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«Luces de bohemia» et la vision parodique de la bohème littéraire: de la dynamique de l’échec au caprice goyesque

Xavier Escudero


Université du Littoral-Côte d'Opale

Le regard que l'on peut porter sur Luces de bohemia (1920-1924) est multiple. C'est pourquoi, j'ai choisi de vous parler de l'une des voies d'exploration possible de cette oeuvre théâtrale c'est-à-dire à travers le prisme de ce concept flou et errant de la littérature fin-de-siècle qu'est la bohème littéraire espagnole moderniste. Luces de bohemia rentre, en effet, pour moi, dans cette catégorie d'oeuvres sur la bohème qui jette un regard parodique sur cet art de vivre, en pastichant leur langage, en caricaturant à l'extrême leurs figures, en recréant leur tragédie. C'est à partir de l'itinéraire tragique d'un bohème, Max Estrella, à partir de ce monde marginal et dérangeant, la bohème littéraire, que Valle-Inclán propose un nouveau regard sur la réalité espagnole, sur sa propre circonstance artistique, sociale et historique. D'abord, nous allons souligner comment la dynamique de l'échec, dans laquelle se retrouve Max, est une mise en abîme grotesque du parcours bohème classique. Ensuite, nous nous pencherons sur le croisement esthétique possible entre «esperpento» et caprice (goyesque) dont le point de départ ou de convergence se trouve être la bohème, car Valle-Inclán ne se contente pas d'utiliser la bohème à des fins parodiques, elle devient le support, la voie (voix) d'une rénovation esthétique.





Valle-Inclán, dans son premier «esperpento», n'épargne rien ni personne: tous les aspects de la société de son temps passent au crible de sa vision grotesque et déformée. Mais, jeter un regard parodique sur une oeuvre littéraire ou un aspect de la réalité maintes fois parodiée elle-même par la presse ou le théâtre du «género chico» mène inéluctablement vers le grotesque et l'absurde et c'est ce que propose l' «esperpento»: la parodie de la parodie, le reflet d'une réalité ou d'un phénomène déjà en soi déformé, annulant ainsi le rire pour mener le public vers la grimace. Cette parodie multipliée ou dédoublée, monstrueuse, évolue, dans Luces de bohemia et dès le titre donc, dans le monde de la bohème littéraire fin-de-siècle et atteint tous les aspects de cet art de vivre marginal et décalé, marqué par la douleur, l'échec et l'amertume. A travers l'errance nocturne, hasardeuse1 et désespérée du poète misérable et aveugle Max (Máximo) Estrella (oscillant entre «Mala Estrella» aux scènes 5 et 8 et «Estrella Resplandeciente» à la scène 9, p. 1392) , évoluant dans l'abîme d'un Madrid inversé, «absurdo, brillante y hambriento», après avoir traversé (ou regardé dans) le miroir déformant et grotesque de l'esperpento, se dévoile à nous le monde de la bohème littéraire espagnole fin-de-siècle dans son agonie, devenue la caricature, l'ombre d'un art de vivre à la fois sublime et grotesque, noble et ignoble que Valle-Inclán a parfaitement connu et vécu3.




Luces de bohemia et la dynamique de l'échec

Ramón María del Valle-Inclán conçoit de façon tout à fait traditionnelle et classique l'itinéraire (rituel, devrions-nous le qualifier) de Max Estrella sous forme du biblique via crucis ou de la mythologique descente aux enfers. Il parodie, en effet, ce qui constituait un lieu commun de la littérature bohème, à savoir l'assimilation symbolique du parcours bohème au via crucis. S'il est vrai que la première bohème dite romantique ou sentimentale ou encore galante décrite par Henry Murger dans ses Scènes de la vie de bohème (1851), reprise par Puccini dans La Bohème (1896) puis, parodiée par Salvador María Granés dans La golfemia en 1900, est synonyme de joie insouciante, d'amusement, mais aussi, de misère, la bohème moderniste des années 1890 à 1920 s'identifie davantage à l'idée de douleur, de souffrance, puis d'échec. Max Estrella, en parfait représentant parodique des adeptes de cet art de vivre, généralement qualifié de «vencidos», est confronté, dès la scène 1, aux duretés et aux revers aveugles de l'existence: l'échec, telle une ombre maléfique, guide ses pas et transforme ce qui lui restait de noblesse en bassesse. La dynamique de l'échec ou l'acharnement impitoyable d'une force transcendantale broyant l'artiste et ses idéaux, ses aspirations se met en branle dès cette première scène et ne s'arrêtera qu'à la mort de Max Estrella. Nous rencontrons le poète hyperbolique, andalou, dans une mansarde («guardillón») caractérisée par son étroitesse («angosto», rappelant le cercueil) et sa vétusté. D'abord, Max Estrella, arrivé au crépuscule de sa carrière littéraire («hora crepuscular», p.39), apprend par sa femme, Madama Collet, qui vient de lui lire une lettre de Buey Apis, directeur d'un journal, qu'on lui retire une collaboration de publication de chroniques («¡Collet! ¡Mal vamos a vernos sin esas cuatro crónicas!», p. 40). Ensuite, Max Estrella affirme la difficulté voire l'impossibilité de trouver un éditeur pour son roman («Y no hallo editor», p.41). Nous assistons, presque compatissant, à l'impuissance du bohème devant qui toutes les portes se referment. Max Estrella se range résolument dans cette lignée de personnages bohèmes littéraires marqués par l'échec et la douleur d'une existence vouée à l'Art dont la seule porte de sortie est la mort ; l'échec comme l'une des dernières réponses de protestation à une société matérialiste, de plus en plus modernisée et éloignée des aspirations de Beauté et d'Art4. Max Estrella, dernier légataire du génie bohème dans Luces de bohemia, conçoit son existence comme un rêve douloureux («Yo soy el dolor de un mal sueño», p.101), conscient de devoir disparaître («yo soy el que se va para siempre», p. 174). Nous comprenons ainsi aisément l'identification courante du bohème (et, ici, de Max Estrella, aux scènes 2 et 8 notamment5) à la figure christique. Le bohème l'utilise pour illustrer le sens de sa propre existence, entièrement vouée à la consécration de l'art dans la peine et la douleur. Une pensée grave d'Alejandro Sawa à propos de son propre malheur existentiel vient faire écho aux paroles tragiques du bohème valle-inclanesque: «Mi vida no me da derecho a afirmar otra cosa sino el dolor»6. La vie du bohème est, en effet, une épreuve remplie de «amarguras, penalidades y sinsabores» selon Enrique Pérez Escrich, considéré comme le Murger espagnol dans ses mémoires romanesques, El frac azul7, une traversée du désert (La horda de Vicente Blasco Ibáñez), une lente crucifixion (le suicide dans Declaración de un vencido d'Alejandro Sawa) ou une agonie (dans Luces de bohemia). Emilio CarrereCarrere, Emilio, bohème madrilène contemporain de Valle-Inclán, l'un des chantres de cette «vida del arroyo» et dans les textes duquel l'ombre du maître des Caprices et le souffle esperpentique animent plus d'une scène (nous y reviendrons), corrobore l'utilisation de la figure christique comme paradigme de l'existence bohème dans plusieurs sonnets rassemblés sous le titre tout à fait significatif de «La rúa de la amargura». N'est-ce pas dans cette rue-là que Max s'échoue finalement, assis au seuil de sa porte?

Le bohème démontre que la vocation littéraire mène à une impasse à cause de l'incurie des éditeurs (qu'Ernesto Bark -Basilio Soulinake- condamne également dans La santa bohemia, le manifeste de la «nouvelle bohème» publié en 1913, et contre laquelle il réagira en créant sa propre maison éditoriale). D'ailleurs, l'un des reproches les plus courants à cette époque que l'on faisait aux bohèmes était d'être paresseux, donc improductifs, de manquer de volonté (Alejandro Sawa s'en plaint dans son journal intime, Iluminaciones en la sombra, préférant bavarder à écrire). La scène 2 de Luces, située dans la librairie ou «cueva» de Zaratustra et où se rencontrent Max, Don Latino et Don Peregrino Gay, «ilusionados y tristes», «intelectuales sin dos pesetas», rappelle ce goût bohème pour l'oisiveté verbale: «[...] divierten sus penas en un coloquio de motivos literarios [...] ajenos [...] al comentario apesadumbrado del fantoche que los explota» ( p. 55). La paresse, le verbiage, l'oisiveté devenaient une façon d'être et de se «poser» face au commerce de l'Art et à l'échec (littéraire, professionnel). La bohème littéraire mène généralement de l'illusion8 à la désillusion, de l'enthousiasme à l'amertume, de la joie insouciante à la douleur et la tâche de l'écrivain se rapproche de celle du mendiant. Le bohème littéraire porte en lui la tragédie moderne de l'artiste vaincu et Valle-Inclán l'utilise ici à merveille. De plus, à la scène 8 (scène centrale), Max Estrella avoue au Ministre de l'Intérieur, ancien compagnon de bohème, la futilité même de cet art de vivre héroïque pour et par la littérature: «¡Vivo olvidado! Tú has sido un vidente dejando las letras por hacernos felices gobernando. Paco, las letras no dan para comer. ¡Las letras son colorín, pingajo y hambre!»9 (p. 127). Rubén Darío, à la scène 9, conseille justement Max Estrella de fuir la bohème: «¡Max, es preciso huir de la bohemia!» (p. 140). La bohème doit rester, ainsi que l'avait conseillé Henry Murger10, un état transitoire, un simple passage obligé. S'y arrêter, en rester prisonnier mène à l'impasse, ainsi que le montre toujours de façon parodique dans Luces Valle-Inclán11.

L'existence bohème, malgré sa théâtralisation constante et son apparente insouciance, est conçue comme un parcours mystico-poétique menant vers l'Art et le Beau dans un monde où «l'action n'est pas la soeur du rêve»12. Le bohème, engagé socialement, conçoit aussi le Christ comme la figure de l'anarchie et de la rébellion, guidant le peuple ouvrier. Le Christ est l'emblème de la révolution sociale. Oublié, méprisé, incompris, victime de l'injustice et de la société marchande13, Max Estrella, de façon parodique, incarne la tragédie bohème et ne peut regarder le monde qu'avec ironie et se placer dans la marge en héros, «levantado en el aire», s'imposer en tant que légende vivante14, «spectre du passé»15 qui dérange, tout en restant conscient de son échec, de sa tragédie qu'il cherchera toujours, en parfait homme de lettres, à transcender ou à transfigurer en faisant appel à un langage décalé: «Parece usted hombre de luces. Su hablar es como de otros tiempos» (scène 6, p. 101)16. Max Estrella a recours au parler et à la culture livresques qui ne peuvent que déstabiliser le bourgeois et les autorités17. A la scène 4, Max fustige l'Académie18, revendique orgueilleusement sa supériorité (autre trait typiquement bohème)19 et voit, à la scène 6, l'Espagne comme une motte de terre qu'il faut dynamiter20. C'est pourquoi, le bohème Max Estrella ne peut se contenter de pratiquer l'écriture à usage purement esthétique ou alimentaire ; il lui injecte et lui prête une intention et une propriété d'action sociale, ainsi qu'il se justifie, à la scène 4, auprès des épigones du Parnasse Moderniste pour lesquels l'art doit nourrir l'art, croyant reconnaître en lui leur «maître»: «Usted es un poeta, y los poetas somos aristocracia» (p. 80). Max Estrella, quoiqu' esthète de l'art, représentant de la bohème moderniste (ou symboliste), confirme se sentir proche du peuple21 et regrette de n'avoir pas pu concrétiser son idéal de poète engagé22. Le bohème, adoptant des poses d'artiste maudit partagé entre l'amour de l'Art, du Beau et l'appel de la rue et des bas-fonds («la musa del arroyo» de Emilio carrere ou «la poesía viril» de Gálvez), entre les aspirations de gloire et le refus de se vendre, de prostituer sa plume, amasse en son sein toutes les particularités du modernisme hispanique: «La bohemia defiende una radical concepción del arte por el arte. De este modo, van unidos un aristocratismo intelectual, propio de los modernistas, que practican su bohemia particular, Darío, Rubén, Valle-Inclán, y en parte, Alejandro Sawa; un terrorismo intelectual, propio de Barrantes y Pedro Luis de Gálvez; el grito anarquista del francés Cornuty, que ha enterrado a Verlaine, contra la aristocracia española; el viva la bagatela de Azorín y Baroja; el canto a las rameras de Vidal y Planas y Carrere; el mueran los jesuitas de Maeztu; y el drama social de Dicenta Juan José, que une a la juventud española. Ejemplos vivos y prácticos de la actitud desgarradamente antiburguesa de aquella juventud española»23. Max passe de bohème pur à artiste engagé, mais l'un n'exclut pas l'autre; il n'y a pas d'évolution, mais de fusion ambivalente; la scène avec les epigones modernistes signe le transfert de points de vue du bohème. L'histoire semble mettre un terme à la vision idéaliste de l'art. La dégradation dont il souffre et avec lui, de son langage, atteint définitivement son éthique et son esthétique. Il se refuse à participer à cette vision esthétisante surannée, ridicule de l'Art pour l'Art chanté par le choeur des épigones du modernisme, se déclarant proche du peuple. L'être bohème est un être profondément ambivalent, torturé et atteint une dimension tragique mais dans le sens unamunien du terme c'est-à-dire tiraillé entre plusieurs tensions. Cette dégradation ou dynamique de l'échec c'est-à-dire cette chute dans l'abîme du désespoir pour reprendre la métaphore philosophique utilisée par Unamuno dans El sentido trágico de la vida le mène droit à l'impasse de la vision absurde et grotesque de la réalité, l'impasse en tant que fond de l'échec.

Tout au long de Luces de bohemia, le bohème Max Estrella n'est qu'un spectre, un fantôme («espectro», «fantoche») errant la nuit, plongé lui-même dans la nuit (sa cécité), éclairé par des lueurs de lucidité qui plongent vers un passé glorieux. Généralement associée à une cosmogonie négative, la Nuit revêt dans la littérature bohème et moderniste non seulement cette part de néant (le bohème vient de l'ombre, vit dans l'ombre et meurt dans l'ombre ; il est une ombre parmi les ombres24), mais aussi un charme et une magie particulières. Nous connaissons l'obsession du bohème à se sentir vaincu, conscient de son propre échec et le jour, qui est le temps du travail productif et rentable, lui renvoie le reflet de son inutilité, de sa nullité, de sa futilité. Le jour est synonyme de non-vie pour le bohème car il est associé à la douleur de vivre. La nuit est le règne du bohème25 et le repaire des prostituées, des voleurs, des assassins, des mendiants et des miséreux en tout genre auxquels le bohème s'est toujours trouvé mêlé. L'alliance du poète et de la prostituée, thème poétique moderniste, se retrouve dans Luces à la scène 10 où Max converse dans un jardin («Jardín de Armida», p. 152) avec une «nymphe» goyesque, laide et noire, La Lunares, qui lui propose de la séduire26. Max Estrella côtoie la garce (Enriqueta La Pisa Bien, «mozuela golfa»27) , la prostituée, mais est marié à une «sainte»28, Madama Collet, type de la femme idéale vieillie, patiente, aimante. Valle-Inclán concentre réellement de nombreux clichés poétiques modernistes.

Valle-Inclán s'attaque aussi à l'aspect physique du bohème Max Estrella et des épigones du modernisme. Max Estrella se caractérise par sa barbe blanche fournie, sa cape gagée («capa empeñada», procédé très courant chez les bohèmes), et les membres du groupe moderniste sont «largos, tristes y flacos» (p. 79), portant des «chalinas flotantes, pipas apagadas, románticas greñas» (p. 98)29. Le bohème espagnol de la fin du XIX.e siècle s'est toujours distingué par un style vestimentaire particulier, constituant un véritable signe de reconnaissance entre eux et se prêtant évidemment à la caricature. Ramón María del Valle-Inclán, très proche de la vie bohème, avait déjà donné un parfait aperçu de la mise misérable et négligée du bohème madrilène dans un article, «Madrid de noche», traitant de leur vie nocturne, paru dans El Universal, où il compare les bohèmes à des oiseaux nocturnes («aves nocturnas»)30.

Le café, la taverne, la rue, le quartier, la capitale sont devenus les repères ou balises précises d'un itinéraire (urbain) nocturne que parcourent presque rituellement et inlassablement ces bohèmes madrilènes fin-de-siècle. Les déambulations nocturnes du couple quichottesque Max Estrella («el gran poeta») et Don Latino de Hispalis («un golfo madrileño»), «filósofos peripatéticos» (p. 75), répondent à ce goût de l'errance bohème que prolongera encore l'évocation de Paris, séjour doré pour tous les bohèmes fin-de-siècle. Après son entrevue avec le ministre de l'Intérieur à la scène 8, Max Estrella et Don Latino de Hispalis, fidèles clients de la Taberna de Pica Lagartos, rentrent dans le café Colón où ils rencontrent Rubén Darío en train de siroter son verre d'absinthe et un jeune qui travaille31. Le café est, en effet, l'un des passages obligés de la vie bohème madrilène de la fin du XIX.e au début du XX.e siècle. D'abord simple lieu de rendez-vous, de rencontre, le café32 est vite devenu le quartier général, le «centro de operaciones»33 des bohèmes, un forum où tout leur plan de vie s'élabore, un antre-refuge où seuls ont place les initiés jusqu'aux heures les plus avancées de la nuit. Ramón María del Valle-Inclán avait déjà croqué dans l' article précité, «Madrid de Noche», l'intensité de la vie nocturne des bohèmes dans le café Fornos, en soulignant tout particulièrement leurs bruyantes conversations: «Las mesas en donde ellos se reúnen reciben el nombre de "cacharrerías", yo creo que por el rebullicio y "tole tole" que se arma a cada rato...»34. Il revient sur cette description de 1892 dans Luces de bohemia, mais dans une visée plus parodique.



La bohème de la fin du XIX.e au début du XX.e siècle, parodiée à travers le langage, les habitudes et l'aspect physique négligé et provocant de Max Estrella et des «épigones du parnasse moderniste», artistes égarés, écrivains dans l'antichambre de la renommée vivotant dans les cafés et rédactions portant déjà le grotesque et l'absurde d'une vie tragique entièrement vouée à l'Art, se métamorphose sous la plume esperpentique en une farse grotesque, dévoilant la tragédie de l'artiste, lequel attend dans la résignation désespérée que sonne l'heure de la fin de sa «pirouette», une «pirouette» tout de même douloureusement inspirée de la mort tragique de celui qui aurait inspiré la figure torturée de Max Estrella, à savoir Alejandro Sawa: «Querido Darío: Vengo a verle después de haber estado en casa de nuestro pobre Alejandro Sawa. He llorado delante del muerto, por él, por mí y por todos los pobres poetas. [...]. Alejandro deja un libro inédito. Lo mejor que ha escrito. Un dietario de sensaciones y esperanzas. El fracaso de todos sus intentos para publicarlo y una carta donde le retiraban una colaboración de sesenta pesetas que tenía en El Liberal le volvieron loco en los últimos días. Una locura desesperada. Quería matarse. Tuvo el final de un rey de tragedia: loco, ciego y furioso», écrit Valle-Inclán à Rubén Darío en 190935.




Le caprice goyesque et la bohème

Luces de bohemia s'avère être le point de départ lumineux du rapprochement entre caprice et bohème littéraire. Dans ce premier «esperpento» du genre, nous trouvons associé le nom du maître des caprices espagnols à «esperpento».

Dans l'oeuvre, Max Estrella parcourt un Madrid sous tension, des terroristes anarchistes, des luttes ouvrières, un Madrid «absurdo, brillante y hambriento», il se retrouve, notamment, en prison avec un ouvrier catalan et anarchiste, «El Preso». Max incarne également le drame de l'artiste bohème, bafoué, méprisé: il est la figure bohème torturée («Yo soy el dolor de un mal sueño» affirme-t-il à la scène 6). Max Estrella, le poète aveugle et fou, est, enfin, la littérarisation d'un des plus grands représentants de la bohème hispanique, à savoir Alejandro Sawa36. Alejandro Sawa (né à Séville en 1862 et mort à Madrid en 1909) était l'un des auteurs les plus représentatifs de la bohème littéraire fin-de-siècle autant madrilène que parisienne. Il était connu et reconnu en tant que tel. Sa vie a souvent été littérarisée, mais il se prêtait lui-même aisément à la création de sa propre légende par son attitude, ses phrases, sa «pose» artistique ainsi que l'avaient observé ses contemporains. Son parcours vital ressemble à une véritable descente aux enfers, une descente éclairée en partie par son texte crépusculaire, Iluminaciones en la sombra (publié de façon posthume en 1910).

Et c'est lui, donc, Estrella/Sawa, qui clame la parenté entre le caprice, autre forme de distorsion, miroir déformant, la bohème, à la fois art de vivre marginal, fantaisiste et art d'écrire décalé, et l'«esperpento» à la scène XII: «El esperpentismo lo ha inventado Goya». C'est à ce moment-là que Max Estrella et Don Latino de Hispalis, son acolyte dans l'oeuvre, fusion monstrueuse de plusieurs bohèmes, se renvoient réciproquement une image déformée (cette technique découle de l'observation del Callejón del Gato à Madrid où étaient exposés des miroirs déformants): le premier compare Don Latino à un boeuf («Como te has convertido en buey»), présente l'Espagne comme une déformation grotesque de la civilisation européenne et invite Don Latino de Hispalis à déformer l'expression dans le miroir que forme le fond d'un verre (d'alcool) ; le second applique immédiatement cette esthétique de la déformation grotesque au rictus de Max («No tuerzas la boca»). Nous retrouvons dans Luces de bohemia à la scène 9 l'explication de la technique de l'«esperpento» dans la didascalie qui ouvre la scène:

«El Café tiene piano y violín. Las sombras y la música flotan en el vaho de humo, y en el lívido temblor de los arcos voltaicos. Los espejos multiplicadores están llenos de un interés folletinesco. En su fondo, con una geometría absurda, extravaga el Café. El compás canalla de la música, las luces en el fondo de los espejos, el vaho de humo penetrado del temblor de los arcos voltaicos cifran su diversidad en una sola expresión. Entran extraños, y son de repente transfigurados en aquel triple ritmo»37.



Ainsi, l'effet cumulé de la fumée, de la musique et des lumières reflétées dans les miroirs d'un café madrilène provoque cette vision déformée. Finalement, l'«esperpento» est la nouvelle formule esthétique qui rend le mieux compte de l'ambiance et de l'attitude bohèmes, porte, à n'en pas douter, de façon réfléchie et/ou rétrospective, l'héritage esthétique du caprice goyesque appliqué au phénomène fin-de-siècle de la bohème littéraire moderniste espagnole.

«[P]arce qu'il introduit la fantaisie et la liberté au milieu de normes contraignantes, il [le Caprice] est potentiellement facteur de subversion, source de critiques» déclare Pascale Peyraga dans l'Avant-propos à l'ouvrage Le Caprice et l'Espagne (L'Harmattan, 2007). Le Caprice, en effet, c'est s'écarter de la norme pour dénoncer, révéler la conduite déraisonnée et irrationnelle de l'homme et de la société, tous deux viciés. Le Caprice revient à confronter une crise personnelle à une crise externe, socio-historique et culturelle. Plus qu'un langage, le caprice est la réponse personnelle à un drame, à un conflit, à une crise et la bohème en tant que révélation du statut social de l'artiste, s'inscrit dans une telle attitude de provocation, de révolte et de liberté, erre entre caprice (révolte) et «disparate» (extravagance, folie, absurdité). Le Caprice devient la projection anticipée de cette attitude fin-de-siècle, que l'on retrouve dans Luces de bohemia à travers l'itinéraire exemplaire de Max Estrella. Mode de vie capricieux, errant, hors norme, contre le canon et la culture officielle, la bohème littéraire a toujours revendiqué son indépendance face à la société bourgeoise et marchande en choisissant le goût de la provocation, l'excentricité, la recherche effrénée et absolue de la libération de l'artiste et de l'individu: «La nueva bohemia finisecular es un "proletariado artístico" de aguerridos combatientes, fuera de las fronteras de la sociedad burguesa y marginada en su inframundo por volición propia, libre e irresponsable, anárquica y consciente»38. Art de vivre marginal qui devient art d'écrire, la bohème, quoique originellement perçue comme une passerelle vers la renommée, finit par imposer une ligne de conduite et de pensée, toujours à la frontière du sublime et du grotesque, alimentant un dialogue intime et personnel avec l'art. Accepter la bohème, c'est porter le masque de l'ironie, c'est se déguiser ou se travestir pour mieux observer cet écart entre les aspirations artistiques ou littéraires, les idéaux de Vérité, de Beauté, de Justice et la société marchande et bourgeoise qui est en train de se construire. De plus, pour le bohème, se mettre à l'écart volontairement de la société bienséante et bien-pensante, se marginaliser, est le gage de sa liberté morale et idéologique, et, surtout, de sa sincérité. Se dévoyer, c'est se légitimer en tant que bohème (et le bohème espagnol fin-de-siècle s'inscrit pleinement dans cette démarche ou ce code moral). Ce goût de la provocation, ce choix de la marginalité vont aussi de pair, chez le bohème, avec une certaine attirance pour l'esprit populaire, voire carrément vulgaire39. Si, politiquement40, le bohème s'est engagé auprès des laissés-pour-compte, il participe également et intensément à la vie pullulante des quartiers populaires, aimant vivre dans l'agitation nocturne des bars, café, cabarets, se complaisant dans la crasse et la médiocrité ou adoptant des attitudes d'artistes maudits ou débauchés:

«Estos escritores se sienten y actúan como verdaderos proletarios intelectuales, se solidarizan con los marginados de la sociedad, a la vez que adquieren un carácter de malditos»41.



Malgré leur goût du vulgaire ou, du moins, leur sympathie pour l'esprit populaire, et comme si l'être bohème n'était, en fin de compte, qu'un tissu de contradictions42, de paradoxes, ces poètes des rues, ces «oiseaux nocturnes»aves nocturnas», selon Valle-Inclán) cultivent un certain aristocratisme intellectuel: le bohème exècre la laideur et aspire à la Beauté.

Goût de la vulgarité et des vices, «dérèglement des sens» et aspiration vers un monde idéal de Beauté font du bohème espagnol un être profondément ambivalent, déformé, confirmant sa configuration goyesque. Le bohème est incapable de se poser, victime d'une volonté bien trop fluctuante et si souvent décriée par les bohèmes eux-mêmes; c'est aussi la révélation que le bohème est un être qui -parce que la bohème est passage, transition- se cherche une identité. Fantaisie, originalité, extravagance, provocation, subversion, crise accompagnent la définition de la bohème littéraire fin-de-siècle, placée sous l'égide du Caprice et installée au coeur de Luces de bohemia. La bohème est pour moi une longue définition du Caprice, un Caprice vivant théorisé, esthétisé par Valle-Inclán.

Afin d'apprécier davantage le croisement entre Caprice et bohème littéraire dans Luces de bohemia et afin d'éclairer du même coup la phrase théorique de Max Estrella, je souhaiterais parler du protagoniste du roman Troteras y danzaderas (1913) de Ramón Pérez de Ayala, à savoir le poète dramatique moderniste, Teófilo Pajares, et plus exactement du sonnet dont il est l'auteur et que récite l'un des personnages, Verónica. La bohème, en tant qu'art de vivre, devient une mode et tombe dans une caricature et le sonnet -forme redécouverte par le modernisme- en est la parfaite illustration, à tel point que Teófilo Pajares s'amuse à donner comme nom d'auteur «cualquiera», alors qu'il s'agit de lui-même43. Ce poème traduit le rapport entre la figure misérable du poète bohème et le caprice goyesque. Dans ce sonnet, le bohème moderniste se décrit comme un poète ensorcelé par les roses luxurieuses et la lune spectrale («Soy poeta embrujado por rosas lujuriosas / y por el maleficio de la luna espectral»); sa chair de poète a été façonnée dans le creuset des sept péchés capitaux («Mi carne ha macerado con manos fabulosas / uno por uno cada pecado capital»). Affublé de ses guenilles de bohème qui font rire le stupide bourgeois («En el burgués estulto, mis guedejas undosas / de bohemio suscitan una risa banal»), le poète couve un idéal («mas él no advierte, bajo mi mugre, las gloriosas / armas del caballero ungido de ideal»). Ses hardes le magnifient («Son mi magnificencia y fasto principescos») mais le rapprochent inéluctablement des gens du bas peuple madrilènered -dont les «manolas» qui font l'objet d'une adoration- et des caprices goyesques («adoro las manolas y los sueños goyescos»). Il porte l'héritage d'une Espagne lointaine qui triomphe à travers lui («toda la España añeja triunfa a través de mí»). Ivre de lune, la nuit, le bohème partage sa couche avec les princesses de la bohème murguerienne («Con ajenjo de luna mi corazón se embriaga, / y en mi yacija, porque la carne satisfaga, / sus magnolias me ofrenda la princesa Mimí»44). Dans le sonnet de Teófilo Pajares, le bohème se décrit comme un être en haillons, obéissant ainsi au stéréotype qui veut que bohème rime avec misère et avoue sa communion avec les «manolas» et les rêves goyesques (les Caprices représentent des figures du bas peuple madrilène, «majas desnudas»)45. Teófilo Pajares est l'image décadente du bohème traité sur le mode de la satire, annonçant l'autre figure bohème satirisée, Max Estrella. Pérez de Ayala reprend, à l'instar, quelques années plus tard, de Valle-Inclán, des thèmes répandus de la poésie moderniste qu'ont maniés les auteurs bohèmes. Ce qui retient notre attention est le vers de ce sonnet quelconque placé dans ce roman dans un but satirique: «adoro las manolas y los sueños goyescos». La bohème ne fait que confirmer sa configuration goyesque, son rapprochement avec la thématique et l'esthétique des Caprices. Les personnages de la bohème dessinés par Pérez de Ayala dans son roman, Troteras y danzaderas, ressemblent, en outre, à des pantins articulés qui font irruption, tel le journaliste Raniero Mazorral, double romanesque de Ramiro de Maeztu, se détachant sur une toile de fond précaire.

Ainsi, Valle-Inclán est aussi l'héritier, et pas seulement le créateur, de l'adaptation littéraire de l'esthétique du Caprice et c'est pourquoi, afin de mieux comprendre la phrase de Max Estrella («El esperpentismo lo ha inventado Goya»), il est tout à fait intéressant de saisir rapidement le rapprochement esthétique entre «esperpento» et «caprice» chez un écrivain bohème, contemporain de Valle-Inclán, Emilio Carrere, qui s'est fait le chantre de la «vida del arroyo», c'est-à-dire de la vie de bohème. Plus connu pour l'adaptation cinématographique de l'un de ses romans, La torre de los siete jorobados, par Edgar Neville en 1944 ou pour son roman El encanto de la bohemia (1910) que pour ses recueils de contes ou de poésie, Emilio Carrere est né à Madrid en 1881 et meurt en 1947. Il met souvent en scène les rues de la capitale dans des fictions fantastiques telles que La casa de la cruz. Il est aussi l'auteur de chroniques évoquant les thèmes ou reprenant l'esthétique des Caprices, tels que «Perfil burlesco»46, à propos de la figure absurde du poète bohème Pedro Barrantes ou «Las viejas»47, sur les vieilles dames qui fréquentent les café et qui couvent encore, sous leurs parures absurdes («ataviadas con absurdos perifollos»), le mystère d'une grâce vétuste («vetusta doncellez»). Mais ce qui retient surtout notre attention ici est qu'il a pu capter, à un moment donné, ce transfert esthétique entre peinture (goyesque) et littérature, cultivant cette esthétique de la laideur et de la déformation, chères à l'«esperpento» et aux Caprices. De nombreuses images peuplant ses poèmes ou certaines descriptions de scènes dans ses contes relèvent de la truculence «esperpentique» avant l'heure et nous poussent à croire en cette parenté. Bien que nous n'ayons pas trouvé de témoignage direct de l'auteur sur l'application de la technique du Caprice à son écriture, il convient de signaler que ses contemporains avaient souligné une certaine empreinte goyesque dans sa façon d'écrire, de battre le style ainsi que l'avait suggéré le poète et journaliste Alfonso Camín (1890-1982), lorsqu'il s'était entretenu avec lui en 1923:

«La obra de Carrere es como una larga sombra suspensa, a trechos mezclada de luz. El es esa larga sombra que tiembla suspendida en sí misma. [...] El autor de «La familia de Carlos IV» dejó en Carrere el único heredero directo, [...]»48.



Carrere ne s'est pas intéressé aux raffinements modernistes; il s'est plutôt laissé séduire par la «Musa del arroyo», titre qu'il donne à l'un de ses poèmes les plus connus, par les voyous, le bas peuple -même si, toujours en suivant Alfonso Camín, «Carrere no es una sombra nocturna de la baja bohemia»49-. Et il est certain qu'en parcourant ses recueils de poésie ou les passages de certains contes, l'ombre du maître des Caprices n'est effectivement pas très loin, son écriture répondant à l'élan esthétique des caprices goyesques. Le bohème est ridiculisé, déformé car apparenté à un polichinelle, à un pantin, à une poupée50: Sindulfo del Arco, du conte La calavera de Atahualpa (Aventuras increíbles de Sindulfo del Arco), publié en 1918-1919, est un type de bohème excentrique, loufoque. Dans ce même conte, le café de la Lucerna, refuge nocturne, est perçu comme le théâtre déformant des forfaits bohèmes et de leurs réjouissances artistiques. Tirant la figure du bohème vers une déformation «esperpentique», Carrere, comparant leurs réactions verbales à des cris ou à des rugissements, animalise le comportement du groupe bohème à l'arrivée d'une famille bourgeoise qui a osé franchir le pas du repaire, de cette folle «ménagerie»:

«Largos y sonoros rebuznos, gemidos lastimeros de can, rítmico croar de ranas, vagidos de león, ulular de tigres famélicos... Todo en una sombra espesa de cripta funeraria»51.



«El coro de fieras estalló de repente, y de todos los divanes comenzaron a brotar, como a un conjuro, rostros extraños, cabezas con largas melenas, pipas humeantes. Todos los yacentes se erguían con rapidez. [...] La familia burguesa huyó despavorida»52.



Le café de la Lucerna, oasis merveilleux au milieu du tourbillon madrilène, est une cage à oiseaux où toutes sortes de folies brillent avec intensité, où l'on cultive la haine du bourgeois et du chapeau melon. Du moins, Carrere les associe-t-il à des êtres étranges, mi-hommes, mi-animaux, tapis dans la pénombre des cafés transformés en de véritables cryptes funéraires où s'agitent des squelettes pensants, dévastés par la mort de leurs illusions, chassés du paradis de la gloire, riant de leur misère, pâles caricatures d'eux-mêmes.



Il va sans dire que les résonances de Luces de bohemia avec le monde et le concept fin-de-siècle qu'était la bohème littéraire espagnole dite moderniste, lié à un art de vivre en décalage, marginal voire absurde sont évidentes, diaphanes. Luces de bohemia, à n'en pas douter, marque le croisement esthétique existant entre le Goya satirique des Caprices et des Disparates, la bohème littéraire et l'«esperpento», figure de la déformation. Le caractère grotesque du bohème choisi par Emilio Carrere ainsi que quelques années plus tard par Valle-Inclán del dénonce aussi le ridicule du personnage bohème dont le mythe qu'il veut incarner -l'artiste noble et indépendant, garant de l'Idéal- est contrarié par les différents événements historiques, leur parade perd de son panache, l'artiste se prolétarise et se vide de sa grandeur jusqu'à ne plus être qu'un fantôme, une ombre, un «fantoche» dont les ressorts, dévoilés, sont manipulés par le public. Le mythe a produit le contre-mythe de la déformation grotesque, de la transfiguration «esperpentique». Même s'il s'agit du renouveau grotesque de la tragédie, il ne faut pas oublier de dire que Valle-Inclán a vu dans la bohème le côté monstrueux du drame de l'artiste en butte à la réalité historique et sociale de son temps. La bohème en tant qu'attitude extravagante, excessive, décalée, marginale, ambivalente, devient la déformation esperpentique d'une Espagne trop traditionnaliste, conventionnelle. Le bohème et, de façon emblématique, Sawa sont des exemples vivants d'esperpentos, de déformations conscientes, de traits forcés. Plus qu'un aspect circonstanciel, la bohème suggère à Valle-Inclán une nouvelle vision -une vision purement artistique- de la vie par la déformation, la distorsion. Car le texte de Ramón María del Valle-Inclán illustre ce parcours bohème placé sous l'égide de l'échec et du caprice. Placer la définition de sa nouvelle esthétique dans la bouche grimaçante du bohème déchu, contrefait et torturé devient un point de convergence, focal et significativement réfléchi, comme tout ce qui rentre dans cette mathématique parfaite ou mécanique, devrions-nous dire plutôt, valle-inclanesque. Tous les principes de la vision d'un tragique dégradé rejoignent les conceptions de la bohème littéraire. La bohème constitue un phénomène socioculturel ancré dans la crise fin-de-siècle, un état de la littérature qui revient en 1920 transfiguré sous la plume parodique de Ramón del Valle-Inclán.





 
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