L'anamorphose de la mort dans «Tirant le Blanc»
Jean Marie Barberà
Université de Provence - Marseille I.
L'anamorphose étant une technique picturale1, il peut sembler étrange à première vue de l'envisager dans une étude de type littéraire. Mais déjà en 1435, à l'époque de Joanot Martorell, auteur de Tirant le Blanc, Leon Battista Alberti lance une passerelle entre littérature et peinture, s'inspirant de la compositio pour introduire le concept de «composition» dans le domaine pictural2. Plus près de nous et en sens inverse, Barthes introduit le concept d'anamorphose en critique littéraire et en propose une définition dans Critique et vérité3. Toutefois, ce n'est pas en nous appuyant sur lui que nous justifierons son emploi ici. Il nous semble plus intéressant, et en tout cas plus justifié, de considérer que les manifestations artistiques, entre autres, relèvent de schémas mentaux spécifiques à une époque et à un lieu, et que ces schémas mentaux affleurent dans tous les domaines d'application de l'esprit. Pour mieux dire, ils donnent leurs formes aux productions de l'esprit, au sens le plus large. Ils sont invisibles dans un premier temps, et ce n'est que quand ils atteignent une certaine maturité qu'ils apparaissent, sous forme de technique ou de procédé reconnus, dans l'un ou l'autre des arts, art étant employé dans son sens étymologique et générique, qui renvoie autant à artisan qu'à artiste. Il en va ainsi, nous semble-t-il, du concept d'anamorphose, comme du concept de polyphonie4, ou d'autres concepts qui apparaîtront après le XVe siècle et dont les racines plongent dans les siècles précédents. Nous avons donc, en fonction de l'époque et du heu, une «tournure» d'esprit, un ensemble de schémas mentaux, origine des œuvres humaines, dont nous pourrons trouver la trace superficielle dans les dites œuvres. Nous sommes, nous semble-t-il, dans l'esprit de l'école sociocritique de Montpellier5, qui a étayé largement cette idée.
Ce préambule expliquera pourquoi nous n'avons pas utilisé d'autres outils qui étaient à notre disposition, comme celui de «filigrane», ou d'«implicite», plus classiques mais moins adéquats. L'anamorphose est une déformation volontaire, calculée, qui connaît sa forme la plus aboutie avec Les Ambassadeurs d'Holbein (1533); l'implicite ou le filigrane se dévoilent par transparence ou entre les lignes et n'impliquent pas de déformation. De plus, ils ne sont généralement pas produits sciemment. On pourra, bien sûr, rétorquer qu'il est bien difficile de savoir si Martorell a voulu transformer la mort dans ce que nous appellerons, par commodité, la première partie de l'œuvre. Ce ne sera donc qu'une hypothèse; mais tout bien considéré en sciences, même dures, tout n'est qu'échafaudage mental, vue de l'esprit, et en dernier ressort «poésie»6.
Envisager l'anamorphose de la mort dans Tirant le Blanc nous conduit d'abord à nous interroger sur sa place relative face à l'idée de vie. Nous avons relevé pour ce faire les occurrences des substantifs «vida» et «mort». Nous aurions pu étendre la recherche aux autres catégories grammaticales correspondantes: adjectifs {«viu» vs «mort»}, verbes {«viure» vs «morir»}, mais outre que cela aurait alourdi considérablement notre annexe, le nombre d'occurrences relevées avec les seuls substantifs, S 1010, suffisent amplement à un travail statistique pour en assurer les résultats.
Pour avoir une vision topologique de leur distribution, nous avons divisé le texte en quatre parties d'égale longueur, contenant, à peu de chose près, le même nombre de caractères:
Sur la base des 1010 occurrences relevées, nous pouvons établir les pourcentages respectifs:
Une première remarque s'impose: globalement, avec 56,4%, le substantif vida semble l'emporter sur mort (43,6%). On pourrait en déduire que le sentiment de vie dans Tirant le Blanc est plus fort que celui de mort, mais ce serait aller un peu vite en besogne, car ces deux concepts ne sont pas exactement de même nature; en effet, la mort est vue majoritairement comme un passage; elle est ponctuelle et sans épaisseur, et pour cette raison son poids lexical est bien moins important que celui de notion de vie, qui implique la durée, et qui donc __même transitoire__ peut s'étaler bien davantage dans le texte. Nous n'en voulons pour preuve que le fait de considérer que la vie peut continuer au-delà de la mort (gloire, vie éternelle, etc.). En fait on voit bien que le pourcentage de 43,6 pour la mort a un poids plus grand que les 56,4% de la vie7.
Ceci dit, notre propos n'est pas de comparer «vie» et «mort» dans notre roman, mais de montrer que si, lexicalement parlant, il existe une dépression dans le second quart de Tirant le Blanc, celle-ci ne signifie aucunement que la mort y soit moins présente, mais qu'elle y apparaît déguisée, sous forme anamorphosée en quelque sorte.
Il n'est pas sans intérêt, tant s'en faut, de remarquer que le début de cette brutale dépression se place pratiquement au moment où Tirant découvre Constantinople et que, voyant la Princesse pour la première fois, il est transpercé de la flèche de Vénus, déesse de l'amour. Et que cet affaissement prend fin assez précisément à l'instant où la Veuve Reposée, éprise de Tirant, commence à mentir et à agir avec perfidie pour porter un coup fatal à l'amour que le héros et Carmésine éprouvent l'un pour l'autre8. De sorte que les amants, au sens classique du terme, s'éloigneront l'un de l'autre pour longtemps, une tempête rejetant Tirant sur les côtes d'Afrique, où il sera retenu pendant de nombreuses années.
On pourra constater par ailleurs que vie et mort ne s'opposent pas formellement dans Tirant, pour ce qui est de leur évolution lexicale tout le moins.
Dans Les Ambassadeurs d'Holbein, les personnages sont entourés d'objets qui constituent leur univers. Placé au premier plan, l'un de ces objets forme une masse incompréhensible pour le spectateur non averti, et les personnages eux-mêmes semblent ignorer son existence. Pour voir ce qu'il représente, l'observateur doit regarder de côté, selon un angle précis. Cet objet est donc à la fois présent dans le tableau («cette chose») et absent («qu'est-ce?»), puisqu'on ne sait d'abord ce que c'est. Dans le second quart de Tirant, la mort semble se faire oublier. En réalité il faut la regarder de façon oblique. Les personnages ne la voient pas avec la même acuité que dans la seconde moitié du roman, le lexique en fait foi, mais elle est toujours présente. Elle rôde. Elle avance masquée. Mais comme Argos aux multiples visages, elle présente plusieurs masques que nous essayerons de soulever.
Tirant est transpercé de la flèche de Vénus. Le topique de l'amour archer renvoie dès le début à l'idée de mort. L'amoureux atteint de la pointe acérée est condamné à souffrir mille morts, et plus brutalement, à mourir parfois sans métaphore. Tous les héros cités9 ont connus de cruelles douleurs, dont l'issue a généralement été le trépas. Ici, ce n'est pas {Amour}10, mais sa mère, {Aphrodite}, qui tient l'arc. L'une des raisons en est qu'elle forme un couple d'opposés avec {Arès}, entre éros et thanatos, dont l'écho se retrouve à la naissance de Tirant, né sous le signe de Mars. Amour et mort sont liés. Aimer c'est se livrer à un ennemi féroce qui nous fera périr sans nulle pitié, ainsi que l'affirme le héros breton11. Les auditeurs de Tirant partageaient ce savoir avec l'auteur du roman: ensemble d'échos et de clichés, patrimoine commun offrant au lecteur-auditeur des clés (une perspective) pour pénétrer le sens de l'objet déformé en vision frontale.
La scène où Tirant est percé de la flèche d'Aphrodite est précédée d'une autre scène tout aussi importante, à deux titres au moins: le franchissement du seuil de la pièce où, en compagnie de soixante-dix dames et demoiselles, sont confinées l'Impératrice et Carmésine. L'obscurité renvoie, bien sûr, à la mort, d'autant qu'ici il s'agit d'un acte de deuil __on pleure la mort du fils de l'héritier du trône impérial__. Tout est tendu de noir, les femmes sont enveloppées de voiles noirs comme dans de grands linceuls sombres12. Rien d'étrange là-dedans, vu les circonstances, mais le franchissement du seuil, passage de la lumière-vie à l'obscurité-mort, vient renforcer l'idée de mort: c'est le passage funeste vers le pays de la mort. Or Tirant-Mars est censé apporter la lumière, ainsi que l'y autorise l'Empereur13, mais outre que cette lumière soudaine après une longue obscurité est forcément aveuglante (rechute dans le noir de la cécité), ce qui est aussi un passage vers l'amour n'est que le chemin qui mène à une mort anamorphosée (l'amor, presque homophone de la mort)14.
Dans ce passage capital pour le roman, d'autres signes de mort voilée apparaissent: d'une part nous apprendrons plus loin que le duc de Macédoine dont il est question est mort, d'autre part apparaît la Veuve Reposée, qui par définition même ne l'est que parce qu'elle a perdu son mari.
À la notion de seuil dont l'importance vient d'être signalée, peuvent se rattacher les médecins que l'Empereur envoie secourir Tirant malade. Les hommes de la faculté sont à la frontière qui sépare la vie et la mort; s'ils peuvent soustraire momentanément leurs patients à la mort, une maladresse de leur part peut tout aussi bien les y précipiter plus sûrement. La médecine peut apparaître aussi comme une transgression; la vie n'appartient qu'à Dieu, et seul Lui peut la donner et la reprendre; l'homme qui veut être maître de la vie s'arroge le droit de supplanter son Créateur, prétention dérisoire, orgueil démesuré qui attire les foudres divines: Asclépios est foudroyé par Zeus, Adam est chassé du Paradis par Yahvé. Dans le passage qui retient notre attention, les médecins sont toujours présentés de façon positive: dés que quelque chose ne va pas on fait appel à eux et leur médecine est toujours efficace. On pourrait donc penser que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, si ce n'est que l'homme, par sa science, veut égaler Dieu __péché d'orgueil__, et fuir cette mort qu'il porte en lui.
Toujours à l'idée de seuil est liée celle de justice. Au chapitre CXXIV, l'Empereur charge Tirant de l'administrer pour lui. La justice, dont la représentation est le fléau de la balance, se tient au milieu; elle départage. Mais la justice est aussi la rigueur du glaive pour le condamné: dura lex sed lex15. Elle pourrait donc être, le cas échéant, une mort déguisée. Quoi qu'il en soit, son chiffre symbolique est le huit (8), dont le dessin montre à la fois la symétrie et la gémellité. Selon saint Augustin, au-delà du septième jour vient le huitième, qui marque un ailleurs, celui des justes et de la condamnation des impies. C'est donc un lieu différent du théâtre dans lequel se déroulent nos vies. Un audelà16 qui pourrait dire une forme de mort terrestre.
Le thème de la gémellité dont il vient d'être fait mention est introduit aussi dès le départ, (c. CXIX) avec la présentation de Stéphanie, fille du défunt duc de Macédoine, qui a le même âge que Carmésine et qui a été élevée avec elle. Or ce thème renvoie à la complémentarité et au monde des contraires polaires. Nous nous plaçons ici sur un autre plan que celui du mythe du double, tel qu'il est défini dans un ouvrage comme le Dictionnaire des mythes littéraires (Éditions du Rocher, 1988). Dans la perspective présente, plus que la symétrie, c'est à l'opposition {obscur vs lumineux} que nous renvoie ce thème. L'amour [> la mort] dit (avers lumineux) face à la mort [< l'amour] anamorphosée (envers obscur). L'amour de Stéphanie pour Hippolyte pourra se montrer assez rapidement au grand jour, tandis que celui de la Princesse pour Tirant devra se cacher jusqu'au bout. Cet amour souterrain, renvoie à un ensevelissement.
Le secret présidera donc aux amours de Tirant et de Carmésine. Secret nécessaire, car ils n'appartiennent pas à la même sphère nobiliaire; face à la Princesse, Tirant n'est qu'un simple chevalier, étranger de surcroît, et si son courage lui ouvre les portes d'un avenir prometteur et lui laisse caresser l'espoir d'une rapide ascension, il n'en a franchi pour l'heure que les premiers degrés. La prétention de Tirant à investir le cœur de la Princesse peut être vu comme une transgression. Il entre dans un univers qui lui est normalement interdit, il veut passer le seuil de cet amour fatal. Il est un (h)éros __jeu de mot pertinent__ funeste, puisque sa mort entraînera celle de Carmésine et de l'Empereur; il apporte la mort; né sous l'influence de Mars, il est lui-même la mort, et personne ne le sait17.
Ce
secret obligé donnera naissance à un langage chiffré que
seuls les amants comprendront. Ils pourront ainsi dire sans dire, pouvant
même dire qu'ils n'ont pas dit. C'est le rôle des devises
brodées sur les vêtements, absconses pour autrui, mais comprises
des seuls intéressés: «Una val mill e
mill no valen una.»
[Une en vaut mil et mil n'en valent pas une.]
où le double sens de
mill, à la fois
«mil», la graminée, et
«mil», forme ancienne du numéral
«mille», permet à la Princesse de deviner
l'intérêt que lui porte Tirant, mais elle lui répond par la
même voie
«E la Infanta estava en gonella
d'orfebreria, tota llavorada d'una herba que ha nom amorval, e ab lletres
brodades de perles que entorn eren; e deïa lo mot: Mas no a
mi.»
[L'Infante était en tunique d'or et
d'argent, toute ouvragée d'une plante dont le nom est fleur de la
passion, avet des lettres brodées de perles sur le pourtour, et qui
disaient: Ne veut fleurir chez moi.]
, tout aussi abstrus. Suit un dialogue
voilé, où
la mar recouvre
l'amar, et à la fin duquel la
Princesse fait savoir qu'elle a bien compris ce que Tirant voulait
réellement dire:
«sotsrient-se, perquè Tirant
conegués que ella l'havia entès.»
[souriant pour que Tirant sût qu'elle
l'avait compris.]. Ambiguïté donc du langage qui veut dire ce
qu'il ne dit pas.
Les amants peuvent aussi user de las symbolique des couleurs. À un
moment, Carmésine, dont le nom est d'étymologie assez claire pour
qu'on n'ait point besoin de s'y appesantir,
«ixqué vestida ab una roba del seu
mateix nom»
[entra18,
vêtue d'une robe de son nom même], c'est-à-dire rouge.
«Apparentée au feu, elle [cette
couleur]
est aussi bien un signe d'amour que de guerre, et
représente aussi bien la vie que la mort. Elle est par excellence la
couleur de la planète Mars, qui gouverne les hommes
d'action.»19. De façon plus
prosaïque, au Moyen Âge le rouge représente le beau par
excellence20. Mais, selon
G. MATORÉ,
«Le roge
[sic]
est aussi pourvu de valeurs antinomiques:
foncé, il aboutit au noir, couleur de la mort; au XIVe siècle l'héritier du roi défunt
porte le deuil en rouge, la reine veuve s'habillant de blanc.»
Encore une fois, nous pouvons vérifier le bien fondé de notre
hypothèse de départ: derrière l'apparence se dissimule un
autre sens; derrière la vie frontale, la mort oblique. L'exemple est ici
d'autant plus intéressant que même les protagonistes sont
bernés; dans un premier temps ils se parlent à l'insu des autres,
mais dans un second temps le sens de leur message est subverti et leur
échappe. La seconde phrase de la citation présente un
intérêt légèrement différent mais suggestif;
elle montre les liens cosmiques, pourrions-nous dire, qui unissent Tirant-Mars
et Carmésine21. La couleur blanche est accolée au nom de
notre héros. Les valeurs essentielles attribuées à cette
couleur sont, encore une fois, opposées. Le blanc est autant liée
à la vie22 qu'à la mort23; c'est une valeur limite, il est couleur de passage. Ce qui
nous renvoie encore à l'image du seuil.
Les hyperboles ne doivent pas être prises au pied de la lettre, mais leur choix n'est pas sans importance. En règle générale, l'adjectif «angélique» est appliqué à la Princesse24; il l'est une fois à Tirant25; Le chevalier breton dit précisément au chapitre CXIX que Carmésine se montrait plus angélique qu'humaine26: ce faisant il la soustrait au monde terrestre pour la placer dans un au-delà auquel seules les âmes défuntes ont accès. Il lui fait passer le seuil entre vie terrestre et vie céleste, entre vie et mort, mais sans connotation funeste ici, puisque, comme nous l'indiquons, il s'agit d'une nouvelle vie et que la mort n'est donc alors qu'une renaissance dans la gloire de Dieu. Ce franchissement qui permet d'atteindre un univers merveilleux était déjà annoncé par la description dithyrambique de la porte donnant accès au palais impérial, au même chapitre.
Mais le langage de l'homme ne peut prétendre à la puissance du verbe divin.
Si les actes fondent la renommée du chevalier,
et donc lui permettent d'exister en tant que tel, les vaines paroles,
c'est-à-dire des paroles non suivies d'actes, le laissent dans les
limbes de la chevalerie, lieu de séjour des chevaliers mort-nés.
Dans le passage qui nous intéresse, Diaphébus reproche à
Tirant de vouloir être cru sur ses paroles, c'est-à-dire sans
prouver sa valeur par ses actes: «se mostra que
vós volríeu ésser cregut de vostra simple
paraula»
[il apparaît que vous voulez que l'on vous
croit sur votre seule parole]
(c. CXXI). Dans la tradition biblique seul Dieu, Verbe
par excellence, maîtrise la parole qui vaut acte. L'homme, tout à
son image qu'il soit, n'a pas cette puissance27, de sorte
qu'il doit agir pour faire, se faire et être: «Pensau en los fets, qui són aquells qui us han acusar o
excusar, e la glòria no està en parenceria de paraules, mas en
execució de bé afer»
[Pensez aux faits, qui seuls vous accuseront ou
vous excuseront, car la gloire n'est pas dans la vanité des paroles,
mais dans les nobles œuvres]
(c. CLIV), «sa llaor per
fets la deu mostrar, e no de paraula.»
[s'il veut être digne de louanges, il doit
agir et non parlen]
(c. CXLIII), «car les
paraules dissimulades sens obra difamen l'home»
[car les feintes paroles non suivies d'action
déshonorent l'homme]
(c. CLXXII). Or Tirant, dans ce deuxième quart
du roman, retarde longtemps son engagement militaire, non par couardise, bien
sûr, mais parce qu'il est engagé dans une autre bataille, la joute
amoureuse, et que le théâtre des opérations n'est pas le
même. La mort à laquelle le guerrier s'expose sur le champ de
bataille est bien partiellement absente ici, mais elle est anamorphosée
de deux façons différentes: si Tirant se soustrait bien au risque
de mort physique, quand il néglige ses devoirs de soldat, il joue ce
faisant avec sa gloire, s'exposant ainsi à une mort chevaleresque
possible; d'autre part, comme nous l'avons déjà vu, la
métaphore guerrière de l'amour renvoie à une mort
déguisée. Ses masques peuvent prendre la forme de parties du
corps, ou de déficiences organiques.
Cette mort invisible est aussi celle que fait planer la jalousie du perfide duc de Macédoine, parâtre de Stéphanie, auquel la présence de Tirant fait ombrage. Les sectateurs du Duc sont placés par la Princesse sous l'invocation de Saturne28, la planète délétère, ce qui nous conduit à lier ce duc au dieu correspondant, auquel on alloue le nom de Grand Maléfique29. Il est confondu avec le Cronos grec, qui symbolise, entre autre, la peur d'un remplaçant. Ce qui est le cas du Duc.
Le thème de la jalousie, que l'on retrouve aussi chez la Veuve Reposée, ne relève pas directement de l'anamorphose, car même si la Princesse ne s'en aperçoit pas tout de suite, le narrateur ne cache rien au lecteur-auditeur de la duplicité de la vieille nourrice; tout est visible frontalement. Mais dans l'un comme l'autre cas, cette jalousie trouve son origine dans la stérilité, au sens le plus général du terme. Comme nous l'avons signalé, le Duc n'est pas le père de Stéphanie, et en ce sens il est lié au thème de la stérilité, qui est l'une des facettes de la non-vie, donc de la mort. Cette stérilité n'est pas seulement génitale, mais c'est aussi la stérilité au combat; il ne peut vaincre les ennemis de l'empire et sa jalousie le porte à abattre traîtreusement ceux de son camp qui lui font ombrage par leur courage et leur réussite: c'est: d'abord le fils de l'Empereur qu'il tue en le frappant dans de dos (cf. cc. CXXV & CLIV), puis ce sera au tour de Tirant de risquer la mort sous ses coups perfides (c. CLVII). Pour ce qui est de la Veuve Reposée, elle a été la nourrice de Carmésine, et conséquemment une fausse mère. Elle n'a pas nourri son enfant. À ce titre, elle est stérile: même si dans le monde réel une nourrice doit avoir enfanté pour pouvoir allaiter, dans l'univers de signes du roman, ses enfants virtuels ne sont jamais cités. C'est ce qui importe ici. Sa stérilité apparaît aussi dans son échec à séduire Tirant. Dans son combat amoureux, elle est aussi stérile que le duc de Macédoine sur le champ de bataille. Pour prendre une image inverse de celle de la Veuve Reposée, nous citerons l'Impératrice: vraie mère __trois de ses enfants sont nommés__, elle sait réveiller l'amour (?) du jeune Hippolyte. Elle est le positif vital de la veuve. Elle survivra d'ailleurs à l'Empereur son époux, à sa fille Carmésine et à Tirant. Mais les symboles de la maternité __seins, ventre...__ peuvent aussi être ambivalentes.
Pour ce qui est des seins-pommes de Carmésine,
par lesquels l'amour envahit brutalement le cœur de Tirant, ils
mériteraient à eux seuls une longue étude pour en saisir
toute l'importance dans le roman. Mais ce qui nous intéresse ici c'est
la valeur ambivalente de ces doux attributs féminins. Associé au
lait, source de vie30, le sein représente la
plupart du temps la maternité, la douceur, la sécurité,
l'abondance; non obstant, il offre aussi une face obscure:
«Comme la pomme
__et c'est bien ainsi que sont
nommés les seins de Carmésine__31,
il est le fruit symbole de vie, de bonheur, mais
aussi de mort et de tristesse, éléments contraires et
indissociables de la destinée humaine»
32. Il n'y a rien là qui puisse nous
étonner vraiment, quand on sait que même la mère peut
porter en elle une part de mort33.
La
valeur du ventre est généralement positive dans Tirant. C'est le
plus souvent le sein maternel qui donne la vie. Mais il peut être
siège de douleur34, ou même renvoyer
à l'histoire de Jonas, comme au chapitre CLXXVII où, parlant de
Diaphébus, prisonnier des Turcs, et promettant à Stéphanie
de le libérer, Tirant dit «E com sia
allà, si ell estava dins un ventre de peix, jo et ne trauré e
trametré'l-vos.»
[S'il s'y trouve, quand bien même serait-il
dans un ventre de poisson, je l'en tirerai et le remettrai entre vos
mains.]
(c. CLXXVII). Or Jonas dans le ventre du grand
poisson, c'est la mort initiatique, c'est le symbole de la mort du Christ et de
son ensevelissement (suivis, bien sûr, de sa résurrection, trois
jours après). Ailleurs dans
Tirant, c'est un simple lieu de
sépulture marine: «Menor pena me seria
estada que en la tempestuosa mar hagués rebuda sepultura en lo ventre
d'un peix.»
[J'aurais moins souffert si, dans la mer
tempétueuse, il avait reçu sépulture dans le ventre d'un
poisson.]
(c. CCXCIX). Sans être malgré tout
franchement négatif dans sa facette noire, le thème du ventre
peut se rapprocher de celui du puits de la mort35, qui plonge dans les
entrailles de la Terre et fait communiquer avec le séjour des morts.
D'autres objets, comme dans le tableau d'Holbein, peuvent renvoyer à la mort.
Le corbeau que Tirant fait peindre sur la bannière n'a évidemment pas pour lui de sens néfaste36. C'est la vision frontale; de façon oblique ici, cet oiseau est porteur de mauvais présages et annonce la maladie et la mort37. Il faut penser à ces nuées de corbeaux qui s'abattaient sur les gibets (cf. «Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez // Et arraché la barbe et les sourciz.», Ballade des pendus de Villon) et les champs de bataille transformés en charniers. La devise latine qui accompagne cette bannière dans le passage même, «Avis mea, sequere me, quia, de carne mea vel aliena saciabo te.» __qui pourrait être rendu par: «Mon oiseau, suis-moi, car je te rassasierai de ma chair ou de celle d'autrui»__, renvoie à ce travail de charognard du corvidé. Par ailleurs et très curieusement, dans la mythologie grecque, le corbeau est blanc à l'origine, et ce n'est qu'à la suite d'une malédiction que lui lance Apollon, pour le punir de ses indiscrétions, qu'il prend cette couleur noire de mauvais augure38. Nous sommes tentés de voir là encore un parallélisme avec le destin tragique de Tirant le Blanc, pour qui le noir à venir représentera la mort cruelle.
Au chapitre CXXVII apparaît le miroir que Tirant offrira à la Princesse pour, très adroitement, lui déclarer son amour. Dans la tradition médiévale, le miroir présente des valeurs essentiellement positives; ainsi, il est reflet de la parole divine et moyen de la comprendre39, il est en relation avec l'intelligence qui réfléchit, qui spécule (déverbal de speculum). Cependant il peut occasionnellement et contextuellement prendre une valeur négative. Outre qu'il est l'attribut de Luxuria (la luxure, la vanité), comme l'écho il est le symbole de la gémellité40, dont nous avons vu plus haut la valeur ici. Quant à l'analogie eau-miroir, elle nous renvoie immanquablement au mythe de Narcisse, dont on connaît la fin tragique, fin que la Princesse n'ignore pas41. C'est enfin le seuil d'un Au-delà qui peut être le royaume des morts. Le caractère trompeur du miroir est présent au chapitre CCLXXXIII de Tirant, lorsque la Veuve Reposée utilise deux glaces pour abuser le chevalier breton, qui, en proie à une fureur homicide, tuera le pauvre Lauseta.
L'eau apparaît également sous la forme de la rivière près de laquelle Tirant ira se promener et où il contractera la maladie qui l'emportera (c. CDLXVII). La rivière aussi est une démarcation, donc un seuil. Charon, le nocher des Enfers, fait traverser l'Achéron aux âmes des défunts. D'autres fleuves effrayants cernent le royaume d'Hadès: le Styx, le Pyriphlégéton, le Cocyte, qui tous marquent les bornes de l'Empire des Morts. Dans Tirant, son caractère morbide apparaît nettement au c. CLXII, où Stéphanie se plaint de ce que l'air de la rivière lui a fait mal42.
Tirant
présente une propension évidente à choir: il tombe des
échelles (c.
CLXI), il tombe en abandonnant
précipitamment la chambre de la Princesse (c. CCXXXIII), il tombe de son
cheval (c.
LXVII,
LXXIII,
CLVII, CLXIII), il tombe dans un
fossé (c.
CXIV)43, il tombe de
sa hauteur (c. CCXC, CCCI), il tombe sous l'effet de l'émotion (c.
CCCLVII, CCCXCIX); bref, il tombe beaucoup. Cela est sans doute normal pour un
chevalier qui s'expose au danger, mais Tirant semble souvent tomber par
maladresse ou par malchance44. Et il se blesse souvent
en tombant. Le caractère prémonitoire de la chute est
évident pour les Maures qui voient Tirant s'affaler sur le sol:
«Açò és un gran mal senyal.
Com aquest catiu crestià és caigut ab los braços estesos,
poca serà la sua vida.»
[Voilà un signe néfaste. Ce
chrétien est tombé les bras tendus: sa vie sera courte]
(c. CCCI). Elle apparaît bien ici comme une mort
anamorphosée, qui renvoie à «la chute de l'homme»,
expression désignant les conséquences de la faute d'Adam45, dont l'une, et non des moindres,
sera la perte de l'immortalité édénique46. Comme Alexandre auquel on le compare (c. CXXXII
& CLXXII) et dont la vie fut de courte durée, puisqu'il mourut
à l'âge christique de trente-trois ans, Tirant est mortel parmi
les mortels, et sa mort précoce est annoncée sans que personne ne
la voie.
Tirant demande un sauf-conduit à la
Princesse
(c. CLIX), comme s'il risquait quelque chose à se
montrer devant elle. Ce n'est, bien sûr, qu'un jeu amoureux, mais de
façon oblique cela montre qu'il peut y avoír un danger invisible
dans le lieu le plus sûr en apparence. Au chapitre CXLIII, Abd Allah
Salomon rappelle à Tirant qu'un ennemi peut être visible ou
invisible: «e tostemps deuen ésser en guerra
d'enemic visible e invisible.»
[et ils doivent être toujours en guerre contre
leur ennemi, qu'il soit visible ou invisible.]
. Ce laissez-passer, la
Princesse le déchirera, le jugeant inutile et demandé par
caprice. Après cela, et de façon oblique, Tirant se trouve
à la merci de l'invisible ennemi, de la mort. Elle vient frapper
justement dans son entourage immédiat, l'atteignant dans ses affections,
en particulier avec la mort de Richard, ancien rival devenu son frère
d'arme après lui avoir sauvé la vie
(cf. c.
CXIV), rempart qui s'écroule entre le chevalier breton et la
mort. La mort semble jouer avec Tirant. Lors des joutes qui ont lieu en
l'honneur des ambassadeurs du Sultan
(c. CLXXXIX), Diaphébus, devenu
Connétable, combat de façon anonyme. Il vient de vaincre deux
ducs, mais lorsque Tirant se présente dans la lice, il refuse le combat;
à son cousin, qui ignore son identité, il fait tenir cette
réponse: «Digau a aquell qui us tramet a mi:
lo que jo he fet és per cortesia, mas que tinga bé esment a si
mateix, car així com he fet dels altres, altre tal faré
d'ell.»
[Dites à celui qui vous envoie à mol:
ce que j'ai fait, je l'ai fait par courtoisie, mais qu'il prenne garde à
lui, car le sort que j'ai fait subir aux autres, je le lui feral subir
aussi.]
. Ce Diaphébus anonyme renvoie à la mort
cachée, et sa réponse prend valeur d'avertissement. La mort
frappera Tirant quand elle l'aura décidé, et il n'y pourra
rien.
Les
limites imposées par l'exercice que nous avons abordé,
contribution à un colloque, ne nous permettront pas de fouiller
davantage le sujet abordé. Mais les éléments
dégagés suffisent à montrer que tout semble bien indiquer
que, dans le deuxième quart de
Tirant, la mort dite n'est pas la vraie mort,
que la vraie mort est celle qui est tue et qui n'apparaît que
masquée par des signes ambigus, qui ne livrent leur véritable
sens que si on les regarde selon une certaine perspective. Cela a-t-il
été voulu par Martorell? Question oiseuse en définitive,
car en littérature l'intention de l'auteur n'apparaît pas aussi
clairement que dans les arts picturaux, où une belle et franche
anamorphose ne peut être le fruit du hasard; mais il est tout à
fait improbable que la dépression du mot «mort» que nous
avons décelée dans le deuxième quart du roman, et qui est
bornée de façon si précise dans le déroulement de
la narration, puisse être fortuite. À défaut d'une
volonté claire, il faut que l'auteur ait obéit à un
schéma mental propre à son lieu et à son temps
(hic et nunc), dont la manifestation la
plus brillante
__Les Ambassadeurs
d'Holbein__ n'allait pas tarder à prendre corps.
Mais ce ne pourrait être là qu'un artifice dont la signification
n'aurait pas encore été élucidée. L'existence d'une
mort visible et d'une mort anamorphosée invisible en vision frontale
renvoie, d'une part à la notion de
memento mori, objet sensible et
ostentatoire, d'autre part à celle de présence intime,
imperceptible, cachée et cependant terriblement inéluctable dont
l'homme veut oublier la terrible fatalité. C'est un commentaire
concordant que fait Jean-Louis FERRIER dans son étude ayant pour sujet
Les Ambassadeurs: «Il y a deux compositions
superposées dans Les Ambassadeurs,
l'une montrant la splendeur humaine, l'autre
[le crâne anamorphotique],
la mort qui rôde et que l'homme ne veut pas
voir.»
47. Si la
présence visible est moindre que dans les autres parties, c'est que
l'idée de la mort est combattue, qu'elle veut être niée,
qu'elle est en tout état de cause crainte, de la bouche même de
Carmésine48; le moindre cas qu'on en
fait n'a d'autre but que de la conjurer en la banalisant. Mais elle resurgit
alors de façon voilée dans des représentations (amour,
mère...) dont elle pervertit le sens. Les personnages, et en particulier
Tirant, sont devant elle mais ils ne la voient pas49. En
ce sens,
Tirant s'inscrit parfaitement dans une
perspective chrétienne, ce qui fait que l'Eglise ne l'a jamais
condamné ni mis à l'index, malgré certaines scènes
d'un érotisme crû. C'est que le chrétien trouve là
une illustration de la vanité à vouloir atteindre la gloire en ce
bas monde: Tirant meurt d'une pleurésie avant d'avoir pu jouir du fruit
de ses efforts. Les hommes doivent s'en souvenir.
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Occurrences du substantif «mort» en contexte: immédiat:
__la mort | 59 | 33 | 62 | 77 |
a mort | 1 | 0 | 0 | 0 |
a mort determenada | 1 | 0 | 0 | 0 |
a mort miserable | 1 | 0 | 0 | 0 |
a mort vituperosa | 1 | 0 | 0 | 0 |
Ai mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
altre remei que mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
aprés mort d'ella | 0 | 0 | 0 | 1 |
aprés mort del pare | 0 | 0 | 0 | 1 |
aprés mort sua | 0 | 0 | 0 | 1 |
aquesta mort | 1 | 0 | 0 | 0 |
bona mort | 1 | 0 | 0 | 0 |
causa de mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
certa mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
congoixava de mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
crudelíssima mort | 0 | 1 | 0 | 0 |
cruel mar de mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
cruel mort | 2 | 1 | 6 | 4 |
dada, de mort | 0 | 1 | 0 | 0 |
dar mort | 0 | 1 | 0 | 1 |
dar-los mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
dar-me mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
daré mort | 1 | 1 | 0 | 0 |
darem primerament mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
de mort a vida | 1 | 0 | 1 | 0 |
de mort no poden ésser estalvis | 1 | 0 | 0 | 0 |
de mort sobtada | 0 | 1 | 0 | 1 |
de mort vituperosa | 1 | 0 | 0 | 0 |
de mort, o la cama llevada | 0 | 0 | 1 | 0 |
deshonrada mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
desitjós de resposta, o mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
dolça mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
dolorosa mort | 1 | 0 | 0 | 2 |
donar mort | 0 | 1 | 0 | 0 |
donau mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
donem-li mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
dones mort | 0 | 1 | 0 | 0 |
dubte de mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
dura mort | 0 | 0 | 1 | 1 |
en mort i en vida | 0 | 0 | 1 | 0 |
enemiga mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
executadora de mort | 1 | 0 | 0 | 0 |
fer mort e vida | 0 | 0 | 1 | 0 |
fosca mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
gloriosa mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
injusta mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
l'espantable mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
la mia mort | 2 | 5 | 10 | 2 |
la sua mort | 5 | 1 | 4 | 3 |
la vida e mort mia | 1 | 0 | 0 | 0 |
la vida vostra e mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
li sia dada mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
lliberada de mort | 1 | 0 | 0 | 0 |
llibertat de mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
llinatge de mort | 0 | 1 | 0 | 0 |
lo viciós viure és mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
mala mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
matèria de mort | 0 | 1 | 0 | 0 |
mereix mort | 1 | 0 | 0 | 0 |
mereixedora de mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
més cruel que mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
més greu que mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
millor mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
millor que mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
mort amargosa | 1 | 1 | 0 | 0 |
mort cruel | 1 | 0 | 2 | 2 |
mort delitosa | 0 | 0 | 1 | 0 |
mort e passió | 1 | 0 | 1 | 2 |
mort me representa | 0 | 0 | 1 | 0 |
mort miserable | 1 | 1 | 0 | 0 |
mort no merita | 0 | 0 | 1 | 0 |
mort o glòria | 0 | 1 | 0 | 0 |
mort te donaren | 1 | 0 | 0 | 0 |
mort te'n seguirà | 0 | 0 | 1 | 0 |
mort trista | 0 | 0 | 0 | 1 |
nafrat de mort | 0 | 0 | 0 | 2 |
negra mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
obligat de mort | 0 | 1 | 0 | 0 |
Oh mort | 1 | 0 | 1 | 1 |
pena de mort | 2 | 0 | 0 | 0 |
pendran mort | 1 | 0 | 0 | 0 |
pendre mort | 2 | 1 | 1 | 1 |
per mort de | 0 | 0 | 0 | 1 |
per mort de l'altre | 0 | 0 | 0 | 1 |
per mort natural | 1 | 0 | 0 | 0 |
per mort sua | 0 | 0 | 0 | 1 |
perill de mort | 3 | 2 | 3 | 3 |
pitjor que mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
prengué mort | 0 | 1 | 0 | 0 |
prengués mort | 0 | 1 | 0 | 0 |
presta mort | 0 | 0 | 2 | 3 |
qui de mort... | 0 | 1 | 0 | 1 |
reposada mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
sacratíssima mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
segura de mort | 1 | 0 | 0 | 0 |
sens mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
sentència de mort | 1 | 2 | 0 | 0 |
si mort no te'n segueix | 0 | 0 | 1 | 0 |
si tem mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
sinó de mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
sots pena de mort | 2 | 2 | 0 | 1 |
ta mort | 0 | 0 | 0 | 1 |
tant a mort | 0 | 1 | 0 | 0 |
temor de mort | 1 | 1 | 1 | 1 |
trista mort | 0 | 1 | 1 | 0 |
vida dolorosa o mort | 0 | 0 | 1 | 0 |
vida e mort | 1 | 0 | 1 | 0 |
vida o mort | 2 | 1 | 0 | 0 |
virtuosa mort | 0 | 0 | 0 | 1 |