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Littérature religieuse et dévotions au XIXe siècle (1840-1900)

Solange Hibbs-Lissorgues





De 1840 à la fin du siècle, un nombre stupéfiant d'ouvrages pieux sortent des presses des éditeurs catholiques. Cette abondante production semble indiquer que nombreux doivent être les croyants qui en nourrissent leur réflexion, leur foi. C'est une littérature destinée aux personnes pieuses et au clergé, qui cultive des genres fixes (catéchismes, dévotionnaires et livres de prières, vies de saints, recueils de méditation) mais qui tente de s'adapter à des publics précis (enfants, femmes, travailleurs) et de se diversifier avec l'essor de nouvelles dévotions. Par ailleurs, elle reste très dépendante culturellement de la France et de l'Italie comme semblent l'indiquer les multiples rééditions de «classiques» étrangers proposés dans les catalogues de cette période. Notons en effet que les œuvres d'apologistes connus comme celles de l'abbé Gaume (1802-1879), La confession (El libro de los confesores, 1848), le Catecismo de perseverancia (1851) ou de Mgr. de Ségur (1820-1881), fils aîné de la Comtesse de Ségur et immensément populaire en France, Réponses courtes et familières aux objections les plus populaires contre la religion (1851), furent rééditées plusieurs fois jusqu'à la fin du siècle par les établissements les plus connus: ceux de Miguel Casals, de Pablo Riera et de Miguel Olamendi1.

À ces noms, fort populaires au XIXe siècle, il faut ajouter celui d'Alphonse de Liguori (1696-1787) qui exalte une dévotion centrée sur le Christ et sa Sainte Famille et dont Les gloires de Marie rééditées 25 fois en France de 1834 à 18752 connaissent un succès presque aussi considérable en Espagne avec de nombreuses rééditions de 1834 à 1950, dont plusieurs éditions catalanes3. Mentionnons aussi l'apologiste Jean Nicolas Grou (1731-1803) qui développe une théologie «de l'amour divin» dans des œuvres connues en France et en Espagne comme L'intérieur de Jésus et de Marie (1815) rééditée plusieurs fois en espagnol à partir de 1853 et Le prédicateur de l'amour de Dieu (1796) traduite en 1879 par Joaquín Rubió y Ors et qui en est à sa sixième réédition en 1880.

Les catholiques de cette époque peuvent puiser à d'autres sources étrangères: le Père Croiset (1656-1738) par exemple dont l'œuvre Año cristiano traduite par le Père Isla fut rééditée de nombreuses fois, ou encore le jésuite Robert Belarmino (1542-1621) dont la Declaración de la doctrina cristiana publiée pour la première fois à Madrid en 1771 est proposée aux fidèles espagnols jusqu'en 1889 après avoir été rééditée en 1819 et 1828.

Mais si la diffusion et l'adaptation de ces valeurs sûres reste la règle, la littérature religieuse autochtone est très encouragée par l'activité d'apologistes dont certains deviennent des personnalités marquantes de leur époque.

Parmi elles il y a bien sûr Antonio María Claret (1807-1870), le fondateur des bibliothèques populaires et paroissiales et de la Librería Religiosa de Barcelone, qui, dès 1846, diffuse de petits ouvrages religieux susceptibles de toucher les travailleurs, les gens modestes. Conscient de l'importance du livre religieux qui se substitue de plus en plus à la prédication orale, le Père Claret met sa plume au service de toutes les classes sociales car «grâce à l'instruction d'une partie chaque fois plus grande de la population, un nouveau besoin a surgi au sein de la société, celui de disposer de "bons" livres»4.

Concrètement, ses initiatives se traduiront par une production multiforme et constante de dévotionnaires, traités de doctrine, catéchismes et petits guides de bonne conduite destinés aux chrétiens de tous âges et toutes conditions5.

D'autres personnalités connues dans la vie religieuse de ces dernières décennies du siècle sont l'archevêque de Barcelone, Enrique de Ossó y Cervelló (1840-1896), fondateur de la Compañía de Santa Teresa de Jesús (1873), dont l'œuvre la plus populaire, ¡Viva Jesús! El cuarto de hora de oración publiée pour la première fois en 1874 en est à sa trentième réédition en 1930. Cet ecclésiastique qui est un des rénovateurs de la pédagogie catéchistique en Espagne6 a compris le parti que l'on pouvait tirer des associations et confréries catholiques pour diffuser l'imprimé religieux. Dans le règlement de la Compagnie, il est précisé que «les jeunes filles chrétiennes sous la protection de Sainte Thérèse doivent former un bataillon de troupes aguerries contre le mal» et qu'un des moyens d'y parvenir est de se consacrer avec assiduité aux lectures religieuses7. Les bulletins de la Compañía de Santa Teresa de Jesús révèlent le succès d'ouvrages pieux et accessibles comme El cuarto de hora de oración según las enseñanzas de Santa Teresa de Jesús qui atteint sa quarantième édition en 1926 et qui sera publiée jusqu'en 1979.

Cette politique de popularisation de la littérature religieuse est également menée avec conviction et constance par l'ecclésiastique Félix Sardá y Salvany (1844-1916), directeur de la Revista Popular et surtout célèbre pour l'impact idéologique de son opuscule El liberalismo es pecado (1884) réédité de multiples fois dans des éditions luxueuses ou économiques. Cet apologiste virulent mérite d'être connu pour l'ensemble de son œuvre pieuse très diffusée auprès de publics variés et dont de nombreux exemplaires en castillan et en catalan furent proposés aux catholiques.

Indépendamment des œuvres de ces apologistes familiers aux catholiques de l'époque, on ne compte pas les livres pieux qui offrent «des fleurs, des bouquets, des trésors, des consolations, des élévations». Les catalogues des établissements catholiques dont le renom et l'orthodoxie en matière de littérature pieuse sont assurées, la Librería Católico-científica de la Viuda e hijos de Subirana, la Librería de los SS. Pons y Cª, ou encore l'établissement typographique de la Inmaculada Concepción sans oublier la Compañía de Impresores y Libreros de Madrid, ou la maison de Pablo Riera spécialisée dans les catéchismes depuis plus d'un siècle, reflètent la part considérable qui est faite, en matière de publication, à la littérature de dévotion et catéchistique par rapport à des genres plus «frivoles» comme le roman, ou des ouvrages de divulgation historique et scientifique comme Manual nuevo de homeopatía doméstica du docteur Chepmell ou Ensayo práctico sobre la acción terapéutica de las aguas minerales. Bien que des éditeurs comme Subirana consacrent chaque fois plus d'attention à la «bonne» littérature de fiction et proposent des collections de romans catholiques comme Biblioteca económica de la infancia, 80% des tires proposés dans les années 1870-1880 concernent les catéchismes, les manuels de confession, les exercices de piété et de dévotion, les neuvaines et triduums, les mystères et vies de saints.

Les catholiques espagnols se voient donc offrir un choix considérable, choix qui est tributaire à la fois de leurs possibilités économiques (des éditions reliées, avec dorure sur tranche, brochées, luxueuses ou très accessibles leur sont proposées), de leur appartenance sociale et de leur disponibilité, comme le suggère l'établissement de Palencia, la Propaganda Católica qui propose un Pequeño devocionario para uso de la personas muy ocupadas en negocios temporales (1896)8. Les mêmes préoccupations inspirent la sélection faite par la Tipografía Católica de Miguel Casals qui annonce en 1882 un dévotionnaire économique en catalan, Joya del cristiá, «destiné à satisfaire les besoins et l'intelligence du plus grand nombre» et un Ramillete de flores teresianas, «ouvrage adapté au peuple [...] qui contient ce qu'il y a de meilleur et de plus utile pour toutes les situations décrites par la Sainte».

Dans son catalogue de 1867, l'éditeur Subirana propose au moins 40 espèces différentes de dévotionnaires dont les prix varient de 4 à 2000 réaux! Pour aider les croyants à se retrouver dans la production extrêmement variée de ce type de littérature, toutes les caractéristiques formelles sont décrites dans le catalogue en question et un résumé succinct des règles d'hygiène spirituelle est exposé avec la liste des principaux titres. Cette «consommation» religieuse est donc réglée selon un rituel solidement établi et toutes les précautions sont prises pour éviter que les lecteurs ne se procurent des ouvrages peu orthodoxes.

Il semble bien, par ailleurs, que l'imprimé religieux, véritable prolongement du magistère oral, connaisse un développement constant dans cette deuxième moitié du siècle. Des chiffres concernant les rééditions et tirages de cette littérature ont déjà été cités et attestent le succès des œuvres d'apologistes et théologiens connus. Contentons-nous néanmoins de remarquer que cet essor affecte l'ensemble de la production religieuse, tous genres confondus, et que des ouvrages comme María del sacerdote o colección de oraciones (1861) du Père Mach (réédité jusqu'à la fin du siècle), Origen de la Real Archicofradía del culto continuo a la Santísima Virgen o Corte de María en sus más célebres imágenes (publié pour la première fois en 1868 et réédité 17 fois jusque dans les années 1910) ou encore Finezas de María dispensadas en cada día del año y milagros, publié au début du XIXe siècle par l'ecclésiastique Esteban Dolz del Castellar, professeur de théologie à l'Université de Valence, et qui en est à sa huitième édition en 1849, constituaient probablement l'essentiel des lectures de nombreux fidèles de cette époque9.

Certains éléments sont à prendre en compte pour expliquer cette intense production et circulation du livre religieux. C'est l'extraordinaire développement des congrégations féminines dans la deuxième moitié du siècle et surtout pendant la Restauration. Sur un demi-siècle, ce sont plus de 70 congrégations nouvelles qui essaiment et qui participent au développement d'une importante activité d'enseignement (cours du soir, enseignement des jeunes filles déshéritées, ou de bonne famille, des femmes socialement marginalisées) et d'endoctrinement10.

Catéchèse et apologétique constituent l'essentiel de l'enseignement proposé dans les instituts religieux de cette période: il s'agit avant tout de former de bons chrétiens et de sauver leurs âmes11. Des manuels comme Tesoro de la niñez (1893) de Enrique Ossó y Cervelló ou Tesoro de los amigos de Jesús connaissent plus de dix rééditions. En outre, après 1875, la situation des séminaires s'améliore et les exercices spirituels sont plus nombreux dans la formation proposée aux laïques et au clergé12.

La littérature religieuse destinée au clergé régulier et séculier est en augmentation et cet essor reflète l'évolution d'une «clientèle» bien ciblée, en progression puisqu'elle double de 1875 à 192013. La situation de l'imprimé religieux est, tout compte fait, très rassurante pour l'Église.

Si son succès doit beaucoup à l'utilisation de moyens résultant des progrès techniques, il est également le prolongement de ce nouvel élan de spiritualité sentimentale, favorisé par Rome et la papauté, par un catholicisme «avide d'unité et d'universalité»14. Cette piété très affective et presque charnelle, opposée au rationalisme du XVIIIe siècle et au rigorisme janséniste, s'inscrit dans la grande flambée ultramontaine qui traverse le monde catholique de 1840 à 1880.

Les inflexions plus démonstratives d'une piété qui doit unir l'Église et les fidèles sont le résultat d'une histoire religieuse très troublée et se situent dans le prolongement d'une exaltation d'un pape «martyr», assiégé par les forces révolutionnaires et les philosophies hétérodoxes15. Face à la montée du rationalisme scientiste et positiviste, la théologie exagère la foi aux dépens de la raison et se laisse envahir par l'apologétique.

La majorité de ces ouvrages pieux réaffirment la supériorité du surnaturel sur les manifestations de la raison et sont remplis d'exercices faciles au cours desquels peuvent s'exprimer douceur et amour. Le langage employé ne fait jamais appel à la raison et ne sollicite que les sentiments.

La volonté de l'Église d'infléchir la sensibilité religieuse dans le sens d'une plus grande extériorisation et d'une plus grande proximité affective entre les fidèles et les médiateurs qui l'unissent à Dieu, a généré une littérature pieuse destinée à fomenter une ferveur de tous les moments.

La majorité des dévotionnaires offrent conseils et doctrine pour tous les jours et les mois de l'année comme El pan nuestro de cada día [...] devocionario completísimo para todos los días y épocas del año, inclusos el tiempo de Adviento, Natividad, Cuaresma, Semana Santa y Pascua qui est proposé en peau de couleur, en chagrin, en maroquin, avec ou sans broches, et intégré dans la panoplie du parfait chrétien à savoir le Mois Lyrique de Marie et une édition de Chants religieux. Ce sont les neuvaines comme celles consacrées à La gloriosa Madre y seráfica virgen Santa Teresa de Jesús (1882) qui offre «pour les exercices pieux de chaque jour un dicton de la sainte et un exemple édifiant», ou les Finezas de María dispensadas en cada día del año y milagros (1849) sans oublier le très populaire (au moins huit éditions) dévotionnaire complet du Père Claret, Camino recto y seguro para llegar al cielo. Cet ouvrage dont il existe 4500 exemplaires en 1859, signale à l'attention des croyants les jours destinés à la vénération des saints: le troisième dimanche de septembre, c'est Nuestra Señora de los Dolores, le premier dimanche d'octobre concerne Nuestra Señora del Remedio, et le 28 août est affecté a Nuestra Señora de la Consolación. Cet ouvrage, qui exalte une piété sentimentale et la communion presque physique avec les souffrances d'un Christ d'amour, propose un «code» de conduite intégral adapté aux différents groupes sociaux, c'est-à-dire pères de famille, enfants et serviteurs, maris et épouses, jeunes gens, jeunes filles vierges, propriétaires et commerçants pauvres, artistes et travailleurs agricoles:

Tout bon chrétien est dans l'obligation d'accomplir tous les jours, matin et soir, les exercices pieux qui sont ceux réservés à tous les vrais croyants. Il fera la prière du Saint Rosaire, il ira à la sainte messe quand il pourra, il consacrera quotidiennement un moment à la prière mentale et à la lecture d'un ouvrage pieux, et, à défaut, contemplera un instant les douloureuses plaies du très saint corps de Jésus-Christ16.



Les mois sont innombrables: c'est le mois de juin consacré au Sacré Cœur de Jésus et pour lequel abondent les œuvres traduites comme celle du Père Desjardin, El Sagrado Corazón de Jesús acomodado a la práctica del mes de junio (1885), et les ouvrages espagnols dont les plus célèbres sont ceux diffusés dans le cadre de l'Apostolat du Sacré Cœur de Jésus par des personnalités catholiques catalanes très attachées à cette dévotion: Félix Sardá y Salvany, l'évêque de Vich, José Morgades et José Torras i Bages. Le mois de mars est consacré au culte de Saint José, particulièrement populaire au cours de cette période du siècle. Précisons d'ailleurs que Pie IX, le 27 avril 1865, publie un bref dans lequel il recommande cette dévotion et promet 300 jours d'indulgence à ceux qui s'y adonneront.

Par ailleurs, cette culture religieuse privée et domestique est alimentée par almanachs et calendriers destinés à toutes les classes sociales, comme le précise la revue mensuelle El Mensajero del Sagrado Corazón de Jesús: «Nous proposons dans notre collection des almanachs à la portée de tous et dont les prix vont de 2 à 10 réaux». Le choix est varié et toute publication qui se respecte offre un almanach à ses lecteurs.

Quant aux revues spécialisées en fonction des dévotions les plus populaires, leur nombre et leurs tirages confirment la volonté de reconquête spirituelle de l'Église et l'engagement militant des laïques catholiques et du clergé. Il serait fastidieux de toutes les énumérer mais quelques titres s'imposent: El Propagador de la Devoción a San José (1806-1948) propose une prière différente pour tous les mois de l'année, une section doctrinale où sont expliqués les mérites et les vertus de ce saint sans oublier le calendrier des fêtes religieuses, les recommandations morales et la chronique des miracles. Cette revue est apparemment très lue puisqu'elle atteint des tirages de 12000 exemplaires.

Avec des tirages plus modestes (1000 exemplaires par mois), la Revista de las Hijas de María (1880) n'est qu'une des nombreuses publications suscitées par le culte marial. Cette abondance explique d'ailleurs le tirage limité de la plupart d'entre elles. Mentionnons aussi Ecos del Amor a María (1868), publiée tous les quinze jours sous la direction de l'ecclésiastique Juan Martí y Cantó, collaborateur de la Revista Popular, qui offre une description minutieuse des faveurs accordées par la Vierge à ceux qui honorent son culte et balise méthodiquement le parcours des dévotions mariales. Plus intéressante car elle permet d'avoir un aperçu de nombreuses œuvres mariales publiées au cours de cette période, la revue Academia bibliográfico-mariana (1865) témoigne de l'extraordinaire activité des congrégations mariales, du prosélytisme de nombreuses femmes catholiques, sans oublier les initiatives de l'épiscopat et du clergé pour raviver la ferveur des croyants. Concours de poésies mariales, récompenses pour les meilleurs ouvrages consacrés à la Vierge sont annoncés dans cette revue qui nous renseigne sur la piété et la religiosité des catholiques espagnols.

Mais que peut-on dire de cette piété? Elle est certainement fortifiée par une Église sur la défensive et qui, dès les années 1848-50, veut resserrer les rangs des fidèles face aux menaces révolutionnaires. On ne peut sous-estimer l'importance de ce courant de piété ultramontaine qui implique une attitude nouvelle vis-à-vis de plusieurs formes d'expression de «la religión populaire»17. L'influence de Rome est perceptible dans la propagation de cultes de saints qui devinrent ou redevinrent très populaires en France et en Espagne. Car certaines dévotions en Espagne passent d'abord par des relais méridionaux comme le sud de la France. C'est le cas de la dévotion au Sacré Cœur de Jésus très développée dans le sud-ouest de la France par le Père Ramière en 1861 et qui s'étendra à la Catalogne puis au reste de l'Espagne ensuite par l'intermédiaire de José Morgades, évêque de Vich en 1882 et qui avait vécu à Toulouse pendant son exil. Le courant christocentrique très vivace dans la deuxième partie du siècle est redevable à l'influence d'un saint italien, saint Alphonse de Liguori dont la popularité est assurée en France grâce à l'abbé Gaume. Or Gaume est un des apologistes français les plus traduits en Espagne.

La littérature pieuse mentionnée précédemment exalte dans sa grande majorité une dévotion à l'italienne centrée sur le Christ, Marie et Joseph, sa sainte famille; Rome est redevenue le cœur chaud et vivant de la spiritualité et de multiples médiateurs (Vierge, saints, Jésus-Christ) sont supposés rapprocher les fidèles de la religion. Mais si cette littérature où l'apologétique et l'endoctrinement moral l'emportent sur une spiritualité plus authentique et raisonnée semble être l'aliment essentiel des croyants de cette époque, des apologistes et théologiens ont produit une œuvre plus exigeante au niveau intellectuel et spirituel. La piété affective et sentimentale, les multiples manifestations festives sont le signe obligé de l'adhésion à une religion dont l'unité est menacée; mais l'essor de certaines dévotions restées très populaires est aussi très encouragé par certaines personnalités de l'épiscopat et du clergé comme Joseph Torras i Bages, Idelfonso Gatell, Eduardo Villarrasa, Jaume Collell, Antonio María Claret, José Morgades ou encore Antolín Monescillo qui les considèrent comme un repère indispensable dans le paysage religieux et moral très troublé du siècle.

Signe des temps: en 1890, Morgades intitule une de ses pastorales consacrées à la dévotion au Sacre Cœur de Jésus Exhortación pastoral al clero y fieles de su diócesis sobre la Devoción al Sagrado Corazón de Jesús y la cuestión obrera. Pour cet ecclésiastique, dévotions et encouragements à la ferveur doivent s'inscrire dans une stratégie de reconquête chrétienne de la société: ses préoccupations pastorales et son engagement missionnaire reflètent la volonté de certains secteurs de l'Église de suivre les exhortations de Léon XIII, et plus particulièrement les recommandations de l'encyclique Inmortale Dei (1885) désireuses d'infléchir les attitudes pastorales et de prendre en compte les exigences de la «modernité».

Ces exigences sont celles que décrit Joseph Torras i Bages dans un ouvrage connu, El clero en la vida social moderna (1883), dans lequel il constate que la mission évangélisatrice et apostolique implique une certaine sensibilité historique. Tout en déplorant la fréquente incapacité du clergé à faire face aux attentes différentes de la société et des croyants, Torras i Bages incite les membres de l'Église à concilier les traditions religieuses, fondement de la véritable ferveur et certaines requêtes du monde moderne.

Quoiqu'il en soit, un énorme effort est accompli par l'Église catholique espagnole de cette deuxième moitié du siècle pour occuper tout l'espace religieux, infléchir la sensibilité des croyants et faire prévaloir un nouvel esprit pastoral. Toute cette littérature signale l'importance des dévotions, nécessaires pour la régénération morale que prône l'institution ecclésiastique.


Le développement de certaines dévotions favorise l'essor de la littérature pieuse

Nous avons déjà attiré l'attention sur le fait que, pendant la période révolutionnaire et face aux turbulences provoquées par la Question Romaine, dès les années 1848-1850, l'Église s'est tournée vers Rome, le siège de la catholicité. Il convenait de rappeler cette situation de dépendance idéologique et religieuse par rapport à Rome afin d'éclairer le cheminement de certaines dévotions très populaires en Espagne au cours des dernières décennies du siècle et dont l'essor fut impulsé par le pape Pie IX.


La redécouverte de Jésus-Christ

Comme l'ont souligné des spécialistes de l'historiographie religieuse européenne, «alors que le courant dominant des croyances était nettement théocentrique au début du XIXe siècle, au milieu du siècle, le Christ est invoqué de tout côté»18. Ce courant christocentrique, après la phase de déclin du temps des Lumières et de leur postérité, est revivifié par des sources diverses.

Le succès énorme de l'Imitation de Jésus-Christ de Thomas Kempis (1379-1471) qui connaît seize éditions différentes en 187919 reflète la vitalité d'une spiritualité centrée sur le Christ et sa présence charnelle dans le Saint-Sacrement, le Sacré Cœur. Les œuvres de Kempis touchent certainement les milieux populaires et des établissements comme la Tipografía y Librería Católica de Barcelone annoncent des éditions à la portée de toutes les bourses des principaux ouvrages de ce théologien20.

Il faut aussi invoquer le ralliement aux prescriptions morales du napolitain Alphonse de Liguori. Ce fondateur de la Congrégation des Rédemptoristes a été béatifié en 1816 et nommé Docteur de l'Église par Pie IX en 187121. Dans ses œuvres qui furent rééditées de multiples fois en Espagne, l'accent est mis sur le sacrifice et les souffrances du fils de Dieu.

Dans des œuvres comme Práctica del amor a Jesucristo (1842) et Reloj de la pasión o sea reflexiones afectuosas sobre los padecimientos de Nuestro Señor Jesucristo (1852), les fidèles sont appelés à la confession et à la communion fréquentes et sont incités à un sentiment de confiance envers un Dieu d'amour qui a donné sa vie pour les hommes. On peut suivre le cheminement de cette conception moins sévère d'un Dieu redoutable dans les mandements épiscopaux et dans le développement du culte au Sacré Cœur, qui exalte une relation intime et affective avec le Crist souffrant22.

Un des aspects essentiels de cette redécouverte de Jésus-Christ est l'essor du culte du Sacré Cœur. Dans cette dévotion au Sacré Cœur dont les précurseurs se situent au XVIIIe siècle, sont associés les souffrances et l'amour de la mère à ceux du fils. Cette dévotion avait été officiellement instituée par Pie IX en 1857 et le mois de juin proclamé celui du Sacré Cœur de Jésus. Sous l'impulsion du Père Ramière en France, l'Apostolat de la Prière, fondé en 1860, associe la dévotion au Sacré Cœur, «l'offrande du travail quotidien et la communion fréquente aux intentions des pécheurs»23.

Il est intéressant de constater que la création de cet apostolat répond pour le Père Ramière au besoin de raviver une dévotion capable de toucher à la fois les sensibilités populaires et celles de la bourgeoisie, de diffuser l'image d'un Christ rédempteur des inégalités, proche de tous les hommes et par là même de former un rempart contre la pénétration des idéaux révolutionnaires.

L'esprit dans lequel avait été fomenté l'Apostolat de la Prière est repris par José Morgades, ami du Père Ramière, lors de la création des premiers apostolats de la prière en Espagne en 1865. Dans la revue El Mensajero del Corazón de Jesús, traduite et adaptée par l'ecclésiastique catalan, l'extension de cette dévotion est définie comme une exigence apostolique dans un contexte politico-religieux difficile24.

En accord avec l'esprit missionnaire d'une partie importante du clergé de l'époque et la volonté de militantisme religieux de nombreux laïcs, l'œuvre de l'Apostolat de la Prière s'étend rapidement en Espagne. La revue El Mensajero del Sagrado Corazón de Jesús signale l'existence en 1884 de 753 associations de l'Apostolat de la Prière. En 1896, la Revista Popular attire l'attention de ses lecteurs sur le fonctionnement des collèges du Sacré Cœur de Jésus, créés et dirigés par les pères missionnaires du Sacré Cœur, à l'image de ceux de Rome et dont la tâche est de former les prêtres et futurs missionnaires.

Bien sûr ces instituts religieux se préoccupent beaucoup de sensibiliser les ecclésiastiques au problème social dont l'évocation est constante après la Rerum Novarum de 1891. La pastorale de Morgades incitant les œuvres et confréries du Sacré Cœur à s'occuper de la classe ouvrière s'inscrit dans le souci de l'Église de toucher les classes sociales (travailleurs et ouvriers des villes) résistant mal à la déchristianisation. C'est sous l'invocation de Jésus-Christ et du christianisme que l'Église revendique une société idéale que les principes révolutionnaires issus de 1789 sont incapables de réaliser.

José Morgades avait, en outre, traduit une œuvre du Père Ramière qui avait eu une résonance religieuse et sociale particulière en Europe: Les doctrines romaines sur le libéralisme envisagées dans les rapports avec les sociétés modernes (1875). Dans cet ouvrage, le jésuite français posait explicitement le problème de la laïcisation des sociétés modernes, du détachement religieux des classes ouvrières et postulait que la souveraineté de Jésus-Christ permettrait la réhabilitation de l'humanité.

On ne peut ignorer la résonance profondément populaire de la dévotion au Sacré Cœur de Jésus: en 1893, l'extension de cette dévotion est telle que la revue du Mensajero del Sagrado Corazón publiée en catalan se félicite que les diocèses de Vich, Urgell, Tortosa, Solsona, de Valence et bien d'autres encore organisent processions et manifestations en l'honneur de Jésus. Quant à la littérature pieuse consacrée au Sacré Cœur, les titres sont innombrables et reflètent la diversité des publics: le Tesoro de los amigos de Jesús (1893) de Enrique de Ossó connaît dix rééditions, l'opuscule de José María Quadrado Consideraciones sobre las siete palabras que habló Jesucristo en la Cruz (1875) est réédité au moins quatre fois, les ouvrages du Père Croiset La devoción al Sagrado Corazón de Jesús, medio poderoso y suave para asegurar la salvación (1881) et du Père Fiter, Práctica de los nueve oficios del Sagrado Corazón de Jesús (1888) sont des valeurs sûres et durables dans les catalogues des principaux éditeurs et libraires catholiques, sans omettre bien sûr l'ouvrage du très populaire Mgr. de Ségur El Sagrado Corazón de Jesús, réédité plusieurs fois.

La Catalogne est un des grands producteurs de la littérature consacrée au Christ: l'activité des collaborateurs de la revue et de l'œuvre du Sacré Cœur de Jésus dirigées par Morgades permet la publication de 34 tomes d'opuscules, sermons, offices, neuvaines, triduums...

Le second aspect marquant de l'orientation christocentrique est le développement du culte eucharistique. Des associations de Prêtres Adorateurs, de Prêtres du Saint Sacrement se constituent partout en Espagne surtout à partir de 1882. La revue La Lámpara del Santuario publiée mensuellement prétend être l'organe officiel de ce culte et elle joue un rôle important dans la célébration des congrès eucharistiques. L'Adoration du Saint Sacrement, l'Adoration Nocturne se répandent et dans ces dévotions le Christ souffrant occupe une grande place. Les adorateurs sont appelés à être constamment présents physiquement et les différents membres de l'Œuvre de l'Adoration se réunissent à tour de rôle plusieurs fois par semaine dans les églises. L'eucharistie est la dévotion par excellence «parce que c'est aller à Jésus-Christ tout entier»25.

La pratique de ces dévotions se répand dans le peuple comme en témoigne la Revista Popular qui précise en 1883 que le règlement de l'Adoration du Saint Sacrement prévoit «des veillées les samedis soirs et au moment des festivités religieuses pour les ouvriers» (Revista Popular, 31 mai 1883, p. 340).

Ce langage du cœur et la dimension affective qui imprègnent ces dévotions se retrouvent dans les écrits de deux autres théologiens qui ont très fortement marqué la piété sentimentale de cette deuxième moitié du siècle. Ce sont ceux du jésuite Nicolas Grou (1731-1803), traduit en Espagne par Joaquín Rubió y Ors en 1866. Son ouvrage le plus célèbre, El don de sí mismo a Dios, en est à sa sixième réédition en 1880 et El interior de Jesús y María (17 rééditions en France) pénètre en Espagne dans les années 1850 et figure dans la Biblioteca escogida del perfecto cristiano. Mentionnons aussi les écrits et l'influence du père Guillermo Faber (1814-1836) formé à Rome et directeur de l'Oratoire San Felipe Neri à Londres qui participa activement au développement du culte eucharistique et recommanda la fréquence de la communion et autres pratiques extérieures et visibles de la piété. Ses œuvres Le précieux sang (première édition française en 1860) traduite en Espagne dans les années 1865-1870 et Au pied de la Croix ou les douleurs de Marie (1875) exaltent une piété affective non dénuée d'élans mystiques.




La piété mariale

La dévotion au Christ est naturellement associée à celle de la mère. Le culte marial connaît un développement très important au cours de cette deuxième moitié du XIXe siècle. Ce culte, dont les racines populaires sont nombreuses, s'appuie sur des traditions qui remontent au Moyen Âge et au XVIIe siècle.

Au cours du XIXe siècle, des dates majeures marquent les progrès de la piété mariale: c'est la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception par Pie IX en 1854; auparavant, en 1847, le pape avait conféré, dans un bref pontifical, le statut d'Archiconfrérie à l'Association La Corte de María destinée à célébrer et à organiser les dévotions mariales du mois de mai. Cette archiconfrérie s'étend partout en Espagne mais elle est particulièrement active en Andalousie et en Catalogne26.

En outre, la dévotion à Marie est rythmée par des temps forts du cycle liturgique: la Purification le 2 février, l'Annonciation le 25 mars, la Visitation le 2 juillet, l'Assomption le 15 août, la Nativité le 8 septembre, et la fête du Rosaire le 7 octobre. Une encyclique de Léon XIII du 1er septembre 1883 rappelle aux catholiques l'opportunité de rétablir cette dévotion. L'extension du culte du Rosaire fut très importante en Espagne et des 1883, date symbolique, le troisième centenaire de la bataille de Lépante et les processions et rassemblements de cette fête religieuse prennent une dimension toute particulière:

En alguna iglesia se ha dispuesto para el próximo día 7, fiesta del Rosario y aniversario trescientos doce de la batalla de Lepanto (7 de octubre de 1571), el rezo del Rosario continuo, es decir, un Rosario que empezará a la primera hora del amanecer y será sucesivamente continuado por devotos sacerdotes desde el púlpito hasta la última hora de la noche. Finalmente muchas familias que rezaban ya cada día su parte correspondiente del Santo Rosario, han tomado la resolución de rezar durante este mes, diariamente, los quince dieces de él, ya de una vez, ya repartidos entre diferentes horas del día27.



Les prières sont guidées par une profusion de petits manuels dont les plus connus sont Flores para obsequiar a María Santísima en el mes de mayo de Félix Sardá y Salvany, Guía de la devoción a la Virgen Santísima du jésuite José Frassinetti dont les autres ouvrages consacrés à la Vierge sont diffusés en Espagne jusque dans les premières décennies du XXe siècle.

Des apologistes comme Antonio María Claret et Félix Sardá y Salvany ont considérablement contribué à populariser les dévotions mariales. Les opuscules du Père Claret, El Santísimo Rosario (1858), 4000 exemplaires dès la première édition, Misterios del Rosario et Hijas del Santísimo e Inmaculado Corazón de María, publiés en 1860 et 1861, sont des références obligées. Quant à Sardá y Salvany, les multiples articles publiés dans la Revista Popular sur le culte marial et ses opuscules (livres de doctrine, de prières) reflètent le zèle prosélytiste de cet infatigable apologiste pour propager des dévotions destinées, selon lui, à toucher des sensibilités sociales différentes28.

De surcroît, le courant marial est très fortement enraciné en Espagne grâce à une littérature périodique active. Des revues mariales, c'est-à-dire El Rosario (1871, Barcelone) ou Ecos del Amor a María (1867, Barcelone), qui sont mensuelles et avec des tirages respectifs de 3000 et 2000 exemplaires, sont un guide exhaustif des fêtes mariales, offrant recommandations et incitations en matière de dévotions. Citons aussi Anales de la felicitación sabatina de Valence, un mensuel plus modeste qui tire à 200 exemplaires, El Pilar (1883, Saragosse) consacrée exclusivement au culte de la Vierge du Pilar (mensuelle et publiée à 800 exemplaires) ou encore la très importante revue des pères missionnaires du Cœur de Marie, El Iris de Paz (1893, Madrid) publiée tous les quinze jours mais qui atteint des tirages honorables de 5000 exemplaires.

L'enthousiasme religieux suscité par le culte marial explique la prolifération des congrégations et associations mariales: c'est la Archicofradía de jóvenes católicas hijas de María Inmaculada impulsée par l'évêque de Tortosa, Benito Vilamitjana, en 1873, ou encore la Asociación de jóvenes solteras bajo el nombre de Hijas de María Santísima Inmaculada qui fonctionne à Barcelone dès 1850 et qui regroupe en fait l'élite des jeunes filles chrétiennes, la Asociación de jóvenes de María Inmaculada dirigée par le jésuite le Père Moga à Séville à partir de 1882 sans oublier des archiconfréries qui se réclament de leurs sœurs italiennes comme la Archicofradía de Nuestra Señora del Perpetuo Socorro y de San Alfonso de Ligorio y Agregada a la primaria de Roma. Ces congrégations mariales de jeunes filles constituent des communautés ferventes dans les paroisses et les familles catholiques sont incitées à y inscrire leurs filles afin qu'elles reçoivent une éducation parfaitement chrétienne et qu'elles obéissent aux préceptes destinés à faire d'elles des épouses et mères exemplaires.

Ces incitations ne sont pas restées sans effet puisque la Archicofradía de jóvenes católicas hijas de María Inmaculada y Santa Teresa de Jesús, dirigée par Enrique Ossó, et qui s'installe en 1873 à Tortosa avant d'essaimer ailleurs, déclare avoir 700 jeunes catholiques dans ses rangs. Dans les années 1873-1878, il y a plus de 30 archiconfréries de Jóvenes Católicas dans toute l'Espagne et leur succès est remarqué par Pie IX qui élève l'Archiconfrérie du Père Ossó y Cervelló à la catégorie d'archiconfrérie primaire.

Un autre exemple qui illustre l'essor et la vivacité des associations mariales est celui de la Academia bibliográfico-mariana María Inmaculada qui, impulsée à Lérida en 1862 par l'ecclésiastique José Escolá, a pour devise «España, patrimonio de María: todo para María».

Cette association est une tentative de la part du clergé de populariser une dévotion qui touche différemment différentes classes sociales. En effet, elle est ouverte à trois catégories de membres qui, moyennant une souscription annuelle calculée en fonction des possibilités financières, peut publier des ouvrages ou contributions en hommage a la Vierge et recevoir les publications mariales diffusées par la Academia...29

En 1865, avec plus de 1500 membres, José Escolá pouvait se féliciter «qu'il y ait des membres de toutes les catégories sociales, des deux sexes et dans toutes les provinces d'Espagne»30.

Une intense dévotion mariale et la récupération de la maternité comme valeur marquent d'une empreinte durable la culture catholique de cette deuxième moitié de siècle. C'est sur la notion de pureté que s'élabore le modèle féminin de la perfection virginale et les devoirs de la mère et de l'épouse catholique, don de soi, sacrifice, humilité et douceur sont ceux qu'inspire le culte à Marie.

Si la vie quotidienne de toute chrétienne doit être scandée par les prières et les dévotions, elle est aussi empreinte d'une religiosité sentimentale et d'un sentiment d'autogratification qui est suscitée par la conscience qu'ont les femmes d'exercer une véritable souveraineté morale au sein de la famille et aussi dans la société. Dans la seconde moitié du siècle, la Vierge et l'enfant «deviennent des images de maternité plus familières, exemptes de douleur» et la piété mariale, très marquée par l'influence italienne d'un Alphonse de Liguori, privilégie une relation d'amour avec les membres de la Sainte Famille31.

Cette familiarité affective imprègne aussi la dévotion à Saint José, également très répandue à cette période du siècle.




Saint José et la Sainte Famille: un culte très populaire

Si Marie est l'idéal de la femme catholique, José et Marie symbolisent la perfection du mariage chrétien: l'union de l'esprit et du cœur efface les liens charnels. La virginité de Saint José est d'ailleurs un des attributs les plus valorisés dans cette dévotion qui se répand beaucoup au cours de cette moitié du XIXe siècle. Le mois de mars est consacré à ce saint et la diffusion du culte est encouragée par Pie IX qui, dans un document du 9 juin 1862, incite évêques et clergé catholiques à le rendre aussi populaire que le culte marial. Un des relais de cette dévotion est la France où l'œuvre du père José Huguet, Propagador de la devoción a San José et El mes de marzo consagrado a San José como abogado para alcanzar una muerte semejante a la suya (1866) est très connue; elle est diffusée en Espagne par José María Rodríguez, religieux de l'ordre des Frères de la Merci qui est le promoteur d'une revue appelée à avoir une énorme audience: El Propagador de la devoción a San José, boletin mensual de la Asociación espiritual de devotos de Glorioso Patriarca... (12000 exemplaires).

Cette publication qui apparaît en 1868 et s'arrête en 1948 permet de disposer de renseignements précieux sur un culte devenu très populaire et sur les manifestations diverses de la piété dans l'Espagne de cette période. Elle reflète l'importance de la prière collective qui se répand parmi les catholiques d'appartenance sociale différente, sur la fréquence des pèlerinages et sur un autre aspect révélateur de la ferveur: la construction et la restauration de chapelles et temples consacrés au culte de Saint José et aussi à la Vierge.

En 1866, la Asociación espiritual de devotos de San José qui est à l'origine de cette publication est le point de départ d'une série d'initiatives qui culminent, en 1882, avec les premiers travaux d'édification du temple de la Sainte Famille à Barcelone.

À travers l'essor de ces dévotions et grâce à la considérable production pieuse qu'elle suscite, c'est une authentique pédagogie de la foi que l'Église catholique espagnole met en place.










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