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Traduction, adaptation et distorsion: Ramón de la Cruz et Marivaux

Nathalie Bittoun-Debruyne


Universitat de Lleida



Parler de traduction au XVIIIe siècle, l'âge par excellence des belles infidèles, c'est évoquer une bien autre chose que le passage d'un texte d'une langue à une autre, d'une culture à une autre. À cette époque, l'Espagne s'ouvre aux influences étrangères et à la France en particulier, comme, d'ailleurs, la plupart des nations européennes (voir Donaire & Lafarga 1991 et, plus spécialement, Fernández & Nieto 1991); les traductions du français sont innombrables, dans tous les domaines, dont celui du théâtre (Lafarga 1983-1988). Si, de nos jours, ce phénomène suscite de nombreuses réflexions et de non moins nombreuses polémiques, que dire du Siècle des Lumières où l'activité traductrice fut d'une rare intensité, où les manuels, les traités et les idées sur ce thème abondaient, et où toute liberté pouvait aussi facilement être censurée que chaudement recommandée? (Urzainqui 1991) Et si, qui plus est, nous nous plongeons dans le domaine du texte théâtral1, le respect de l'original peut devenir quelque chose d'anecdotique; en effet, il est remarquable de constater comment la traduction littérale côtoie souvent la plus libre des adaptations: loin de respecter la propriété intellectuelle -une idée encore trop moderne pour l'époque- ou l'oeuvre en tant que telle, le traducteur n'hésite pas à inventer, supprimer ou altérer, et ne travaille qu'en fonction de la culture de réception -généralement la sienne- et de ses propres intérêts, qu'ils soient économiques, idéologiques, ou les deux choses à la fois2.

C'est selon cette orientation que nous allons comparer les pièces originales de Marivaux et les sainetes qu'elles sont devenues une fois passées par la plume du fameux Ramón de la Cruz, un auteur qui, de son vivant, fit déjà couler beaucoup d'encre sur sa manière d'écrire le théâtre et de «traduire» du français ou de l'italien en citant rarement, comme c'était l'usage, les auteurs de son inspiration (Molière, Favart, Carmontelle, Legrand, Panard, Metastasio)3. En fait, dans le cas des sainetes, il n'a jamais cité ses sources; toutefois, pour le catalogue de Sempere y Guarinos (1785: II, 232-238), il en a signalé certains en reconnaissant soit que c'étaient des traductions, soit qu'il en avait emprunté l'idée ailleurs (mais toujours sans préciser).

Bien que, dans la perspective de l'étude comparatiste, la personnalité du traducteur et ses circonstances soient des données fondamentales pour juger d'une traduction, nous n'avons guère le temps ici d'approfondir sur Ramón de la Cruz et le sainete dans l'horizon théâtral de la seconde moitié du XVIIIe à Madrid. Il convient cependant d'insister sur la brièveté du genre (un sainete ne pouvait durer que 25 minutes maximum), son extrême popularité entre le public (Andioc 1976: 32-34), ainsi que sur la tradition qui l'accompagnait (Asensio 1965; Sala 1994), une tradition que Ramón de la Cruz contribua justement à transformer au point de le réorienter et de le moderniser en l'adaptant à la société et à la réalité de l'époque.

Étant données les caractéristiques des sainetes (brièveté, rapidité et unicité d'action, personnages architextualisés ou dotés de traits caricaturaux facilement reconnaissables, moeurs contemporaines de celles du public), il n'est guère étonnant que Cruz ait choisi justement trois oeuvres de Marivaux (Bittoun a) qui, à l'époque étaient classées comme «petites pièces», c'est-à-dire, selon H. Lagrave, «les comédies en un acte ou en trois» (1972: 350). En fait, la plupart des caractéristiques des petites pièces sont aussi celles des sainetes, et leur utilisation par les troupes théâtrales de l'époque poursuit les mêmes buts: renouveler les programmes et attirer le public sans avoir à changer la pièce principale, surtout si celle-ci n'obtient pas le succès espéré. Les idées exposées pour la France peuvent aussi bien s'appliquer à l'Espagne et à l'oeuvre de Cruz:

Le genre répond à un besoin, et la valeur du soutien qu'il apporte, notamment aux nouveautés, n'échappe ni aux auteurs, ni aux comédiens. [...] us n'ignorent pas que c'est le caractère populaire, propre à la farce, de la petite pièce, qui attire le parterre, sans pour autant effaroucher les loges. [...] Les formes que peut prendre la petite pièce sont multiples [...]: satires de moeurs, «dancourades», pièces «à tiroirs», prologues, pièces critiques ou polémiques, petits-opéras-comiques ou parodies.


(Lagrave 1972: 357-359)                


Il faut cependant préciser que les petites pièces, à l'exception des prologues, étaient toujours représentées après la grande pièce, comédie ou tragédie en cinq actes, tandis que les sainetes occupaient l'espace des entractes (en principe, entre le deuxième et le troisième acte) (Bittoun b).

L'école des mères, 1732 (Marivaux 1989-1992: II, 3-38), L'héritier de village, 1723 (I, 545-578) et le Triomphe de Plutus, 1728 (I, 729-762) devinrent ainsi respectivement El viejo burlado, 1770 (Cruz 1915-1928: II, 155-160), El heredero loco, 1772 (TI, 216-223) et El triunfo del interés, 1777 (Cruz 1786-1781: IX, 293-341)4. Il convient de signaler que ces comédies en un acte avaient été écrites pour les Italiens, dont la pratique théâtrale et la «mise en scène» se prêtaient beaucoup plus à ce type de pièces que le jeu plus guindé et codifié des Comédiens Français; d'ailleurs, bien que ces derniers aient été conscients de la popularité et du succès des petites pièces, ils avaient tendance à les mépriser et les faisaient souvent interpréter par les «petits comédiens» de la compagnie. Par contre, il est plus aisé de rapprocher le travail de la voix et du corps des Italiens de celui des acteurs de sainetes qui, à leur tour, étaient souvent les mêmes que ceux de la pièce principale5.

Si l'on compare de près les pièces de Marivaux des sainetes de Cruz, certains aspects sautent immédiatement aux yeux, mais le principal est celui-ci: à côté de passages traduits presque mot à mot -et qui révèlent une profonde connaissance du français et de ses nuances- se trouvent des infidélités des plus audacieuses qui vont au-delà de la simple suppression que justifierait le conditionnement temporel de la représentation. Il ne s'agit pas de simplifier, ou pas seulement. Si certains personnages disparaissent pour agiliser le récit, d'autres apparaissent qui le compliquent. Si certaines scènes sont éludées, d'autres viennent prendre leur place, ou bien l'on évoque une nouvelle péripétie. Et Cruz va même plus loin: il bouleverse complètement la mentalité et le caractère de quelques personnages, rajoute des comparses, bouscule les conventions marivaudiennes en changeant les dénouements, tire sa propre morale de faits inexistants dans l'original... Voilà donc pourquoi, du point de vue de notre étude, il est aussi important d'analyser ce qui disparaît que ce qui apparaît et, surtout, ce qui se transforme: car tous les éléments deviennent significatifs, dans la mesure où Ramón de la Cruz démontre sa maîtrise des deux langues et, donc, combien ses choix sont motivés et loin d'être gratuits ou uniquement simplificateurs.

Dans les trois cas, la petite pièce est automatiquement coulée dans le moule formel du sainete et en adopte les particularités, comme la structure binaire décrite par J. Dowling (Cruz 1986: 29). La première partie commence par une scène initiale qui sert à présenter certains personnages et le conflit, scène souvent agrémentée d'une partie musicale. Le dénouement, généralement très bref (comme chez Marivaux), permettait aux acteurs de prendre directement contact avec leur public en leur annonçant un petit intermède musical ou dansé, très apprécié, et sans jamais omettre la captatio benevolentiae que Cruz savait habilement varier. Ce type de contact, même dans les pièces de Marivaux suivies d'un vaudeville ou d'un divertissement, n'avait jamais lieu, et l'intermède musical s'inscrivait dans la structure de la pièce elle même dont il évoquait d'ailleurs l'argument et le message à travers les paroles que chantaient les acteurs (malgré tout, bien que le texte n'en fasse aucune mention, il est peu probable que les acteurs du Théâtre-Italien se soient gênés pour s'adresser au public, une habitude qui sévissait même à la Comédie-Française et qui était fort blâmée par les théoriciens et les dramaturges de l'époque car, pour eux, elle rompait l'illusion théâtrale).

D'autre part, il ne reste dans le texte espagnol absolument aucun indice ni aucune trace de l'original en français: le degré d'adaptation est au maximum. Mais plus encore: si, pour des raisons de réduction imputables à la limitation temporelle du genre, certains personnages disparaissent (le valet Champagne de L'école des meres, ou le clerc de procureur Griffet de L'héritier de village), ce qui est compréhensible, d'autres changent tout à fait de personnalité ou surgissent de la plume de Cruz sans rien devoir à Marivaux.

Dans El heredero loco, par exemple, la fille de Diego, le paysan enrichi par un héritage -au lieu de suivre les pas de la futile Colette, son personnage chez Marivaux- préfère à toutes les richesses de son père et à la noblesse présumée d'un prétendant intéressé (comme il le démontrera plus tard) l'amour de son fiancé, le paysan Juan Lorenzo qui, de son côté, n'éprouve aucune passion envers la nouvelle fortune de son futur beau-père et, bien sûr, n'a pas son homologue dans la pièce française. D'autre part, ces deux personnages s'inscrivent parfaitement dans la nouvelle vision des paysans que Ramón de la Cruz propageait dans ses sainetes, «cette vision du paysan -de la paysanne surtout- simple, souvent fruste, mais pur et vertueux, qui devient le garant des valeurs morales que les modes citadines ont corrompues» (Coulon 1993: 502)6. Par contre, chez Marivaux, la peinture du vent de folie qui s'empare de toute la famille sans exception tend à justifier le raisonnement de P. Pavis (1986: 442) pour qui le dramaturge «se moquait [...] des vertus bourgeoises et villageoises des paysans; il les voyait fondre au soleil de l'ascension sociale». C'est toujours dans ce sainete qu'apparaît un autre nouveau personnage: le secrétaire de la Mairie, qui sait lire et écrire et qui, aux côtés des deux précédents, représente le bon sens et la sagesse, au point qu'il sera le deus ex machina chargé de résoudre le conflit et de rétablir le bon ordre, dans une scène finale qui ne reprend celle de Marivaux que pour retourner le dénouement en l'adoucissant (Coulon 1993: 541). De toutes manières, ni Marivaux ni Ramón de la Cruz, en tant qu'hommes de leur temps, n'approuvaient les déclassements sociaux, quels qu'ils soient, et ils critiquaient tous deux ces mariages visant à redorer les blasons au prix d'une mésalliance ou les ascensions sociales qui n'étaient dues qu'au pouvoir d'un argent parfois obtenu dans de troubles circonstances.

Dans El viejo burlado, adaptation de L'école des meres, l'intention de Cruz se dégage déjà du changement du titre. Pour Marivaux, et Frédéric Deloffre nous le confirme, il s'agissait du problème «de l'éducation des enfants, déjà abordé dans le Spectateur français, et spécialement de l'éducation des filles. [Pour lui], la communication entre parents et enfants est une nécessité fondamentale de l'éducation» (Marivaux 1989-1992: II, 4-5).

Ce n'est pas le message que nous communique Cruz: le vieux prétendant qui, chez Marivaux, n'est pas «un vieillard poitrinaire et ridicule» devient ici beaucoup plus vieux et s'inscrit dans la tradition du barbon assoiffé de jeunesse, un personnage architextualisé que le public identifiait immédiatement et s'attendait à voir sur scène d'après le titre. Comme il s'attendait aussi au triomphe de l'amour et des jeunes gens7, non pas à travers une opposition frontale à l'autorité des parents, sinon grâce aux intrigues des domestiques, comme l'indiquait le sous-titre ó lo que son criados. Et c'est là que les intentions divergent radicalement: Marivaux et Cruz prétendent donner une leçon aux parents et aux mères en particulier, mais si l'optique du premier vise à conseiller une meilleure communication entre les générations, le message du second est tout autre. Il s'agit là de conseiller de bien choisir ses domestiques, afin d'éviter les intrigues souvent suscitées par leur vénalité8. Pour mieux appuyer son argument, Cruz accentue les traits vénaux et l'esprit d'initiative dans sa peinture de la servante et, surtout, dans celle du valet.

Quant au Triomphe de Plutus, une allégorie mythologique fort dans le goût français de l'époque (Lagrave 1972: 218-219), si l'adaptation de l'argument réalisée par Ramón de la Cruz est assez fidèle, c'est cependant en en éliminant d'abord toute trace allégorique, selon son habitude (Andioc 1976: 60). Mais ici encore, il va plus loin: la leçon que Plutus donnait aux humains et, à travers eux, à Apollon lui-même, devient ici aussi le triomphe de l'argent et de l'intérêt par-dessus l'amour ou le bel esprit; mais D.ª Laura, D. Pedro et D. Celedonio sont peints sous un jour plus indulgent qu'Aminte, Armidas et Plutus, tandis que D. Sinforiano devient un piètre coureur de dots. D'où il ressort que le triomphe de D. Celedonio est beaucoup plus compréhensible et moral que celui de Plutus.

Les quelques exemples que nous venons de survoler, quant aux personnages et quant aux morales et aux dénouements, ne sont en réalité que la pointe d'un iceberg: une comparaison exhaustive des six pièces apporte encore plus d'éléments de référence qui corroborent ce que nous avancions au début de cet exposé: pour Ramón de la Cruz, le texte original ne devient en fait qu'un tremplin, qu'un point de départ; un canevas idoine pour y broder sa vision du monde, la cible de ses critiques et le pré-texte à une nouvelle pièce, adaptée à ses besoins et à ceux de son public. Peu soucieux des connotations du texte original, il se livre à une sélection et à une réécriture qui, au-delà de l'adaptation, devient dans certains cas une totale distorsion.

Pourtant, malgré la schématisation qu'exige une communication comme celle-ci, il serait impardonnable de ne pas citer un autre des éléments de distorsion que Cruz a appliqué aux textes de Marivaux: la satire des nouvelles moeurs de ses contemporains9. De la sorte, dans le monde littéraire, certains personnages archétypiques symbolisaient ces innovations entre lesquelles les traits les plus dominants étaient certainement l'afrancesamiento, le cortejo, la fureur consommatrice de mode, le goût du luxe, et le refus de respecter les anciennes règles de conduite qui gouvernaient avant la vie des hommes et, surtout, celle des femmes. C'est ainsi que les pages de publications en tous genres et les scènes des théâtres commencèrent à se peupler de petimetres, petimetras, cortejos, abbés de cour, usías et similaires. Cette satire sociale, qui pouvait aller de la simple raillerie à la critique la plus virulente, s'interprète parfois erronément comme un élan gallophobe. Il est certain que la plupart de ces «importations» venaient de France, mais s'il existait sans doute un sentiment d'aversion envers les Français au XVIIIe, surtout issus d'une tradition historico-littéraire antérieure, les changements politiques et les influences idéologiques avaient quelque peu pallié cette inimitié. De toutes manières, ceux que visaient les caricatures étaient, beaucoup plus que la France ou les Français, les contemporains affectés de gallomanie furibonde ainsi que les représentants de la classe moyenne qui singeaient l'aristocratie raffinée et se prenaient pour des arbitres d'élégance et de bon goût, dont les nouvelles libertés de conduite choquaient un secteur plus traditionnaliste.

Cette idéologie critique se trouve aussi chez Ramón de la Cruz et son public sait lire immédiatement les connotations d'un petimetre chargé de montres et de breloques, ou d'un type de danse, ou d'un certain vocabulaire, ou de certains attributs vestimentaires, linguistiques ou gestuels. De son côté, Marivaux avait aussi critiqué certaines attitudes qu'il jugeait reprehensibles (surtout dans ses Journaux, mais aussi dans son théâtre). Cependant, les deux auteurs ne coïncideront qu'une seule fois dans leur critique: l'un des passages les plus fidèlement traduits de L'héritier de village est précisément celui où Biaise expose à Claudine la «nouvelle vartu» qu'ils devront adopter, maintenant qu'ils sont riches, exposé qui n'est autre que la description et l'apologie de l'infidélité et des relations extramatrimoniales, ainsi que la réfutation de l'amour dans le couple. Cette pratique, fidèle reflet d'une partie de la société française, faisait fureur en Espagne sous le nom de cortejo, bien qu'elle fût très mal vue par les autorités politiques et ecclésiastiques. Ceci explique sans doute pourquoi El heredero loco ne put être représenté qu'après avoir subi la censure de toute la scène en question10.

Mais Cruz ne s'est pas limité à reprendre ce qui l'intéressait: il a utilisé ces attributs pour marquer rapidement certains personnages qui, dans l'original de Marivaux, ne portaient aucune connotation de ce type. Ainsi, Arlequin devient un «lacayo petimetre francés». Don Sinforiano sera aussi un petimetre face à qui s'érigera la peinture généreuse de D. Celedonio, un personnage qui nous rappelle ce que dit Andioc (1976: 150-151) du financiero, dont la brusquerie et le manque de raffinement évoquent le langage direct et sans ambages du majo ou du guerrier et, donc, l'adversaire naturel du petimetre (Gonzalez Troyano 1990). Comble de la distorsion, c'est aussi dans la peau d'un petimetre que se glissera le Chevalier gascon de L'héritier de village, un personnage hérité de la tradition du miles gloriosus et, donc, aux antipodes de ces petits messieurs excessivement délicats. Mais plus encore: ce rôle, sans que les besoins de la troupe l'aient exigé, sera interprété par une actrice qui, n'en doutons pas, n'aura pas manqué de charger son jeu et de ridiculiser le raffinement excessif du jeune homme.

Et si Colette, la fille de Biaise, se prêtait sans aucun mal aux nouvelles prétentions de ses parents, rappelons que la fille de Diego n'en fera pas de même, au contraire: elle revendique les valeurs traditionnelles, et s'érige ainsi en personnage sensé et positif. Cette attitude rappelle clairement le caractère et le tempérament propres aux majas, les compagnes des majos qui, créés pour faire face aux innovations venues de l'étranger, pensaient représenter une Espagne authentique, la plus castiza possible.

Evidemment, rien de tout ceci ne se trouvait dans le texte de Marivaux, loin de là, puisque d'ailleurs, en France, même si l'on raillait les petits-maîtres (Marivaux 1955; 1989-1992: II, 145-158), cette question d'identité n'existait pas. La cible des rires et des quolibets se situe bien dans la Péninsule, et c'est de certains de ses contemporains que Ramón de la Cruz se moque, beaucoup plus que des étrangers d'outrePyrénées. Il ne mentait pas en répondant à ses détracteurs qui l'accusait de s'être borné à traduire des farces françaises:

No me «he limitado á traducir» y quando he traducido, no me he limitado «á varias farsas Francesas particularmente de Moliere, como el Jorge Dandin, el Matrimonio por fuerza, Pourcegnac...». De otros Poëtas Franceses é Italianos he tomado los argumentos, escenas y pensamientos que me han agradado, y los he adaptado al Teatro Español como me ha parecido.


(Cruz 1786: LVD)                


En fait, il nous dit en quatre lignes ce que nous nous sommes évertués à démontrer; cependant, il nous apporte encore quelque chose de plus, et c'est sa conscience d'écrivain, de traducteur, d'adaptateur. C'est aussi sa notion de théâtre propre d'une culture, qui peut être passé à une autre, mais à travers le filtre d'abord, et le moule ensuite, de cette culture de réception, la sienne. Il revendique justement son manque de respect vis-à-vis de l'oeuvre originale, puisque c'est là que résident son mérite, son originalité et sa créativité. Une traduction n'est presque jamais un fait isolé, un texte né du hasard, mais un indicateur, une réponse, un signifié, toujours dans le monde de la culture de réception qui, dans la plupart des cas, conditionne autant le choix que le type de traducteur et de traduction (de la plus littérale jusqu'à l'adaptation la plus éloignée). Les circonstances de la scène espagnole, celles de Ramón de la Cruz et de ses contemporains, viennent pleinement nous donner les raisons de ces textes et des distorsions qu'ils contiennent: toutes les variantes des pièces de Marivaux nous informent bien plus sur la littérature et la culture d'arrivée que sur celles d'origine.

Pour finir, si l'on devait qualifier d'une manière ou d'une autre le travail de Ramón de la Cruz, il faudrait utiliser la nomenclature d'Henri Meschonnic et parler d'annexion au degré le plus élevé, une pratique traduisante plus que courante au XVIIIe siècle, pratique qu'il oppose à la notion de décentrement (Meschonnic 1973: 308). En annexant Marivaux, Cruz efface toute distance culturelle et linguistique et il ne pouvait que cacher cette distance: il a caché Marivaux, comme il avait caché les autres auteurs dont il s'était inspiré, car il devait aussi montrer, mais montrer d'une certaine manière une certaine image de son époque et de son pays à ses contemporains.






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