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Le succès d’édition des oeuvres de Benito Pérez Galdós: essai de bibliométrie (I)

Jean-François Botrel


Universidad de Rennes II, Haute-Bretagne



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«De la compra y venta de libros no digas una palabra, que esa monserga mercantil a nadie le interesa». A lo que respondí: «Contra lo que me ha dicho mi ninfa gentil, opino yo que el mecanismo interno de la producción literaria despierta en el público interés más vivo que la producción misma».


Benito Pérez Galdós Memorias de un desmemoriado, Madrid, C. I. A. P., 1930, pp. 218-219.                


En Galdós lo que predomina es la obra total, el conjunto, la masa.


Miguel de Unamuno (El Liberal, Madrid, 21-II-1920).                



ArribaAbajoLa mesure du succès1


ArribaAbajoSuccés d’édition et succès

Les succès d’édition d’une oeuvre, c’est-à-dire la quantité d’exemplaires du livre mis en circulation et vendus est un indicateur du succès tout court. Celui-ci   —120→   n’est pas seulement, comme disait Gaston Rageot2, «le fait qu’une oeuvre produite par une personnalité a été adoptée par une collectivité», mais aussi le degré de réception et d’estime par le public.

Entre le succès d’édition d’un livre et le succès, tout court, d’une oeuvre, il est évident qu’il ne peut exister d’équivalence   —121→   arithmétique: un livre acheté n’est pas toujours lu; pour lire une oeuvre, il n’est pas toujours besoin d’acheter le livre; le succès d’une oeuvre dramatique se mesurera davantage par le taux de fréquentation que par le nombre d’exemplaires vendus; le succès d’un poème déterminé et celui du livre qui le contient peuvent très bien ne pas coïncider, etc.

Mais pour apprécier le succès d’un roman de façon non subjective, la donnée fondamentale est le calcul du comportement commercial du livre et son observation à l’aide d’une statistique appropriée: la bibliométrie.




ArribaAbajoLa bibliométrie, à certaines conditions

Le succès d’édition peut être mesuré à court, moyen et long terme, avec une exactitude et une fiabilité plus ou moins grandes, à condition de disposer d’informations de première main, telles que les archives des maisons d’édition, les livres de comptabilité de libraires, etc., les plus complètes possible et sûres.

Pour l’étude du succès d’édition des oeuvres de Benito Pérez Galdós (Galdós dorénavant), on dispose d’une série d’informations abondantes et aussi fiables que possible, tirées des archives du troisième éditeur de Galdós, la maison Hernando, ou publiées par M. Guimerá Peraza dans son étude sur Maura y Galdós3, en plus des indications de tirage sur les couvertures et pages de titre à partir de 1898 et 1904, selon les oeuvres, et de la fondamentale bibliographie de Galdós par Manuel Hernández Suárez, déjà citée.

A partir de ces données brutes ou élaborées, présentées dans les documents n.º 1 à 104, on peut essayer de mesurer le succès d’édition de la plupart des oeuvres qui composent l’opus galdosien (Episodios nationales, Novelas de la primera época, Novelas españolas contemporáneas) et, accessoirement dans notre cas, oeuvres pour le théâtre.

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Les résultats absolus des ventes d’exemplaires par livre ou par série depuis leur première édition jusqu’en juillet 1973, et par sous-périodes, permettent de calculer des taux indices basés sur les rythme mensuel. On peut ainsi estimer les différents niveaux de consommation de livres, l’évolution générale ou le comportement de l’opus galdosien sur une période qui varie entre 100 et 30 ans selon les oeuvres, les variations conjoncturelles et aussi les disparités internes entre les différents genres, les différentes séries d’Episodios nacionales, ou même les différentes oeuvres.




ArribaAbajoLa réception de l’oeuvre de Galdós

Cette observation du comportement de l’oeuvre, influencé par des facteurs para ou extra-littéraires dont il conviendra d’estimer le poids, ne doit pas s’arrêter à un néo-positivisme périmé; elle doit s’articuler sur une recherche des éléments constitutifs du succès: les uns sont extérieurs à l’oeuvre et plus conjoncturels (fonction socio-idéologique de l’oeuvre) et d’autres sont plus structuraux (fonction socio-esthétique) et c’est leur jeu dialectique dans le processus de la communication qui explique les disparités et les fluctuations de la cote des oeuvres de Galdós depuis la Première République jusqu’aux dernières années du franquisme et peut-être aussi l’inégale et variable actualité d’un message qui, dans quelques cas, est si atemporel et universel qu’il en devient classique.






ArribaAbajoBases et limites d’une bibliométrie


ArribaAbajoDes sources d’archives à compléter

Comme on le sait, à partir du 15 janvier 1904, la maison d’édition Obras de Pérez Galdós créée par Galdós à la suite de sa séparation d’avec Miguel Honorio de Cámara cesse officiellement de fonctionner et confie l’administration de son fonds, c’est-à-dire les oeuvres de Galdós, à la maison d’édition Perlado, Páez y Cía., Sucesores de Hernando qui a continué à les administrer, puis à les éditer, sous la raison sociale Hernando, S. A., jusqu’à aujourd’hui.

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Dans les archives de cette maison sont conservés des documents5 qui permettent d’observer l’évolution du comportement éditorial des oeuvres de Galdós de 1904 à 1906 et de 1941 à 1973, ainsi que, dans une certaine mesure, de 1906 à 1908-1909 et durant la Seconde République. Les données brutes puisées à cette source sont recueillies dans les documents n.º 1 à 6.

Pour la période antérieure à 1904, l’absence de données suivies pour les années 1873 à 1897 provient du caractère apparemment lacunaire des archives de la société d’édition La Guirnalda, conservées à la Casa Museo Pérez Galdós de Las Palmas; cela représente un obstacle, pour le moment insurmontable, pour l’étude de la première réception des deux premières séries d’Episodios nacionales et de 25 des 30 ou 31 autres romans.

Sur la période comprise entre le 22 mai 1897 et le 15 janvier 1904 durant laquelle Galdós fut son propre éditeur, on dispose des informations publiées par Marcos Guimerá Peraza relatives à l’état des stocks en mai 1897 et accessoirement en novembre 18966.

Des trois périodes, seules les deux dernières peuvent donc faire l’objet d’une véritable bibliométrie, parce que le caractère parfois lacunaire des données peut être compensé ou corrigé par le comptage des éditions successives et du nombre d’exemplaires de chacune de celles-ci d’après les chiffres de tirage, imprimés sur les couvertures ou les pages de titre et recueillis par Manuel Hernández Suárez dans sa Bibliografía de Galdós.




ArribaAbajoLes chiffres de tirage: leur fiabilité et l’inflation

L’indication du nombre de milliers d’exemplaires imprimés, puis des milliers cumulés a été une initiative de la maison Obras de Pérez   —124→   Galdós -c’est même sans doute une innovation pour l’Espagne- à l’occasion de la publication de la Troisième série des Episodios nacionales. Cette mention figure ensuite sur la Quatrième série des Episodios, puis sur l’édition de 1899 de Doña Perfecta et sur celles de Gloria, Marianela, La Familia de León Roch, etc.

En 1904, Perlado, Páez y Cía. suivent cette pratique en l’étendant même, mais a posteriori, à l’ensemble de l’oeuvre alors publiée, c’est-à-dire en précisant (en fait en fixant), à l’occasion des rééditions des deux premières séries d’Episodios, des romans et des oeuvres pour le théâtre faites par leurs soins, le nombre total d’exemplaires imprimés depuis la première édition de chaque oeuvre. Ainsi, par exemple, la 5e édition de Tormento, en 1906, porte les chiffres 15.000 puis 16.000, ce qui veut dire, sans nul doute, que de 1884 à 1906 on a publié un total de 16.000 exemplaires.

Se pose bien sûr le problème de la fiabilité de ces chiffres, établis on ne sait selon quelles informations (celles fournies par Galdós lui même?) ni selon quels critères. Sont-ils exacts, approximatifs, arbitraires voire fantaisistes?

En divisant le nombre des exemplaires indiqué sur les éditions immédiatement postèrieures à 1904, par le nombre total des éditions, on obtient cependant pour chaque édition un chiffre vraisemblable: une moyenne de 5.000 pour chaque titre des deux premières séries d’Episodios et de 4.000 pour les romans7, chiffre   —125→   assez conforme aux pratiques éditoriales de l’époque8, aux témoignages sur le succès de Galdós et de ses oeuvres alors, et au fait que les rééditions étaient faites selon le procédé très souple et très rapide de la stéréotypie9.

En attendant que l’accès aux archives de M. H. de Cámara permette (peut-être) d’établir des chiffres définitifs, nous prenons ces chiffres pour des bases vraisemblables pour la période 1873-1897.

Pour les années 1907-1908, les indications de tirage selon les archives Hernando permettent de vérifier l’exactitude des chiffres indiqués sur la couverture, sans qu’on sache, en revanche, quand ces tirages ont été mis sur le marché, car il semble qu’on avait l’habitude d’imprimer la totalité de l’édition (4.000 exemplaires pour les Episodios), mais de fragmenter leur distribution avec une couverture différente pour chaque sous-édition de 2.000 exemplaires, comme dans le cas de l’édition de 4.038 exemplaires de Zumalacárregui faite le 5-07-1909 qui se traduit sur les couvertures par les chiffres 16.000 et 18.000. Pour les romans, édités à 2.000 exemplaires, cela se traduit par des chiffres qui vont de 1.000 en 1.000. Le même procédé est encore employé entre 1931 et 1939.

Jusqu’en 1920, l’utilisation des chiffres mentionnés sur les couvertures ne pose pas trop de problèmes, même si l’on peut supposer qu’il a existé pour certaines oeuvres des éditions intermédiaires, en particulier vers 1916-1917, non recensées par Manuel Hernández Suárez.

Après 1920, il se produit une brusque et forte augmentation dans les chiffres indiqués, surtout sur la Première série d’Episodios (de 51.000 en 1914 à 66.000 en 1927 pour Trafalgar, par   —126→   exemple). Ce qui cache sans doute une édition intermédiaire vers 1920 non répertoriée, mais étant donné les circonstances favorables, qui seront évoquées plus loin, le rythme de vente des oeuvres de Galdós ne semble pas, dans le cas présent, influencé par une quelconque imprécision ou une inflation volontaires de la part de l’éditeur10.

Entre 1931 et 1939, le livre d’imprimerie de la maison Hernando (Registro de imprenta) fournit à nouveau des chiffres précis qui coïncident, dans la quasi-totalité des cas, avec ceux imprimés sur les couvertures11.

Après 1940, l’examen comparatif des chiffres sur les tirages conservés dans les Archives Hernando et ceux indiqués sur les couvertures permet de rétablir une vérité très falsifiée -les éditeurs eux-mêmes le reconnaissent- qui a donné lieu à des estimations exagérées sinon fantaisistes sur la diffusion des oeuvres de Galdós. Un ou deux exemples nous serviront de garde-fou pour l’avenir: Doña Perfecta, dont la dernière édition connue, celle de 1922, portait le chiffre 42.000, se retrouve à 100.000 ou 100.500 en mai 1942, date à laquelle est faite une édition de 4.959 exemplaires! Quant aux Episodios nacionales, le chiffre des exemplaires publiés est uniformisé à 100.000 pour tous les titres de la Première série, alors que, par exemple, Mendizábal n’atteignait, en juin 1934, qu’un tirage cumulé de 34.000 exemplaires! Ces 66.000 exemplaires octroyés sont bien sûr totalement imaginaires. Il convient donc de rétablir les véritables chiffres cumulés. C’est ce qui est fait dans les documents n.º 9 et 10 où, pour chaque édition recensée est indiqué le chiffre maximun connu des exemplaires cumulés.




ArribaAbajoL’aide de la science bibliographique

Enfin, comme élément complémentaire, l’évolution chronologique des éditions12   —127→   des Episodios et des romans (documents 7 et 8) permet de couvrir la période la moins documentée et d’observer des politiques d’édition très différentes selon les oeuvres et révélatrices d’une diffusion/réception inégale et variable13.

Avec de telles bases, on peut essayer de procéder à une bibliométrie qui n’est certes pas totalement exhaustive ni rigoureuse, mais qui n’est pas non plus totalement arbitraire.




ArribaAbajoLa détermination de l’unité de mesure

En effet, on peut alors calculer le nombre total d’exemplaires publiés14 et mesurer, par rapport à d’autres opera, l’impact global de l’opus galdosien; mais surtout, en utilisant une unité de mesure standardisée, apprécier le succès relatif des différents genres, des différentes séries ou oeuvres dans la longue durée (de 1873 à 1973, dans le cas extrême de Trafalgar) ou durant des sous-périodes: 1870-1897, 1897-1904, Seconde République, Franquisme, etc.) et même, parfois, d’une année sur l’autre.

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L’unité de mesure retenue est le nombre moyen d’exemplaires vendus par mois, soit le rythme de vente, facile à obtenir en divisant le nombre total d’exemplaires vendus durant la période considérée15 par le nombre de mois compris dans la dite période, en partant du principe, vérifié, qu’on ne fait guère un nouveau tirage d’un livre avant que le précédent ne soit épuisé ou en passe de l’être16.

Cette unité de mesure est totalement précise, au niveau des calculs, lorsqu’il s’agit de périodes bien délimitées (du 15 janvier 1904 au 7 mai 1906, par exemple, c’est-à-dire 28 mois) et plus ap proximative quand les seules bases de référence sont les années (1877 à 1932, par exemple).

Cette marge d’imprécision à laquelle s’ajoutent d’autres risques d’erreur17 a pour conséquence que les différences dans les rythmes de vente, pour être significatives, doivent présenter un écart assez important, estimé à cinq points. Ainsi le fait que le rythme mensuel de vente de Torquemada en la cruz soit de 19 (exemplaires) de 1893 à 1936 et celui de Tristana de 17 de 1892 à 1932 ne permet pas d’établir que le premier roman a connu un plus grand succès, même à long terme, que le second.

L’ensemble des variations et écarts dans les rythmes est représenté dans les documents 11 à 20, commenté dans la deuxième partie de cette étude et interprété dans la troisième.





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ArribaAbajoCommentaires


ArribaAbajoSur la marque de fabrique Benito Pérez Galdós

Le premier commentaire sur les résultats obtenus concerne le caractère massif et durable de la vente des produits «Benito Pérez Galdós».


ArribaAbajoLe caractère massif des ventes

On appréciera la première caractéristique à l’aide des chiffres suivants: cinquante ans après la parution de La Fontana de Oro, soit l’année de la mort de Galdós, il a été imprimé et mis en circulation quelque 1.700.000 volumes (1.250.000 d’Episodios nacionales et 450.000 de romans), ce qui donne, compte non tenu des oeuvres pour le théâtre, une moyenne théorique de presque 35.000 volumes par an18.

Un chiffre énorme pour l’Espagne à l’époque et que seul, peut-être, a pu dépasser quelqu’un comme Vicente Blasco Ibáñez.

Il faut cependant relativiser et peut-être même rectifier cette première impression en comparant ces chiffres obtenus, avec 76 livres, par le «puerco menor», comme le qualifiait un quotidien de México19, avec ceux du «puerco may or», Emile Zola, qui pendant la même période (1871-1923), mais avec seulement les 20 romans des Rougon-Macquart, met 2.549.000 volumes de ses oeuvres en circulation20.

On peut aussi faire la comparaison avec certains écrivains espagnols. Ainsi Juan Valera affirme qu’en 1904 sa Pepita Jiménez en est à la 19ème édition, avec plus de 40.000 exemplaires publiés   —130→   depuis 187421. Or Doña Perfecta, publié en 1875, n’atteint, en 1905 que 33.000 exemplaires...

De même les romans de José María de Pereda ont finalement eu des rythmes de vente supérieurs, en moyenne, à ceux de Galdós: Peñas arriba est au même niveau que le plus vendu des romans de Galdós (Marianela) et onze autres de ses romans se situent largement au dessus des Novelas españolas contemporáneas de Galdós22.

Ce qui est exceptionnel chez Galdós, ce n’est donc pas la vente record de tel ou tel titre (en six mois, Pequeñeces, du Padre Coloma, est deux fois plus vendu que Fortunata y Jacinta en 20 ans!), c’est le niveau moyen de ses ventes, supérieur à celui de la plupart des écrivains de l’époque, qui, multiplié par le grand nombre de ses oeuvres, donne cette impression de masse, si bien perçue par Unamuno.

On comprend mieux ce dernier lorsqu’on se rappelle qu’en 1899 les 1.500 exemplaires de Paz en la guerra sont à peine épuisés, alors que, à cette même date, on a déjà tiré au moins 6.000 exemplaires de Misericordia qui connaîtra une nouvelle édition l’année suivante, et 10.000 exemplaires de El Abuelo qui sont épuisés en 1904 (cf. document 9). Or ces deux romans ont été publiés la même année que celui d’Unamuno.

Ce qui est impressionnant, ce qui prédomine, c’est donc l’oeuvre totale, l’ensemble de l’opus (réduit ici dans le cadre de   —131→   cette étude à 30 romans et 46 Episodios), qui donne à Galdós et à son oeuvre cette audience exceptionnelle pour l’Espagne de l’époque23.




ArribaAbajoL’audience

En effet, si on applique aux volumes de chaque titre vendus entre 1875 et 1905 le coefficient, connu, mais sans doute sous-estimé, pour le pays et pour l’époque, de 3,524, on obtient pour cette première génération de lecteurs potentiels de Galdós un public compris entre 150.000 pour chaque titre de la Première série des Episodios nacionales (3,68% des alphabétisés à la date de 1877), et 25.000 environ, pour un titre des Novelas españolas contemporáneas25.

Au vu de ces chiffres, on peut relativiser la supposée «popularité» de Galdós, et en particulier sa pénétration dans les couches populaires26, même si 150.000 lecteurs pour les Episodios c’est presque trois fois plus que le nombre moyen de lecteurs d’un roman par livraisons, d’après mes calculs27, et que 25.000 lecteurs, c’est cinq fois plus que le public de Juan Valera28.



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ArribaAbajoLa durabilité

Mais l’audience de Galdós n’est pas limitée à cette première génération ni à ses contemporains: aux alentours de 1939 on peut estimer que, sans tenir compte du théâtre ni d’autres oeuvres éditées après la mort de Galdós, comme celles publiées par Alberto Ghiraldo chez Renacimiento, il y a eu 2.300.000 volumes de Galdós (1.750.000 Episodios et 550.000 romans) mis en circulation et vendus en Espagne et dans le monde hispanophone.

Cent ans après la parution du premier Episodio, Trafalgar, c’est, pour les seuls Episodios Nacionales, plus de 2.600.000 volumes qui sont allés ainsi au devant de lecteurs, répartis de façon presque égale avant et après la mort de Galdós (1.242.000 et 1.389.500), ce qui traduit à la fois le grand succès et la durabilité de cette partie au moins de l’oeuvre de Galdós et, en tout cas, la validité du label d’un point de vue commercial et littéraire.

Cette grande audience du label Galdós se trouve encore renforcée si on ajoute à cette arithmétique d’autres facteurs non quantifiables actuellement, comme les éditions d’Amérique du Sud, les traductions et surtout l’accumulation des lectures successives d’un même livre sur plusieurs générations (même si l’usure ou la destruction y font obstacle), grâce aux bibliothèques publiques ou privées, au passage dans le circuit de l’occasion, etc., avec éventuellement une évolution et une transformation de la composition sociale du public originel.

Sans donner plus d’explications, pour l’instant, on comprend peut-être mieux le processus de constitution de ce que j’appelle le label Galdós, son image de marque classique, sa réputation assise sur un opus abondant, que l’accumulation des exemplaires dans l’espace et dans le temps rend massif; grâce, fondamentalement, à la pérennité et à l’universalité de son message, ou plus exactement, comme nous allons le voir, d’une partie de son message.






ArribaAbajoLe succès différencié de l’oeuvre de Galdós

Il l’est en effet parce que, au sein de l’opus, les rythmes de vente varient,   —133→   dans la longue durée de 1 à 3 et plus, selon les différentes catégories de romans29.

Ainsi lorsque le rythme moyen de vente des cinq séries des Episodios nacionales est, jusqu’en 1939, de 79 exemplaires par mois, celui des 30 ou 32 romans n’est que de 27 et celui des oeuvres dramatiques insignifiant, à l’exception d’Electra.

En d’autres termes, les Episodios nacionales connaissent pendant cette période pratiquement trois fois plus de succès (d’édition) que les Novelas de la primera época et les Novelas españolas contemporáneas confondues30.

Au sein de chaque grande catégorie, il existe des différences minimes dans le cas des Episodios puisque les lère et 2e séries ont un rythme de 81 contre 74 aux trois autres, et beaucoup plus accentuées entre les Novelas de la primera época qui ont un rythme de 74, comparable donc à celui des Episodios de la seconde époque, et les Novelas españolas contemporáneas qui ont un rythme moyen de 20 seulement.

La relation entre les romans vendus 2 pesetas (Episodios et Novelas de la primera época), et ceux vendus 3 pesetas est donc à long terme de 1 à 3 ou 4, avec une tendance à l’augmentation, qu’on devine déjà entre 1897 et 1904, puisque, si, entre le 4-11-1896 et le 27-05-1897, les premiers ont un rythme de 16 et les seconds de 8, entre le 15-01-1904 et le 7-05-1906, ces rythmes sont passés respectivement à 31 et à 6.

A ces variations par grandes catégories, il faut ajouter celles qui existent au sein de chacun des groupes de romans.


ArribaAbajoLes Episodios nacionales

Rappelons d’abord que les Episodios ont été produits en deux temps (1873-1879 et 1898-1912) et que l’échelonnement de chaque série et même de chaque   —134→   volume dans le temps a des conséquences évidentes sur les chiffres d’exemplaires imprimés: il est logique, d’un certain point de vue (celui de la durabilité de l’oeuvre galdosienne), qu’en 1973 on ait tiré presque quatre fois plus d’exemplaires de la première série que de la cinquième31.

La hiérarchie interne

Dans le tableau ci-dessous est précisé, par série, le nombre de milliers d’exemplaires d’Episodios vendus depuis le début, à chacune des dates indiquées. On peut y constater que cette hiérarchie, qui va de la première à la cinquième série, est confirmée, les différences étant plus accentuées entre la 1ère et la 2ème qu’entre les 3ème, 4ème et 5ème.

1905/08192019391973
1ère série402452693913 ,5
2ème série331377516+ de 660
3ème série104161258430
4ème série60154290390
5ème série98181238

Mais cette hiérarchie absolue, doit être nuancée par l’étude des rythmes qui montre que les variations internes ne sont pas exactement semblables.

D’après les documents 11 à 15, on peut observer:

-dans le premier groupe un succès relatif plus important pour la série animée par Araceli que pour celle animée por Salvador Monsalud (75 contre 59).

-dans le second groupe, la 5e série, incomplète mais plus contemporaine par ses thèmes et ses dates de publication et, par là même, peut-être moins victime de l’usure, est celle qui a connu le plus de succès dans la longue durée au point qu’elle atteint presque le rythme de la 1ère série: 71 exemplaires par mois. La 4ème série, un peu moins contemporaine par le sujet et les dates, n’atteint que le chiffre de 60 (équivalent donc à celui de la 2ème)   —135→   et la 3ème, qui est peut-être, avec la 1ère, la série la plus commentée par la critique, a le succès le plus faible: 53.

Les différences internes sont, on le voit, assez limitées, même si le succès de la 1ère série est de 70% supérieur à celui de la 3ème série.

Ces différences ont connu des variations conjoncturelles, générales et particulières.

Après 1939

Pour toutes les séries, par exemple, le rythme mensuel de vente est plus élevé avant qu’après 1940, avec des variations par rapport à la moyenne génerale de chaque série, de 50,99% dans le cas de la 4ème et de 17,64% dans le cas de la 1ère, ainsi qu’on peut l’apprécier dans le tableau suivant.

Rythme moyen de vente jusqu’en 1953Rythme moyen de vente jusqu’en 1940Rythme moyen de vente de 1940 à 1953
1ère série7588 (+17,64%)64 (-14,66%)
2ème série5974 (+26,34%)52 (-11,86%)
3ème série5366 (+24,88%)45 (-15,06%)
4ème série6079 (+50,99%)42 (-30,00%)
5ème série7187 (+24,67%)42 (-40,84%)

On peut donc dire que, sous le Franquisme, le succès des Episodios nacionales édités par la Casa editorial Hernando, S. A. diminue globalement et régulièrement. Ce processus de désaffection touche davantage les 5ème et 4ème séries, et dans une moindre mesure la 3ème, que la 2ème ou la 1ère; d’ailleurs pendant 20 ans (jusqu’en 1973) la maison Hernando ne va plus faire d’éditions des Episodios de la seconde époque. Pour les éditions de 3.000 exemplaires faites en 1952-1954, cela donne un rythme de 12 exemplaires par mois!

Quant aux deux séries de la première époque, elles continuent à être éditées (42 éditions de 1955 à 1973 pour les 20 titres), mais leur rythme de vente baisse également: il passe, pour la 1ère série, de 64 avant 1953 à 43 après, tandis que la 2ème s’effondre de 52 à 16 (-225%).

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On peut donc dire que seule vraiment la 1ère série résiste au Franquisme, mais à un niveau qui la ramène aux années 1904-1906, c’est-à-dire aux années les plus mauvaises pour elle.

Les dernières années du Franquisme auront donc été plus néfastes aux Episodios que les premières où pourtant Luis Araujo Costa exprimait, dans son prologue de 1941 à Trafalgar, toutes les réticences idéologiques du nouveau pouvoir à l’égard de Galdós et de «ses erreurs doctrinales et d’appréciation, son attitude inélégante lorsqu’il partage et propage les leurres avec lesquels l’Anti-Espagne essaie d’étouffer notre esprit et la nature même de notre être comme nation...»32.

On ne peut néanmoins ignorer l’incidence éventuelle d’autres facteurs étrangers au signe idéologique ou au message de Galdós, comme la concurrence possible des Obras completas, l’absence d’actualisation des éditions, sans notes et avec la traditionnelle couverture rouge et or, etc. On remarquera ainsi que la réédition des Episodios par la puissante Alianza editorial, avec des couvertures plus attirantes, en relancera la vogue. Mais il faut dire qu’entretemps s’est amorcé un courant de revendication de Galdós par l’Espagne officielle qui patronne le Premier congrès international d’études galdosiennes à Las Palmas en 1973 et récupère Galdós pour un libéralisme de façade.

Reste, au bout du compte, que le Franquisme n’est pas une période faste pour l’oeuvre de Galdós, même pour ses Episodios nacionales.

Avant 1939

Avant, le rythme a été supérieur à la moyenne générale. On note néanmoins une baisse générale et régulière d’intérêt qui affecte toutes les séries jusqu’en 1906-1914 et se continue au delà, sous forme de stagnation pour les 4 dernières, en épargnant la 1ère série.

Examinons cette évolution par sous-période et pour chaque époque d’Episodios.

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Jusqu’en 1914

1ère et 2ème séries

Jusqu’en 1904-1908, le rythme de vente des 1ère et 2ème séries baisse régulièrement, de l’ordre de 60% en 20 ans (de 100 environ à 40 environ) avec une légère et passagère récupération de la 1ère série pendant le temps où Galdós est son propre éditeur.

La 1ère série (à l’exception de Trafalgar dont le cas sera traité à part) a un rythme élevé (212) de 1873-75 à 1874-78, succès qui, on le sait, surprit, au moins au début, l’auteur et l’éditeur33. Le rythme baisse ensuite de moitié (100) jusqu’en 1884-86, et se maintient à ce niveau jusqu’en 1887-1890, approximativement. Il se produit ensuite une nouvelle chute importante puisque le rythme n’est plus que de 55 entre 1887-90 et 1896-97. La légère reprise qu’on enregistre avec la maison d’édition Obras de Pérez Galdós n’est cependant que passagère, puisque, sous la gestion d’Hernando, le rythme a encore baissé (40 en 1904-06) et se maintient à 49 jusqu’à la veille de la Première guerre mondiale.

Quant à la 2ème série, elle se maintient à un rythme d’un peu plus de 100 exemplaires de 1877-79 à 1884-1886, soit presque moitié moins longtemps que la 1ère série dont le rythme moyen est de 107 de 1873-75 à 1884-86. Pourtant l’usure de la 2ème série est moindre et elle bénéficie du succès de la 1ère dont 128.000 exemplaires environ ont été vendus en 10 ans.

Entre 1884-86 et 1892-93, le rythme de la 2ème série se situe aux environs de 83 et il baisse encore ensuite, en se maintenant cependant à un niveau légèrement supérieur à celui de la 1ère série dans les années immédiatement antérieures à la création de la maison d’édition Obras de Pérez Galdós (66 de 1892-93 à 1897-1900). Mais, en 1904, son rythme se trouve à nouveau en dessous de celui de la 1ère (31 exemplaires) et, de 1904 à 1908, cette situation s’améliore à peine.

  —138→  

Pendant cette première période, les deux premières séries connaissent donc une évolution semblable, mais la 1ère série semble, d’ores et déjà, jouir d’une acceptation plus grande.

3ème, 4ème et 5ème séries

Les Episodios de la seconde époque, dont la publication commence 25 ans environ après celle de la première série, sont, dans leur évolution jusqu’en 1914, caractérisés par les faits suivants:

1. Des premières éditions d’un nombre d’exemplaires beaucoup plus important que pour les deux premières séries, comme si Galdós voulait approvisionner immédiatement le marché qu’il s’est constitué avec les deux premières séries et qu’il a eu le temps de repérer.

2. Un rythme de vente initial bien supérieur également à ceux des 1ère et 2ème séries: 126 de 1898 à 1906 pour la 3ème série34, entre 250 et 166 pour les cinq premiers titres de la 4ème.

Ce rythme est bien sûr beaucoup plus élevé durant les premiers mois: 394 d’avril 1904 à mai 1906 pour La Revolución de Julio, 618 de juin 1904 à mai 1906 pour O’Donnell, 618 pour Aita-Tettauen depuis février 1905 et 747 pour Carlos VI en la Rápita de juin 1905 à mai 1906, ce qui donne, pour ce dernier titre, près de 9.000 exemplaires écoulés en un an.

3. Cependant ce rythme de vente chute brusquement. Ainsi, par exemple, la 3ème série passe de 126 entre 1898 et 1906 à 33 entre 1904 et 1906, c’est-à-dire à un rythme très inférieur à celui des deux premières séries à ces dates, et si elle semble récupérer peu après (59 en 1906-1909), la moyenne 1904-1909 reste très basse, ce qui représente en 10 ans une baisse de 66% alors que les deux premières séries ont mis 20 ans pour baisser de 60%.

  —139→  

Tout se passe donc comme si, avec les 12 ou 14.000 exemplaires de la première édition de chaque titre, nous avions la totalité de la clientèle immédiate des nouveaux Episodios dans les années 1900 et que les nombreux exemplaires imprimés durant la première année saturaient rapidement le marché.

On observe, d’autre part, que si les exemplaires du premier tirage de 8.000 ou 5.000 de la 3ème série ne mettent que deux ans, à peu près, à être épuisés, les 4.000 suivants mettent cinq ans et les 4.000 ultérieurs plus de 20 ans (cf. document 4). Cette évolution générale est d’ailleurs confirmée par l’espacement des éditions au fur et à mesure que les dernières séries sortent: 1898, 1900, 1906, 1924 pour la 3ème, 1902, 1907, 1926 pour la 4ème et 1912, 1929 pour la 5ème (cf. document 7)35. Les 12.000 exemplaires de la première édition de Narváez (4ème série) mettent quatre ans à s’épuiser alors qu’il faut cinq ans a Los Duendes de la Camarilla et à La Revolución de Julio (4ème série) pour épuiser le même nombre d’exemplaires. Quant aux 16.000 exemplaires de De Cartago a Sagunto (5ème série), ils ne seront épuisés que 13 ans après, puisque ce n’est qu’en 1924-25 qu’on fait une nouvelle édition de 2.000 exemplaires. Les 20.000 exemplaires de la première édition très optimiste de Cánovas (1912) mettront, eux, 17 ans à se vendre.

On dirait donc que la reprise de la publication des Episodios nacionales en 1898 ne permet pas de retrouver un public équivalent à celui des deux premières séries et si le succès des dernières séries est, au début, apparemment plus fulgurant que celui des deux premières, la pression de la demande baisse rapidement et ne se réveille pas par la suite.

Qui sont ces 10 ou 12.000 acquéreurs enthousiastes des nouveaux Episodios? Un dernier carré de fidèles des deux premières séries ou une nouvelle génération qui n’adhère guère à un genre déjà vieilli, même si dans une certaine mesure la perspective de   —140→   Galdós a changé? Sont-ils les victimes de la marque Galdós, d’une marque connue, en particulier de la presse? Ce qui est sûr, c’est qu’aucune des trois dernières séries ne réussit à se maintenir dans le moyen et le long terme au niveau des deux premières et que la tendance à l’obsolescence est d’autant plus rapide que la série est plus contemporaine (historiquement) et plus avancée dans le siècle: la dernière série est de ce point de vue la plus durement touchée36.

La chute de 1904-1906

Reste à expliquer la brusque chute survenue en 1904-1906 qui a certainement à voir avec la marche des affaires de la maison d’édition Obras de Pérez Galdós et les bouleversements occasionnés par la transmission de la gestion des stocks et de la responsabilité éditoriale (du moins en partie) à Perlado, Páez y Cía37.

Pendant ces deux années de vaches maigres, se font sentir de façon plus marquée des tendances qui ensuite seront confirmées, comme, par exemple, la position de la 2ème série par rapport à la 1ère et celle de la 3ème (rythme de 33) qui, quatre années seulement après la publication du dernier titre (La de los tristes destinos), a presque déjà le rythme de la 2ème. Pour la 4ème série, on ne dispose de données que pour Las tormentas del 48 et Los duendes de la camarilla qui tous deux ont un rythme de 44, logiquement supérieur à celui de la 1ère série qui nous sert de référence, étant donné la proximité de leur parution (1902 et 1903), mais néanmoins peu soutenu.

Dans les années suivantes, on note une certaine reprise, de faible importance toutefois.

C’est pourquoi on peut considérer les années 1904-1906 qui suivent immédiatement l’échec de l’expérience Obras de Pérez Galdós mais aussi le «scandale» d’Electra, comme une phase révélatrice   —141→   d’une évolution décisive dans le comportement de l’oeuvre de Galdós: une perte de clientèle et d’acceptation générale que l’on note à propos de 3ème, 4ème et 5ème séries des Episodios. Cette phase coïncide d’ailleurs avec une période de création plus orientée vers le théâtre (El abuelo (1904), Bàrbara (1905), Amor y ciencia (1905), qui ne remportent guère de succès d’ailleurs) que vers le roman: après Casandra, publié en 1905, il faudra attendre jusqu’en 1909 pour voir publié El caballero encantado, puis 1915 pour La Razón de la sinrazón, même si Galdós poursuit la publication de la 4ème série d’Episodios.

De 1914 à 1931

À partir de 1914, les chemins de la 1ère et de la 2ème série divergent.

La première série des E. N.

Curieusement le rythme de ventes de la 1ère série va en augmentant (79 de 1914 à 1929) jusqu’à atteindre, dans les années 1929-1939 un rythme semblable à celui des années 1873-1886: 105.

Cette croissance (forte par rapport au creux de 1904-1914) s’accompagne bien sûr d’un rythme d’édition plus soutenu (éditions de 4.000 exemplaires en 1912 et 1916) dont les tirages augmentent tant entre 1914-1917 et 1928-1929 qu’au total, ce sont 93.000 exemplaires qui sont vendus (près de 10.000 exemplaires par titres) avec un rythme mensuel de 221. Cette accélération du succès d’édition est confirmée par le niveau des tirages de 1928-1929, supérieurs à 5.500 exemplaires en moyenne, et par le comportement de cette série sous la République.

La 2ème série des E. N.

La rythme de vente de la 2ème série, appréciable uniquement à travers celle de deux titres (Siete de Julio et El terror de 1824 -mais nous verrons que le succès de chaque titre est peu différent de celui de l’ensemble de chaque série) est, entre 1907 et 1939, inférieur à la moyenne générale38: aux alentours de 55 ou moins, soit à peu près au niveau de 1906-1908 avec un rythme d’édition régulier mais avec des tirages limités.

  —142→  

La 3ème série des E. N.

Par rapport à 1904-1909, le rythme de la 3ème série baisse: 36 pour Mendizábal entre 1906 et 1934; il est désormais inférieur à celui de la 2ème série malgré une certaine reprise entre 1922-1925 et 1929-1930, attestée par les éditions faites à ces dernières dates et confirmée sous la Seconde République.

4ème série des E. N.

Le rythme de la 4ème série suit la tendance signalée pour la 2ème et la 3ème à la stagnation puisque de 1906-1909 à 1929-1931 ne sont vendus que 11 à 13.000 exemplaires de chaque titre avec un rythme de 39 ou 40 entre 1906-1909 et 1925-1926 (dates d’une nouvelle édition) qui augmente un peu par la suite puisque le rythme entre 1906-1909 et 1929-1931 varie entre 42 et 50 selon les titres, ce qui le met un tout petit peu en dessous du rythme de 1904-1909.

5ème série des E. N.

Les calculs réalisables pour la 5ème série dont on fait des éditions en 1924-1929 et 1931-1935 confirment cette stagnation bien qu’à un niveau nettement supérieur: le rythme de De Cartago a Sagunto est de 83 entre 1912 et 1935 (98 de 1912 à 1929) et celui de Cánovas est de 95 de 1911 à 1925 et de 97 de 1925 à 1931.

Sous la Seconde République

C’est sous la République qu’apparaissent les fameuses couvertures tricolores (les trois couleurs du drapeau républicain) dont on imprime 60.000 exemplaires le 4 février 1933, et qui sont apparemment épuisées 26 mois plus tard, puisqu’en mai 1935 on en fait un nouveau tirage de 40.00039. Cela donnerait pour l’ensemble des Episodios nacionales (et non pour chaque titre) un rythme de vente de 2.300 exemplaires par mois entre 1932 et 1935.

Entre 1931 et 1939, on réédite (cf. document n.º 7) 27 titres sur les 46 que comprennent les E. N.

De la 1ère série, Hernando imprime 4.000 exemplaires de chaque titre (sauf de La Corte de Carlos IV), avec deux éditions supplémentaires   —143→   de 4.000 exemplaires chacune pour Trafalgar40. En 1939, est faite une nouvelle édition de sept titres, sans précision de tirage41.

Dans la 2ème série, on trouve une édition de 4.000 exemplaires de El equipaje del Rey José et de Siete de Julio et une de 6.000 pour Memorias de un cortesano et Los cien mil hijos de San Luis.

Les quatre titres de la 3ème série réédités sont: Mendizábal (6.000 exemplaires), La Campaña del Maestrazgo (4.000), Zumalacárregui et Los Ayacuchos (sans précision de tirage).

  —144→  

Il semble qu’on traite différemment les 4ème et 5ème séries puisque, de la 4ème, on réédite à 6.000 exemplaires quatre titres (La Revolución de Julio, O’Donnell, Carlos VI en La Rápita et La de los tristes destinos) et, de la 5ème, les six titres.

Ces séries un peu oubliées durant la période antérieure (surtout la 4ème) semblent mériter à nouveau, sous la République, un certain intérêt. L’épuisement des éditions précédentes coïncide, il est vrai, avec la République, mais la niveau des tirages (6.000 exemplaires) semble indiquer que l’éditeur prévoit un élargissement du marché pour ces séries aussi.

On ne peut cependant dire que le rythme général des E. N. sous la République soit trés élevé: la 2ème série, pour les titres accessibles, se trouve à peu près au niveau moyen pour 1875-1930 (71 et 83/74) et la 3ème presque au niveau de 1898-1936. Cela suppose néanmoins une bonne récupération par rapport à la période immédiatement antérieure.

Il faut aussi considérer à part la 1ère série dont le rythme de vente augmente énormément: 145 entre 1928-1929 et 1934-1939 alors que la moyenne entre 1873 et 1939 est de 88, soit plus 65%. Dans cette série Trafalgar atteint le rythme record de 266 entre octobre 1934 et janvier 1936 (125 entre août 1932 et octobre 1934, bien au dessus de sa moyenne particulière entre 1873 et 1971 (92) et entre 1873 et 1939 (107) qui se situe déjà bien au dessus de celle de tous les autres titres de Galdós (cf. document n.º 19).

Les rééditions commandées par le Gouvernement espagnol en 1939, en plein siège de Madrid, à une imprimerie sous séquestre (incautada), confirment que de tous les Episodios nacionales, ce sont ceux ayant trait à la Guerre d’Indépendance qui connurent, par leur actualité, le plus de succès; ils furent, comme le rappelait Rafael Alberti en 1943, «reçus par les soldats, à côté du fusil, avec une faim semblable à celle de pain dans les tranchées, désirés comme un renfort attendu dans l’épuisante bataille»42.

  —145→  

Le succès des Episodios nacionales de 1873 à 1973

Le comportement éditorial des Episodios nacionales de 1873 à 1973 est, donc, caractérisé par:

1. Une tendance à la baisse de succès des cinq séries jusqu’en 1904-1914, qui sont des années de creux accentué, et à une baisse beaucoup plus rapide dans le cas des 3ème, 4ème et 5ème séries.

2. Une stagnation des 4 dernières séries après 1914-1920 et une croissance de la 1ère jusqu’à retrouver son niveau des premières années.

3. Une réactualisation sous la République, particulièrement sensible pour la 1ère série pendant la Guerre civile, et un renversement total de la tendance sous le Franquisme, avec un déclin général qui affecte beaucoup moins la 1ère série (cf. document 20).




ArribaAbajoLe succès des romans43

On a l’habitude à des fins bibliographiques de distinguer dans l’oeuvre romanesque de Galdós les Novelas de la primera época (N. P. E.) et les Novelas españolas contemporáneas (N. E. C.). Certains spécialistes de Galdós (Casalduero, Montesinos, ou Sáinz de Robles) ont proposé ou établi d’autres critères, mais il faut bien constater que cette classification suggérée par Galdós lui-même ou son éditeur, correspond, du point de vue du succès d’édition, à une nette différenciation. Il faut simplement mettre à part, dans les Novelas de la primera época, les cas des trois premiers romans (La Fontana de Oro, El Audaz, La Sombra) qui font partie de la «période historique» définie par Joaquín Casalduero et sur le comportement éditorial desquels on dispose de peu d’informations44.

Hiérarchie interne

On remarque, en effet, une nette différence dans les niveaux et dans la durée du succès entre Doña   —146→   Perfecta, Gloria, Marianela et même La familia de León Roch (rythmes au dessus de 40) et tous les autres romans espagnols contemporains (NEC) dont les rythmes de vente sont compris, jusqu’en 1936, entre 17 et 27.

Le document n.º 16 traduit cette différence, dans la longue durée, qui va de 1 à 6 entre Marianela et Tristana (cas extrême) mais est, en général, de l’ordre de 1 à 3 ou 4 entre Marianela, Gloria et Doña Perfecta et les romans postérieurs à 1880-1881. Pour citer quelques cas: Marianela a eu, jusqu’en 1936, un rythme de vente quatre fois plus élevé que El Doctor Centeno, Miau ou Torquemada en la hoguera; Gloria a le même avantage sur Torquemada y San Pedro, et Doña Perfecta a été trois fois plus vendu que El amigo Manso ou Nazarín45.

Cette différence semble s’accentuer au fil des années puisque, en 1904-1906, ces différences étaient moindres: l’écart maximum est alors de 1 à 3 et quelque entre Doña Perfecta et El amigo Manso et Nazarín et l’écart moyen de 2 à 2,5; ainsi Gloria est pendant ces deux ans vendue deux fois plus seulement que Realidad et Marianela à peine deux fois plus que Torquemada en el Purgatorio (cf. document n.º 17). Ces variations dans la hiérarchie «définitive» sont accompagnées au sein même des NEC par une accentuation des écarts au fil des années.

Il faut remarquer que, à cette époque, on peut déjà apprécier le caractère de «roman de transition» que Donald L. Shaw atribue à La Familia de León Roch46 puisque, bien qu’étant de la même veine que Gloria ou Doña Perfecta, il annonce une rupture qui se produira, en 1881, avec La Desheredada du point de vue esthétique mais aussi éditorial: par rapport à Marianela, Gloria et Doña Perfecta, il a un rythme de vente à peu près deux fois moins élevé: 35 contre 84 en 1904-1906 et 43 contre respectivement 99, 82 et 72 jusqu’en 1936. La bibliométrie confirme donc ce «point critique»47.

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La politique éditoriale suivie à l’égard des NPE et des NEC traduit bien les disparités existantes entre les deux grandes catégories de romans: tandis que, pour les romans publiés entre 1876 et 1879, les éditions se succèdent rapidement, le rythme se relâche entre La Desheredada et Tormento, même si l’on remarque une certaine densité d’éditions jusqu’en 1893 (cf. document n.º 8). Après il se passera respectivement 19, 17, 17 et 18 ans avant qu’on ne fasse de nouvelle édition de La Desheredada, El Amigo Manso, El doctor Centeno et Tormento.

A partir de La de Bringas, la première édition n’est pas suivie d’une autre à court terme: cela veut dire que, sauf pour Torquemada en la Hoguera et Nazarín, dont on fait une nouvelle édition 9 et 12 ans après la première, il faut attendre 13 ans en moyenne avant de voir une nouvelle édition des romans postérieurs à Tormento (15 pour El Abuelo et 29 pour Fortunata y Jacinta!).

Ce phénomène s’explique-t-il par un tirage plus élevé de la première édition? Les données disponibles ne permettent pas d’envisager l’hypothèse de tirages de beaucoup supérieurs à 5 ou 6.000 exemplaires. D’autre part l’évolution ultérieure des NEC semble confirmer cette tendance à l’obsolescence.

Usure et obsolescence des NEC

En effet, si pendant la période 1897-1904 la plupart des romans espagnols contemporains accessibles48 ont, ainsi que La Fontana de Oro, des rythmes supérieurs à leur moyenne générale (cf. document 17), la période qui suit leur est beaucoup moins favorable: La Fontana de Oro a un rythme de 36 de 1870 à 1931 mais de 33 seulement si l’on prolonge la période de calcul jusqu’en 1936; pour Fortunata y Jacinta ces rythmes sont de 33, de 1886 à 1916, de 23, de 1886 à 1929, et de 22, de 1886 à 1932, avec une baisse constante donc. On constate le même phénomène pour Miau (44 de 1887 à 1907, 25 de 1887 à 1932, 12 de 1907 à 1935), Lo prohibido (24 de 1885 à 1906; 22 de 1885 à 1935) et Realidad (25 de 1889 à 1916; 23 de 1889 à 1936).

  —148→  

Cette tendance générale des NEC est perceptible dans les oeuvres en plusieurs tomes, les derniers ayant un rythme de vente supérieur à celui des premiers. On peut le constater entre 1897 et 1904 à propos de Fortunata y Jacinta où pourtant 17 mois seulement séparent la 1ère partie de la 4ème: celle-ci a un rythme de 32, la 3ème de 31, la 2ème de 28 et la 1ère de 27. Le même phénomène affecte Ángel Guerra dont la troisième partie, publiée 12 mois après la première, a un rythme de 33 contre 27 à celle-ci et 30 à la 2ème. Il s’agit, dira-t-on, de différences minimes sujettes à caution pour les raisons indiquées dans l’introduction. La constance de cette tendance peut néanmoins nous suggérer un phénomène d’usure du roman dont le premier tome est progressivement moins acheté, les premiers acquéreurs poursuivant jusqu’à la fin leur lecture du roman fragmenté en volumes.

La plupart des Novelas españolas contemporáneas accessibles49 restent donc à un niveau léthargique très proche de la mort, après celle de leur auteur survenue en 1920 mais aussi, dans bien des cas, avant, alors que Gloria au Marianela retrouvent un rythme plus élevé après 1906.

D’autres romans comme La Desheredada, Tormento, La de Bringas, Lo prohibido ou Miau survivent tant bien que mal et ont même des rééditions en 1932 et 1935; leur rythme de vente ce pendant n’est jusqu’à ces dates que de 12 en moyenne, si l’on se base sur une édition de 4.000 exemplaires en 1906.

La Familia de León Roch n’échappe pas non plus à ce courant de désaffection, puisque sa dernière édition en 1939 est celle de 1920 précisément, avec un total d’exemplaires publiés de 30.000.

Cette usure de la majeure partie (certains diront de la partie majeure) de l’oeuvre romanesque de Galdós peut étonner, même si l’on a dans la mémoire des déclarations très défavorables à son oeuvre dès le début du XXe siècle et qu’on sait que les oeuvres littéraires   —149→   ont un taux de mortalité particulièrement élevé. Cela permet de constater, une fois de plus, que l’importance historique et littéraire d’une oeuvre n’est pas directement fonction de son succès d’édition immédiat ni même ultérieur et de tempérer l’enthousiasme quantitativiste des bibliométreurs.

Les oeuvres atypiques

Il existe cependant dans l’oeuvre romanesque de Galdós quelques oeuvres qui ont un comportement atypique et qui connaissent donc un succès d’édition prolongé.

C’est d’abord le cas de Marianela dont le rythme de vente croît de façon continue: 76 de 1878 à 1914, 83 de 1878 à 1917, 99 de 1878 à 1932. C’est aussi celui de Gloria (76 de 1877 à 1904; 82 de 1877 à 1935), et, de façon peut être plus inattendue, mais à des niveaux nettement inférieurs, de El Abuelo (35 de 1897 à 1928 et 38 de 1897 à 193650 et de Misericordia (35 de 1897 à 1928; 38 de 1897 à 1936; 54 de février 1932 à janvier 1936 et 59 de février 1945 à mars 1972). Comme Doña Perfecta (pour laquelle on manque de données interprétables), ces quatre romans sont réédités à intervalle régulier (cf. document n.º 8).

Sous la Deuxième République

Avec l’avènement de la République, ce courant d’intérêt tout relatif pour l’oeuvre romanesque de Galdós se réveille un peu: douze romans bénéficient, entre 1931 et 1939, de nouveaux tirages: Gloria et Marianela (4.000 exemplaires en 1935 et 1932 respectivement) et surtout -ce qui du point de vue de l’histoire littéraire est plus intéressant-, les premiers romans espagnols contemporains, ceux de la période «naturaliste» comme La Desheredada (1932-1933), Tormento (1933), La de Bringas (1933), Lo prohibido (1935), Miau (1935) dont les dernières éditions remontaient à 1906.

Hernando réédite également Ángel Guerra (1936) et Nazarín (1933), mais avec une très grande prudence puisque ces éditions, comme celles des romans précédents, ne sont que de 2.000 exemplaires.

  —150→  

Seul Misericordia connaît pendant cette période un net regain d’intérêt: avec deux éditions de 2.000 exemplaires en 1932 et 1936, son rythme de vente passe de 30 à 54, quand, depuis 1897, 12.000 exemplaires seulement avaient été mis en vente et qu’aucun nouveau tirage n’avait été fait depuis cette date51.

Sous le Franquisme

Sous le Franquisme, l’étude du comportement éditorial des romans est plus fragmentaire puisqu’Hernando ne continue à éditer que neuf romans52. Elle ne manque cependant pas d’intérêt.

Ainsi on devra se demander pourquoi on «ressuscite» Nazarín, 36 ans après sa dernière édition de 2.000 exemplaires en 1933, en faisant un tirage de 5.033 exemplaires en décembre 1969? Pourquoi tire-t-on soudain d’Ángel Guerra 9.168 exemplaires brochés et 2.136 cartonnés en juillet 1972 quand, depuis les 2.000 exemplaires de 1936, aucun nouveau tirage n’avait été fait? Interviennent ici, naturellement, des facteurs extralittéraires tels que le cinéma ou la télévision qui viennent réveiller une demande quasiment inexistante ou du moins latente depuis plus de 30 ans53.

Il faut également remarquer les 15.000 exemplaires de Fortunata y Jacinta vendus de 1944 à 1971, date à laquelle est faite une nouvelle édition en un seul volume de 6.344 exemplaires; pendant   —151→   cette période son rythme de vente atteint 46 et est deux fois plus élevé que celui de 1886-193254. On voit, en particulier, comment l’adaptation cinématographique du roman par Angelino Fons, projetée pour la première fois au début de 1970 fait monter les ventes en flèche: 167 par mois entre 1968 et 1971.

Les 19.000 exemplaires de Misericordia vendus d’avril 1945 à mars 1972 (soit un rythme de 59, quand de 1897 à 1930 il n’avait été que de 30) confirment son succès croissant et sa reconnaissance comme «clasique». Quant à La de Bringas, elle connaît un rythme de 41 de 1952 à 1970 et de 168 de 1970 à 1972, date à laquelle Hernando fait un nouveau tirage de 5.097 exemplaires55.

Dans tous ces cas, il faudra probablement rechercher comme pour Fortunata y Jacinta, le déclic ou la mesure qui explique le comportement atypique de ces romans.

Car pendant cette période, Gloria, dont no sont vendus que 6.700 exemplaires de 1948 à 1972, a un rythme de 23, presque quatre fois inférieur à celui d’avant 1939 (82), comme si, avec l’avènement de Franco, son message avait cessé d’intéresser56 et Marianela se trouve également bien en dessous du rythme antérieur (52 de 1942 à 1972 contre 99 de 1878 à 1932) avec en plus une tendance constante à la baisse (54 de 1940 à 1950 et 47 de 1954 à 1972).

Curieusement le roman de Galdós le plus publié de 1940 à 1973 semble avoir été Doña Perfecta: 28.432 exemplaires de mai 1942 à 1970, soit 4.000 exemplaires de plus que Trafalgar pour une période moins longue. Cela donne un rythme de 85, avec une tendance à l’augmentation (54 de 1942 à 1956 et 95 de 1956 à   —152→   1970). Comment expliquer ce traitement différent fait à Gloria et à Doña Perfecta sous le Franquisme? Est-ce un problème de message ou bien plutôt de programmes scolaires ou universitaires? Quoi qu’il en soit, pour une oeuvre réputée classique, on ne peut dire que la consommation ait été particulièrement forte tout au long de ces presque 30 ans.

Caractéristiques du succès des romans de Galdós. A propos des Novelas de la primera época et des Novelas españolas contemporáneas, on peut donc remarquer:

1. Une différence très marquée, de l’ordre de 1 à 3 ou 4, entre le succès global de Doña Perfecta, Gloria et Marianela et celui de tous les autres romans.

2. Une tendance à l’obsolescence de plus en plus rapide et accentuée pour les Novelas españolas contemporáneas, certaines d’entre elles étant dans un état léthargique après et, dans beaucoup de cas, dès avant la mort de leur auteur.

3. Le succès relatif croissant de Marianela au fil des ans et la spectaculaire progression de Misericordia après la République.

4. La stabilité et la permanence des tendances avec une légère modification dans le sens positif sous la Deuxième République et un sens plutôt négatif (à l’exception de Doña Perfecta) sous le Franquisme57.




ArribaAbajoLes oeuvres pour le théâtre

Les chiffres de tirage ne sont pas, on le sait, les meilleurs indicateurs de succès d’une   —153→   oeuvre théâtrale; dans le cas de Galdós aussi, il existe d’autres sources pour l’apprécier58.

Il ne faut cependant pas oublier que les succès des représentations a des retombées éditoriales, surtout à une époque où le théâtre était un phénomène beaucoup plus multitudinaire qu’aujour-d’hui, le public de province cherchant à prendre connaissance de l’oeuvre avant même qu’elle puisse y être représentée.

On en a l’illustration avec le succès d’Electra.

Le succès d’Electra

Cette pièce représentée en 1901, dans une atmosphère de scandale et d’anticléricalisme, passionna l’opinion -on le sait- pendant un bon moment, et les conséquences sur la vente de sa version imprimée sont évidentes59.

C’est ainsi qu’au palmarès des oeuvres de Galdós, Electra figure en troisième position du point de vue des rythmes de vente. Cela s’explique, non par la durabilité de cette oeuvre, mais par le fait qu’en 57 jours, de février à mars 1901, ou en a vendu 27.000 exemplaires (c’est-à-dire presque autant que de Marianela de 1878 à la même date!)60, soit un rythme de 473 exemplaires par jour; beaucoup plus que Pequeñeces, le dernier succès d’édition retentissant, 10 ans auparavant.

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Ensuite, entre avril 1901 et 1903, le rythme tombe à 208 par mois (moins déjà que Mariucha à la même date), puis à 10 entre 1903 et 1920 et est de 13 entre 1920 et mars 1933 où un nouveau tirage de 4.000 exemplaires est effectué61.

Avec la configuration du succès -éphémère- d’Electra, on voit donc la nécessité de ne pas se contenter, pour une bibliométrie, du succès de chiffres globaux qui peuvent conduire à des erreurs d’appréciation graves.

Les autres oeuvres dramatiques

Pour les autres oeuvres, il ne se produit rien de comparable: Realidad atteint, 26 ans après sa première publication, le chiffre de 6.000 exemplaires imprimés (mais non forcément vendus). La Loca de la Casa au bout de 22 ans en est à 9.000 exemplaires et Mariucha, représentée et publiée en 1903, à 7.000 en 1921. De La de San Quintín, on a fait quatre éditions entre 1894 et 1906 et de La Fiera, trois de 1897 à 1920, mais on sait que pour les oeuvres dramatiques les éditions étaient en général de 2.000 exemplaires (3.000 au maximum) et les rythmes de vente ne sont pas conséquent pas très élevés.

D’après les données partielles disponibles, on voit ainsi que Realidad a, entre 1897 et 1904, un rythme de 7 et entre 1904 et 1906 de 2. Les rythmes de La loca de la casa, La de San Quintín, Voluntad et Doña Perfecta sont semblables ou inférieurs entre 1897 et 1904 à ce qu’on peut déduire de la date de leur réédition62.

Entre 1904 et 1906, le rythme de vente que connaît La Fiera (3) est bien au dessous de celui des romans en général, ce qui nous donne une mesure du succès éditorial des oeuvres dramatiques, de façon courante.

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Si l’on observe le comportement des oeuvres postérieures, dont la première représentation est encore récente en mai 1904, on voit à propos de Mariucha, par exemple, que si, de juillet 1903 au 15 janvier 1904, 2.981 exemplaires sont vendus (rythme de 426), de la nouvelle édition de 1.000 exemplaires faite en 1905 il reste encore, en mai 1906, 816 exemplaires, ce qui indique clairement une rupture dans le rythme de vente et permet d’estimer les lecteurs inconditionnels de l’oeuvre dramatique de Galdós à une dizaine de milliers, toujours si l’on applique le coefficient de 3,5 au nombre d’exemplaires achetés63.

Quant à Bárbara et Amor y ciencia qui sont toutes les deux de 1905, leur succès immédiat semble avoir été bien moindre, en particulier pour Bárbara, puisque, si on estime que le tirage de la première édition a été de 3.000 exemplaires, le rythme est de 46 pour Bárbara, pendant les treize premiers mois et de 148 pour Amor y ciencia durant les six premiers. A partir de Bárbara, on observe d’ailleurs que les nouvelles oeuvres dramatiques de Galdós éditées par Hernando ne connaissent pas de rééditions: pourtant le niveau de tirage reste identique et baisse même dans certains cas: 1.000 exemplaires pour Casandra en 1910 (avec une édition ultérieure de 2.000, mais en 1926), 3.000 pour Celia en los infiernos (1913) et Alceste (1914), 4.000 exceptionnellement pour El tacaño Salomón (1916), mais 1.000 seulement pour Santa Juana de Castilla (1918).

Il est dommage que les données concernant El abuelo, qui semble avoir connu un certain succès sur les planches, ne permettent pas d’apprécier un comportement éditorial marqué par des rééditions en 1913 et 1917 du... roman, car le succès du drame semble avoir bien davantage profité à la version romanesque qu’à la version dramatique.

Le comportement éditorial des oeuvres dramatiques

Pour cette partie marginale de l’oeuvre imprimée de Galdós, on peut dire que:

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1. Mis à part le cas exceptionnel d’Electra, les oeuvres dramatiques imprimées ne représentent pas un grand volume d’exemplaires et n’ont pas connu de succès d’édition (même à court terme)64.

2. Leur rythme de vente, pour autant qu’on puisse l’apprécier, semble être assez élevé mais chute de façon vertigineuse jusqu’à l’obsolescence de l’oeuvre imprimée, quand bien même les représentations continuent.

3. Le succès d’édition semble avoir été de plus en plus faible de 1892 à 1918 et il serait intéressant de vérifier cette tendance par la mesure de la fréquentation.






ArribaLa bourse des valeurs galdosiennes

Dans l’oeuvre de Galdós on peut, de son vivant, distinguer deux grands groupes auxquels correspondent deux comportements éditoriaux bien différenciés (cf. document 20):

1. Le premier groupe comprend la production romanesque des années 1873 à 1880 (1ère et 2ème séries des Episodios, Doña Perfecta, Gloria, Marianela et La Familia de León Roch; les autres oeuvres sont difficilement saisissables) dont le succès initial, comparable à celui d’autres oeuvres de l’époque, s’amenuise lentement jusqu’en 1904-1914 avec une différence entre le niveau de départ et le niveau d’arrivée de 3 à 1.

2. Le second englobe la production postérieure à 1880: les Novelas Españolas Contemporáneas, avec des niveaux de départ semblables à ceux des romans du premier groupe, tombent très rapidement à des niveaux bien inférieurs, jusqu’à la léthargie; les trois dernières séries d’Episodios nacionales, à partir de niveaux de départ plus élevés que ceux du premier groupe, tombent très   —157→   rapidement au dessous de la moyenne du premier groupe; quant à la production dramatique qui est un cas un peu à part, à partir de niveaux bas, elle tombe rapidement dans l’obsolescence.

Après la mort de Galdós, le premier groupe bénéficie d’un certain regain de succès, la première série des E. N. en particulier, tandis que le seconde groupe, sauf cas exceptionnels et quelques variations, positives sous la Deuxième République, négatives sous le Franquisme, se maintient à son faible niveau de succès. Les années 1970 annoncent un regain général qui bénéficie proportionnellement plus au second groupe.

Il n’en reste pas moins que le succès le plus grand et le plus durable de Galdós lui vient de sa production de cinq à sept années seulement.

De cette manifestation commerciale du succès objectif de Galdós, se dégagent deux grandes lignes de force: une évidente hiérarchisation précoce des valeurs au sein même de son oeuvre et une fluctuation de ces mêmes valeurs dans la longue durée.

Il faut maintenant essayer d’expliquer et d’interpréter ces deux tendances.







 
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