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Tous les chemins mènent à Dieu: l'Église et les femmes dans la deuxième moitié du XIXè siècle

Solange Hibbs-Lissorgues





«La mujer no es ni puede ser verdaderamente libre sino en tanto que se consagre a perpetuidad a Dios por la virginidad o que se una a perpetuidad también a un hombre con el vínculo indisoluble y sagrado del matrimonio»1.



Ces mots du père Ventura Raulica dans un ouvrage intitulé El Apostolado de la mujer publié en 1879, définissent de façon péremptoire la situation d'infériorité et de dépendance de la femme dans l'Espagne du XIXe siècle. Cette situation qui fait l'objet d'une abondante littérature catholique persiste au cours des premières décennies du XXe siècle. La culture catholique pèse de tout son poids sur l'élaboration d'un modèle spécifiquement féminin et d'un code de comportement de la bonne chrétienne. Ce modèle privilégie le coeur et les ressources affectives et les comportements qui en dérivent se caractérisent par l'esprit de sacrifice, l'aptitude à la piété, la disposition à l'obéissance conjugale. Le statut social, familial et religieux des femmes est tributaire de l'énorme pression idéologique de l'Église. Depuis 1808, le clergé et les institutions ecclésiastiques qui se considéraient victimes du processus de libéralisation de la vie politique et intellectuelle s'étaient retranchées derrière une posture défensive. La seule alternative préconisée face aux «cataclysmes révolutionnaires» était la restauration d'un ordre chrétien. La nostalgie d'une époque où l'Église exerçait un contrôle indiscutable sur les consciences et la société l'incita tout au long du XIXe siècle à refuser toute tentative d'altération de l'idéal féminin. Les premières tentatives après la Révolution de 1868 pour modifier l'organisation traditionnelle de la famille ainsi que la reconnaissance de certains droits furent considérées comme des attaques destinées à détruire la vie familiale, sociale et nationale espagnole, comme des «desafueros y planes satánicos que la revolución impía pone en práctica donde quiera llegar a imperar»2. Il est vrai que si cet idéal de la femme chrétienne s'applique au genre féminin hors champ social, à la fin du siècle, sous la poussée de l'industrialisation, de l'urbanisation, de l'alphabétisation et de la politisation des femmes, l'Église est obligée «de s'adapter aux classifications de la science sociale laïque et de définir selon des typologies plus précises le monde féminin jusqu'alors indifférencié»3.

Le rôle répressif de l'institution ecclésiastique ainsi que les nombreuses obligations religieuses auxquelles étaient assujetties les femmes imprègnent une multitude de discours dont le principal but est de renforcer la dépendance du monde féminin par rapport à un univers masculin, fortement hiérarchisé, régi par le magistère moral du prêtre et l'autorité légale de l'homme et de l'époux. Qu'il s'agisse de la dense littérature religieuse de l'époque ou de la presse catholique, le modèle proposé au sexe féminin est celui de la «parfaite chrétienne», de la «bonne catholique». Cette vision idéale repose sur l'exaltation de la femme épouse et mère, exclusivement consacrée à la vie domestique ou à la vie religieuse.




La «perfecta cristiana»

Au cours du siècle, une copieuse production écrite accompagne cette élaboration d'un modèle propre à la culture catholique. À titre d'exemple, mentionnons certains des auteurs, pour la plupart des ecclésiastiques, qui contribuèrent à diffuser le modèle idéal de la femme chrétienne et les consignes morales, religieuses et sociales destinées au sexe féminin. Tous ces ouvrages, manuels de bonne conduite, catéchismes, dévotionnaires, vies de saintes, traités de doctrines et de prières, sont d'ailleurs diffusés dans des éditions luxueuses ou populaires afin de toucher les femmes de toutes les classes sociales. Parmi ces auteurs il y a le père Antonio María Claret (1807-1870) fondateur des bibliothèques populaires et paroissiales et infatigable militant de la cause des «bons livres». Ses initiatives se traduisent par une production multiforme et constante de dévotionnaires, traités de bonne conduite destinés aux chrétiens de tous les âges et de toutes les classes et plus particulièrement au public féminin. Très soucieux d'être le garant de l'irréprochable comportement moral des femmes, Antonio María Claret publie des ouvrages comme Consejos para una madre, Devoción a la concepción, Camino recto y seguro para llegar al cielo, publié à 4.500 exemplaires en 1859, Hijas del Santísimo e Inmaculado Corazón de María, exaltation du prosélytisme religieux féminin, et Avisos saludables a la familia cristiana, authentique code de conduite qui ne laisse aucun interstice de liberté aux femmes en dehors de leur rôle d'épouse et de mère4.

D'autres ecclésiastiques comme Enrique de Ossó y Cervelló (1840-1896), archevêque de Barcelone qui a compris le parti que l'on pouvait tirer des associations catholiques pour développer le prosélytisme religieux des femmes, est l'auteur du Reglamento y oraciones de visita de la Archicofradía de Jóvenes católicas, hijas de María Inmaculada y Santa Teresa de Jesús (1898), dans lequel il est précisé que «les jeunes filles chrétiennes placées sous la protection de Sainte Thérèse doivent former un bataillon de troupes aguerries contre le mal»5.

Un autre apologiste qui mérite d'être connu pour l'ensemble de son oeuvre pieuse destinée aux femmes est Félix Sardà y Salvany (1844-1916)6. Ses leçons de théologie populaire sur le mariage civil sont rééditées quatre fois dès la première année (1871) et ses oeuvres consacrées à la dévotion mariale sont des modèles du genre en matière d'apologétique. Cet ecclésiastique catalan, intégriste, directeur de la Revista Popular qui consacre de nombreux articles aux femmes catholiques, est également connu pour sa position radicale lors du «sexenio revolucionario» et des débats consacrés au mariage civil et à l'égalité sociale des femmes.

Le fondateur de la revue mariale Ecos del amor a la Inmaculada Virgen y a los Santos Ángeles (1881), l'ecclésiastique Juan Martí y Cantó (1823-1887) propose un ouvrage à succès, spécialement destiné au public féminin, El mes lírico de María (1870). D'autres noms surgissent dans cette innombrable production qui enserre les femmes dans un rigide corset d'obligations morales et de comptabilité religieuse: le père Mach, auteur de catéchismes et dévotionnaires réédités inlassablement au cours du siècle7, Louis Gaston de Ségur, fils aîné de la célèbre comtesse dont les oeuvres connurent un succès considérable en France et furent systématiquement traduites en Espagne. C'est le cas des petits traites d'apologétique populaire comme El matrimonio (1885)8 et La très sainte communion publié en 1860 en France et diffusé des 1882 en Espagne sous le titre de La sagrada comunión.

Nous pouvons avoir un aperçu de cette culture religieuse privée et domestique qui abreuve les catholiques espagnoles dans les romans du XIXe siècle. Dans La Regenta (1884-1885) de Leopoldo Alas Clarín (1852-1901), Ana Ozores se refugie dans la lecture de catéchismes comme celui de Thomas Kempis (1379-1471), un des plus diffusés et lus, ou dans la vie de Sainte Thérèse de Jésus. Le succès enorme de l'Imitation de Jésus-Christ de Kempis est attesté par seize éditions différentes en 18799. Dans La familia de León Roch (1878) de Benito Pérez Galdós (1843-1920), les enfants de María Egipcíaca et Luis Gonzaga ne lisent que des vies de saints.

Les innombrables et copieuses vies de saints se présentent souvent comme des histoires merveilleuses, les auteurs utilisant souvent des «révélations» et des sources plus ou moins authentifiées. Le principal, c'est d'édifier, comme le reconnait Antonia Rodríguez de Molla, directrice de La Semana Católica (1889) de Barcelone, inspectrice d'éducation et auteur de vies de saints pour les jeunes gens des instituts religieux. La vulgarisation de la vie des saints correspond a une demande et ses ouvrages, La Beata Imelda de Lambertini, «livre destiné aux petites filles qui préparent la première communion», publié en 1889 et qui en est à sa troisième édition en 1891, Vida del Beato Bernardino Realino (1891) -au moins deux éditions-, ou encore El primer mártir de la Oceanía, Beato Chanel dont il est spécifié qu'il est épuisé et que la deuxième et la troisième éditions se sont bien vendues en Amérique, font partie de cette littérature pieuse offerte aux enfants catholiques et surtout aux petites filles afin que leur conduite s'inspire à tout moment de celle des «héros chrétiens».

La majorité de ces ouvrages pieux réaffirment la supériorité du surnaturel sur les manifestations de la raison et ils sont remplis d'exercices faciles au cours desquels peuvent s'exprimer douceur et amour. Le langage employé ne fait jamais appel à la raison et ne sollicite que les sentiments. Les fidèles qui se consacrent au culte marial par exemple sentiront leur foi «s'enflammer grâce à cette dévotion et pourront se réfugier dans l'amour protecteur et maternel de la Vierge». L'on voit apparaître ici «l'esprit marial» tel qu'il est défini par les théologiens: absolue confiance en Dieu, abnégation et enfance spirituelle.

Notons qu'en exaltant la Vierge Marie, les catholiques ont favorisé la réhabilitation et l'éducation féminines. L'essor du culte marial, très vivace au XIXe siècle, suscitant une conception plus intime et sentimentale de la maternité, n'a pas été étranger à la ritualisation de certaines formes de la féminité. La diffusion de la piété sentimentale d'un Alphonse de Liguori qui instaure des rapports privilégiés avec le fils de Dieu et la Vierge infléchit la sensibilité religieuse. Marie est devenue un modèle d'identification, le centre de l'éducation féminine.

Ce culte, très enraciné en Espagne depuis le XVIIIe siècle comme l'atteste la persistance de dévotions mariales locales dont un exemple est le culte à la Vierge Marie, «Señora de Valbanera», dans la région de La Rioja, est revivifié par Pie IX et par la proclamation du dogme de l'Immaculée Conception en 1845. Il a généré une impressionnante production qui se chiffre à plus d'une centaine d'opuscules, guides, mois, dévotionnaires au cours de la deuxième moitié du siècle. Les prolongements de cette dévotion sont multiples et ne reflètent pas seulement l'élan nouveau qui est suscité par le pontificat de Pie IX. Ils sont la marque d'une quête à la fois affective et spirituelle destinée à resserrer les liens de la famille et à «sacraliser» la femme catholique dont le rôle pédagogique et apostolique est si important dans la culture catholique de cette période10.

Le culte marial a généré une littérature pieuse très ciblée sur le public féminin et destinée à fomenter une ferveur de tous les moments. Nous avons déjà vu que ce culte marial est favorisé par une profusion de manuels, dévotionnaires et catéchismes. Le courant marial est aussi très fortement enraciné en Espagne grâce à une littérature périodique active. Des revues mariales, c'est-à-dire El Rosario (1871, Barcelone) ou Ecos del Amor a María (1867, Barcelone), qui sont mensuelles et avec des tirages respectifs de 3.000 et 2.000 exemplaires, sont des guides exhaustifs des fêtes mariales, offrant recommandations et incitations en matière de dévotions. Citons aussi Anales de la felicitación sabatina de Valence, un mensuel plus modeste qui tire à 200 exemplaires, El Pilar (1883, Saragosse), publication consacrée exclusivement au culte de la Vierge du Pilar (mensuelle et publiée à 800 exemplaires) ou encore la très importante revue des pères missionnaires du Coeur de Marie, El Iris de Paz (1893, Madrid) publiée tous les quinze jours mais qui atteint des tirages honorables de 5.000 exemplaires.

L'enthousiasme religieux suscité par le culte marial explique la prolifération des congrégations et associations mariales: la Asociación de jóvenes solteras bajo el nombre de Hijas de María Santísima Inmaculada qui fonctionne à Barcelone des 1850 et qui regroupe en fait l'élite des jeunes filles chrétiennes, la Asociación de jóvenes de María Inmaculada dirigée par le jésuite le Père Moga à Séville à partir de 1882 sans oublier des archiconfréries qui se réclament de leurs soeurs italiennes comme la Archicofradía de Nuestra Señora del Perpetuo Socorro y de San Alfonso de Ligorio y Agregada a la primaria de Roma. Ces congrégations mariales de jeunes filles constituent des communautés ferventes dans les paroisses et les familles catholiques sont incitées à y inscrire leurs filles afin qu'elles reçoivent une éducation parfaitement chrétienne et qu'elles obéissent aux préceptes destinés à faire d'elles des épouses et des mères exemplaires.

Ces incitations ne sont pas restées sans effet puisque la Archicofradía de jóvenes católicas hijas de María Inmaculada y Santa Teresa de Jesús, dirigée par Enrique Ossó, et qui s'installe en 1873 à Tortosa avant d'essaimer ailleurs, déclare avoir 700 jeunes catholiques dans ses rangs. Dans les années 1873-1878, il y a plus de 30 archiconfréries de Jóvenes Católicas dans toute l'Espagne. Un autre exemple qui illustre l'essor vivace des associations mariales est celui de la Academia bibliográfico-mariana María Inmaculada qui, impulsée à Lérida en 1862 par l'ecclésiastique José Escolá, a pour devise «España, patrimonio de María: todo para María».

Une intense dévotion mariale et la récupération de la maternité comme valeur marquent d'une empreinte durable la culture catholique de cette deuxième moitié de siècle. C'est sur la notion de pureté que s'élabore le modèle féminin de la perfection virginale et les devoirs de la mère et de l'épouse catholique, don de soi, sacrifice, humilité et douceur sont ceux qu'inspire le culte à Marie.

Si la vie quotidienne de toute chrétienne doit être scandée par les prières et les dévotions, elle est aussi imprégnée d'une religiosité sentimentale et d'un sentiment d'autogratification qui est suscité par la conscience qu'ont les femmes d'exercer une véritable souveraineté morale au sein de la famille et aussi dans la société. Dans la seconde moitié du siècle, la Vierge et l'enfant «deviennent des images de maternité plus familières, exemptes de douleur» et la piété mariale, très marquée par l'influence italienne d'un Alphonse de Liguori, privilégie une relation d'amour avec les membres de la Sainte Famille11. La maternité de la Vierge a effacé la marque dégradante du péché originel, la faute d'Ève.

Le modèle de pureté originale, d'abnégation et de maternité représenté par la Vierge Marie traverse toute la littérature religieuse et la production romanesque catholique du XIXe et sans doute d'une bonne partie du XXe siècle. L'Église construit une image sociale de la femme pour laquelle les pratiques religieuses sont plus intenses et régulières que celles des hommes, car la religion en tant qu'affaire de sentiment est plus proche des femmes que des hommes12.

Dans les romans de la littérature féminine catholique de la deuxième moitié du siècle, le sentimentalisme religieux est une marque propre aux femmes. «La historia de la mujer es un sacrificio continuo en aras del amor», nous dit Manuel Polo y Peyrolón, auteur de nombreux romans consacrés à la femme et à la famille catholiques13.

Au XIXe siècle, sphère privée et rôles féminins sont revalorisés par une société soucieuse d'utilité. À partir de la Restauration, le principe d'une maternité sociale est développé par l'Église et par l'État et surtout par une bourgeoisie soucieuse de transmettre valeurs symboliques, pratiques et rites. A partir de 1875, la définition du rôle social et familial de la femme chrétienne est parfaitement assimilée par la littérature et la presse catholiques écrites par des femmes. Pour preuve il suffit de regarder la longue liste de manuels et de traités de bonne conduite destinés à un public d'épouses et de mères chrétiennes. Dans Un libro para las madres (1877), de la prolifique María Sinués de Marco (1835-1893), le domaine privilégié de la femme est celui de la vie domestique, du sacrifice et de l'amour familial:

«Donde está la familia, allí está la dicha [...]. La vida es amor, la vida es hacer felices a cuantos nos rodean. Fuera de estas cosas, no busquéis nada»14.



D'autres comme Faustina Saéz de Melgar (1834-1895), auteure de Deberes de la mujer (1866)15 et de Un libro para mis hijas. Educación cristiana y social de la mujer (1877) font preuve d'un réformisme social et chrétien très prudent et soulignent que l'épanouissement de la femme ne peut s'accomplir que dans la sphère privée. Faustina Saéz de Melgar par exemple ne cesse jamais de rappeler que la mission de la femme est d'être «el ángel del hogar». Pour elle, il ne fait pas de doute que la sphère publique est réservée aux hommes et que si émancipation féminine il y a, celle-ci correspond à la position traditionaliste et morale d'une institution ecclésiastique pour laquelle le «féminisme catholique» n'implique rien d'autre qu'une meilleure éducation et de nouvelles possibilités de prosélytisme religieux.

Le code moral proposé par ces écrivains au public féminin tenait compte des transformations socio-politiques de l'époque: revalorisation de la famille et du rôle de la mère comme «censeur et administrateur» spirituel, plus grande importance de la «morale domestique», élargissement de l'espace familial traditionnel par le biais du prosélytisme religieux et social et de l'enseignement. Il semble que dans le projet de société bourgeoise de l'époque, l'omission d'un statut politique et économique de la femme ne lui laissait qu'un domaine où prendre sa revanche: celui de la formation morale, de l'éducation. C'est pourquoi l'écriture romanesque de ces écrivains est vécue le plus souvent comme une nécessité pédagogique: écrire un roman édifiant c'est contribuer, affirme Sinués de Marco, à la moralisation, à l'illustration de la femme.

Sans aucun doute, ces écrivains extrêmement conformistes dans l'ensemble furent des vecteurs notoires de la diffusion d'un idéal féminin et de normes de comportement qui excluaient toute ambition intellectuelle excessive et perpétuaient la rigide hiérarchie des sexes. La scrupuleuse différenciation psychologique et morale des fonctions féminines, l'assujettissement de la femme à des fonctions prioritairement domestiques, étaient des composantes essentielles de la culture bourgeoise à laquelle appartenaient la majorité de ces écrivains femmes. Rien d'étonnant dans ces conditions à ce qu'elles aient souhaité conforter leur écriture romanesque par la production de traites de bonne conduite morale et de manuels sur l'éducation féminine16.

Cette préoccupation pédagogique concerne d'ailleurs tous les domaines d'une activité féminine étroitement circonscrite: éducation du coeur et des sentiments, éducation morale et beaucoup plus rarement éducation de l'esprit. Il semble dans l'ensemble que ces femmes qui pénètrent dans la vie publique par l'écriture ne sont pas capables de forger un langage, des représentations qui leur soient propres, et qu'elles se contentent de reproduire celles qui leur sont imposées.

Les types idéaux du féminin construits par ces femmes sont fondés sur les qualités et dispositions diffusées par l'Église et par les représentants masculins de la culture catholique. Dans son ouvrage La educación de la mujer, pompeusement décrit comme un «monumento erigido a la regeneración de la mujer», l'écrivain catholique et hygiéniste José Panades y Poblet affirme cette idéologie de l'abnégation naturelle aux femmes:

«No la grandeza de la misión de la mujer no proviene sólo de la maternidad física, sino de la maternidad moral. Aquella pudo Dios establecerla espontánea, universal, de mil maneras; la maternidad, la creación moral parecen tener su apogeo en el gran sacerdocio de la mujer en la familia, en la sociedad»17.



Cette valorisation du rôle maternel et la fonction initiatrice dont la femme catholique est investie justifient son absence de la vie politique, de la sphère publique. L'Église, inquiète face aux revendications féministes qui se manifestent après 1868, oppose aux «mal llamados emancipadores» une réhabilitation morale de la femme. Le contrediscours catholique concernant l'émancipation féminine est parfaitement illustré par des apologistes comme Francisco Nacente qui, dans son ouvrage Historia moral de las mujeres (1891), declare:

«Para nosotros el bello sexo se ha emancipado ya en el bueno y verdadero sentido de la palabra [...]. Sí, los que pregonan la emancipación de la mujer, entendiendo por tal emancipación el rompimiento del santo nudo de la familia, desconocen lo que significa la maternidad en su más sublime sacerdocio»18.



La récupération de la «maternité spirituelle» et des ressources civilisatrices de la femme à des fins de propagande est un phénomène particulièrement frappant de la fin du XIXe siècle. Si les femmes exercent une souveraineté morale sur la vie domestique et sur l'éducation des enfants et qu'elles sont exclues de la scène politique, elles peuvent trouver dans le prosélytisme religieux et la bienfaisance leur terrain d'action. L'Église n'aura de cesse de les encourager dans cette voie d'un militantisme qui neutralise les effets les plus «pervers» du féminisme.




Prosélytisme religieux et «maternité sociale»

Dans des structures très hiérarchisées, sous le contrôle étroit de la hiérarchie catholique, les femmes sont incitées à sortir de l'espace domestique pour investir les écoles gratuites pour les classes défavorisées, les associations de bonnes lectures, les cercles d'ouvriers catholiques et les associations mariales. Le règlement de la Asociación de Señoras titulada Cruzada Espiritual bajo la protección del Sagrado Corazón de Jesús, de la Santísima Virgen María del Monte Carmelo est un exemple significatif de la sphère publique étroitement circonscrite réservée aux catholiques. Cette association religieuse de femmes doit essentiellement s'occuper d'assurer le culte marial et d'étendre son influence dans tous les quartiers du diocèse. Nombreux sont les apologistes, ecclésiastiques et écrivains catholiques qui, comme Antonio Bastinos dans son Historia de la mujer contemporánea (1899), tentent de convaincre les femmes catholiques que «el sexo femenino también [...] podía sobresalir en otras aptitudes [...] sin cambiar de trajes ni de hábitos, sin confundirse con el hombre en las carreras que naturalmente le están destinadas»19.

Des revues féminines politiquement engagées comme La Margarita qui était carliste, préconisaient un féminisme «a lo cristiano» et un militantisme religieux qui ne remettaient pas en question l'ordre patriarcal et l'autorité morale de l'Église. L'utilité sociale des femmes est exaltée par l'institution religieuse, et le militantisme religieux érigé en devoir civique recrute beaucoup dans les rangs féminins après l'encyclique Rerum Novarum (1891) de Léon XIII. L'implication des femmes dans des activités qui leur permettent de sortir de la sphère privée sous tutelle vigilante de l'Église est illustrée par les nombreuses initiatives auxquelles elles sont associées: c'est leur participation aux conférences et à l'enseignement proposés dans les círculos católicos de obreros, les corporaciones católico-obreras qui essaiment en Espagne dans les dernières décennies du siècle20.

Dans le prolongement de ces círculos se mettent en place au debut du XXe siècle les syndicats ouvriers catholiques et la première Federación Sindical de Obreras dirigée par María Domenech Cañellas. Les syndicats catholiques s'occupent de l'instruction religieuse et morale de la classe ouvrière, et proposent une aide économique aux plus défavorisées: «En general, éstas eran organizaciones benéficas, de ayuda a la mujer trabajadora, llevadas por mujeres de la alta burguesía»21.

Un bon exemple de la propagande de l'Église pour mobiliser les femmes catholiques est celui de la littérature religieuse diffusée sous forme de brochures et opuscules destines a un public féminin. En 1898, la très catholique imprimerie La Hormiga de Oro publie un petit opuscule sur les escuelas dominicales sous le titre Las Escuelas dominicales. Invitación a las señoritas dotadas de zelo cristiano. Il s'agit de susciter le militantisme religieux et social des bonnes catholiques afin de lutter contre les doctrines «funestes» du socialisme. Afin de mobiliser les troupes féminines, le clergé n'hésite pas à justifier la présence active des femmes sur tous les terrains où elles peuvent se rendre utiles: «Las escuelas dominicales, en medio de su modestia, es una obra de tal trascendencia y de una utilidad, no sólo espiritual, sino material, que de su propagación resultaría un bien inmenso para la misma sociedad civil»22.

Dans l'entreprise de reconquête sociale et de rechristianisation qui est celle de l'Église après la Révolution de 1868, la femme catholique a toute sa place:

«[...] nada grande ni útil se ha hecho en la Iglesia ni en los estados cristianos sin la influencia y cooperación de la mujer católica; ofrecemos (así) una prenda de esperanza a los que se alarman por el estado actual del cristianismo en Europa; porque el cuadro que presentamos a la vista de todos, indicando lo que la mujer católica ha sido capaz de hacer en el pasado, puede muy bien hacerles presumir lo que es aún capaz de hacer en un porvenir próximo y hacerles esperar que, en la gran renovación católica que se prepara, la mujer católica ha de desempeñar aún dignamente el grandioso e importante papel que la Providencia le ha reservado»23.






Féminisme «a lo cristiano»: une réponse face aux revendications d'émancipation des femmes

En tant que clé de voûte de la famille et perpétuatrice des traditions, la femme, malgré son statut social et intellectuel dévalorisé, a représenté un enjeu considérable pour l'Église en matière de stratégies culturelles. «Le pouvoir moral des femmes est immense» s'exclame Alejandro Pidal et cette revalorisation du rôle féminin est un des «instruments de la lutte de l'Église contre la déchristianisation sociale»24.

La femme devient un formidable enjeu que se disputent la société civile et la société religieuse. Cette exaltation des femmes n'est pas due seulement à des influences religieuses. Malgré la dégradation de la situation de l'ouvrière, de la travailleuse des villes en général, la famille acquiert une importance grandissante surtout dans les classes montantes comme la bourgeoisie25.

L'époque est en effet sensible à une certaine sacralisation du «sexe faible». Dès les premières décennies du siècle se propage en Europe un modèle de l'idéal féminin qui valorise les ressources civilisatrices et les possibilités de conversion des femmes.

Le progrès des sciences qui cherchent à cerner les aspects les plus immédiatement «physiologiques» de la nature féminine, la diffusion d'une idéologie libérale qui revendique une plus juste reconnaissance des droits de la femme sont autant de poussées qui bousculent les images et représentations solidement établies.

Aux yeux de l'Église, ce qui prime dans cette réhabilitation de la femme, c'est l'élaboration d'un modèle féminin capable d'utiliser ses ressources affectives comme un correctif moral sur les hommes. Son infériorité physique et intellectuelle est compensée par d'immenses réserves sentimentales et spirituelles qui lui permettent d'inculquer, de fortifier les vertus individuelles et sociales au sein du noyau familial et dans la société. Car si l'homme a l'intelligence, la femme a le sentiment. L'idée d'une dissociation entre coeur et esprit instaurant des capacités et des comportements différents a marqué tout le XIXe siècle. Dévouement, altruisme, don de soi, sont conçus comme des caractéristiques de la «psychologie» de la femme. Pour l'Église ces «vertus» sont celles qui impriment leur marque indélébile sur la religiosité féminine. Le sentimentalisme religieux dont l'essor accompagne celui du sentimentalisme familial est la marque d'un rapport particulier à Dieu:

«En la mujer no hay la razón fría que analiza, sino el ardoroso corazón que siente; y esta Religión, todo amor, todo sentimiento tiene que ser la luz purísima de sus días [...]. Si la Religión católica como única verdadera, tiene que ser la Religión del mundo, su más elevado altar es el corazón de la mujer»26.



«Prêtresse du foyer», entretenant des rapports privilégiés avec la religion, la femme croyante est un instrument idéal d'endoctrinement. Auteur d'ouvrages pour l'édification morale du sexe féminin, le père Ventura Raulica affirme que la mission de la chrétienne est de «populariser la sainteté et de former les moeurs des peuples croyants»27. Évidemment cette valorisation du rôle féminin reste très limitée. Bien que de nombreuses voix catholiques s'élèvent pour faire remarquer que «personne ne peut nier l'influence prépondérante de la femme sur la famille, la société et par conséquent sur la destinée des nations», le modèle féminin est exclusivement celui de l'épouse et de la mère.

Dans la culture catholique de l'époque, l'exaltation d'une spiritualité féminine conférant aux femmes un rayonnement plus intense tant au niveau de la formation religieuse que de la correction morale s'inscrit dans une stratégie particulière. Les premières tentatives d'émancipation féminine qui se manifestent frileusement en Espagne par rapport à d'autres nations inquiètent le monde religieux28.

La véhémence des réactions de l'Église face aux revendications en faveur des femmes qui surgissent après 1868 est certainement démesurée par rapport aux risques que cela représentait pour son autorité. Dans les dernières décennies du siècle, la campagne défensive organisée par l'Église contre tout ce qui de près ou de loin impliquait un affranchissement religieux et moral des femmes s'intègre dans une offensive plus générale contre l'idéologie libérale et les aspirations égalitaires d'une société en pleine mutation. Sans aucun doute la faible vitalité du mouvement féministe espagnol s'explique-t-elle en grande partie par les pesanteurs idéologiques sécrétées par l'Église, véritable rempart contre toute tentative de modernité.

Afin de prévenir, dans un premier temps, et ensuite de circonscrire un mouvement susceptible de remettre en cause le total assujettissement de la femme à l'autorité religieuse, le discours officiel de l'Église revendique l'apport du christianisme dans la réhabilitation spirituelle et sociale de la femme29. C'est un véritable contre-discours qui s'élabore et dans lequel sont récupérés et neutralisés des concepts comme féminisme, émancipation et égalité des droits30.

Il ne s'agit pas d'aller à l'encontre d'une évolution que l'Église considère comme inéluctable mais d'occuper le terrain avant qu'il ne soit trop tard:

«[...] ante este fenómeno social, fuerza es aprestarse a tomarlo en cuenta y a no dejarse sorprender por la marcha de los acontecimientos, durmiéndose en los brazos de una apatía criminal para despertarse sobrecogidos y tarde. La piedra de toque para poder apreciar de antemano el resultado de esta evolución, está en el sentido cristiano o antecristiano que informa la dirección de este movimiento»31.



S'érigeant en moraliste, Alejandro Pidal se fait l'apologiste passionné, en cette fin de siècle, du féminisme catholique. Ce n'est qu'avec le christianisme que le sexe féminin a accédé à la dignité et a une certaine «égalité» avec les hommes, affirme Pidal. À ses yeux l'exaltation de la femme par la société libérale, nourrie d'idées révolutionnaires, n'est qu'un leurre destiné à profiter aux industriels et aux socialistes:

«Como os había anunciado al principio la misma maniobra de la serpiente en el Paraíso: ¡seducir a la Mujer ofreciéndola ser como diosa, para convertirla en instrumento de la descristianización social de que ha de ser ella la mayor y más desgraciada víctima! [...] Urge que la mujer se arme con todo el arsenal conveniente para defender los fueros del hogar y las prerrogativas del templo, que son los dos asilos de su virtud y los dos alcázares de su honor. Armada así, fácil le será distinguir entre el amor y la consideración a la mujer que predican los Feminismos cristianos y los miserables cálculos de corrupción, seducción y de apostasía que persigue el Feminismo antisocial para hacerla instrumento ciego de sus más tristes ignominias»32.



En fait, l'idéal féminin que propose Pidal ne déroge en rien au modèle omniprésent dans la culture catholique. Le postulat d'une essence féminine caractérisée par l'abnégation, l'humilité et le don de soi ne laisse guère d'interstices au plein épanouissement de la femme. Face à la revendication de nouveaux espaces où s'exercerait son activité, se dresse le mur d'une morale fondée sur la glorification de la famille comme unique lieu de bonheur. D'ailleurs l'encyclique Arcanum de Léon XIII proposée aux chrétiens en 1880 et qui répond aux attaques laïques contre le mariage renforce l'autorité maritale et confirme l'espace familial comme terrain de conquête privilégié de la femme. A cette dernière, l'Église demande soumission et sacrifice et il faudra attendre les premières décennies du XXe siècle pour que le discours s'infléchisse.

Toujours est-il que la femme représente un enjeu considérable pour ce qui est de la transmission des pratiques et valeurs religieuses. A une époque où l'éloignement de la religion et la tiédeur des dévotions sont un autre motif de préoccupation pour le monde catholique, la femme est réinvestie d'une nouvelle mission: en plus de son rôle initiatique au sein de la famille, elle est de plus en plus présente à l'extérieur et peut participer de plein droit à l'effort de reconquête sociale, de «rechristianisation» entrepris par l'Église après 186833.

Dans un ouvrage au titre éclairant, El Apostolado de la mujer (1878), le père Ventura Raulica résume l'esprit qui doit inspirer cette «reconquête»:

«[...] implantar sólidamente el catolicismo en su espíritu y en su corazón, a fin de que en la catástrofe religiosa que se prepara y que podría derribarlo todo, pueda la mujer conservar a fines del siglo XIX el catolicismo en Europa»34.



La culture catholique de la Restauration fait sien ce modèle de la femme à la fois «prêtresse du foyer» et alliée indispensable pour fortifier les vertus morales de la société tout entière. Alors que l'anticléricalisme militant et l'indifférence semblent toucher exclusivement les hommes, la féminisation des pratiques religieuses est un fait reconnu. La presse catholique de l'époque ne cesse de mettre en exergue la très forte présence des femmes dans la plupart des manifestations religieuses; de plus, la prédominance des femmes dans les congrégations et communautés chrétiennes est une réalité. En Espagne, à la fin du siècle, il y a 2.656 communautés religieuses féminines pour 597 communautés masculines35.

Quelques voix isolées de femmes chrétiennes s'élèvent à la fin du siècle pour dénoncer la situation d'assujettissement social et culturel du sexe féminin. Concepción Arenal (1820-1893), auteure de deux ouvrages importants considérés comme les premiers textes «féministes» espagnols, La mujer del porvenir (1861) et La mujer de su casa (1881), montre que la femme est à la fois victime d'une inégalité sociale et d'une inégalité face à l'éducation et à l'instruction. Sa réflexion, qui aborde la question du statut dévalorisé des femmes, est à inscrire dans le prolongement de ses idées concernant la nécessité d'une réforme sociale, politique et économique plus large. Lorsqu'elle affirme la nécessité d'une émancipation intellectuelle des femmes, elle stigmatise la confusion dangereuse et volontaire entre l'intelligence féminine et la morale. Pour Concepción Arenal il ne fait pas de doute que:

«La religión, esta poderosa palanca social que debía fortificar a la mujer, queda muchas veces debilitada por ella; al desfigurarla, la desacredita. Carece de conocimientos para razonar sus creencias»36.



Une autre voix, celle de María de la Concepción Jimeno de Flaquer (1850-1912?), très préoccupée par la question féministe et à l'origine de plusieurs ouvrages consacrés à analyser les causes de la discrimination sociale et juridique des femmes espagnoles, reflète les limites d'un réformisme imprégné par les dogmes catholiques. Dans un ouvrage au titre significatif, Evangelios de la mujer (1899)37, Jimeno de Flaquer revendique les bénéfices du christianisme pour la femme et exprime ses craintes face au «féminisme militant et radical». Sa défense d'un «évangile féministe», d'un «feminismo moralizador» permet de comprendre à quel point la culture catholique du XIXe siècle, qui préconisait l'attribution d'un domaine réservé aux femmes, celui du sentiment et de l'affectivité, a constitué en Espagne un obstacle majeur et durable pour une véritable émancipation féminine.






Sources complémentaires

  • Anonyme, Reglamento de la Asociación de Señoras titulada cruzada espiritual, Barcelona, Imprenta La Hormiga de Oro, 1857.
  • GÓMEZ, Valentín, Acción social de la mujer en Madrid, Madrid, Imprenta de Domingo Andueza, 1904.
  • PASCUAL DE SAN JUAN, Pilar, Los deberes maternales. Cartas morales de una maestra a una madre de familia sobre la educación de la mujer, Barcelona, Librería de Juan y Antonio Bastinos.
  • ROCA Y CORNET, Joaquín, Manual de madres católicas, Barcelona, Imprenta La Hormiga de Oro, 1896.
  • RODRÍGUEZ, José María, Finezas de María dispensadas en cada día del año, Barcelona, Imprenta de Joaquín Verdaguer, 1849.
  • VILARRASA, Eduardo, Influencia del cristianismo en la mujer, Barcelona, J. y A. Bastinos, 1877.


 
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