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ArribaAbajoCharles Quint et sa politique nord africaine dans les «écrits» algériens

Kamel Filali



Universidad de Constantina

Plus que toute histoire mixte partagée entre pays qui se côtoient et cohabitent dans l'espace méditerranéen à travers les temps, l'histoire algéro-espagnole eut le privilège de s'entremêler plusieurs fois depuis le bas Moyen Age pour occuper à elle seule une large part de l'histoire méditerranéenne de longue durée. Une histoire qui semble se nouer communément tantôt dans la passion de la conflictualité et tantôt dans l'échange des apports pacifiques. Au XVIe siècle, les deux nations se sont mesurées par la confrontation de leurs héros conservateurs et précepteurs convaincus des modèles de leurs propres foi. L'épisode d'un Charles Quint, fanatique et ambitieux, jaloux pour le conservatisme de sa foi catholique et de son idée d'empire opposé à un Barberousse champion de l'islam en méditerranéen, illustre bien le conflit de civilisation. C'est la synthèse critique sur Charles Quint et sa politique nord-africaine dans les écrits, les plus représentatifs, que tente cette modeste contribution.

Les écrits algériens n'ont toujours pas eu de vues claires, neutres et étayées d'argumentations sur cette histoire du XVIe et encore moins sur l'étude des mythes et symboles jonchant son terrain. Le manque d'intérêt et la carence en écrits spécialisés et l'idéologisation à outrance de cette histoire rend parfois difficile les champs d'approches d'une étude critique d'ensemble sur la politique espagnole de cette première moitié du XVIe encore moins sur ses acteurs. La vérité historique sacrifiée et les questions les plus saillantes se trouvent déplacées de leurs contextes réels. Un terrain qui s'annonce dès le départ miné de passions et de jugements de valeurs. Des images estompées par les discours apologétiques qui n'ont cessé de susciter l'incompréhension et noircir encore plus le tableau de cette histoire de la politique espagnole en Afrique du Nord. Enfin, des écrits qui à mon avis ne répondent pas loyalement à cet immense besoin d'une mémoire qui souffre notamment dans les moments de crises.

Charles Quint incarnant l'ennemi idéal de la nation musulmane reste tabou. Quoi que l'image est vraie, elle semble un peu trop plate, démodée, voire dévaluée de toute valeur littéraire par un simplisme idéologique qui laisse échapper beaucoup de vérités

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historiques constructives. Peu ou prou cette incarnation, comme bien d'autres, ne fait de nos jours que dorer le blason du légitimisme pédagogique prôné par les écrivains marchands glorificateurs pour une immorale besogne. Dans ces écrits, Charles Quint (1500-1558) est le personnage le plus contesté depuis Charlemagne (742-814) de toute l'histoire de la chrétienté. Ainsi, si la réunion sous sa coupe réglée de tant de territoires et de nations chrétiennes a fait de lui le principal personnage de l'histoire politique de l'Europe, entre 1519 et 1556, date de son abdication et sa retraite dans le monastère de Yuste, en Extrémadura (Espagne), dans les littératures locales, il reste le personnage le moins étudié et le plus dénigré. Il est vrai, l'importance de la dimension de l'histoire de Charles Quint, de ses bienfaits et de ses méfaits diffèrent d'une rive de la Méditerranée à l'autre. La partie nord de la Méditerranée, de ses coreligionnaires, pour laquelle il a apporté paix et unité ne le voit pas avec le même regard de ses ennemis traditionnels de la partie sud. C'est certainement cette animosité suscitée par cette adversité fervente qui a fait que seuls les ouvrages qui traitent de l'histoire de l'Algérie, à cette époque, abordent la politique et les entreprises espagnoles, mais souvent d'une manière plus partisane que constructive et neutre. Les études historiques ou les biographies algériennes qui retracent la vie du monarque et tentent de suivre sa politique générale n'ont pas encore connus le jour. Pourtant les opuscules biographiques des grands personnages de cette époque tiennent une place exceptionnelle dans la vocation littéraire, Kheir-al-Dine723, al-Raïs Hamidou724, Darguth Raïs725... entre autres. Si des interprétations très diverses ont été données à l'égard de Charles Quint dans l'historiographie européenne -dont, par exemple, la plus courante: celle de l'idéal de l'unité héritée de la chrétienté médiévale, opposée à la poussée des Etats nationaux qui déterminerait les Temps modernes- l'histoire algérienne ne retient parmi toutes les images de Charles Quint que la plus classique et la plus marquante, celle de taghiya, despote, de la chrétienté et le plus farouche ennemi traditionnel de la croisade. Une imagerie estompée voire même sombre où on voit défiler tour à tour fantasmes et préjugés. Charles Quint dans les sources telles les «Ghazawât ‘Arûj et Khair-eddine726» ou «le Taghr al jumânî fî ibtisâm al-tughr al-wahrânî727» comme dans certains écrits plus récents n'est pas nommé entant que tel mais, il est qualifié de Taghiya. Une dénomination arabe stéréotypée souvent utilisée pour désigner le césarisme d'un roi injuste.

Pour ce qui est de la pensée et de la politique de Charles Quint qui se résume à notre avis par cette maxime des siens, les rois Catholiques: «paix aux chrétiens, guerre aux infidèles», les écrits nationaux ne se penchent, à vrai dire, ni sur l'une ni sur l'autre. La pensée de l'empereur et sa personnalité politique qui ont fait le sujet d'un

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certain nombre d'ouvrages notamment dans le monde chrétien demeurent totalement ententées dans les ouvrages locaux, en arabe et en français, même par ceux qui se prétendent être spécialisés en l'histoire du XVIe siècle. Il est vrai que, aussi, les historiens français s'y intéressent peu, notamment à ses «idées». Fernand Braudel qui voit surtout dans le règne de Charles Quint -sans douter de l'ardeur de sa foi très catholique et anti-musulmane- comme l'héritage d'une situation historique qu'il essaya de gérer avec les moyens hybrides du moment: «Charles aurait pu ne pas triompher à l'élection impériale en 1519. Pour autant, l'Europe n'aurait pas échappé à une grande expérience impériale728». Les ouvrages d'ensemble sur ses entreprises en Afrique ne manquent pas du côté français, mais d'une qualité qui reste aussi à discuter729. Cependant, parler de Charles Quint et des dimensions de sa politique en Algérie notamment dans ses moments de crises et de polémiques identitaires serait abusif aux yeux de tout le monde. En dehors des problèmes documentaires et des considérations méthodologiques qui s'imposent, l'élément psychologique et politique se dresse de taille quant il s'agit de traiter des sujets plus ou moins sensibles malgré leur ancienneté.

L'histoire espagnole d'une manière générale est très mal connue même dans les milieux universitaires spécialisés si nous excluons les missions des conquistadores enseignées plutôt dans un aspect plutôt géographique qu'historique. La question espagnole ou les aspects communs de cette histoire allant de la reconquête de Grenade par les rois catholiques à la colonisation française d'Alger (1492-1830) est inclue dans la période ottomane. Le premier axe ouvrant cette période dans ces écrits est la croisade aboutissant à l'occupation de quelques ports en Afrique du Nord. C'est à travers cette histoire ottomane que l'aspect conflictuel avec l'Espagne, axé principalement sur les expéditions et les batailles navales, est appréhendé. Une histoire dont le champs littéraire est dominé par des écrits non-spécialisés conçus par des personnes plutôt politiques qu'historiens prometteurs de l'histoire officielle. La seule préoccupation de cette histoire depuis l'indépendance de l'Algérie, en 1962, est les croisades et les conquêtes coloniales pour semble-t-il répondre au besoin de procurer une légitimité historique au système axée principalement sur le concept de jihâd. L'utilisation inadéquate et pour des fins plus idéologiques qu'historico-théologiques, du concept de jihâd, qui fut d'abord une guerre de la foi arborée contre les croisades catholiques et qui triompha d'ailleurs fougueusement contre le colonialisme, se retourna contre ces pourfendeurs politiques pour devenir un des mobiles de la guerre civile en Algérie entre 1990/99.

Si les critiques s'annoncent déjà un peu austères, elles ne visent en réalité que le bas niveau de ces écrits. Par conséquent je dois préciser qu'elles sont loin de justifier la politique fanatique de Charles Quint et encore moins de minimiser les atrocités perpétrées notamment par la croisade et ses inquisitions commises surtout contre les morisques.

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Une question d'ailleurs qui n'a pas suscité beaucoup d'importance dans les milieux européens. Ces ouvrages épars et sans aucune qualité littéraire ne traitent aucunement les nombreuses facettes de la vie du personnage. Toujours est-il que ses voyages730, encore moins sa maladie (la goutte), les défauts de sa personnalité ne sont relatés dans aucun ouvrage. La traduction de ses mémoires, qu'il rédigea en 1550, voire toutes les composantes de sa personnalité restent inconnues dans les différentes littératures.

Contrairement au duel Charles Quint-François Iier qui passionna beaucoup d'auteurs occidentaux notamment français, le duel Charles Quint-Khair al-Dine qui aurait pu inspirer romanciers et partisans de récits épiques voire cinéastes reste un domaine culturellement et politiquement verrouillé. Les personnages les plus stratégiques et les conseillers les plus influençables sur la personne de l'empereur et les plus contribuables dans ses succès et ses entreprises maritimes notamment contre la Goulette et Alger sont absents. Là aussi une forte carence en portrait littéraire est à déplorer. A propos des capitaines de ses expéditions on ne parle que d'André Doria731, que le scribe des mémoires de Khair-al-Dine prénomma «Andaria», avec une description totalement mythique et sentimentale. Fernando Álvarez de Toledo, Due d'Albe (1557-1582) est totalement ignoré par les textes notamment arabes; de la même façon ses compères les conquistadores d'Amérique qui ont servi dans les expéditions méditerranéennes aussi732. Quant au personnage de roman, le comunero espagnol Antonio Rincón, passé au service du roi de France auprès duquel il joua un rôle important dans les pourparlers entre François Ier et Khair-al-Dine Barberousse, d'une part et le Sultan Selim d'autre part, il est appelé par Tawfiq al-Madani (T.M.) Frontignan (?). Encore moins connu Hérnán Cortès, quant il est cité pour une fois, par Mahfoud Kaddache733, il est mal orthographié. En dépit de cette carente moribonde en informations et au mépris de toute éthique, ces écrits mercantiles esquivent de faire référence à leurs sources même quand il s'agit de faits historiques événementiels. Pour ce qui concerne directement ces écrits, la politique nord africaine de Charles Quint et les relations espagnoles sous son règne, y apparaissent là aussi avec peu d'intérêt voire de peu de secours notamment pour une étude critique détaillée. Le seul ouvrage voulant traiter en détail les guerres algéro-espagnoles de cet époque est titré sous un cachet de fierté nationaliste exaltante: «Harb al-Talatumiat sana734», la guerre des Trois cents ans. Il n'est pas de mon ressort ni de ma foi de dénigrer qui que ce soit surtout lorsqu'il s'agit d'un personnage historique comme feu Tawfiq al-Madani, que Dieu ait son âme. Personnellement, je ne doute pas de son nationalisme sincère, mais certainement pas de la manière par laquelle il traite cette l'histoire. Pour revenir au titre de

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l'ouvrage en question, à mon avis il prête à confusion car il n'y a jamais eu lieu d'une guerre continue de trois cent ans si nous excluons les activités de courses, mais en fait des attaques surprises et des campagnes expéditionnaires à des époques éparses et des périodes discontinues. Du côté espagnol, il eut Sept principales guerres (en dehors des entreprises d'occupations en 1504 et 1510 des principaux ports du Maghreb735) en trois siècles (XVI/XVIIe), à savoir celles: de Diego de Vera sur Alger 1516; Don Hugo de Moncada 1519; Andrea Doria sur Cherchell 1531; Charles Quint sur Alger 1941; d'O'Relly en 1775736 i de Barcelo en 1783 et 1784. Ainsi basés sur une documentation de deuxième main principalement ethnographique cet ouvrage utilise par conséquent peu d'archives inédites. Il est vrai que les archives se référant à cette époque de l'histoire algérienne restent rares. On n'en connaît que celles de Simancas (l'Archivo General de Simancas, l'Archivo de la Corona de Aragon) publiées par E. de Laprimaudie dans la Revue Africaine (entre 1857 et 1882) et «la mission bibliographique en Espagne» de E. Cat, ainsi que les quelques «correspondances arabes» adressées à la cour d'Aragon et au Gouverneur d'Oran, le Comte d'Alcaudete, par les princes ziyanides et les princes Kabyles du royaume de Koukou (situé sur le port d'Azfoune) en l'occurrence par Ibn Radouane et Ibn al-Qâdî publiées par Charles Féraud737, H.D. de Grammont et Devoulx dans la même Revue. Ces mêmes sources éditées sont tour à tour rééditées ou fac-simulées tantôt par l'autodidacte M. Gaïd738 ou le normalien M. Kaddache739, tous deux de plume francisée, ou par l'arabophone Yahia Bouazziz740 amateur de histoire cérémoniale. Celui-ci se plait d'arabiser dans un style infidèle et bourré de fautes la traduction française de E. de Laprimaudie741 des correspondances espagnoles de Simancas. Très peu de références, à dire vrai, touchant à la politique maghrébine signalées par le Professeur Míkel de Epalza dans un compte rendu742 et par l'édition critique du «Corpus documentaire de Carlos V» publiée par le Professeur Manuel Fernández Álvarez743 restent encore à être exploiter.

Toujours est-il que les garnisons de Béjaïa, d'Oran et de Mers El-kébir (selon l'orthographe toponymique officiel) en contact permanent avec la Cour impériale et les Chancelleries de Valladolid et de Grenade, étaient les seuls canaux de transit d'archives

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hormis les contacts directs entre princes kabyles et l'empereur, ainsi que les archives de l'hôpital des rédempteurs de captifs Frimitaires, dits Mathurinsem France, à Alger (que nous avons recherché en vain au Vatican et aux archives de la «propaganda Fidae»; piazza de España à Rome). Par conséquent, il importe de signaler que peu d'initiatives ont été manifestées par les chercheurs algériens «hispaniques» et «ottomanisants» quant à la recherche de nouveaux documents si nous excluons les quelques rares rapports et chroniques arabes sur les expéditions espagnoles en Afrique du Nord rendus publiques dans «al-Asâla» et «Majalat al-Tarikh744» en l'occurrence par Tawfiq al-Madani (qui fut alors conservateur en chef des archives nationales algériennes après avoir occupé le poste de ministre des affaires religieuses dans les années soixante).

La tradition des littératures populaires abordant les attaques des nations chrétiennes d'une manière générale et les attaques espagnoles notamment les expéditions contre Alger de 1541 de Charles Quint et d'O'Reilly, en 1775 (publiée en partie dans les manuels et les périodiques de la colonisation en l'occurrence in B.S.G.O.745, R.S.A.H.C. et R.A. ou notée en appendice, hashiya, dans «ghazawât» en ce qui concerne la première expédition) si riche et de tempérament naturel, elle mérite d'être rassemblée et étudiée sur le plan philologique qu'historique.

Les récits nationaux des deux expéditions de Charles Quint en Afrique ne sont en fait qu'une déformation des principales chroniques: de Ghazawât et des traductions françaises notamment des deux chroniques espagnoles, de Luis del Marmol y Caravajal la Description de l'Afrique par Nicolas Perrot, et de la chronique de Diego de Haëdo Topographia e historia general de Argel...746, dépouillées de leurs décors, couleurs et des contextes du moment. La pauvreté bibliographique a rendu la compilation et les emprunts non signalés des littératures ethnographiques coloniales très apparents (pourtant situées aussi dans un camp adverse, du colonialisme). Nous n'avons relevé aucune référence espagnole sur l'histoire de Charles Quint ni sur les manuels de l'histoire générale de l'Espagne dans aucun de ces ouvrages. On ne se référe qu'aux littératures coloniales et quelques livres d'histoire consacrés à la «domination turque en Algérie» plus ou moins crédibles notamment celui de H.D. de Grammont747. La Crónica de los Barbarroja, de López de Gomara, n'a connu aucune étude critique; elle ne fait pas non plus sujet de références dans ces écrits. D'autres encore se contentent d'incarner l'apologie moyenâgeuse haranguant les sentiments religieux avec les mêmes expressions réductrices de l'obscurantisme prêché à la fois dans les chroniques des croisades et l'hagiographie locale. Centré sur l'aspect conflictuel et les campagnes militaires de Charles Quint sur le littoral maghrébin dans un style de chronique asséché avec un décor artificiel, ces ouvrages dans leur totalité: ni de T. Madani, de ni Mahfoud

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Kaddache, ni celui de M. Gaid, encore moins de Yahya Bouaziz, n'essayent d'aborder le moindre aspect technique ni le contexte sociopolitique de ces entreprises. Au milieu de cette gabegie littéraire, il importe de signaler l'important compte rendu riche en références en toutes langues et en commentaires bibliographiques concernant la Biographie de Charles Quint de René Basset (1855-1924)748 et publié par A. Benhadouga, in «Majalat al-tarikh749».

L'armement notamment les canons750 encore moins les navires et les contingents des différentes armées ne sont évoqués nul part. L'initiative archéologique, quand elle se décidera à rechercher d'éventuels restes d'armement gisant à la rade d'Alger (entre Tamentfoust et Tafoura champ de la bataille), livrera certainement beaucoup de secrets sur de différents aspects de l'expédition de 1541. En dehors de la description du drapeau algérien, l'interprétation des symboles, des couleurs des étendards et des écussons des navires des nations ayant participé à la fameuse campagne de Charles Quint de 1541 y font défaut. Ils méritent tout de même une intelligente étude pluridisciplinaire.

L'idée générale de la politique de Charles Quint dans ces écrits vis-à-vis de l'Afrique du Nord s'insère dans le contexte de la lutte contre les infidèles, poursuivie pendant des siècles, la reconquista. Avant 1535, la politique nord africaine de l'empereur occupe une place de troisième rang. Fidèle à l'idéal de la croisade, Charles Quint était d'un côté trop pris par l'idée de l'empire et de l'autre préoccupé par les appétits italienns de Charles Iier751, pour s'occuper de l'héritage de la mission de croisade au sud de la Méditerranée. Les ambitions territoriales et l'idéal de l'unité de l'empire étaient pour certains écrivains752 français l'élément numéro un dans sa politique européenne. Un aspect, moins apparent parce qu'il était dérobé derrière le prétexte des passions religieuses. Cette thèse est totalement figée dans les «littératures» arabes notamment algériennes et ne trouve de raison que dans les mobiles de la logique et des préjugés de l'héritage de l'Espagne catholique des croisades.

Cette politique selon M. Kaddache753, connut deux périodes: la première, qu'il situe entre 1531 et 1535, est caractérisée par une politique de grande envergure où l'activité de la guerre maritime ne connaît pas de répit. Quant à la seconde, entre 1540 et 1541, elle fut la période d'expansion espagnole. Adoptant les thèses de H.D. de Grammont754 qu'il ne cite d'ailleurs pas et de E. Cat755 dans un style classique de chroniqueur, il notait:

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que malgré l'encerclement des côtes maghrébines par des garnisons auquel s'ajoute l'appui des souverains ziyanides et kabyles, la puissance espagnole était plutôt «apparente que réelle» (sic) par ce qu'elle devait répondre sur plusieurs fronts notamment en Europe dans la Flandre, l'Italie et l'Espagne. Pour justifier cette puissance apparente il fait allusion à la débandade des garnisons en Algérie qu'il illustre par les correspondances des soldats espagnols se plaignant de la situation catastrophique et le manque affamant de vivres publiées par Elie de Laprimaudie756. La crise financière est partout absente et ne fait état d'aucune justification sur son poids sur sa politique ni sur ses fuites en avant, alors que nous savons que l'empereur commence à en souffrir sérieusement après sa campagne sur Tunis (1535); il écrit à sa sœur Marie: «je ne puis même pas payer ma cour757». En 1539, il sera obligé d'emprunter un million de ducats, sous la garantie des fameux revenus des Indes, aux banquiers Fuggier, Welser, Schatz, Spinolas pour préparer l'expédition contre Alger758.

Cette politique apparaît de plus en plus confuse dans les années cinquante. On y constate beaucoup de lacunes et de carences en interprétations et en analyses concluantes voire même en pronostiques. La troisième période de la politique algérienne de l'empereur, marquée par la reprise de Béjaïa par Salah Raïs (1555), a donné lieu, selon M. le Professeur Míkel de Epalza759 à de nouvelles consignes impériales pour un redéploiement des forces d'occupation hispaniques. La menace que les Algériens font peser sur Oran obligent les Espagols à renforcer la place et lever le siège. L'Empereur apparaît «moins agressif» envers les Turcs sans perdre la moindre vigilance. Il ratifie la trêve de 1546 signée avec les Turcs et conseille, par ailleurs, à son fils de la préserver soigneusement. L'esprit de croisade n'est plus de mode même s'il intervient de temps à autre comme moyen de justification d'alliance avec telle ou telle partie ou d'intrigue contre tel ou tel protagoniste.

En dépit de la platitude des récits et de manque d'analyse politique, ces ouvrages s'attardent unanimement à étaler la question de vassalité et collaboration des tribus arabes et berbères760, avec beaucoup de sentimentalisme enfantin. T. Madani et Bassâm al-’Usalî y excellèrent plus que d'autres dans cette dénonciation de mauvais patriotes. La vassalité des princes ziyanides de Tlemcen et des princes de Koukou, en Kabylie, est soulignée à satiété. La lettre de demande de vassalité d'Ibn Ramdane adressée aux espagnols est tour à tour reproduite de la Revue Africaine. Tawfiq Al-Madani, en fervent nationaliste plutôt qu'en bon historien, n'hésite pas de les traiter de la première génération de harkis (traîtres) avant ceux du colonialisme français. A ce propos de subordination de tribus arabes et kabyles, il importe de souligner le témoignage

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de Mathieu Pierre qui, en 1605, tout en adoptant la thèse mercantile antiespagnole761, «il déplore l'échec de A. Doria contre Alger et conseille à Charles Quint de se méfier des rois de Fez (Fes) Cucco (Koukou) quand ils offrent leur vassalité contre Alger762».

Le conflit algéro-espagnol est toujours relaté en dehors de son contexte géographique et politique méditerranéen.

L'expédition chrétienne de 1541 reste l'élément le plus relaté et le plus étudié dans ces écrits. Le professeur Moulay Belahmissi lui consacre un excellent article763 richement argumenté mais qui présente une carence numérique sur les effectifs et l'armement. Une carence couverte par Corinne Chevalier764 (un livre conçu pour la consommation locale) dans un tableau comparatif sur les chiffres donnés par diverses sources notamment françaises. Quant à Hikmat Anis dans une tentation faiblement étayée, il essaye de redimensionner l'arrière-plan religieux de cette campagne765.

Pour Tawfiq al-Madanî les causes de l'expédition d'Alger ou ce qu'il appelle «les équivoques de la conquête» (Mulâbasât al-Ghazwa) se résument à trois points d'un simplisme très subjectif.

1. Venger l'honneur espagnol après la défaite de Hugo de Moncada sur Alger en 1519.

2. La fructueuse politique réalisée à Tunis qui a permis la récupération et le ralliement à leur pouvoir de ce qui reste de l'Etat hafside. Après cela s'en ai suivi la victoire sur Tlemcen et l'ouest algérien accomplie après le traité de soumission signé par les Banû Ziyan roitelets des ‘Abd-al-Wâd. La main-mise espagnole sur les émirats de Tunis et Tlemcen a rendu possible la guerre contre le Sultana d'Alger. Ils voulurent sa destruction en espérant peut-être trouver dans la soumission de ces deux parties à l'Est et à l'Ouest une complicité pour réaliser leurs desseins de croisés.

3. La présence de Khair-al-Dine à l'Est pour s'occuper du commandement de la flotte islamique et ottomane provoqua -selon eux (les Espagnols)- «un grand vide dans l'Etat algérien (sic). Ils pensaient alors que son absence (de Khair-eddine) a fissuré l'unité nationale et détruit la force symbolique que faisait rayonner la forte personnalité et la réputation universelle de cet héros766». Et de ceci et comme il se répétait sur les langues des espions espagnols qu'il ne restait en Algérie à cette époque que très peu de soldats turco-ottomans, sans qu'ils n'arrivent à faire leurs vrais calculs, puisqu'en réalité c'est le peuple algérien qui est leur ennemi le plus torride.



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Enfin, l'Etat ottoman était en ces instants là occupé par ses guerres contre l'Europe, en Autriche et en Hongrie spécialement, où les chrétiens ont combattu avec force pour défendre leur religion, leur honneur et leur pays, malgré les grands succès réalisés par les ottomans en mer et sur terre.

Le rôle du Pape Paul III dans cette campagne est relaté avec force dans tous les écrits. Tawfiq reproche au Turc Muhammed Farid dans son «histoire de la Sublimeporte» de ne pas affirmer que la trêve de Nice conclue (en juin 1538) entre Charles Quint et François Iier a eu lieu sous l'influence et la pression du Pape pour préserver l'unité chrétienne et palier à l'avance des musulmans sur l'Italie. Et que François Iier avait promis de faire cesser toute hostilité avec Charles Quint «tant que celui-ci aspirait à la destruction du pouvoir des musulmans d'Alger». L'ideal de l'unité chrétienne autour de l'idée de la croisade dans lequel a eut lieu l'expédition contre Alger; il conclut: «le pape et toute la terre chrétienne était derrière toutes les expéditions contre l'Afrique du Nord y compris l'expédition de 1541 contre Alger767». Dans un esprit mercantile de concurrence idéologique prometteur de la démagogie batiste et loin de toute analyse ou argumentation scientifique, le syrien Bessam al-’Usalî compile Tawfiq, dans sa biographie «Khair-al-Dine Barberousse» et affirme avec banalité cette galvanisation de l'esprit de croisade qui selon lui est le seul moteur qui facilita la préparation de la gigantesque campagne de Charles Quint sur Alger. En réalité après la prise de Tunis (La Goulette) par celui-ci, le 14 juillet 1535, les Français dont l'ambition de leur roi persiste sur l'Italie, en l'occurrence sur Milan qu'il convoitise depuis des lustres, se concrétise par la prise de Turin et le détrônement du duc de Savoie. Ainsi, les ambitions de pouvoir ne prêtaient à aucune réconciliation réelle. L'enjeu est aussi stratégique que religieux. La lutte pour la suprématie en Méditerranée, négligée presque totalement notamment dans ces écrits, n'est que l'autre face de la conflictualité entre l'Orient musulman et l'Occident chrétien; une lutte qui se caractérise à partir du premier quart du XVIe siècle entre différents protagonistes pour la maîtrise de la mer. François Ier qui, depuis 1530, décide politiquement de soutenir les attaques Nord-africaines contre les côtes espagnoles et italiennes à la fois, était dans un but stratégique apparemment consistant à affaiblir l'Empereur et faciliter la chute des principautés italiennes entre ses mains comme un fruit mur. Pour sa part et face à la menace de rapprochement entre l'ennemi de l'occident et les infidèles de l'orient, Charles Quint se tourna vers l'Afrique du Nord et décide d'entreprendre la conquête de Tunis. La mission sacrée de combattre l'infidèle et les dividendes politiques escomptées étaient tellement prometteuses à ses yeux que ni les sept attaques de la Goulette que nous avons pu comptabiliser à travers nos lectures de différentes biographies768 entre la campagne de Tunis et celle

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d'Alger ni la maladie et la mort de sa femme Isabelle de Portugal (morte en 1539) -qui le força presque à une vacance de pouvoir de plus d'un an- et encore moins ses difficultés financières n'empêchèrent ses expéditions en Afrique du Nord que M. Epalza qualifie de parenthèse entre ses luttes en Europe769.

L'autre point de mire de ces écrits est la coalition turco-française. Sur cette coalition T.M. titre Les Français appellent au secours. Il reprend avec une lettre envoyée par le sultan Selim à François Iier et publiée dans «Tarikh al-dula al-’aliya al-’uthmâniya770»: «l'histoire nous a conservé un document islamique de premier ordre note-il, il s'agit de la réponse du Khalifat des musulmans (le sultan Sélim) à la demande de François Iier, elle traduit la fierté et les nobles sentiments propres aux sultans ottomans771».

Pour se démarquer un peu des ses collègues du camps arabophone, et dans un contexte exotique totalement renversé de sa dimension géohistorique, M, Kaddache conclut son chapitre «le triomphe final des ottomans»: que le déclin espagnol a fait éviter au Maghreb ce qui est arrivé aux indigènes d'Amérique, «un péril auquel notre pays échappera grâce à l'empire ottoman772».



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