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Leandro Fernández de Moratín: Hôte de la France


René Andioc





  -268-  

Au cours de la lutte du peuple espagnol contre l'invasion napoléonienne, nombreux furent les partisans ou les fonctionnaires du roi Joseph Bonaparte qui durent quitter, dans le sillage de la cour ou des armées en retraite, la capitale menacée par les libérateurs du territoire. Ils s'étaient discrédités aux yeux de tous par leur fidélité à l'usurpateur; c'étaient les fameux afrancesados. Désireux de promouvoir des réformes modérées dans le cadre d'un régime fort et «éclairé» comme l'avait été celui de Charles III, mais aussi -et partant- inquiétés par l'insurrection populaire qui remettait en cause les droits des classes possédantes, et par la naissance d'un pouvoir de type nouveau, révolutionnaire à son origine, celui des Juntes, ils avaient opté pour ce qu'ils considéraient comme un moindre mal; devant la carence du règne précédent, et dans une optique alors relativement progressive, ils estimaient que la solide administration napoléonienne correspondait aux besoins de l'Espagne; autrement dit, Joseph représentait à leurs yeux le progrès dans l'ordre.

Les privilégiés et les anciens corps constitués, le Conseil de Castille notamment, les accusaient de trahison; ce dernier, qui constituait l'élément le plus conservateur de l'éventail politique, s'était d'abord soumis, par opportunisme ou attentisme, à l'usurpateur; mais la victoire de Bailén ayant fait naître l'espoir d'un triomphe sur les Français -et partant, celui d'une restauration de Ferdinand VII et de l'absolutisme,- il s'efforça de se dédouaner devant l'opinion et de s'imposer, face à la Junte Centrale, comme seul pouvoir légal, avec l'intention évidente de s'opposer à la mise en oeuvre du programme révolutionnaire, aidé en cela par les éléments conservateurs de la Junte.

Les libéraux, dont une partie formait l'aile progressive de cette Junte, et dont l'idéologie s'épanouira dans la constitution de 1812, promulguée par les Cortès, tenaient également les «Josefinos» pour   -269-   des traîtres, pour des raisons opposées à celles des absolutistes1.

Si nous ajoutons à cela que ceux qu'on a assez improprement comparés à nos collaborateurs étaient exécrés des masses populaires fanatisées par une propagande politique et religieuse élémentaires -par le sentiment religieux se manifestait souvent un sentiment national aliéné,- on concevra qu'il ne leur restât plus qu'une solution: disparaître, soit en franchissant les Pyrénées, soit, pour ceux qui ne pouvaient se résigner à l'exil, en cherchant un refuge précaire dans un endroit discret de province.

Un décret promulgué par Ferdinand VII «le Désiré» à son retour de Valençay, vint confirmer les craintes; les libéraux, il va de soi, ne furent pas davantage épargnés.

Leandro Fernández de Moratín (1760-1828), le dramaturge le plus important du règne de Charles IV, fut du nombre de ces réprouvés.

Fonctionnaire de l'État -il était secrétaire-interprète2-, il suivit Joseph au cours du repli motivé par la victoire de Bailén (juillet 1808) et fut, du moins jusqu'en 1812, un chaud partisan de l'«intrus», comme en témoigne le prologue qu'il rédigea en vue d'une réédition du Fray Gerundio du Père Isla3. Il accepta avec joie sa nomination au poste de bibliothécaire en chef de la Bibliothèque Royale4 et fit jouer ses pièces, notamment sa traduction-adaptation de l'École des Maris, dont la première eut lieu le 17 mars 1812.

Après la victoire espagnole de Los Arapiles (août 1812), il quitte définitivement Madrid pour Valencia, et plus tard Barcelone, où aborda, au cours d'une tempête, la coquille de noix qui, sur l'ordre du gouverneur de Valencia, devait le conduire en France. Vint la Restauration et avec elle le rétablissement de l'Inquisition. Notre auteur, selon son biographe, jugea prudent de demander un passeport pour la France, afin de mettre un terme «non pas aux maux qui l'affligeaient, mais à ceux dont il était menacé» (1817).

Montpellier, Paris, Bologne. Le pronunciamiento libéral de 1820, venant après plusieurs tentatives infructueuses, permet à Moratín de regagner sans crainte Barcelone. Un an plus tard, la peste ayant fait son apparition, il franchit à nouveau la frontière; il ne devait plus revoir son pays.

  -270-  

1823; les armées du Duc d'Angoulême, sur l'ordre du gouvernement français dont Chateaubriand s'affirme l'inspirateur, viennent consolider le trône chancelant de Sa Majesté Catholique, depuis trois ans roi d'Espagne «par la grâce de Dieu et de la Constitution». C'est à nouveau l'exil pour les libéraux, du moins pour ceux qui réussissent à échapper à une répression telle que le Maréchal de Castellane a pu dire: «l'exagération des royalistes de ces contrées n'est comparable à rien; un de nos ultras de 1815 y passerait pour un jacobin».

Plusieurs érudits se sont intéressés à la vie des émigrés espagnols en France et dans les pays voisins. Nos archives départementales, et surtout les archives nationales, conservent en effet une abondante documentation, vierge encore pour une bonne part, sur les activités des afrancesados et des libéraux en France, ces hommes ayant constitué sous la monarchie restaurée un danger permanent de subversion, ce qui entraînait la nécessité d'une surveillance particulière.

Les documents que nous publions ci-après, et qui concernent Moratín ainsi que plusieurs de ses compatriotes ou amis, proviennent des Archives Nationales5. Leur intérêt est de nous présenter un Moratín nettement engagé dans la lutte contre l'Ancien Régime. Mais ce portrait témoigne-t-il de la compétence des services de police chargés de la surveillance de l'auteur? Autrement dit, correspond-il à la réalité?6

Plusieurs erreurs se sont glissées dans le document nº III, que l'on retrouve dans les rapports ultérieurs. Elles proviennent d'une lettre adressée au préfet de la Gironde par l'adjoint au maire de Bordeaux, le 29 mai 1824, en réponse à une demande de renseignements émanant du ministère de l'Intérieur (doc. nº II)7. Moratín n'a pas en 1824 54 ans, mais bien dix ans de plus, puisqu'il est né en 1760. En outre, il n'est pas entré en France avec l'armée en déroute en 1813, (vid. supr.) et n'a pu de ce fait s'établir à Paris. Quant à son dévouement à Bonaparte pendant les Cent-Jours, aucune lettre actuellement connue de l'auteur n'en fait foi; de toute façon, il résidait alors à Barcelone8.   -271-   En 1817 il n'est donc pas rentré en Espagne, mais su contraire a jugé bon de passer en France, sans doute parce qu'il était «mécontent du gouvernement du Roi», mais surtout parce que l'Inquisition, depuis Madrid, s'intéressait beaucoup trop à cette brebis égarée.

S'est-il vraiment prononcé en faveur de la Constitution en 1820? (on retrouve l'accusation de libéralisme dans le doc. nº XII). Il semble plutôt que le manichéisme politique d'un régime menacé ait accusé les traits de Moratín. Certes, l'absolutisme ne semble pas avoir sa faveur; son action subversive en Espagne pas davantage. Notre auteur fit en outre partie d'un organisme officiel de censure dans la métropole catalane9 et publia même un poème en l'honneur des jeunes volontaires de la garde nationale10, mais il n'approuve cependant pas l'esprit révolutionnaire des «exaltados», l'aile gauche des libéraux qui ne dédaigne pas l'appui de la «populace»11. C'est un modéré, au sens large du terme, et l'on ne peut affirmer que la politique l'ait, à un moment quelconque de sa vie, véritablement séduit; il se situe à peu près à égale distance des deux «extrémismes» du fait de son appartenance à cette couche moyenne qui participe a la fois du système économique féodal sur le déclin et du système capitaliste naissant sans être nettement engagée dans l'un ou dans l'autre. Ses lettres de l'époque témoignent d'un égoïsme social assez élémentaire qui reflète bien l'isolement de ses pareils et leur incompréhension du sens profond des événements: amassons tout ce que nous pouvons, dit-il souvent, et tâchons de jouir de ce peu de bien en un lieu tranquille, sans nous occuper d'autrui.

Par contre, le «caractère peu communicatif», la réserve parfois excessive, correspondent bien à l'image qu'a laissée de lui D. Leandro12. Notre auteur ne consentait à se détendre et à se livrer qu'en présence de ses seuls amis ou de rares personnes auxquelles il était depuis longtemps habitué. Si l'on ajoute à cela que, dans la France d'alors, il ne faisait pas bon manifester des opinions hétérodoxes quand on était déjà suspect a priori, on en vient à se demander si le ou les indicateurs de la police, apparemment si bien renseignés sur son caractère, n'ont pas fait partie de son entourage. Le document nº V, révélant que l'un des mouchards était un espagnol, semblerait confirmer cette hypothèse; la misère de bien des exilés pouvait être en effet mauvaise conseillère, et les méthodes de recherche du renseignement se situent hors de la sphère de la morale traditionnelle. (Un certain José Pita, neveu de Taboada dont le nom apparaît dans les documents que nous publions, accuse en 1826 son oncle de l'avoir dénoncé par vengeance,   -272-   devant son refus de lui prêter de l'argent. - Arch. Nat., F 7 12026). La «réputation» de Moratín a-t-elle souffert de la présence à ses côtés de personnages aux idées plus nettes ou plus avancées que les siennes? Il n'est pas non plus impossible que ses rapports avec des exilés libéraux aient peu à peu infléchi et clarifié sa pensée politique. Son ami Manuel Silvela, maître de pension à Bordeaux, puis à Paris, afrancesado comme lui en 1808, était devenu partisan d'un libéralisme modéré qui lui fit célébrer la victoire de l'insurrection libérale de 182013. Il rédigea alors cinq lettres fort intéressantes dans lesquelles il se montre un adepte fervent de la régénération de l'Espagne par la monarchie constitutionnelle et qui témoignent d'un degré de conscience politique assez élevé14. D'autre part, bon nombre des personnages mentionnés conjointement à Moratín dans les rapports que nous publions, étaient nettement engagés dans la lutte contre l'absolutisme «fernandino».

Quoi qu'il en soit, notre auteur fut enfin soustrait à la sollicitude de la police royale par une «lésion organique», vraisemblablement un cancer de l'estomac comme cela semble se déduire des symptômes minutieusement décrits par Silvela, le 21 juillet 1828.






Documents15

I

Cabinet du Préfet de Police

Paris, le 19 mai 1824

(au ministre de l'intérieur)

Monseigneur,

[...] (Salazar voit journellement los espagnols révolutionnaires à Paris) [...] (Núñez de Taboada, interrogé, a refusé de donner l'adresse de Salazar, prétendant ne pas le connaître).

Il paraît que le correspondant de Salazar au moyen duquel il serait instruit   -273-   de ce qui se passe dans la Péninsule est un Sr. Moratin, Espagnol, qui habite Bordeaux. Il a à Paris des relations avec un nommé Bernard Gil, libéral exalté, qui se communique peu, mais qui entretient, dit-on, une correspondance nombreuse...



II

Ministère de l'Intérieur

Paris, le 21 mai 1824

au Préfet de la Gironde

Confidentielle

M. le P., on me signale comme des agents les plus actifs d'intrigues révolutionnaires, l'Espagnol Moratin qui habite actuellement Bordeaux. J'ai lieu de penser qu'il entretient des correspondances suivies avec les factieux d'Espagne, & qu'il transmet les nouvelles reçues par cette voie en Angleterre, au Duc de San Lorenzo, en Belgique, et à Paris. Les Srs. Nunez de Taboada et Salazar sont, dans cette dernière ville, les affidés principaux.

Je vous invite à me transmettre le plutôt (sic) possible sur le Sr. Moratin des renseignements détaillés dont vous ferez vérifier l'exactitude avec le plus grand soin. Vous le soumettrez d'ailleurs à la surveillance la plus attentive et vous m'en communiquerez les résultats.

Agréez (sic).



III

Préfecture de la Gironde

4e Division

[...]

Bordeaux, le 31 mai 1824

Monseigneur,

En réponse à la lettre de votre Excellence en date du 21 de ce mois, je m'empresse de lui communiquer les renseignements recueillis sur le Sr. Moratin (Léandre).

Cet Etranger, âgé de 54 ans (sic), connu par ses oeuvres dramatiques, suivit le parti de Joseph. Entré en France avec l'armée en 1813, il s'établit à Paris, et s'y fit remarquer par son dévouement à la famille Bonaparte, lors de son débarquement. Rentré en Espagne en 1817 ou 1818, il resta peu de tems à Barcelonne. Mécontent du gouvernement du Roi, il revint en France et fixa sa résidence chez le Sr. Sylvela, Espagnol, maître de pension.

Dès l'insurrection militaire de 1820, Moratin se prononça pour la Constitution. On le représente comme un homme ferme dans ses opinions, très réservé, méfiant, joignant à l'esprit et à la témérité un caractère peu communicatif. Il est lié depuis longtemps avec le Duc de San Loranzo (sic); on assure qu'il correspond avec Nunez Taboada de Paris. Il est difficile d'indiquer l'intermédiaire de cette correspondance.

Le Sr. Moratin est l'objet d'une surveillance particulière dont j'aurai l'honneur de communiquer les résultats à Votre Excellence.

Je suis avec respect...

Le Maître de Requêtes
Préfet de la Gironde

S. E. Le Ministre de l'Intérieur Bon d'Haussez

Paris



  -274-  

IV

Ministère de l'Intérieur

Paris, le 4 juin 1824

au Préfet de Police

M. le Préfet, le Sr. Moratin, que votre rapport du 19 mai der. me signalait comme le correspondant à Bordeaux de l'Espagnol Salazar, est le même que D. Léandro Fernandez Moratin, très connu par les ouvrages dramatiques qui parurent au commencement du siècle et qui attirèrent en Espagne l'attention générale par les idées nouvelles dont elles étaient remplies. Il embrassa avec chaleur la cause de l'usurpateur Joseph, & se réfugia en France en 1813, et se rendit à Paris où il manifesta pendant les Cent jours de très mauvaises dispositions. En 1817, il rentra momentanément en Espagne et revint bientôt s'établir à Bordeaux. Il a témoigné, depuis 1820, beaucoup de zèle pour la cause révolutionnaire; et depuis la chute du gouvernement des Cortès, il est devenu le Correspondant du Duc de San Lorenzo et de Nunez de Taboada, avec lequel il est lié par la conformité de ses occupations littéraires & de ses opinions politiques.

Je vous invite à fixer votre attention particulière sur les relations que cet étranger dangereux entretient à Paris; si vous acquérez de nouveaux éclaircissements à cet égard, je vous prie de me les communiquer sans délai.

agréez



V

Extrait du Rapport du Préfet du Département de la Gironde en date du 8 juin 1824 (Nº ?)

«Le Sr. Fernandez de Moratin est, ainsi que tous ses Compatriotes, l'objet d'une surveillance d'autant plus active qu'elle est exercée à la fois par un Espagnol et par un Français qui ignorent être employés l'un et l'autre par la police. Leurs rapports ont en général beaucoup d'analogie et m'inspirent conséquemment assez de confiance. Il en résulte que Moratin est depuis quelque temps surtout fort réservé dans ses propos. Il assiste tous les soirs au spectacle où il a sa place, aux Premières en face de ma loge. Je ne remarque pas qu'il cause avec des Français. On me fait espérer la communication de quelques unes des lettres qu'il reçoit».



Voir l'original de cette lettre au classemt de la police politique, au dossier: Organisation de la Police de Bordeaux.

VI

Extrait «1er bulletin hebdomadre» des Espagnols autorisés à demeurer à Bordx en date du 22 juillet 1824 (voir 566-e).

«Leandro Moratin, âgé de 54 ans (sic) et Auteur dramatique, homme ferme, réservé, méfiant, joignant à l'esprit et à la témérité un caractère peu communicatif. Suivit le parti de Joseph, se fit remarquer à Paris par son dévouement à Buonaparte. Rentra en Espagne en 1817 ou 1818. Mécontent du gouvernement du Roi revint en France et, dès l'insurrection de 1820, se prononça pour la constitution. Liaisons suspectes».



  -275-  

VII

Le 28 juillet 1824, Mr. le Préfet de la Gironde est invité à faire continuer avec beaucoup de soin la surveillance de Don Léandro Fernandez de Moratin.



Voir la minute de cette lettre au dossier 491-e.

VIII

Extrait d'une lettre du Préfet de la Gironde, en date du 1er septembre 1824, classée au dossier de Silvela, 1282-e.

«C'est chez lui (Silvela) que demeure Moratin, auteur dramatique Espagnol».



IX

Extrait d'une lettre adressée au Préfet de la Gironde, le 18 mars 1825, Nº 770-e.

«Je profite de cette occasion pour vous engager à me rendre compte des résultats les plus récents de la surveillance dont vous avez entouré Don Léandro Fernandez de Moratin, l'un des espagnols réfugiés à Bordeaux, qui mérite le plus d'attention de la part des autorités».



X

Extrait du Rapport hebdomadaire du Préfet du Département de la Gironde, en date du 2 avril 1825. (Nº 566-e)

«Il n'a été fait aucune remarque défavorable sur le compte de Léandro Fernandez de Moratin, Espagnol réfugié à Bordeaux; il a été signalé de nouveau au Commissaire de police de son arrondissement».



Réponse à la lettre du 18 mars 1825.

XI

Extrait du Rapport hebdomadaire du Préfet du Département de la Gironde, en date du 27 février 1826. (Nº 566-e)

Moratin se conduit bien.

«Je n'ai aucun rapport défavorable sur son compte».



XII

Ministère de l'Intérieur.

Paris, le 4 juin 1827

au Préfet de la Gironde, à Bordeaux

M. le Préfet. J'ai reçu votre rapport du 31 mai dernier, sur D. Léandro Fernandez de Moratin. Cet Espagnol, connu par ses talents littéraires et ses opinions libérales mérite une attention particulière. Si vous parvenez à acquérir des preuves positives des correspondances révolutionnaires de   -276-   différentes parts, vous me les ferez connaître sur le champ et je prendrai à son égard les mesures que sa conduite pourrait exiger, en l'éloignant d'une ville où sa présence aurait de tels inconvénients.



XIII

Préfecture de la Gironde

Bordeaux, la 13 septembre 1827

Monseigneur

Mr. Fernandez Léandre de Moratín, homme de lettres Espol qui a fait l'objet de plusieurs communications, a obtenu à la Mairie de Bordeaux un passeport pour se rendre à Paris.

J'ai cru devoir autoriser son voyage pour cette destination, à raison de l'excellente conduite que cet étranger a tenue constamment à Bordeaux.

Je suis...

Le Conseiller d'État
Préfet de la Gironde
Bon d'Haussez

a S. E. le Ministre de l'Intérieur

Paris



XIV

Ministère de l'Intérieur

Paris, le 18 septembre 1827

au Préfet de Police

M. le P. Don Léandro Fernandez de Moratin, littérateur Espagnol, vient de partir de Bordeaux pour Paris. Cet étranger a suivi, en 1808, le parti de Joseph Buonaparte, & en 1820 celui des Cortès. Il a des (illisible) avec le Duc de San Lorenzo, le S. Nunez de Taboada et d'autres Constitutionnels bien prononcés. Ses écrits lui ont donné d'ailleurs une (illisible) de célébrité; je vous recommande de faire observer avec soin ses démarches et ses relations, et de me communiquer les remarques auxquelles elles donnent lieu.

(paraphe)



XV

Cabinet du Préfet de Police

Paris, le 5 décembre 1827

Monseigneur

Votre Excellence m'a signalé, dans la lettre qu'elle m'a fait l'honneur de m'écrire, le 18 septembre dernier, Don Léandro Fernandez de Moratin, Littérateur Espagnol, parti de Bordeaux pour Paris.

Cet Etranger est arrivé dans les premiers jours d'octobre, amenant avec lui plusieurs jeunes Espagnols qui viennent étudier à Paris. Ils sont tous descendus rue de Montreuil nº 33. Un Sieur Silvela, qui avoit devancé le Sieur de Moratin dans la Capitale, a établi dans cette maison un pensionnat dont ce Littérateur va prendre la direction. On y compte en ce moment à peu près une vingtaine d'Élèves.

Le Sieur de Moratin est un homme presque septuagénaire.

J'ai l'honneur... etc.

Le Conseiller d'Etat, Préfet

A Son Exc. Le Mtre de l'Intérieur



  -277-  

XVI

Ministère de l'Intérieur

Paris, le 5 décembre 1827

au Ministre des Affaires Ecclésiastiques et de l'Instruction Publique.

Monseigneur. J'ai eu l'h. d'adresser à V. E. le 30 nov. dr, des pièces relatives à Don Manuel Silvela, qui demandait l'auton de transporter à Paris un établissement d'éducation qu'il avait formé depuis plusieurs années à Bordeaux. J'apprends que ce Pensionnat est déjà ouvert rue de Montreuil nº 33 et qu'il se compose actuellement d'une quinzaine d'élèves qui sont Espagnol. On ajoute que la direction en sera confiée à D. Leandro Fernandez de Moratin, l'un des littérateurs les plus distingués de la Péninsule, mais qui, de même que M. Silvela, avait embrassé en 1808 la cause de Joseph Buonaparte & se réfugia en France à l'époque du rétablissement de l'autorité légitime dans sa patrie. Tous deux s'étaient montrés, en 1823, favorablement disposés pour les Cortès. Je crois devoir transmettre ces renseignement à V. E. qui peut seule en faire l'usage convenable.

Agréez.






Appendice

La lettre ci-après, connue de Núñez de Arenas, est conservée aux Archives Départementales de la Gironde, M. (Police Générale) 1824-26:

Bordeaux, le 29 mai 1824

Département de la Gironde

Le 31 mai

Mairie de Bordeaux
nº 685

Police de Sûreté
nº 699

Monsieur le Préfet,

Je m'empresse de vous communiquer les renseignements recueillis sur le Sieur Moratin (Leandre).

Cet étranger, âgé de 54 ans, connu par ses oeuvres dramatiques, suivit le parti de Joseph-Napoléon; entré en France avec l'armée en 1813, il s'établit à Paris, et s'y fit remarquer par son dévouement à la famille de Bonaparte lors de son débarquement. Rentré en Espagne en 1817 ou 1818, il resta peu de tems à Barcelone. Mécontent du Gouvernement du Roi, il revint en France & fixa sa résidence chez le Sr Sylvela, maître de pension. Dès l'insurrection militaire de 1820, Moratin se prononça pour la constitution. C'est un homme ferme dans ses opinions, très réservé, méfiant, joignant à l'esprit & à la témérité un caractère peu communicatif. Il est lié depuis longtemps avec le Due de San-Lorenzo. On assure qu'il correspond avec Nunez Taboada, de Paris; il est difficile d'indiquer l'intermédiaire de cette correspondance, mais elle n'est pas étrangère à l'hôte de Moratin, le Sr Sylvela, homme à talens, très adroit, qui sait avant tout autre les nouvelles d'Espagne, qui a dirigé Langroniz dans toutes ses affaires avec les Cortès et qui a été réprimandé plusieurs fois à cause de ses opinions politiques.

L'intimité entre Moratin, Sylvela & Rodriguez (ce dernier homme capable de tout entreprendre contre le gouvernement du Roi d'Espagne) leur réserve, & le mystère dont Rodriguez envellope (sic) le travail qu'il fait auprès de   -278-   Moratin, tout éveille l'attention particulière du principal agent employé à cette surveillance.

J'ai l'honneur, Monsieur le Préfet, de Vous renouveler les assurances de ma respectueuse Considération.

L'adjoint au Maire
Beaulieu

A Monsieur Le Préfet de la Gironde



Une lettre antérieure, également conservée aux Archives de la Gironde, semble, malgré son laconisme au sujet de Moratín, plus près de la vérité (M. - Police administrative, janvier-avril 1823):

Bordeaux, le 28 février 1823

Département de la Gironde

Mairie de Bordeaux

Nº 370

Confidentielle

Cabinet de M. le Préfet
nº 951

I mars
358

Monsieur le Préfet,

Conformément à la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 25 de ce mois, j'ai pris des renseignements sur le Sr Moratin et le Curé dont vous ne me dites point le nom, mais qui demeure à l'hôtel d'Espagne.

Le Sr Moratin est un homme instruit qui quitta l'Espagne il y a près de deux ans, pour ne pas se trouver compromis par suite des troubles civils; d'après sa conduite & ses discours, il paraît qu'il veut demeurer étranger aux événements politiques. Le Sr Silvela, maître de pension chez lequel il loge est comme lui Espagnol et très instruit. Il est réfugié depuis 1814 et on le dit Joséphin; toutefois, il est modéré, très réfléchi dans ses discours et évite soigneusement de se compromettre.

Quant au Curé, je ne puis vous faire connaître son opinion, puisque je n'ai pu savoir encore quel est celui qu'on vous a signalé; cependant, comme il serait possible que ce fut (sic) le Sr Eloriaga, ecclésiastique logé à l'Hôtel d'Espagne, je vais vous faire part de ce que j'ai appris le concernant: c'est un Josephin modéré, ami de la bonne chère et jouissant d'une fortune suffisante pour satisfaire ce goût; par caractère, il est ennemi de la révolution.

J'ai l'honneur, Monsieur le Préfet, de vous saluer avec une Respectueuse Considération.

Le Maire, Chevr des Ordres

Royaux de St Louis & de la légion d'Honneur,
Vte de Gourgue





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