamée par notre ami regretté, Cesar Corrente38, nous devons insister sur le caractère religieux des pensées qui hautaient l'esprit de celui qui rêvait la conquête du tombeau du Christ et d'évangéliser des peuples in connus.

La puissance des idées ambiantes d'une époque dirige impérieusement toute représentation figurative. La concentration d'une pensée vivace, dominée par une croyance fervente, inspire des conceptions nuissant sans effort; tandis que pour les comprendre, après un long laps d'années, il est besoin de déductions détaillées, laborieuses, minutieuses. L'étude que nous avons faite   —326→   de l'intéressante signature du plus grand des navigateurs, nous a appris que cette œuvre, en apparence légère, était le fruit de réflexions suivies, résumait de nombreux essais se complétant et se perfectionnant pour créer l'ensemble homogène qui, une fois réalisé, devint si cher á son auteur qu'il tenait à l'apposer, presque toujours avec ses moindres détails, surtout ce que traçait sa main.

M. Charton a remarqué qu'en choisissant les sigles apposés au dessus de prénom, Colomb les employait au nombre de sept, chiffre réputé sacré par les croyances catholiques. Il les répartit sur trois lignes, nombre plus révéré encore; et sous l'initiale isolée du haut, sigle d'un mot en trois lettres, se succèdent deux aggrégations, chacune de trois sigles. Les extrémités supérieures du dessin qu'il forme, présentent trois lettres idéntiques, disposées en croix dont le haut est signalé par la ponctuation, en avant et en arrière, de l'S de tête. L'insigne chrétien trace le plan général de toute la composition qui repose sur des sigles correspondant aux monogrammes Monograma, MonogramaxR, I H S, tels que les répète à satiété l'art chrétien, soutenus eux-mêmes, avec la croix qui les surmonte, sur le nom de Colomb posé en sous-basement et transformé de façon à évoquer l'idée de porte-croix. Cette attitude humble, fait songer à un sujet très fréquent de l'iconographie catholique, qu'il a pu remarquer sur les verrières des églises, les manuscrits enluminés, les gravures sur bois, les premiers imprimés. Jessé étendu, du corps duquel s'élève l'arbre mystique comme ici surgit la croix. Tout parle de rédemption, et de son emblème que certaine école archéologique a retrouvé, en tous temps et sous toutes les latitudes; tandis que d'autres prétendent lui reconnaître sa signification symbolique, identique et constante, à toute évolution de l'humanité39. La symétrie d'aspect, loi de l'esthétique du XVe siècle est dominée par une pensée pieuse, qui revient sans cesse, comme sur les œuvres accomplies dans le recueillement du cloître. Celui qui signait: porte-croix; traçait, au haut de tous ses écrits, une croix cursive; usage pieux   —327→   des ecclésiastiques suivi alors par les marins, ainsi que le montrent les autographes de Vespucci40.

Cette persistance à montrer le signe des chrétiens, comme affirmation de sa foi, était eveillée dans la pensée de Colomb par la tradition qu'il avait trouvée en Portugal, et qu'il devait poursuivre si glorieusement au profit de l'Espagne. Les grandes découvertes des anciens Ibères, honneur du XVe siècle, se prévalurent de la croix. L'exploration raisonnée de l'Océan s'effectua au nom du prosélytisme qui porta la Papauté à sanctionner les conquêtes géographiques. L'ordre du Christ, dont Henri le navigateur était grand-maître, avait repris l'enseigne des Croisés, tel que les Templiers le répétaient sur leur coutume de guerre, et tel que le reconnut, en 1319, le pape Jean XXII. Ce symbole sacré se dressa sur chaque côte reconnue dans l'Océan. Nous voyons même, plus tard, le nom de Terre de la Sainte Croix désigner le nouveau monde sur le Ptolémée de 1511; et la partie méridionale du continent révélé par Colomb, sur le superbe portulan du vicomte de Majolo41.

Colomb, lorsqu'il composa sa signature, songeait à ses projets d'aller aussi planter, dans des régions inconnues, le symbole qui légitimerait, selon les idées du temps et les anciennes bulles papales42, sa prise de possession. Dans l'espoir de réaliser les projets qu'il mûrissait il en fit le thême de son travail calligraphique.

Cette combinaison ingénieuse où se condensent tant d'idées, révèle un labeur soutenu. En l'absence d'une date certaine et devant les lacunes qui déparent encore la biographie de Colomb, nous ne pouvons en reporter l'invention qu'au temps de son séjour dans le monastère de la Rabida, lorsqu'entouré d'amis, il attendait une réponse favorable a ses offres de service. Les esprits ardents, avides d'action, trompent volontiers leur repos forcé, par de patients travaux, poursuivis jusque durant les nuits d'insomnie.   —328→   Les marins sont coutumiers de ces tâches accidentelles. On admire les chefs-d'œuvre naïfs que le couteau des gabiers a sculpté sur des coques de coco pendant les périodes de calme plat condamnant à l'inaction d'énergiques matelots. En mer, Colomb rencontrait trop de sujets d'étude pour s'absorber en songeries personnelles. Ses observations sur les phénomènes de la nature, qui forment l'un des plus brillants rayons de son auréole, en font foi. Nous ne voyons que les jours passés dans le calme du cloître qui conviennent au travail mental traduit par la combinaison complexe de sa signature.

Lorsqu'il l'eut trouvée il se complut à la répéter, presque toujours identique. Une fort légère modification, a suffi, au savant Navarrète, à déclarer fause certaine lettre conservée à Rome43. D'autres preuves ont confirmé cette sentence, qu'approuvent les annotateurs des Cartas de Indias.

Si l'on doit, en revanche reconnaître comme œuvre de la main habile de Colomb tout tracé, ainsi qu'écrit Las Casas, qui porte exactement l'ensemble calligraphique que nous nous sommes appliqué à déchiffrer, forte serait d'attribuer au grand navigateur le beau dessin conservé à Gènes et reproduit daos l'ouvrage de M. Charton. Ferdinand Colon déclare son père calligraphe, nous le savons cartographe habile, ce document joindrait à tant de titres, celui d'artiste distingué. Au XVe siècle cartes géographiques et surtout portulans avaient hérité des illustrations qui paraient les manuscrits de luxe. Si l'on doit admettre parfois la collaboration d'une main étrangère pour ces fantaisies si pittoresques, d'ordinaire un seul auteur traçait les contours de la carte scientifique et les accessoires appropriés qui enjolivaient l'œuvre. Le dessin que nous rappelons a de plus hautes visées. Largement composé dans le goût des décorations emblématiques et des traditions artistiques que la Renaissance avait remises en faveur, il représente le triomphe de Colomb lui-même au milieu des figures alors de mode. Le caractère de la composition, son agencement, prouvent un talent digne des éloges les plus chaleureux. Les annotations tracées pour expliquer les acteurs symboliques   —329→   ne contradisent point ce que nous savons de l'écriture de Colomb. La signature en sigles s'étale sur un coin de la feuille. M. Charton croit aussi que les dessins des caravelles arrivant aux régions que Colomb révéla il l'humanité, vignettes d'un précieux manuscrit conservé en Italie réproduisent des esquisses du découvreur lui-même; mais ici nous n'avons plus la signature pour prouver l'attribution. Bornons-nous au dessin de Gènes, qui ajoute un nouveau fleuron à la couronne nimbant le front de l'immortel navigateur, sa signature permet d'étendre sa gloire.

En publiant, pour la première fois, la signature de Colomb, Remesal44 se demandait si quelque curieux exercerait son esprit à essayer de la déchiffrer «por si algun curioso quisiera exercitar su ingenio en interpretarla». Le respect qui honore la mémoire du révélateur du nouveau monde a multiplié le nombre des travailleurs désireux de préciser tout ce qui s'illustre du nom de Colomb. A l'approche du quatrième centenaire de la grande découverte que l'Espagne se prépare à célébrer dignement, ouvrages, opuscules, abondent. Ce sont, dit un savant et spirituel défenseur de la juste gloire de Colomb, des hirondelles pronostiquant les beaux jours. Humble passereau, d'origine étrangère. Nous avons essayé de percer la brume obscurcissant la signature de l'illustre découvreur. Des opinions contradictoires, des solutions inadmissibles, des questions laissées sans réponse plausible, confondaient ce sujet dans les aspects les plus ombreux de l'histoire du grand homme que notre cher et docte ami, M. Duro, assimile à une nébuleuse.







Liége, 9 mars 1891.



 
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