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La campagne dans les sainetes de Ramón de la Cruz

Mireille Coulon


Université de Pau et des Pays de l'Adour

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Ramón de la Cruz fut un auteur dramatique fécond: si l'on considère l'ensemble des comedias, tragedias, zarzuelas, entremeses, sainetes, loas, introducciones dont il est l'auteur ou qui lui sont attribués, on parvient à un total de près de 550 pièces.

Il a donc touché à tous les genres, mais c'est dans la zarzuela et dans les genres mineurs que son tempérament avait trouvé sa meilleure expression, et il n'est plus à démontrer aujourd'hui qu'il fut un créateur en la matière, et que sous son impulsion naquit un nouveau genre d'intermède, le sainete, plus proche de la comédie de moeurs que de la farce, en prise directe sur les réalités de son temps, qu'il ait été satirique ou polémique, conçu comme un tableau de genre ou bâti autour d'une intrigue.

Né en 1731, mort en 1794, Cruz écrit pour le théâtre entre 1758 et 1792, mais c'est surtout à partir de 1760 que les troupes madrilènes font régulièrement appel à lui pour renouveler leur répertoire, et ce jusqu'en 1780, date à laquelle on cessa de représenter un entremés pendant le premier entracte; vers la fin de sa vie, sa production se ralentit considérablement: deux sainetes seulement et trois loas en 1788, trois sainetes et une zarzuela en 1789, deux sainetes en 1790, un sainete et une loa en 1791, tout comme en 1792. Sa carrière d'auteur dramatique coïncide donc grosso modo avec le règne de Charles III.

Autrement dit, Cruz vit la période d'éclosion et de maturation du mouvement ilustrado, la mise en place d'une politique culturelle et économique dont le but est de favoriser le redressement de l'Espagne, de la mettre au niveau des grandes nations européennes. Dans tous les domaines, culturels ou économiques, on cherche les causes de son retard et les moyens d'y remédier. On multiplie enquêtes et bilans, on organise des concours où l'on récompense les meilleurs projets de développement, tout cela dans le cadre des activités des Sociétés Economiques des Amis du Pays dont la première voit le jour en 1765, ou des intendances de province que la nouvelle dynastie avait créées sur le modèle français. La presse de l'époque, qui naît pour ainsi dire dans les années soixante, se fait l'écho de cette activité en publiant des articles recueillant des données fournies par les intendants et corrégidors, notamment le Correo general de la Europa, de, 1763, qui reparaît quelques années plus tard, en 1770-1771, sous le titre Correo general de España.

Le théâtre, de son côté, ne manque pas de refléter cet intérêt pour les questions économiques et pour les problèmes d'une société en pleine transformation: Los menestrales de Trigueros en apporte la preuve, mais aussi nombre de sainetes de Cruz, lequel offre au spectateur une peinture de la société de son temps, des rapports et des tensions qui pouvaient exister, à l'état latent ou au grand jour, entre les différents groupes sociaux.

70 sainetes environ sur les 340 qui peuvent être attribués à D. Ramón de façon incontestable (sans compter donc les pièces d'attribution incertaine) ont pour cadre la campagne, soit presque 20% du total. C'est là un pourcentage élevé si l'on considère que Cruz est réputé pour être le peintre par excellence des moeurs madrilènes, que le décor soit planté dans les quartiers populaires de la capitale ou dans un salon réunissant la bonne société, ou du moins une société se faisant passer pour telle. La campagne donc est loin d'être tenue à l'écart, d'autant que dans un grand nombre de sainetes dont l'action se situe à Madrid, des paysans apparaissent, et jouent parfois un rôle de premier plan.

Dès lors que la campagne occupe une place importante dans les sainetes de Cruz, la question qui se pose est la suivante: l'image qui est donnée de la campagne reflète-t-elle les préoccupations des ilustrados, de la même façon que nombre de sainetes se font l'écho de l'intérêt que l'on porte alors aux métiers manuels, et foisonnent d'indications concrètes sur la vie des quartiers populaires de la capitale?

Tout d'abord, de quelle campagne s'agit-il? Quelques titres sont révélateurs: La comedia de Valmojado, Las Foncarraleras, Inesilla la de Pinto, Los alcaldes de Novés, que l'on peut comparer à d'autres comme La pradera de San Isidro, El Rastro por la mañana, Los bandos de Lavapiés, La Plaza Mayor por Navidad, La comedia de Maravillas ou El Prado por la noche, qui évoquaient pour les Madrilènes des lieux précis, qui leur étaient familiers. Grâce au texte, on apprend aussi que le second tableau de La fineza en los ausentes a pour cadre Pozuelo, que l'action de Los payos críticos se déroule à Leganés et celle de Los convalecientes à Vallecas.

On s'éloigne donc rarement de Madrid, et les indications scéniques en témoignent: l'action de El heredero loco se situe dans une «villa cerca de Madrid», dans Las payas celosas «la escena se representa en un lugar vecino a Madrid», de même que dans Los volatines, où «la escena se finge en un lugar corto cerca de Madrid». En fait, à de rares exceptions près, la plupart des villages cités précédemment se trouvent dans un rayon de 5 lieues autour de la capitale, dans le «distrito de las cinco leguas», pour reprendre l'expression en usage à l'époque1. Une liste de villages situés dans ce périmètre fut établie en 1777, lorsqu'on voulut étendre aux environs de Madrid les mesures prises dans la capitale pour lutter contre la mendicité; sur cette liste, qui comprend 75 «pueblos y lugares», figurent notamment Pozuelo, Villaverde, Vallecas et Fuencarral.

Par ailleurs, les indications scéniques sont la plupart du temps très vagues. Ainsi, dans El mercado del lugar, «la escena es en la plaza del lugar», et il en va de même dans El elefante fingido, dans le second tableau de Las usías y las payas, ou dans Los payos críticos, dont le décor est une «plaza de villaje» (sic). Quelques éléments de description viennent parfois compléter ces indications, comme dans El alcalde boca de verdades («será la escena en la plaza de un lugar, figurando un soportal en el foro», ou encore dans La fiesta de novillos, où Cruz précise la disposition des accessoires qui devaient agrémenter le décor et transformer le simple rideau peint qui servait de toile de fond à l'action.

En effet, c'étaient toujours les mêmes décors qu'on utilisait2, comme le montre l'emploi de l'article défini dans les indications scéniques: dans El heredero loco, par exemple: «El teatro representa la entrada de lugar»3. Il suffisait donc à l'auteur de noter quelques éléments pour que les acteurs sachent de quel décor il était question; ainsi, dans La comedia de Valmojado, D. Ramón se contente-t-il d'écrire: «entrada de lugar, bosque a un lado, etc.»4

Le décor planté est donc soit la place du village, soit la rue principale du village, avec maisons et arbres, soit l'extérieur du village, avec des arbres seulement («bosque» ou «selva»); par ailleurs, même lorsqu'il est décrit avec plus de précision, jamais aucun des détails mentionnés ne permet d'identifier le lieu de l'action. Que le cadre de l'intrigue soit Vallecas, Pinto, Valmojado ou Leganés, le décor est le même.

El l'on pourra rappeler à ce propos le soin avec lequel Cruz plantait le décor de sainetes comme El Rastro por la mañana ou La retreta qui devaient reproduire avec la plus grande fidélité possible la réalité: dans le premier «se verá la cruz del Rastro», dans le second «al levantar la cortina aparece la fachada de los Correos»5, et on pourrait citer bien d'autres exemples qui montrent que tout était mis en oeuvre alors pour que les spectateurs puissent reconnaître les lieux qui leur étaient familiers.

Rien de tel dans les sainetes qui se passent à l'extérieur de Madrid; une bonne partie du public, de toute façon, n'aurait pas pu reconnaître des endroits où il n'était jamais allé. Les noms de Vallecas, Pozuelo ou Fuencarral pouvaient lui être familiers parce que ces lieux étaient proches de Madrid, que les petites annonces du Diario de Madrid les mentionnaient fréquemment, ou plus simplement parce que les paysans qui venaient vendre leurs produits au marché étaient originaires de ces villages.

Cependant, chaque Madrilène pouvait avoir une idée de la campagne, car la campagne était aux portes de Madrid, comme par exemple la «Huerta del Bayo» qui faisait partie d'un district placé sous l'autorité et la surveillance d'un des 64 Alcaldes de Barrio qui avaient été mis en place en 1768. Le marché devait s'y tenir une fois par semaine, et on refusait l'autorisation d'y ouvrir une taverne le reste du temps, l'endroit étant presque «extramuros, al campo», et donc plus difficile à surveiller6. L'actuelle Calle de la Huerta del Bayo se trouve entre la Ribera de Curtidores et la Calle de Embajadores, et cette huerta était donc déjà à l'époque pratiquement dans la ville, à l'extrême limite du quartier du Rastro (un des quartiers populaires de Madrid, ce qui explique les réticences de l'alcalde).

D'autre part, quelle connaissance pouvait avoir Cruz lui-même de la campagne et du monde rural? Tout au plus celle des Madrilènes privilégiés qui disposaient d'une voiture, ou pouvaient profiter de celle d'un ami. Il n'a malheureusement laissé aucun témoignage, journal ou correspondance, qui permette de connaître ses déplacements. Mais il est plus que probable que D. Ramón, modeste fonctionnaire à la Contaduría de Gastos de Justicia y Penas de Cámara, avait rarement l'occasion ou la possibilité de voyager. Tout au plus put-il accompagner ses protecteurs -le duc d'Albe, puis la duchesse d'Osuna-Benavente- dans leur résidence d'été. Ce qui est certain, c'est que Cruz ne possédait pas, comme ce sera le cas de Moratin quelques années plus tard, une maison de campagne pour y passer l'été.

Moratín, en effet, put faire l'acquisition d'une petite propriété dans la Alcarria, et la lecture de son journal intime fournit des indications précieuses quant aux conditions dans lesquelles on voyageait à l'époque.

Aller de Madrid à Pastrana était une expédition, qui prenait deux bons jours. Moratín faisait étape à Alcalá où il avait des connaissances, et le plus difficile était le parcours entre Alcalá et Pastrana. Pour ce dernier trajet, il devait être très difficile de trouver une voiture, probablement en raison de l'état des chemins. Si bien que le plus souvent, Moratín voyageait à cheval ou à dos de mulet, et de nuit, sans doute à cause de la chaleur. En 1803, par exemple, parti à 7 heures du soir d'Alcalá («burralmente, sortir, caminar in the night»), il arrivait à Pastrana à 6 heures du matin7. Le moindre contretemps prenait alors des proportions énormes8. Et même en voiture, les trajets étaient longs: par exemple, il fallait compter au mieux 3 heures et demie, et en général 4 heures, pour couvrir la trentaine de kilomètres qui sépare Madrid d'Alcalá.

Pour toutes les raisons que l'on vient d'évoquer, Cruz - et avec lui la majorité du public auquel il s'adressait- aurait pu difficilement avoir du monde rural une connaissance autre que celle que lui fournissaient ses éventuels déplacements autour de la capitale. La campagne des sainetes, c'est donc celle des environs immédiats de Madrid; c'est en fait tout ce qui n'est pas la ville proprement dite. Si bien que la campagne n'est pas vue comme un monde possédant certaines caractéristiques propres, mais presque toujours par rapport à la capitale: il y a au demeurant assez peu de sainetes qui mettent en scène exclusivement des paysans, et l'on retrouve dans bien des pièces des échos du menosprecio de corte y alabanza de aldea.

Ce n'était pourtant pas la tradition de entremés qui pouvait inciter Cruz à donner de la campagne une idée idyllique: en effet, les entremeses que l'on jouait encore au temps de D. Ramón (jusqu'en 1780) étaient peuplés d'alcaldes ignorants et incapables, de regidores imbéciles ou vénaux et d'escribanos intéressés.

Les sainetes de Cruz n'échappent pas tous à cette tradition, surtout ceux de ses débuts en tant qu'auteur dramatique. Miguel de Ayala, célèbre gracioso qui avait fait les délices du public du parterre, était alors sur la fin de sa carrière et les rôles d'alcaldes incompétents et stupides étaient sa spécialité. El pueblo sin mozas (1761), les deux parties de El tío Felipe (1762), et même El alcalde contra amor ou El alcalde desairado, deux sainetes pourtant écrits en 1767, s'insèrent ainsi dans cette tradition.

Mais à côté de ces pièces, d'autres -et ce dès 1763- mettent en scène des paysans sensés et des alcaldes capables d'assumer des responsabilités. L'alcade «Boca de verdades» du sainete qui porte ce titre ne se laisse pas impressionner par les Madrilènes à la recherche de distractions champêtres, et n'hésite pas à les refouler hors des limites du village, après avoir acquis la certitude que leur influence sur la population pouvait être néfaste. C'est une attitude analogue qu'adopte l'alcade de La civilización, une pièce de la même année (1763): conscient que la prétendue civilisation que veut introduire le seigneur du lieu sur les conseils des beaux messieurs et des belles dames de Madrid se réduit en fait au luxe et à la corruption, il la rejette, montrant par là son bon sens. Moins expéditif que le protagoniste de El alcalde boca de verdades, ne serait-ce que parce que, en la présence du seigneur, il ne peut faire acte d'autorité, il ne s'en montre pas moins déterminé, lorsque les «agents de civilisation» portent atteinte aux pratiques religieuses.

Dès 1763 donc, le paysan est présenté au public du point de vue des rapports qu'il entretient avec la société madrilène, que l'action de la pièce se situe à l'extérieur de la capitale, à la campagne où les citadins se sont rendus pour occuper leurs loisirs, ou à Madrid même, le plus souvent alors sur les marchés où les paysans vendent leurs produits.

C'est pourquoi, lorsque l'action a pour cadre la campagne, le paysan est si souvent en fête. Dans La fineza en los ausentes, petimetres et petimetras assistent à une noce de village, tandis que dans La fiesta de novillos, c'est à l'occasion d'une course de taureaux que l'on voit se côtoyer -et s'affronter- villageaois et citadins. Et lorsqu'il n'est pas en fête, le paysan est tout de même là pour accueillir les Madrilènes en mal d'aventures rustiques. Autant dire que l'image qui en est donnée est fort éloignée de la réalité, et le sainete Chinica en la aldea fait de ce point de vue figure d'exception en évoquant la condition paysanne, ou du moins l'exploitation dont sont victimes les maraîchers:

ESPEJO
Y ¡valga el diantre las tripas
de todos los madrileños!,
[...] que, si uno va allá
le tratan con un desprecio
como si fuera un judío;
y que venga malo u güeno
el año, después que un hombre
se mata por mantenerlos,
todo se lo ha de vender
por fuerza barato y bueno [...]9


Encore faut-il remarquer que même alors, ce n'est pas vraiment de la condition paysanne qu'il est question, mais bien de l'attitude des Madrilènes vis à vis des paysans qu'ils sont amenés à rencontrer. On est très loin de sainetes comme Las calceteras, El deseo de seguidillas, El picapedrero, El mal casado et bien d'autres où les conditions de vie des ouvriers de la ville sont évoquées de façon précise, où les détails concernant leur vie quotidienne (leurs distractions, certes, mais aussi les prix des denrées alimentaires, les salaires, les rapports qu'ils entretiennent avec leurs patrons, etc.) abondent.

En fait, la fonction principale du paysan dans les sainetes de Cruz est de faire ressortir, par contraste, les travers qui affectent la société madrilène.

L'étonnement des villageois devant l'accoutrement des petimetres et des petimetras est pour D. Ramón une source inépuisable de comique. Ainsi, dans Las escopeteras, l'un d'eux est venu tout spécialement à Madrid pour s'informer du mode d'emploi d'une coiffe dernier cri; la jeune hidalga de son village à qui elle était destinée, pourtant elle-même assez instruite -davantage en tout cas que la moyenne des villageois- a vainement consulté à ce sujet le sacristain, puis le conseil municipal, et même le curé qui, malgré tout son savoir, a dû reconnaître son ignorance en la matière:


mas ni en latín ni en romance
se encontró nombre que darla;
porque toditos decían
siempre que se la probaba,
para espuerta de cien reales
en calderilla, es delgada;
para escarpín, es muy corta;
para montera no encaja10.



Et l'on pourrait citer bien d'autres pièces, comme Los payos críticos, dans lesquelles les Madrilènes habillés à la dernière mode sont tournés en dérision par les paysans. Ils ne manquent donc pas de malice, à l'occasion, même si par ailleurs leur ingénuité -qui n'est plus forcément de la stupidité- en fait des personnages comiques. Le paysan est souvent fruste, certes, mais il est pur et vertueux, et dénonce les moeurs dissolues de la capitale. Choqués par la familiarité à laquelle se croient autorisés les petimetres vis à vis des paysannes, ou par le mépris dont les Madrilènes font preuve à leur égard, ignorants des subtilités de langage en usage à la ville, les payos ont, sans véritable agressivité et en toute innocence, leur franc parler, tels ces deux villageois honnêtes et loyaux qui, dans El cocinero, traitent leur seigneur de menteur, un seigneur qui avait le tort de ne pas se rendre compte que les serviteurs employés à sa cuisine le volaient de façon éhontée. Et dans Las Foncarraleras, on voit revenir au village une jeune paysanne qui vient d'abandonner la place qu'elle avait trouvée à Madrid


porque vi
que era una casa perversa;
me daban mal de comer,
me decían des vergüenzas,
aprendía malas cosas,
no me enviaban a la iglesia,
ni se rezaba el rosario11.



Le paysan dans les sainetes de Cruz, en fin de compte, est toujours comique, mais il a changé de signe. Il est maintenant valorisé, sur le plan moral, afin d'être mieux opposé au citadin corrompu. Et le terme de «payo» n'a pas exclusivement chez cet auteur le sens péjoratif que lui donne, encore en 1788, le dictionnaire de Terreros12.

Cela dit, Cruz ne se prive pas de se moquer du paysan qui cherche à l'élever au-dessus de sa condition. Dans Los destinos errados, pour citer un exemple caractéristique, on attend le retour des trois fils d'un paysan qui a envoyé sa progéniture étudier à Salamanque; à l'instar d'Antón Zotes, le père de Fray Gerundio, il rêvait de voir ses fils embrasser la carrière ecclésiastique, et d'entendre


una misa cantada
de un hijo, que otro predique
del caso las circunstancias
y que otro esté desde el coro
entonando con voz clara
la solfa13.



Mais les trois «étudiants» ont perdu leur temps car ils ont été plus assidus autour des tables de jeu que sur les bancs des salles de cours, et le père a dépensé son argent pour rien. «Pourquoi ne les mettez-vous pas à labourer», leur demande l'alcade du village.


porque, sin que salgan
de su estado, se aprovechen
y florezca la labranza,
sin aplicarlos a cosas
que tenemos tan sobradas?14



Le sainete est de 1765, mais on reconnaîtra sans peine l'influence des idées «ilustradas». Dès 1764, des enquêtes étaient menées en effet, rendues plus nécessaires par la situation de crise que traversait alors l'Espagne, et qui devait aboutir à la série d'émeutes qui éclatèrent au printemps 1766.

La même idée est reprise dans Los hombres con juicio (1768) où Cruz offre l'exemple d'un paysan modèle, lequel, contrairement à tant de ses semblables qui abandonnent la terre pour chercher fortune à Madrid, est convaincu que lorsqu'un labrador a plusieurs fils, l'aîné est tenu de se consacrer aux travaux des champs et les autres doivent entrer au service du roi, dans l'armée. «Ese es digno pensamiento / de labradores honrados», s'exclame-t-on avec admiration -et l'on remarquera au passage que le terme employé est labrador et non plus payo-:


y de que vea el monarca
el amor de sus vasallos;
y ése el modo también es
de que en el reino veamos
la abundancia, numeroso
el ejército, empleados
los ociosos y los pobres,
y respetable el estado15.



Le paysan est utile à l'Etat, il est nécessaire à la prospérité du pays, à condition de rester chez lui, de ne pas se laisser attirer par le mirage de la ville. Le bon paysan est celui qui refuse de se laisser tenter.

Que l'image qui est donnée du paysan soit idéalisée ou inspirée par un souci de propagande, qu'elle serve à faire ressortir par contraste les moeurs dissolues de la capitale ou qu'elle soit le produit d'une réflexion sur le rôle que doit jouer le paysan dans l'économie nationale, elle ne repose en aucun cas sur une connaissance de la réalité. Certes, cette représentation de la campagne et du paysan témoigne d'un intérêt tout nouveau -dans le théâtre de l'époque, du moins- pour la question. Elle témoigne aussi de l'abîme qui séparait le monde rural du monde des villes.





 
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