Au
cours de la lutte du peuple espagnol contre l'invasion
napoléonienne, nombreux furent les partisans ou les
fonctionnaires du roi Joseph Bonaparte qui durent quitter, dans le
sillage de la cour ou des armées en retraite, la capitale
menacée par les libérateurs du territoire. Ils
s'étaient discrédités aux yeux de tous par
leur fidélité à l'usurpateur; c'étaient
les fameux afrancesados. Désireux de promouvoir des
réformes modérées dans le cadre d'un
régime fort et «éclairé» comme
l'avait été celui de Charles III, mais aussi -et
partant- inquiétés par l'insurrection populaire qui
remettait en cause les droits des classes possédantes, et
par la naissance d'un pouvoir de type nouveau,
révolutionnaire à son origine, celui des Juntes, ils
avaient opté pour ce qu'ils considéraient comme un
moindre mal; devant la carence du règne
précédent, et dans une optique alors relativement
progressive, ils estimaient que la solide administration
napoléonienne correspondait aux besoins de l'Espagne;
autrement dit, Joseph représentait à leurs yeux le
progrès dans l'ordre.
Les
privilégiés et les anciens corps constitués,
le Conseil de Castille notamment, les accusaient de trahison; ce
dernier, qui constituait l'élément le plus
conservateur de l'éventail politique, s'était d'abord
soumis, par opportunisme ou attentisme, à l'usurpateur; mais
la victoire de Bailén ayant fait naître l'espoir d'un
triomphe sur les Français -et partant, celui d'une
restauration de Ferdinand VII et de l'absolutisme,- il
s'efforça de se dédouaner devant l'opinion et de
s'imposer, face à la Junte Centrale, comme seul pouvoir
légal, avec l'intention évidente de s'opposer
à la mise en oeuvre du programme révolutionnaire,
aidé en cela par les éléments conservateurs de
la Junte.
Les
libéraux, dont une partie formait l'aile progressive de
cette Junte, et dont l'idéologie s'épanouira dans la
constitution de 1812, promulguée par les Cortès,
tenaient également les «Josefinos» pour
-269- des
traîtres, pour des raisons opposées à celles
des absolutistes1.
Si
nous ajoutons à cela que ceux qu'on a assez improprement
comparés à nos collaborateurs étaient
exécrés des masses populaires fanatisées par
une propagande politique et religieuse élémentaires
-par le sentiment religieux se manifestait souvent un sentiment
national aliéné,- on concevra qu'il ne leur
restât plus qu'une solution: disparaître, soit en
franchissant les Pyrénées, soit, pour ceux qui ne
pouvaient se résigner à l'exil, en cherchant un
refuge précaire dans un endroit discret de province.
Un
décret promulgué par Ferdinand VII «le
Désiré» à son retour de Valençay,
vint confirmer les craintes; les libéraux, il va de soi, ne
furent pas davantage épargnés.
Leandro Fernández de
Moratín (1760-1828), le dramaturge le
plus important du règne de Charles IV, fut du nombre de ces
réprouvés.
Fonctionnaire de l'État -il était
secrétaire-interprète2-,
il suivit Joseph au cours du repli motivé par la victoire de
Bailén (juillet 1808) et fut, du moins jusqu'en 1812, un
chaud partisan de l'«intrus», comme en témoigne
le prologue qu'il rédigea en vue d'une
réédition du Fray
Gerundio du Père Isla3.
Il accepta avec joie sa nomination au poste de
bibliothécaire en chef de la Bibliothèque
Royale4
et fit jouer ses pièces, notamment sa traduction-adaptation
de l'École des Maris, dont la première eut
lieu le 17 mars 1812.
Après la victoire espagnole de Los Arapiles (août
1812), il quitte définitivement Madrid pour Valencia, et
plus tard Barcelone, où aborda, au cours d'une
tempête, la coquille de noix qui, sur l'ordre du gouverneur
de Valencia, devait le conduire en France. Vint la Restauration et
avec elle le rétablissement de l'Inquisition. Notre auteur,
selon son biographe, jugea prudent de demander un passeport pour la
France, afin de mettre un terme «non pas aux maux qui
l'affligeaient, mais à ceux dont il était
menacé» (1817).
Montpellier, Paris, Bologne. Le pronunciamiento libéral de
1820, venant après plusieurs tentatives infructueuses,
permet à Moratín de regagner
sans crainte Barcelone. Un an plus tard, la peste ayant fait son
apparition, il franchit à nouveau la frontière; il ne
devait plus revoir son pays.
-270-
1823; les armées du Duc d'Angoulême, sur l'ordre du
gouvernement français dont Chateaubriand s'affirme
l'inspirateur, viennent consolider le trône chancelant de Sa
Majesté Catholique, depuis trois ans roi d'Espagne
«par la grâce de Dieu et de la Constitution».
C'est à nouveau l'exil pour les libéraux, du moins
pour ceux qui réussissent à échapper à
une répression telle que le Maréchal de Castellane a
pu dire: «l'exagération des royalistes de ces
contrées n'est comparable à rien; un de nos ultras de
1815 y passerait pour un jacobin».
Plusieurs érudits se sont intéressés à
la vie des émigrés espagnols en France et dans les
pays voisins. Nos archives départementales, et surtout les
archives nationales, conservent en effet une abondante
documentation, vierge encore pour une bonne part, sur les
activités des afrancesados et des libéraux en France, ces
hommes ayant constitué sous la monarchie restaurée un
danger permanent de subversion, ce qui entraînait la
nécessité d'une surveillance particulière.
Les
documents que nous publions ci-après, et qui concernent
Moratín ainsi que
plusieurs de ses compatriotes ou amis, proviennent des Archives
Nationales5.
Leur intérêt est de nous présenter un
Moratín nettement
engagé dans la lutte contre l'Ancien Régime. Mais ce
portrait témoigne-t-il de la compétence des services
de police chargés de la surveillance de l'auteur? Autrement
dit, correspond-il à la réalité?6
Plusieurs erreurs se sont glissées dans le document nº
III, que l'on retrouve dans les rapports ultérieurs. Elles
proviennent d'une lettre adressée au préfet de la
Gironde par l'adjoint au maire de Bordeaux, le 29 mai 1824, en
réponse à une demande de renseignements
émanant du ministère de l'Intérieur (doc.
nº II)7.
Moratín n'a pas en
1824 54 ans, mais bien dix ans de plus, puisqu'il est né en
1760. En outre, il n'est pas entré en France avec
l'armée en déroute en 1813, (vid.
supr.) et n'a pu de ce fait s'établir
à Paris. Quant à son dévouement à
Bonaparte pendant les Cent-Jours, aucune lettre actuellement connue
de l'auteur n'en fait foi; de toute façon, il
résidait alors à Barcelone8.
-271- En
1817 il n'est donc pas rentré en Espagne, mais su contraire
a jugé bon de passer en France, sans doute parce qu'il
était «mécontent du gouvernement du Roi»,
mais surtout parce que l'Inquisition, depuis Madrid,
s'intéressait beaucoup trop à cette brebis
égarée.
S'est-il vraiment prononcé en faveur de la Constitution en
1820? (on retrouve l'accusation de libéralisme dans le doc.
nº XII). Il semble plutôt que le manichéisme
politique d'un régime menacé ait accusé les
traits de Moratín. Certes, l'absolutisme ne semble
pas avoir sa faveur; son action subversive en Espagne pas
davantage. Notre auteur fit en outre partie d'un organisme officiel
de censure dans la métropole catalane9
et publia même un poème en l'honneur des jeunes
volontaires de la garde nationale10,
mais il n'approuve cependant pas l'esprit révolutionnaire
des «exaltados», l'aile
gauche des libéraux qui ne dédaigne pas l'appui de la
«populace»11.
C'est un modéré, au sens large du terme, et l'on ne
peut affirmer que la politique l'ait, à un moment quelconque
de sa vie, véritablement séduit; il se situe à
peu près à égale distance des deux
«extrémismes» du fait de son appartenance
à cette couche moyenne qui participe a la fois du
système économique féodal sur le déclin
et du système capitaliste naissant sans être nettement
engagée dans l'un ou dans l'autre. Ses lettres de
l'époque témoignent d'un égoïsme social
assez élémentaire qui reflète bien l'isolement
de ses pareils et leur incompréhension du sens profond des
événements: amassons tout ce que nous pouvons, dit-il
souvent, et tâchons de jouir de ce peu de bien en un lieu
tranquille, sans nous occuper d'autrui.
Par
contre, le «caractère peu communicatif», la
réserve parfois excessive, correspondent bien à
l'image qu'a laissée de lui D. Leandro12.
Notre auteur ne consentait à se détendre et à
se livrer qu'en présence de ses seuls amis ou de rares
personnes auxquelles il était depuis longtemps
habitué. Si l'on ajoute à cela que, dans la France
d'alors, il ne faisait pas bon manifester des opinions
hétérodoxes quand on était déjà
suspect a priori, on
en vient à se demander si le ou les indicateurs de la
police, apparemment si bien renseignés sur son
caractère, n'ont pas fait partie de son entourage. Le
document nº V, révélant que l'un des mouchards
était un espagnol, semblerait confirmer cette
hypothèse; la misère de bien des exilés
pouvait être en effet mauvaise conseillère, et les
méthodes de recherche du renseignement se situent hors de la
sphère de la morale traditionnelle. (Un certain
José Pita, neveu de
Taboada dont le nom
apparaît dans les documents que nous publions, accuse en 1826
son oncle de l'avoir dénoncé par vengeance,
-272-
devant son refus de lui prêter de l'argent. - Arch.
Nat., F 7 12026). La «réputation» de
Moratín a-t-elle
souffert de la présence à ses côtés de
personnages aux idées plus nettes ou plus avancées
que les siennes? Il n'est pas non plus impossible que ses rapports
avec des exilés libéraux aient peu à peu
infléchi et clarifié sa pensée politique. Son
ami Manuel Silvela,
maître de pension à Bordeaux, puis à Paris,
afrancesado comme lui
en 1808, était devenu partisan d'un libéralisme
modéré qui lui fit célébrer la victoire
de l'insurrection libérale de 182013.
Il rédigea alors cinq lettres fort intéressantes dans
lesquelles il se montre un adepte fervent de la
régénération de l'Espagne par la monarchie
constitutionnelle et qui témoignent d'un degré de
conscience politique assez élevé14.
D'autre part, bon nombre des personnages mentionnés
conjointement à Moratín dans les
rapports que nous publions, étaient nettement engagés
dans la lutte contre l'absolutisme «fernandino».
Quoi qu'il en soit, notre auteur fut enfin soustrait à la
sollicitude de la police royale par une «lésion
organique», vraisemblablement un cancer de l'estomac comme
cela semble se déduire des symptômes minutieusement
décrits par Silvela, le 21 juillet
1828.
[...]
(Salazarvoit
journellement los espagnols révolutionnaires à
Paris) [...] (Núñez de Taboada,
interrogé, a refusé de donner l'adresse de
Salazar,
prétendant ne pas le connaître).
Il
paraît que le correspondant de Salazar
au moyen duquel il serait instruit -273-
de ce qui se passe dans la Péninsule est un Sr.
Moratin, Espagnol, qui
habite Bordeaux. Il a à Paris des relations avec un
nommé Bernard Gil, libéral
exalté, qui se communique peu, mais qui entretient, dit-on,
une correspondance nombreuse...
II
Ministère de
l'Intérieur
Paris, le 21 mai 1824
au Préfet de
la Gironde
Confidentielle
M.
le P., on me signale comme des agents les plus actifs d'intrigues
révolutionnaires, l'Espagnol Moratin qui habite actuellement Bordeaux. J'ai
lieu de penser qu'il entretient des correspondances suivies avec
les factieux d'Espagne, & qu'il transmet les nouvelles
reçues par cette voie en Angleterre, au Duc de
San Lorenzo, en
Belgique, et à Paris. Les Srs. Nunez de Taboada et Salazar sont, dans cette dernière ville,
les affidés principaux.
Je
vous invite à me transmettre le plutôt
(sic) possible sur le
Sr. Moratin des
renseignements détaillés dont vous ferez
vérifier l'exactitude avec le plus grand soin. Vous le
soumettrez d'ailleurs à la surveillance la plus attentive et
vous m'en communiquerez les résultats.
Agréez (sic).
III
Préfecture de
la Gironde
4e
Division
[...]
Bordeaux, le 31 mai 1824
Monseigneur,
En
réponse à la lettre de votre Excellence en date du 21
de ce mois, je m'empresse de lui communiquer les renseignements
recueillis sur le Sr. Moratin
(Léandre).
Cet
Etranger, âgé de 54 ans (sic), connu par ses oeuvres dramatiques, suivit le
parti de Joseph. Entré en France avec
l'armée en 1813, il s'établit à Paris, et s'y
fit remarquer par son dévouement à la famille
Bonaparte, lors de son débarquement. Rentré en
Espagne en 1817 ou 1818, il resta peu de tems à Barcelonne.
Mécontent du gouvernement du Roi, il revint en France et
fixa sa résidence chez le Sr. Sylvela, Espagnol,
maître de pension.
Dès l'insurrection militaire de 1820, Moratin se prononça pour la
Constitution. On le représente comme un homme ferme dans ses
opinions, très réservé, méfiant,
joignant à l'esprit et à la
témérité un caractère peu communicatif.
Il est lié depuis longtemps avec le Duc de San Loranzo (sic); on assure qu'il correspond avec
Nunez Taboada de Paris. Il
est difficile d'indiquer l'intermédiaire de cette
correspondance.
Le
Sr. Moratin est l'objet d'une
surveillance particulière dont j'aurai l'honneur de
communiquer les résultats à Votre Excellence.
Je
suis avec respect...
Le
Maître de Requêtes
Préfet de la Gironde
S.
E. Le Ministre de l'Intérieur Bon d'Haussez
Paris
-274-
IV
Ministère de
l'Intérieur
Paris, le 4 juin 1824
au Préfet
de Police
M.
le Préfet, le Sr. Moratin, que votre rapport du 19 mai der. me
signalait comme le correspondant à Bordeaux de l'Espagnol
Salazar, est le
même que D. Léandro Fernandez
Moratin, très connu par les ouvrages dramatiques
qui parurent au commencement du siècle et qui
attirèrent en Espagne l'attention générale par
les idées nouvelles dont elles étaient remplies. Il
embrassa avec chaleur la cause de l'usurpateur Joseph, & se
réfugia en France en 1813, et se rendit à Paris
où il manifesta pendant les Cent jours de très
mauvaises dispositions. En 1817, il rentra momentanément en
Espagne et revint bientôt s'établir à Bordeaux.
Il a témoigné, depuis 1820, beaucoup de zèle
pour la cause révolutionnaire; et depuis la chute du
gouvernement des Cortès, il est devenu le Correspondant du
Duc de San Lorenzo et de
Nunez de Taboada, avec
lequel il est lié par la conformité de ses
occupations littéraires & de ses opinions
politiques.
Je
vous invite à fixer votre attention particulière sur
les relations que cet étranger dangereux entretient à
Paris; si vous acquérez de nouveaux éclaircissements
à cet égard, je vous prie de me les communiquer sans
délai.
agréez
V
Extrait du Rapport
du Préfet du Département de la Gironde en date du 8
juin 1824 (Nº ?)
«Le Sr. Fernandez de Moratin est, ainsi que
tous ses Compatriotes, l'objet d'une surveillance d'autant plus
active qu'elle est exercée à la fois par un Espagnol
et par un Français qui ignorent être employés
l'un et l'autre par la police. Leurs rapports ont en
général beaucoup d'analogie et m'inspirent
conséquemment assez de confiance. Il en résulte que
Moratin est depuis quelque
temps surtout fort réservé dans ses propos. Il
assiste tous les soirs au spectacle où il a sa place, aux
Premières en face de ma loge. Je ne remarque pas qu'il cause
avec des Français. On me fait espérer la
communication de quelques unes des lettres qu'il
reçoit».
Voir l'original de
cette lettre au classemt de la police politique, au
dossier: Organisation de la Police de Bordeaux.
VI
Extrait
«1er bulletin hebdomadre» des
Espagnols autorisés à demeurer à
Bordx en date du 22 juillet 1824 (voir 566-e).
«Leandro Moratin,
âgé de 54 ans (sic) et Auteur dramatique, homme ferme,
réservé, méfiant, joignant à l'esprit
et à la témérité un caractère
peu communicatif. Suivit le parti de Joseph, se fit remarquer
à Paris par son dévouement à Buonaparte.
Rentra en Espagne en 1817 ou 1818. Mécontent du gouvernement
du Roi revint en France et, dès l'insurrection de 1820, se
prononça pour la constitution. Liaisons
suspectes».
-275-
VII
Le
28 juillet 1824, Mr. le Préfet de la Gironde est
invité à faire continuer avec beaucoup de soin la
surveillance de Don Léandro Fernandez de
Moratin.
Voir la minute de cette lettre au dossier 491-e.
VIII
Extrait d'une lettre du Préfet de la Gironde, en date du
1er septembre 1824, classée au dossier de
Silvela, 1282-e.
«C'est chez lui (Silvela)
que demeure Moratin,
auteur dramatique Espagnol».
IX
Extrait d'une lettre adressée au Préfet de la
Gironde, le 18 mars 1825, Nº 770-e.
«Je profite de cette occasion pour vous engager à me
rendre compte des résultats les plus récents de la
surveillance dont vous avez entouré Don
Léandro Fernandez de Moratin, l'un des
espagnols réfugiés à Bordeaux, qui
mérite le plus d'attention de la part des
autorités».
X
Extrait du Rapport hebdomadaire du Préfet du
Département de la Gironde, en date du 2 avril 1825. (Nº
566-e)
«Il n'a été fait aucune remarque
défavorable sur le compte de Léandro Fernandez de
Moratin, Espagnol réfugié à
Bordeaux; il a été signalé de nouveau au
Commissaire de police de son arrondissement».
Réponse à la lettre du 18 mars 1825.
XI
Extrait du Rapport hebdomadaire du Préfet du
Département de la Gironde, en date du 27 février
1826. (Nº 566-e)
Moratin se conduit
bien.
«Je n'ai aucun rapport défavorable sur son
compte».
XII
Ministère de
l'Intérieur.
Paris, le 4 juin 1827
au Préfet de
la Gironde, à Bordeaux
M.
le Préfet. J'ai reçu votre rapport du 31 mai dernier,
sur D. Léandro Fernandez
de Moratin. Cet Espagnol, connu par ses talents
littéraires et ses opinions libérales mérite
une attention particulière. Si vous parvenez à
acquérir des preuves positives des correspondances
révolutionnaires de -276-
différentes parts, vous me les ferez connaître sur le
champ et je prendrai à son égard les mesures que sa
conduite pourrait exiger, en l'éloignant d'une ville
où sa présence aurait de tels
inconvénients.
XIII
Préfecture de
la Gironde
Bordeaux, la 13 septembre 1827
Monseigneur
Mr.
Fernandez Léandre
de Moratín, homme de
lettres Espol qui a fait l'objet de plusieurs
communications, a obtenu à la Mairie de Bordeaux un
passeport pour se rendre à Paris.
J'ai cru devoir autoriser son voyage pour cette destination,
à raison de l'excellente conduite que cet étranger a
tenue constamment à Bordeaux.
Je
suis...
Le
Conseiller d'État
Préfet de la Gironde
Bon d'Haussez
a S. E. le Ministre
de l'Intérieur
Paris
XIV
Ministère de
l'Intérieur
Paris, le 18 septembre 1827
au Préfet de
Police
M.
le P. Don Léandro Fernandez de
Moratin, littérateur Espagnol, vient de
partir de Bordeaux pour Paris. Cet étranger a suivi, en
1808, le parti de Joseph Buonaparte, & en 1820 celui des
Cortès. Il a des (illisible) avec le Duc de
San Lorenzo, le S.
Nunez de Taboada et
d'autres Constitutionnels bien prononcés. Ses écrits
lui ont donné d'ailleurs une (illisible) de
célébrité; je vous recommande de faire
observer avec soin ses démarches et ses relations, et de me
communiquer les remarques auxquelles elles donnent lieu.
(paraphe)
XV
Cabinet du
Préfet de Police
Paris, le 5 décembre 1827
Monseigneur
Votre Excellence m'a signalé, dans la lettre qu'elle m'a
fait l'honneur de m'écrire, le 18 septembre dernier,
Don Léandro Fernandez de
Moratin, Littérateur Espagnol, parti de
Bordeaux pour Paris.
Cet
Etranger est arrivé dans les premiers jours d'octobre,
amenant avec lui plusieurs jeunes Espagnols qui viennent
étudier à Paris. Ils sont tous descendus rue de
Montreuil nº 33. Un Sieur Silvela,
qui avoit devancé le Sieur de Moratin
dans la Capitale, a établi dans cette maison un pensionnat
dont ce Littérateur va prendre la direction. On y compte en
ce moment à peu près une vingtaine
d'Élèves.
Le
Sieur de Moratin est un homme
presque septuagénaire.
J'ai l'honneur... etc.
Le
Conseiller d'Etat, Préfet
A
Son Exc. Le Mtre de l'Intérieur
-277-
XVI
Ministère de
l'Intérieur
Paris, le 5 décembre 1827
au Ministre des
Affaires Ecclésiastiques et de l'Instruction Publique.
Monseigneur. J'ai eu l'h. d'adresser à V. E. le 30 nov.
dr, des pièces relatives à Don
Manuel Silvela, qui demandait l'auton
de transporter à Paris un établissement
d'éducation qu'il avait formé depuis plusieurs
années à Bordeaux. J'apprends que ce Pensionnat est
déjà ouvert rue de Montreuil nº 33 et qu'il se
compose actuellement d'une quinzaine d'élèves qui
sont Espagnol. On ajoute que la direction en sera confiée
à D. Leandro Fernandez de
Moratin, l'un des littérateurs les plus
distingués de la Péninsule, mais qui, de même
que M. Silvela, avait
embrassé en 1808 la cause de Joseph Buonaparte & se
réfugia en France à l'époque du
rétablissement de l'autorité légitime dans sa
patrie. Tous deux s'étaient montrés, en 1823,
favorablement disposés pour les Cortès. Je crois
devoir transmettre ces renseignement à V. E. qui peut seule
en faire l'usage convenable.
Agréez.
Appendice
La
lettre ci-après, connue de Núñez de Arenas,
est conservée aux Archives Départementales de la
Gironde, M. (Police Générale) 1824-26:
Bordeaux, le 29 mai 1824
Département
de la Gironde
Le 31 mai
Mairie de
Bordeaux
nº 685
Police de
Sûreté
nº 699
Monsieur le
Préfet,
Je
m'empresse de vous communiquer les renseignements recueillis sur le
Sieur Moratin
(Leandre).
Cet
étranger, âgé de 54 ans, connu par ses oeuvres
dramatiques, suivit le parti de Joseph-Napoléon;
entré en France avec l'armée en 1813, il
s'établit à Paris, et s'y fit remarquer par son
dévouement à la famille de Bonaparte lors de son
débarquement. Rentré en Espagne en 1817 ou 1818, il
resta peu de tems à Barcelone. Mécontent du
Gouvernement du Roi, il revint en France & fixa sa
résidence chez le SrSylvela,
maître de pension. Dès l'insurrection militaire de
1820, Moratin se prononça
pour la constitution. C'est un homme ferme dans ses opinions,
très réservé, méfiant, joignant
à l'esprit & à la témérité
un caractère peu communicatif. Il est lié depuis
longtemps avec le Due de San-Lorenzo. On assure qu'il correspond avec
Nunez Taboada, de
Paris; il est difficile d'indiquer l'intermédiaire de cette
correspondance, mais elle n'est pas étrangère
à l'hôte de Moratin, le Sr Sylvela, homme à
talens, très adroit, qui sait avant tout autre les nouvelles
d'Espagne, qui a dirigé Langroniz dans toutes ses affaires
avec les Cortès et qui a été
réprimandé plusieurs fois à cause de ses
opinions politiques.
L'intimité entre Moratin,
Sylvela & Rodriguez (ce dernier homme capable de
tout entreprendre contre le gouvernement du Roi d'Espagne) leur
réserve, & le mystère dont Rodriguez envellope (sic) le travail qu'il fait auprès
de -278-
Moratin, tout
éveille l'attention particulière du principal agent
employé à cette surveillance.
J'ai l'honneur, Monsieur le Préfet, de Vous renouveler les
assurances de ma respectueuse Considération.
L'adjoint au Maire
Beaulieu
A
Monsieur Le Préfet de la Gironde
Une
lettre antérieure, également conservée aux
Archives de la Gironde, semble, malgré son laconisme au
sujet de Moratín, plus
près de la vérité (M. - Police administrative,
janvier-avril 1823):
Bordeaux, le 28 février 1823
Département
de la Gironde
Mairie de
Bordeaux
Nº 370
Confidentielle
Cabinet de M. le
Préfet
nº 951
I mars
358
Monsieur le
Préfet,
Conformément à la lettre que vous m'avez fait
l'honneur de m'écrire le 25 de ce mois, j'ai pris des
renseignements sur le SrMoratin et le Curé dont vous ne me
dites point le nom, mais qui demeure à l'hôtel
d'Espagne.
Le
SrMoratin est un homme
instruit qui quitta l'Espagne il y a près de deux ans, pour
ne pas se trouver compromis par suite des troubles civils;
d'après sa conduite & ses discours, il paraît
qu'il veut demeurer étranger aux événements
politiques. Le SrSilvela, maître de pension chez lequel il
loge est comme lui Espagnol et très instruit. Il est
réfugié depuis 1814 et on le dit
Joséphin; toutefois, il est modéré,
très réfléchi dans ses discours et
évite soigneusement de se compromettre.
Quant au Curé, je ne puis vous faire
connaître son opinion, puisque je n'ai pu savoir encore quel
est celui qu'on vous a signalé; cependant, comme il serait
possible que ce fut (sic) le SrEloriaga, ecclésiastique
logé à l'Hôtel d'Espagne, je vais vous faire
part de ce que j'ai appris le concernant: c'est un Josephin
modéré, ami de la bonne chère et
jouissant d'une fortune suffisante pour satisfaire ce goût;
par caractère, il est ennemi de la révolution.
J'ai l'honneur, Monsieur le Préfet, de vous saluer avec une
Respectueuse Considération.
Le
Maire, Chevr des Ordres
Royaux de
St Louis & de la légion d'Honneur,
Vte de Gourgue